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Sociétal
N° 37
3etrimestre
2002
R E P È R E S E T T E N D A N C E S
qu’il débouchera sur de nouvelles
constructions institutionnelles à
caractère fédéral, notamment des
instances de régulation communau-
taires sectorielles.
Comment en est-on arrivé là ? Dé-
finis par des lois et règlements na-
tionaux, soumis à des obligations
spécifiques, bénéficiant de droits ex-
clusifs et souvent de statuts de mo-
nopoles – toutes choses contraires
aux règles du libre-échange et de la
concurrence –, les services publics
industriels et commerciaux français
sont, de par leur définition même, en
contradiction avec ce qui est le
cœur de la construction commu-
nautaire, à savoir le marché euro-
péen intégré. D’où le conflit entre la
France et la Commission, qui a cul-
miné avec l’ouverture à la concur-
rence des télécommunications, et
maintenant de l’électricité et du gaz.
Cependant, les positions se sont
beaucoup rapprochées. D’une part,
les services publics industriels et
commerciaux français se sont ou-
verts à la concurrence, dans le cadre
de la transposition des directives
communautaires. Ouverture
conduite à des rythmes et jusqu’à
des degrés divers : si les télécom-
munications et le transport aérien
sont désormais très concurrentiels,
le transport ferroviaire appartient
encore entièrement à la sphère des
services publics, malgré les direc-
tives de 2001 qui imposent d’ouvrir
le fret à la concurrence ; la poste,
l’électricité, le gaz occupent des po-
sitions intermédiaires.
De son côté, l’Union européenne a
commencé à prendre en compte la
notion de services publics indus-
triels et commerciaux, après l’avoir
longtemps tenue à l’écart au nom de
la construction du Marché unique
européen engagée dans le cadre de
l’Acte unique de 1985. Les services
publics ont été d’abord cantonnés à
la subsidiarité nationale, position
d’exception où ils étaient condam-
nés à être progressivement grigno-
tés par le libre-échange et la concur-
rence. Puis, peu à peu, l’Union
européenne a commencé à les
considérer comme des compo-
santes intégrantes de l’Europe,
voire comme des objectifs de la
construction communautaire.
LA CONCEPTION
FRANÇAISE
Parmi les questions majeures
que pose la convergence qui
commence de se dessiner figure
la cohérence entre la puissante
construction française de la notion
de « service public » et l’approche
communautaire du « service uni-
versel ». Tous les pays ont « des »
services publics : seule la France a
« le » service public. Derrière cette
confrontation, il y a, bien sûr, le
choc de deux philosophies du droit :
d’un côté, l’Etat souverain, le droit
romain, le droit public, le droit social
issu de siècles d’histoire ; de l’autre,
la common law anglo-saxonne, le
droit sans l’Etat, le droit jurispru-
dentiel qui caractérise « l’esprit des
lois » communautaires.
Le « service public à la française »
est un concept polysémique, recou-
vrant plusieurs notions. Lorsqu’un
mot est intraduisible dans une
langue étrangère, ou difficilement
explicable à l’extérieur, il invite à
s’interroger sur ce que nous appe-
lons « exception nationale ». Car la
construction française du service
public industriel et commercial n’est
pas simple à justifier, notamment
parce qu’elle est issue d’une triple
origine :
– le droit public et son application
par le Conseil d’Etat, qui a élaboré
le corpus juridique du service
public autour des principes de
continuité, d’égalité de traitement,
de mutabilité ;
– les préoccupations sociales : la
fourniture de services de base et
l’accès équitable de tous les citoyens
au service public, qui constituent
des éléments décisifs de la réduction
des inégalités ; et les statuts sociaux
particuliers des personnels, organi-
sés autour de syndicats structurés,
qui se situent à l’avant-garde des
conquêtes sociales en matière de
garantie de l’emploi, de retraites, de
rémunérations, d’activités sociales ;
– les grands projets d’équipement
national en infrastructures et les
projets technologiques d’indépen-
dance stratégique, autour des
ministères techniques (Industrie,
Equipement, Transports, PTT) et
des grands corps d’ingénieurs.
Ces trois éléments ont convergé,
avant mais surtout au lendemain
de la guerre, pour engendrer le
modèle des grands établissements
publics nationaux : nationalisation
de la SNCF (1937), d’Air France,
d’EDF-GDF (1946).
Le service public est un service
dont la collectivité considère, à
une époque donnée et en fonction
du contexte des technologies exis-
tantes et des aspirations sociales,
qu’aucun citoyen ne saurait en être
tenu à l’écart. Ce concept contient
la « desserte universelle » et l’« obli-
gation de fourniture », ainsi que,
dans une certaine mesure, l’« équité
tarifaire ». Ainsi avait-on décidé,
dans le cadre du plan Freycinet, vers
1880, que toute sous-préfecture
de France devait disposer d’une sta-
tion de chemin de fer ; dans les an-
nées 30, l’impératif de l’électrifica-
tion des campagnes avait débouché
sur la péréquation du kilowatt-
heure et la nationalisation de l’élec-
tricité. Aujourd’hui, « Internet pour
tous » et le souci de réduire la
« fracture digitale» relèvent de la
même approche.
LE « SERVICE UNIVERSEL »
À L’EUROPÉENNE
Face au bloc français du service
public, comment est apparue
et s’est développée dans le droit
communautaire la notion de service
universel ? Celui-ci correspond au
service de base offert à tous, dans
l’ensemble de la Communauté, à
ENJEUX EUROPÉENS