Favoriser la participation sociale des personnes présentant des troubles graves du comportement : un défi réalisable Michel Deschênes, psychologue - Denis Godbout, psychologue - Jacques Drolet, chef de programme - Sonia Di Lillo, spécialiste en activités cliniques Programme pour les personnes présentant un trouble grave du comportement en déficience physique (P-TGC) Favoriser la participation sociale des personnes présentant des incapacités liées à une déficience physique est un défi de taille lorsque celles-ci présentent un trouble du comportement. En effet, un trouble du comportement peut avoir un impact grave sur la personne et son entourage en ce qui concerne : les relations interpersonnelles, l’intégrité physique, l’intégrité psychologique, les services et l’encadrement. Les formes « classiques » d’intervention comportementale s’avèrent peu efficaces pour intervenir auprès des personnes ayant des troubles graves du comportement (TGC), notamment lorsqu'elles présentent des troubles cognitifs (ex. : attention, mémoire, fonctions exécutives). L’approche de collaboration1 constitue un modèle d’intervention dont l’efficacité a été démontrée pour intervenir en TGC 2. Centrée sur les buts de la personne, elle se caractérise par l’importance accordée à la prévention des déclencheurs et des instigateurs plutôt qu’à la modification des conséquences. Concrètement, elle vise à formuler en équipe des hypothèses quant aux causes des comportements graves afin de favoriser la concertation autour d’objectifs d’intervention auxquels adhéreront tant la personne, ses proches que l’équipe traitante pour réduire le climat de confrontation souvent présent s’il y a TGC. Misant sur l’implantation de routines positives dans le milieu de vie, elle permet d’optimiser la cohérence et la constance des interventions en contournant les obstacles que représentent les troubles cognitifs. Elle comporte une dimension de données factuelles, puisqu’on y mesure de manière continue l’évolution des comportements en utilisant des grilles d’observation systématique. Ces mesures comparatives permettent d’ajuster nos interventions en tenant compte des résultats. Illustration de l’application de l’approche de collaboration par le P-TGC du Centre de réadaptation Lucie-Bruneau Facteurs personnels Homme de 25 ans, sans enfant, célibataire, vit seul Scolarité : Cégep A été entraîneur physique Curieux et déterminé Sociable/chaleureux Aime les activités physiques Conformiste (veut plaire) Anamnèse Victime d’un accident piéton-auto TCC sévère (GSC = 4, coma 2 mois) Multiples contusions hémorragiques aux lobes frontaux et temporaux (bilatérales) Profil clinique Troubles de l’équilibre et de la motricité fine Fatigabilité à l’effort cognitif Troubles de mémoire verbale Faible capacité de résolution de problèmes Persévération Anosognosie Impulsivité/désinhibition Labilité émotionnelle Environnement Foyer de groupe (avec 3 autres résidents ayant eu des TCC) Famille à exigences élevées Programmation du foyer de groupe plus ou moins développée Plus ou moins de cohérence des interventions à l’intérieur du foyer de groupe Instabilité du personnel en place Application non uniforme de l’approche d’intervention AVANT l’application de l’approche de collaboration Impacts des comportements Nature et fréquence des comportements (Grille OAS avril 2006) Agressivité Agressivité Agressivité Agressivité verbale : crie et insulte les intervenants tous les jours (35 fois par deux semaines) physique envers lui-même : se frappe la poitrine à l’occasion (13 fois par mois) envers les objets : lance des objets à l’occasion mais sans viser personne (8 fois par mois) physique envers autrui : frappe les autres rarement (3 fois par mois) Extrême au plan de l’encadrement : comportements nécessitant la présence d’un intervenant en permanence Grave au plan relationnel : la personne est rejetée par la communauté Grave au plan des services : la personne est confrontée à un arrêt de services mais a la possibilité de trouver une alternative dans le réseau Étapes préliminaires 1 2 Consultation auprès de la personne, ses proches et l’équipe du milieu pour établir le plan d’intervention sur les causes présumées du TGC Formation et entraînement de l’équipe à l’observation continue avec la grille (OAS, Overt Aggression Scale) pour mesurer le niveau de base et l’évolution des comportements Niveau de base Détermination du niveau de sévérité initial du trouble du comportement. S’agit-il d’un trouble léger, modéré, grave ou extrême du comportement? Collecte de données Mise en commun de l’ensemble des données sur les facteurs personnels, le profil clinique et l’environnement physique et social de la personne (Cf. Schéma d’analyse des types de troubles du comportement 3 ) Formulation d’hypothèses Échange et transfert d’information sur les diverses causes possibles du TGC (hypothèses) Interventions Mise en commun des stratégies et des moyens d’intervention à mettre en place au quotidien pour prévenir l’apparition du TGC en fonction des causes présumées Soutien à l’élaboration et à l’implantation des routines de concert avec l’intervenante du CLSC et une psychoéducatrice Routines quotidiennes de communication Moyens de communication positifs alternatifs Routines comportementales Mise en place d’événements positifs (relaxation, exercices, compréhension des routines, sentiment de compétence) Procédures de soutien pour indiquer aux intervenants quand et comment utiliser les routines Donner des choix Avoir un rôle social significatif (bénévolat) Routines d’autorégulation des comportements Routines cognitives Outils de compensation cognitive : agenda, tableau d’orientation, liste d’activités possibles, etc. Routines pour éviter d’égarer ses objets Routines positives quotidiennes des fonctions exécutives Routine de résolution des problèmes récurrents et nouveaux Réévaluation en comparaison avec le niveau de base Révision bihebdomadaire puis mensuelle du plan d’intervention pour tenir compte de l’évolution des comportements et ajuster les interventions en conséquence APRÈS l’application de l’approche de collaboration Nature et fréquence des comportements (novembre 2007) Agressivité Agressivité Agressivité Agressivité Impacts des comportements verbale : crie et insulte les intervenants (2 fois par mois) physique envers lui-même : se frappe la poitrine à l’occasion (0 fois par mois) envers les objets : lance des objets à l’occasion mais sans viser personne (0 fois par mois) physique envers autrui : frappe les autres rarement (0 fois par mois) Données comparatives de la fréquence des comportements entre avril 2006 et novembre 2007 Conclusion Avril 06 Avant l'application Novembre 07 Après l'application 40 35 Modéré au plan de l’encadrement : la personne a des comportements qui doivent être prévenus ou contrôlés par une supervision formalisée Il habite maintenant seul dans un logement où il reçoit des services de supervision et d’encadrement au quotidien 35 L’approche de collaboration axée sur les routines comportementales permet d’atténuer le trouble du comportement pour optimiser la participation sociale de la personne en présence de sérieux troubles cognitifs alors que les approches classiques, qui mettent l’emphase sur les conséquences (ex. : approche coercitive ou axée sur la sécurité), tendent surtout à maintenir le trouble grave du comportement. 30 25 Références 1- Ylvisaker, M., Jacobs, H., & Feeney, T. (2003). Positive Supports for People Who Experience Behavioral and Cognitive Disability after Brain Injury. Journal of Head Trauma Rehabilitation, 18, 7-32. 20 15 13 10 2- Feeney, T., Ylvisaker, M., Rosen, B. H., & Greene, P. (2001). Community Supports for Individuals with Challenging Behavior after Brain Injury: An analysis of the New York State Behavioral Resource Project. Journal of Head Trauma Rehabilitation, 16, 61-75. 8 5 2 0 Agressivité verbale Le Centre de réadaptation Lucie-Bruneau est : 3 0 Agressivité physique envers lui-même 0 Agressivité physique envers les objets 0 Agressivité physique envers autrui 3- Godbout, D., Di Lillo, S., Deschênes, M., Drolet, J. et Brunet, I. (2008). Schéma d’analyse des types de troubles de comportement. Membre du consortium opérant le