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L’incidence des pathologies thromboemboli-
ques veineuses et artérielles augmente
avec l’âge. Les deux pathologies motivant
le plus fréquemment la prescription d’un
anticoagulant chez un patient âgé sont,
d’une part, la fibrillation auriculaire (FA) qui touche plus de
10 % des sujets de plus de 80 ans [1] et, d’autre part, la mala-
die thromboembolique veineuse (MTEV) dont l’incidence
annuelle passe de 1/10 000 avant 40 ans à 1/100 au-
delà de 75 ans [2]. Étant donné l’allongement de la durée
de la vie, un nombre croissant d’octogénaires, de nonagénai-
res, voire de centenaires, sont traités par un anticoagulant
héparinique ou une antivitamine K. Car sous le terme « sujet
âgé », il convient de distinguer la définition sociale, qui est
plutôt celle d’un individu en retraite, à partir de 60-70 ans,
de celle du gériatre, au-delà de 75-80 ans, âge pour lequel
les patients sont plus volontiers « fragiles ». Ainsi, plus que
l’âge chronologique, c’est le concept de frail elderly utilisé
dans la littérature anglo-saxonne qui est à prendre en
compte : il désigne des patients âgés qui ont le plus souvent
plusieurs pathologies associées et prennent plusieurs médica-
ments au long cours. Les pathologies intercurrentes aiguës, les
interactions médicamenteuses, les comorbidités stables parmi
lesquelles l’insuffisance rénale chronique, sont autant de fac-
teurs compliquant le maniement des anticoagulants et contri-
buant à l’augmentation de la fréquence de leurs complica-
tions hémorragiques avec l’âge. Pour autant, un patient ne
saurait être privé du bénéfice démontré d’une thérapeutique
antithrombotique au seul motif de son âge. Mais, alors même
que les patients âgés sont à la fois à plus haut risque thrombo-
tique et à plus haut risque hémorragique, ils ont fréquemment
été exclus des essais cliniques concernant les anticoagulants :
l’extrapolation des résultats obtenus chez des sujets plus jeu-
nes n’est pas toujours fondée. Dans cette revue, nous nous
focaliserons sur quelques points clés débattus ces dernières
années concernant les dérivés hépariniques à dose préven-
tive et curative et sur les antivitamines K pour lesquelles quel-
ques règles simples permettent de limiter le risque hémorra-
gique chez les sujets âgés.
Dérivés hépariniques en 2009
De la pharmacodynamie
et de la problématique de l’élimination
rénale des dérivés hépariniques
chez le patient âgé en particulier
L’héparine dite « non fractionnée » (HNF) est un mélange
hétérogène de chaînes de glycosaminoglycannes, de masse
moléculaire (MM) moyenne de 15 000 daltons : elle est obte-
nue par extraction à partir de muqueuse intestinale de porc.
Actuellement, seuls les sels sodique (héparinate de sodium) et
calcique (Calciparine
®
) sont utilisés en thérapeutique.
Des dérivés hépariniques de bas poids moléculaire (HBPM),
de MM moyenne inférieure à 8 000 daltons, ont été obtenus
par fractionnement de l’HNF, par des procédés différents
selon les industriels, dont résultent des préparations contenant
un mélange de chaînes de longueur variable. Ainsi, en fonc-
tion des préparations d’HBPM, il existe une proportion diffé-
rente de chaînes dites « courtes » (< 5 400 daltons) et de
chaînes dites « longues » (> 5 400 daltons), ce qui leur
confère des propriétés pharmacodynamiques propres.
En 2002 a été mis sur le marché le pentasaccharide (fonda-
parinux), premier dérivé obtenu par synthèse chimique du
pentasaccharide naturel, support de l’activité antithrombo-
tique des dérivés hépariniques [3].
HNF et HBPM exercent leur activité anticoagulante de
manière indirecte, via l’antithrombine à laquelle ils se fixent
par l’intermédiaire d’un motif pentasaccharidique : ils poten-
tialisent ainsi d’environ 1 000 fois le pouvoir inhibiteur phy-
siologique de l’antithrombine vis-à-vis de facteurs activés de
la coagulation parmi lesquels le facteur X activé (Xa) et la
thrombine (IIa). Il en résulte in vivo une diminution de la géné-
ration de thrombine, qui semble être le mécanisme prépondé-
rant de l’action antithrombotique des dérivés hépariniques.
À noter que l’inhibition de la thrombine nécessite une lon-
gueur minimale de chaîne d’héparine (5 400 daltons) alors
que, quelle que soit la longueur de la chaîne, l’inhibition du
facteur Xa s’exerce. L’HNF, compte tenu de la présence d’une
proportion importante de longues chaînes, possède des acti-
vités anti-Xa et anti-IIa sensiblement équivalentes, soit un rap-
port anti-Xa/anti-IIa égal à 1, tandis que les HBPM ont un
rapport anti-Xa/anti-IIa supérieur à 1,5, variant de 1,8 à
3,6 selon les spécialités en fonction de la proportion de lon-
gues chaînes. Ces données permettent de comprendre pour-
quoi la surveillance des traitements hépariniques, détaillée
plus loin, est basée sur la mesure de l’activité anti-Xa plasma-
tique, parfois improprement appelée « héparinémie », et
pourquoi l’interprétation des résultats, complexe, est propre
à chaque dérivé héparinique [4]. Quant au fondaparinux
(MM 1 728 daltons), il a, via sa liaison à l’antithrombine,
une activité anti-Xa exclusive : c’est un anti-Xa sélectif indirect.
La longueur des chaînes d’héparine conditionne aussi le
mode d’élimination des dérivés hépariniques [3] : les chaînes
longues sont éliminées à la fois par le rein et le système réticu-
loendothélial, tandis que les chaînes courtes sont exclusive-
ment éliminées par voie rénale. Aussi, plus la proportion de
chaînes courtes est grande, plus la part d’élimination rénale
est importante. Le fondaparinux a une élimination rénale
exclusive.
Or, du fait du vieillissement physiologique, de la polypatho-
logie et de la polymédication, l’altération de la fonction
rénale est fréquente chez le sujet âgé, l’insuffisance rénale
sévère touchant 20 à 30 % des sujets âgés hospitalisés dans
les services de gériatrie. Ce sont donc des patients particuliè-
rement exposés au risque de surdosage et/ou d’accumulation
des HBPM et a fortiori du fondaparinux. Paradoxalement, ce
n’est que tardivement après leur mise sur le marché qu’ont été
menées des études pharmacocinétiques spécifiques chez les
sujets âgés avec différentes HBPM (nadroparine, énoxapa-
Hématologie, vol. 15, n° 3, mai-juin 2009
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