LE MONDE SELON BILL STERLING W ILLIAM S TERLING En attendant 2002 Le carillon pourrait faire la joie de tous en cette nouvelle année en annonçant la fin de 2001, l’année la plus néfaste que nous ayons connu depuis longtemps. Nous pensons qu’il existe un grand nombre de bonnes raisons de s’attendre à ce que 2002 soit une année de reprise économique et financière. Il nous faut toutefois émettre des réserves importantes : tous les facteurs que nous prenons d’habitude pour acquis pourraient être obscurcis par de nouveaux chocs négatifs en provenance du front terroriste. Nous reviendrons sur ce point sous forme de questions/réponses dans notre étude générale sur le climat de l’investissement mondial. Q : Pourquoi pensez-vous que la reprise est le scénario le plus probable en 2002 ? R : Pour une simple raison : la politique économique à travers le monde a généralement tendu à stimuler la croissance économique. Les États-Unis ont été les plus résolus en ce domaine : à la fois la politique monétaire et la politique fiscale ont été utilisées pour contrecarrer le choc des attentats terroristes du 11 septembre. En outre, la plupart des autres nations industrielles ont également pris des mesures d’assouplissement monétaire plus dynamique depuis le 11 septembre. Cela donne du poids à l’argument en faveur d’une reprise mondiale en 2002. Si l’on se penche sur le passé, trois évènements macroéconomiques importants, qui ont planté le décor d’une récession mondiale en 2001, se sont produits en 1999 et 2000 : l’argent rare, des prix du pétrole plus élevés et un cycle de croissance astronomique et de dégringolade incroyable dans les secteurs de la technologie. C’est ce qui permet d’expliquer la nature hautement synchronisée du ralentissement et la raison pour laquelle il était difficile de se mettre à l’abri sur les marchés mondiaux. En regardant vers l’avenir, les perspectives sont meilleures, car les politiques d’argent rare ont été remplacées par une détente monétaire, et parce que le prix du pétrole a chuté de façon spectaculaire du niveau de 35 $ le baril au cours de l’année passée au niveau récent d’environ 20 $ le baril. Cette importante altération des activités du secteur technologique associé à la frénésie qui a entouré le PA G E 4 S TRATÈGE M ONDIAL PERSPECTIVE DE DÉCEMBRE AU 30 NOVEMBRE 2001 phénomène du bogue de l’an 2000 et la mise à niveau des ordinateurs en 1999, ainsi que le cataclysme qui s’en est suivi devraient disparaître de la scène pour faire place à un retour à des modèles plus normaux de croissance. Q : Qu’en est-il de l’onde de chocs des évènements du 11 septembre ? R : Il est maintenant clair que la dynamique de récession mondiale trouvait sa source dans les facteurs que nous venons d’évoquer. Ces facteurs étaient présents bien des mois avant que les attentats terroristes ne déclenchent des inquiétudes générales de récession. En fait, le groupe d’économistes chargé de déterminer les cycles économiques aux États-Unis vient juste d’officialiser la nouvelle : la récession américaine est censée avoir débuté en mars de cette année, au moment même où l’emploi était au plus haut. Ce qui signifie que si une récession devait avoir une durée typique de six à neuf mois, on aurait dû s’approcher de son plancher sensiblement au moment où se produisaient les attentats terroristes. Comme nous l’avons indiqué peu de temps après les attentats, les marchés s’inquiétaient que les attentats terroristes puissent en réalité entailler une encoche en forme de « V » au plancher de la trajectoire de l’économie, en portant globalement atteinte à la confiance des consommateurs et des entrepreneurs. Toutefois, selon des données récentes, il semblerait que ce repli se soit en grande partie limité aux quelques semaines qui ont suivi les attentats, mis à part dans quelques secteurs comme ceux des transports aériens et de l’hôtellerie (voir le graphique 1). Il est encourageant de constater que les données concernant les ventes au détail d’octobre, les expéditions de biens durables et les inscriptions au chômage ont toutes été meilleures que prévues. Des progrès étonnement bons sur le front militaire en Afghanistan pourraient également doper la confiance des ménages et des entreprises, bien que les représentants officiels continuent à claironner que la LE MONDE SELON BILL STERLING En attendant 2002 (suite) guerre contre le terrorisme sera longue et périlleuse. Quoiqu’il en soit, le rebond surprenant des ventes automobiles et d’autres indicateurs signifient qu’il ne serait pas étonnant d’assister à une détente des données économiques alors que les manufacturiers automobiles réduisent progressivement leurs primes de financement à zéro pour cent (voir le graphique 2). La trajectoire initiale de la reprise devrait toutefois demeurer intacte. qui maintiendra une toile de fonds positive de taux d’intérêt pour les marchés boursiers. Comme nous l’avons dit dans nos articles passés, les marchés boursiers ont eu tendance à afficher leurs meilleurs résultats quand les taux à court terme étaient au plus bas et que les courbes de rendement (l’écart entre les taux à long terme et ceux à court terme) présentaient une pente positive. L’environnement monétaire des marchés reste donc extrêmement positif. Il vaut la peine de noter la réponse de la Réserve fédérale en matière de politique monétaire aux évènements du 11 septembre sous deux angles. Premièrement, la politique de la Fed fut très bien menée tout de suite après les attentats terroristes. La Fed aurait fourni plus de 50 milliards de dollars de liquidités en 48 heures aux institutions financières. En empêchant une cascade de faillites fortuites, les mesures opportunes de la Fed ont évité qu’une mauvaise situation ne devienne catastrophique. Deuxièmement, la Fed a baissé les taux de façon importante depuis les attentats, et ramené le taux des fonds fédéraux à 2%. Les rendements obligataires ont peut-être déjà atteint leur plus bas pour ce cycle. Les rendements ont rattrapé leurs niveaux d’avant le 11 septembre, reflétant le regain d’optimisme quant à une reprise. Ceci dit, avec une énorme surcapacité à travers le monde et un taux de chômage prévu augmenter tout au long de l’année prochaine, il est difficile d’être baissiers sur les obligations. Si l’histoire est une quelconque indication, on peut s’attendre à ce que l’inflation chute pendant environ une année alors que l’économie reprend racine. Avec des rendements obligataires américains aux environs de 5% et un taux d’inflation probablement en dessous de la barre des 2%, le rendement réel est de 3%. Ce qui peut être considéré relativement intéressant, en particulier si l’on compare ce taux aux taux d’intérêt à court terme qui sont maintenant en dessous du taux de l’inflation. Actuellement, les marchés à terme anticipent des hausses de taux d’intérêt pour le deuxième semestre de 2002 qui semblent trop optimistes. Les obligations devraient en bénéficier, alors qu’il devient évident que les banques centrales ne sont pas pressées de resserrer la politique monétaire. Q : La baisse des taux des banques centrales est-elle terminée ? R : Nous arrivons probablement à la fin de ce cycle particulier de baisse. Nous supposons toutefois qu’à la fois la Fed et la Banque centrale européenne abaisseront une ou deux fois de plus leurs taux dans les mois à venir pour assurer la reprise. En outre, nous nous attendons à ce que les deux banques centrales maintiennent des taux bas sur plusieurs mois pour éviter que l’économie ne retombe en récession. Ce V EN SIGNE DE VICTOIRE Indice S&P500 1250 Sur les marchés obligataires, nous prévoyons que les investisseurs se bousculeront sur les obligations d’entreprise, les obligations à rendement élevé et les obligations des marchés émergents qui offrent des rendements plus élevés que les obligations d’État et qui devraient tirer profit d’une reprise économique et d’un apaisement des craintes en matière de défaillance à rembourser. 1200 Q : Est-ce qu’il y a des chances que les économies étrangères se reprennent en même temps que l’économie américaine ? INDICE 1150 1100 1050 1000 Juillet Source : FactSet Août Septembre Octobre Novembre Mois Graphique 1. Les marchés boursiers ont, de façon générale, récupéré leurs pertes de septembre grâce à l'assouplissement monétaire dynamique et aux communiqués militaires encourageants R : L’Europe et le Japon ont été moins dynamiques que les États-Unis en matière de baisses de taux d’intérêt ou de politique expansionniste. Il est donc probable que l’économie américaine sera le moteur de la reprise mondiale. Toutefois, ces deux économies devraient bénéficier d’une réduction des prix du pétrole et d’une reconstitution des stocks qui devrait accompagner toute stabilisation de la demande associée à des taux d’intérêt plus bas. PERSPECTIVE DE DÉCEMBRE AU 30 NOVEMBRE 2001 PA G E 5 LE MONDE SELON BILL STERLING En attendant 2002 (suite) Même si l’économie mondiale continue à se détériorer pendant plusieurs mois après la reprise aux États-Unis, nous prévoyons que les bourses mondiales ont d’aussi bonnes chances de grimper de concert qu’elles en avaient de se replier. Historiquement, la Fed a souvent guidé les autres banques centrales en matière de resserrement et d’assouplissement de la politique monétaire. Les marchés étrangers ont plus suivi la mesure du chef d’orchestre Alan Greenspan que le tempo des évènements locaux. Comme d’habitude, le Japon reste une énigme. Les espoirs d’une réforme économique menée par le premier ministre Koizumi se sont estompés ces derniers mois à mesure que l’économie s’enfonçait dans un marasme déflationniste. La pression augmente pour que la Banque du Japon essaye de prendre des mesures radicales, en achetant par exemple des obligations étrangères ou en tirant la valeur du yen vers le bas. Reste à savoir si la Banque répondra à ces pressions, ou si la situation devra se détériorer un peu plus avant que les décideurs japonais ne prennent des mesures plus fermes. Nous surveillons la situation très attentivement dans l’attente de signes d’inflexion importante de la politique qui pourraient faire rebondir l’économie et le marché des actions japonais. Quoiqu’il en soit, nous couvrons notre exposition au yen dans nos portefeuilles mondiaux parce que nous croyons que les scénarios les plus plausibles pour l’économie japonaise l’année prochaine indiquent un yen plus faible. LES VENTES AUTOMOBILES D'OCTOBRE DÉFIENT TOUTE DESCRIPTION Ventes au détail US : Véhicules à moteur et pièces détachées 90 000 85 000 Les marchés émergents comme l’Amérique latine et l’Asie ont souffert de la récession mondiale en raison de leur forte dépendance par rapport aux exportations et aux matières premières. Toutefois, nous continuons à croire que les marchés émergents seront les principaux bénéficiaires de la relance des principales économies industrielles. Tout comme pour les marchés développés, nous pensons qu’une partie des gains les plus miraculeux de ces marchés se produiront vraisemblablement quelques mois avant la fin de la récession mondiale. Si la courbe de rendement et les tendances du marché des actions des pays développés sont une quelconque indication, le moment est peut-être déjà venu. Q : Quelles seront à votre avis les grandes tendances en ce qui concerne les devises ? R : Nous avons été surpris par la résistance du dollar américain malgré tous les évènements, y compris la guerre, le terrorisme, la récession, la dégringolade du Nasdaq, les déficits commerciaux records, etc. Une des raisons de la force du dollar réside dans le fait que les deux pays qui ont les plus importants surplus commerciaux vis à vis des États-Unis, le Japon et la Chine, veulent maintenir leur devise faible de façon à doper leurs exportations. Ceci dit, nous croyons que le dollar est nettement surévalué par rapport notamment à l’euro et au dollar canadien. Il ne serait pas surprenant de voir le dollar s’affaiblir par rapport à ces deux devises au courant de l’année prochaine. Par conséquent, nous avons fait pencher notre exposition aux devises de nos fonds mondiaux en faveur de l’euro et du dollar canadien, bien que nous croyions que l’économie américaine sera le moteur de la reprise mondiale. Bien entendu, au cours d’autres cycles de reprise économique, le dollar américain s’est souvent affaibli lors des débuts de reprise en réponse aux réductions de taux d’intérêt nécessaires à générer cette reprise. MILLIONS $ 80 000 Q : Quels sont les facteurs qui pourraient faire capoter vos perspectives économiques optimistes ? 75 000 70 000 65 000 60 000 01/99 Source : Hoenig 05/99 09/99 01/00 05/00 09/00 01/00 05/01 09/01 Période Graphique 2. La bonne nouvelle provenant des données récentes des ventes automobiles : les consommateurs continuent à être sensibles aux mesures d'incitation (taux d'intérêt bas). Toutefois, on peut s'attendre à un ralentissement. PA G E 6 PERSPECTIVE DE DÉCEMBRE AU 30 NOVEMBRE 2001 R : Comme je le disais au début, le principal risque est ce que l’on appelle de façon euphémique « les risques liés aux évènements » sur les marchés financiers. Le plus important de ces risques serait de toute évidence un autre attentat terroriste de même nature ou plus désastreux que celui du 11 septembre. Maintenant que les talibans sont en pleine déconfiture en Afghanistan, ce risque semble être écarté. Mais les animaux pris au piège peuvent se révéler extrêmement dangereux. Selon le Washington Post, les experts américains du renseignement sont En attendant 2002 (suite) LE MONDE SELON BILL STERLING récemment arrivés à la conclusion qu’Oussama Ben Laden, et son réseau terroriste Al-Qaeda, pourrait encore avoir les moyens de gravement perturber l’Amérique. En outre, on croit généralement que l’administration américaine étudie sérieusement une éventuelle offensive contre l’Irak l’année prochaine, même s’il apparaît qu’aucune décision n’ait encore été prise à ce sujet. Pour autant que de tels agissements puissent semer le trouble sur les marchés pétroliers et donner une nouvelle dimension aux incertitudes des perspectives mondiales, le potentiel de perturbation des marchés est évident. Q : Avez-vous autre chose à ajouter ? R : Un facteur plus ordinaire qui pourrait affecter les marchés est celui des valorisations, qui se sont quelque peu tendues à nouveau en réponse à l’anticipation d’une reprise. Selon les données du Standard and Poor, le S&P500 se négocie maintenant à 27 fois les bénéfices d’exploitation de l’année dernière et presque 40 fois ceux déclarés. Et bien que les bénéfices se replient cycliquement, ces valorisations sont suffisamment élevées pour suggérer que le potentiel à la hausse du marché pourrait avoir atteint son plafond, à moins que les prévisions actuelles de bénéfices ne se révèlent beaucoup trop conservatrices. Quoiqu’il en soit, l’environnement de liquidités demeure explosif. Il y a un montant astronomique LA SÉCURITÉ SE PAIE PAR DES RENDEMENTS EN CHUTE 0,22 0,22 FONDS MONÉTAIRES EN % DE LA CAPITALISATION BOURSIÈRE* 0,20 0,20 0,18 0,18 0,16 0,16 0,14 0,14 0,12 0,12 0,10 0,10 Mds $ 2200 Mds $ REVENU D'INTÉRÊTS PROVENANT DES FONDS MONÉTAIRES (échelle de gauche) 100 80 1800 FONDS MONÉTAIRES (échelle de droite) 60 1400 d’argent en espèces attendant d’être investi. En quête de sécurité, les investisseurs ont augmenté de 25% leurs avoirs en fonds de marché monétaire cette année. Les biens de ces fonds, mesurés en termes de pourcentage de la valeur de la Bourse, ont atteint des niveaux records cette année (voir le graphique 3). En raison de la chute des taux d’intérêt, le revenu d’intérêt annualisé des fonds monétaires s’est replié de 100 à 40 milliards de dollars sur l’année. Les fonds monétaires procurent maintenant des rendements négatifs aux investisseurs si l’on tient compte de l’inflation et des impôts. En conséquence, à mesure que renaît la confiance en l’économie et les marchés financiers, l’éventualité d’un transfert de fonds vers les actions est plus que probable et pourrait maintenir les valorisations à des niveaux élevés pour quelques temps encore. Depuis longtemps, nous disons qu’une période de taux d’intérêt extrêmement bas devrait naturellement être une période de ratios cours/ bénéfices étonnamment élevés. Nous pourrions bien nous trouver dans cette situation actuellement. Dans des circonstances normales, nous serions tentés d’avoir une exposition aux actions plus grande dans nos fonds équilibrés, en nous fondant sur les énormes liquidités qui existent. Ceci dit, le niveau inhabituel de risques liés aux évènements, qu’il est difficile de prévenir, et nos inquiétudes par rapport aux valorisations ont fait que nous avons maintenu un équilibre relatif de 60% en actions et 40% en titres à revenu fixe. Cette répartition exprime notre perspective que les actions feront probablement mieux que les titres à revenu fixe. Il existe néanmoins une fourchette d’incertitude plus grande que la normale en ce qui concerne nos attentes. Pour conclure, nous voyons de nombreuses raisons d’être optimistes à propos de 2002. Nous sommes parfaitement conscients que 2001 n’a pas été une grande année pour les optimistes professionnels. Nous restons donc prudents sur les perspectives et avons positionné nos portefeuilles en conséquence. Toute l’équipe de CI Global Advisors est heureuse de vous souhaiter de joyeuses fêtes et une très prospère nouvelle année. 1000 40 600 200 20 1984 1986 1988 Source : BCA Research 2001 1990 1992 1994 ANNÉE 1996 1998 2000 2002 *INDICE WILSHIRE 5000 Graphique 3. Les investisseurs ont augmenté leurs avoirs en fonds monétaires de 25% cette année. Mesurés en % de la valeur des actions, ils sont près de leurs niveaux records. William Sterling Stratège mondial, CI Global Advisors LLP PERSPECTIVE DE DÉCEMBRE AU 30 NOVEMBRE 2001 PA G E 7