La propagation de la charge de fond

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La propagation de la charge de fond
U
conditions géomorphologiques locales (changements de pente, élargissement du lit, ouvrages modifiant les
conditions d’écoulement, etc.) et des débits capables de la mobiliser.
Formes de propagation de la charge de fond
a
Figure 21
Amont, peu de pente
Aval, face d’avalanche
© J.R. Malavoi
La forme la plus fréquente que revêt le transport par charriage est une macroforme sédimentaire que l’on
nomme « banc » ou « dune »1 fluviale. Elle a une configuration tridimensionnelle caractéristique que l’on
peut donc identifier, localiser et dont on peut dessiner les contours et les volumes. On observe généralement
une contre-pente vers l’amont et une face aval active (front de progradation ou face « d’avalanche ») à pente
forte, proche de la pente d’équilibre des matériaux granulaires (40 - 45°).
Rappelons qu’il existe cependant un type de propagation sur fond plat (plane bed) lorsque l’écoulement
devient torrentiel (Fr ≥ 1) sur les cours d’eau sableux.
26
contre-pente
Exemples de dunes/bancs en
migration. (a) Sur le Doubs aval,
(b) dans un caniveau… Les
processus et les formes sont
identiques.
© J.R. Malavoi
b
1
Il existe actuellement un flou terminologique autour de ces deux termes. Pour certains auteurs (notamment Yalin et Silva, 2001),
) les
dunes (dunes) sont des macroformes de taille et longueur d’onde proportionnelles à la profondeur tandis que les bancs (bars) sont de
taille et de longueur d’onde proportionnelles à la largeur à pleins bords. Les macroturbulences à l’origine des dunes seraient des vortex
à axe horizontal, tandis que celles générant les bancs seraient à axe vertical. Il est préférable d’éviter l’emploi du terme « barre » qui,
en géomorphologie, désigne une accumulation sableuse au large d’une embouchure et est de surplus un anglicisme (traduction de
l’anglais « bar »).
Si la charge solide est importante (en volume), les macroformes peuvent être jointives, le « front » de chaque
dune progressant sur la « queue » de dune la précédant, elle-même se propageant vers l’aval, etc. (exemples
figure 22). On se rapproche du style en tresses.
Figure 22
b
(a) Champ de dunes
caillouteuses sur l’Allier amont.
(b) Champ de dunes sableuses
sur l’Allier aval.
(c) Immense champ de dunes
sur une rivière en tresses de
Madagascar.
a- b- © J.R. Malavoi
a
2010 Google © 2010 DigitalGlobe
Inversement, s’il y a peu de sédiments en transit, les macroformes migrent de façon isolée et sont d’autant
plus faciles à localiser et à mesurer (exemples figure 23). Il existe bien sûr toutes les situations intermédiaires entre ces extrêmes.
27
a
(a) Banc caillouteux en migration sur le
Tarn (l’écoulement vient de la gauche).
(b) Banc caillouteux isolé dans le lit
mineur du Doubs en aval immédiat de
Dole (mesures bathymétriques Service
Navigation Rhône-Saône. (L’écoulement
vient de la droite).
Fond SCAN 25®. © IGN 2010.
b
© J.R. Malavoi.
Figure 23
28
Figure 24
a
b
(rippless), se développent souvent à la surface de macroformes : les dunes
(
(dunes
s).
a-b- © J.R. Malavoi
Les rides sont des microformes sédimentaires qui se déplacent lentement à la surface des macroformes alluviales sous l’impulsion de courants à faibles vitesses (quelques dizaines de cm/s). On les trouve généralement sur
les cours d’eau sableux ou présentant localement des dépôts sableux.
L
L
Figure 25
29
Mode de propagation de la charge de fond
Le principe théorique de migration des macroformes (dunes ou bancs) est présenté sur la figure 26.
Dans un contexte d’équilibre dynamique, la dune se propage vers l’aval par érosion de sa partie amont
en contre-pente, migration des grains délogés sur « le dos » de la forme, puis glissement de ceux-ci en
« avalanche » sur le front raide situé en aval. La contre-pente et le front aval raide, rappelant la forme des
dunes éoliennes, sont liés à la rugosité globale du lit qui freine le transit de la dune et provoque cet effet de
« compression » mécanique.
Figure 26
a
b
a- Vue en coupe longitudinale de la propagation théorique d’une dune (d’après Yalin et Silva, 2001). b- Exemple
théorique montrant le remplacement d’une dune par une autre venant de l’amont au bout de n jours.
Ce fonctionnement est théorique car on observe fréquemment une érosion sur la partie sommitale de la dune
(où est noté ici un signe +).
Fractionnement de la charge de fond
30
Même s’il est couramment admis que, lors des crues, le transport solide par charriage concerne une grande
partie de « l’éventail » sédimentaire ou étendue granulométrique disponible au transport, on sait qu’en
fonction du débit liquide, les courbes granulométriques des matériaux transportés sont différentes (on parle
de « compétence » de l’écoulement, liée à la force tractrice2).
Ce phénomène est bien illustré par la figure 27. On y observe que plus le débit (donc la force tractrice)
augmente, plus la taille moyenne des matériaux transportés augmente (D50 = 1 mm à 0,3 m3/s et 50 mm à
4 m3/s). L’étendue granulométrique augmente pour les mêmes raisons (plus de classes de taille sont en
mouvement). On constate aussi que, dans cet exemple, même la courbe la plus grossière n’atteint pas les
valeurs de la granulométrie d’armure en place au fond du lit (courbe la plus à droite sur le graphique).
Figure 27
prélevés pendant une seule crue (d’après Bathurst, 1987).
La force tractrice τ est le produit pente x hauteur d’eau x poids volumique de l’eau. Elle est généralement exprimée en N/m2.
τ est calculée comme suit : τ =γhJ (en N/m2) où γ est le poids volumique de l’eau (9810 N/m3), h la hauteur d’eau (m), J la pente de la
ligne d’énergie en m/m.
2
© J.R. Malavoi
Ceci explique pourquoi, en fonction des crues et des conditions géomorphologiques locales, la granulométrie
des macroformes peut être différente, tant dans l’espace que dans le temps.
On peut ainsi parfois observer des macroformes constituées de graviers en train de migrer sur des macroformes constituées de galets (en surface) : cela indique que la dernière crue a eu une « compétence »
suffisante pour transporter des graviers (venant de l’amont, des berges, des affluents, etc.), mais insuffisante
riser l’armure de galets de la macroforme sous-jacente (figure 28).
Figure 28
Vue d’un front de dune graveleuse migrant sur un substrat plus grossier situé au premier plan.
Vitesse de propagation de la charge de fond
Il est très difficile de mesurer, et plus encore de prédire, la vitesse de propagation de la charge alluviale de
fond. C’est pourtant un élément essentiel de la gestion du transport solide.
Quelques données, telles que celles présentées dans le tableau 1, ont été publiées dans des revues scientifiques ou des rapports de bureaux d’étude. Il s’agit souvent de mesures de vitesses de particules
élémentaires alors qu’il importe davantage, en matière de gestion des sédiments, de connaître la vitesse de
ropagation des macroformes.
Tableau 1
Rivière
31
ues données sur la vitesse de propagation des alluvions grossières.
Classe granulométrique Conditions de Q
Agly
galets
Q1,5 /an
Agly
galets
Q2,4 /an
Verdouble
galets
Durée Q
5h00
plusieurs crues dont Q5, Q2, Q4
Distance parcourue
Auteur
Année
120 m
BRL
1988
310 m
BRL
1988
850 m
Anguenot
1972
maxi 1800 m
en moyenne 10 km/siècle
Ardennes
30 à 80 mm
en moyenne 3 km/siècle
Petit
1997
Hérault
galets
20 km/siècle
Tricart et Vogt
1967
Isère
galets
10 km/siècle
Salvador
1991
Une publication récente de Katolikov et Kopaliani (2001) permet de compléter ces données pour ce qui concerne
la propagation des bancs latéraux (side bars). On constate des valeurs comprises entre 50 et 500 m/an environ,
ce qui est dans les ordres de grandeur du Tableau 2 (3 à 20 km/siècle).
Tableau 2
Rivière
Garonne
Rhin
Aval Strasbourg
Mur (Autriche)
Volga
Amour
Danube
Vistule
Vitesse (m/an)
Auteur
20 - 30
Baumharten, 1848
270
Popov, 1969
500
Yasmund, 1930
100 - 200 (sur 8 mois)
Eksner, 1924
100 - 200
Popov, 1969
200 - 600
Bashkirov, 1956
200
Polyakov, 1951
100
Popov, 1969
Remarques
209 bancs latéraux entre Bâle et Sonderheim
Tronçon canalisé de 7 km. Longueur des bancs
alternés = 5/6 fois la largeur du lit à pleins bords
Stockage temporaire de la charge de fond
La charge de fond en transit peut être plus ou moins longuement stockée lors de son transit vers l’aval. Le concept
général est présenté sur la figure 29.
Production, transfert et stockage de la
charge de fond (d’après Sear et Newson,
1993). Les chiffres de durée de stockage
sont des ordres de grandeur.
Figure 29
32
■ Le
stockage « naturel »
Le cas le plus évident de stockage naturel des alluvions en transit est celui des bancs et dunes et particulièrement
des bancs de convexité (bancs actifs et inactifs de la figure 29).
Sur la partie active des bancs, le stockage n’est que temporaire (quelques mois ou années) et les matériaux sont
fréquemment remaniés et emportés vers l’aval par les processus de transport solide évoqués ci-dessus. Sur la
partie interne des bancs, la végétation se développe progressivement, au fur et à mesure que la berge concave
opposée s’érode et que le méandre migre latéralement et vers l’aval. Cette végétalisation, et l’éloignement
progressif de la zone à fortes vitesses, limitent les processus de transport solide et les sédiments, plus ou moins
végétalisés, sont alors stockés (de quelques années à plusieurs dizaines d’années) jusqu’à ce que le méandre
situé en amont translate vers l’aval et reprenne, par érosion latérale, les matériaux stockés (figure 30) ou qu’il se
recoupe (recoupement par déversement).
Notons que plus la rivière est active, moins le stockage est long car la translation des méandres vers l’aval
mobilise très vite, par érosion latérale, les parties de bancs qui se sont végétalisées (figures 30a et 30b).
Ces mêmes concepts de stockage temporaire et de plus longue durée sont applicables aux rivières en tresses
où, là encore, l’effet de la végétalisation des macroformes dans les processus de stockage de longue durée est
important (figure 30).
Figure 30
a
33
© 2010 Google © 2010 IGN-France.
b
© 2010 Google © 2010 MapData Sciences Pty Ltd, PSMA © 2010 DigitalGlobe © 2010 GeoEye.
Exemples de stockage naturel des alluvions grossières en transit. (a) Bancs de convexité.
(b) Portion végétalisée d’un lit en tresses.
■ Le
stockage « artificiel »
Il est admis que les barrages de haute chute bloquent intégralement et souvent définitivement la charge solide
de fond, sauf s’ils sont équipés, ce qui est rare, de passes de dégravement fonctionnelles.
On observe aussi des stockages de plus ou moins longue durée en amont d’ouvrages de faible hauteur (seuils,
figure 31a) ainsi qu’en amont d’ouvrages de franchissement (ponts et amont de pont, figures 31b et 31c) à
section en général volontairement sur-élargie, ou encore dans d’anciennes fosses d’extraction en lit mineur
(figure 31d). Il s’agit là d’un stockage temporaire dont la durée, du fait des aménagements, dépasse largement
la durée « normale » de stockage dans des conditions naturelles d’écoulement.
Le stockage lié au seuil peut s’étendre très loin en amont de l’ouvrage (jusqu’à plusieurs kilomètres) sous
l’effet de la constitution d’un remous solide régressif.
34
a
b
a- b- c- © J.R. Malavoi
d © Fond BD ORTHO ® 2001. © IGN 2010
Figure 31
Exemples de zones de stockage
« artificiel » des alluvions grossières en
transit. (a) Seuil. (b,c) Pont. (d) Fosse
d’extraction. Les conditions
hydrauliques locales (sur-élargissement,
sur-approfondissement) favorisent
la réduction de la capacité de charriage
et le dépôt des alluvions grossières.
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