Dimensions de la psychologie du travail

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Dimensions
de la psychologie
du travail
Association Internationale de Psychologie
du Travail de Langue Française - AIPTLF
L'association Internationale de Psychologie du Travail de Langue
Française a pour objet de promouvoir le développement scientifique et le
rayonnement international de la psychologie du travail de langue française.
Elle vise à :
faciliter les échanges européens et internationaux, notmnment à
travers les associations de PTLF qui en sont membres ~
favoriser les relations entre recherches et applications ~
encourager et soutenir l'usage de la langue française ~
aider la formation continue et la valorisation de ses membres.
Fondée en 1980 à l'initiative du Pierre Goguelin et appelée
Association de Psychologie du Travail de Langue Française (APTLF),
l'association a modifié ses statuts au congrès de Neuchâtel (Suisse) en 1994
afin d'accueillir plus largement les psychologues du travail et des organisations de langue française de différents pays, y compris leurs associations, et ceux qui, dans leur spécialité proche, partagent ses objectifs.
L'association souhaite développer les moyens d'échanges entre
psychologues du travail et des organisations parlant français et proposer
des lieux pour faire le point sur les recherches scientifiques récentes, les
expériences professionnelles, les orientations actuelles dans le domaine.
Les activités comprennent notamment:
l'organisation de congrès internationaux, tous les deux ans:
Paris, 1980, 1982, 1984, 1988 ~Montréal, 1986 ~Bruxelles, 1990 ~
Strasbourg, 1992 ~ Neuchâtel, 1994; Sherbrooke, 1996 ;
Bordeaux, 1998 ~ Rouen, 2000. Les prochains sont prévus à
Louvain, 2002 et Bologne, 2004 ;
la publication de travaux scientifiques issus des congrès;
des journées d'étude sur un thème d'actualité;
la mise en place de réseaux thématiques entre les membres;
la publication d'un bulletin de liaison TOP-Actualité;
la revue Psychologie du Travail et des Organisations.
L'Harmattan
- AIPTLF,
2002, vol. 8, n° 1
Dimensions de la psychologie
du travail
Editions L'Harmattan
5-7 rue de l'Ecole Polytechnique
75005 Paris
Psychologie du Travail et des Organisations
Rédacteur en chef: Patrick Gilbert,
Entreprise&Personnel, 69, quai de Grenelle, 75015 Paris
télécopie: 01 45 79 32 39 [email protected]
Equipe de rédaction: Bernard Gangloff, Guy Kamas, Rémi Kouabénan
Claude Lemoine, André Savoie.
Secrétaire de rédaction: Claudine Gillot
Comité scientifique: lL. Bergeron (Sherbrooke), lL. Bemaud (Rouen),
M. Depolo (Bologne), lE. Duplessis de Losada (Buenos Aires),
B. Fabi (Trois-Rivières), G. Fischer (Metz), R. Jacob (Trois-Rivières),
R. Lescarbeau (Sherbrooke), C. Louche (Montpellier),
A. Rondeau (Montréal), M. Rousson (Neuchâtel),
P. Salengros (Bruxelles), N. Semmer (Berne),
V. Spaltro (Bologne), R. Thionville (Rouen).
Psychologie
PSYCHOLOGIE
du Travail et des Organisations
du TRAVAIL et des ORGANISATIONS
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L'article proposé doit suivre les normes de publication de la revue.
Soumis à deux lecteurs, il est accepté, avec ou sans modifications, ou
refusé. Il peut faire partie ou non d'un ensemble d'articles sur le même
thème. Il présente une recherche empirique ou un travail de synthèse.
Le texte est adressé en trois exemplaires à la rédaction:
Patrick Gilbert - Entreprise&Personnel
69, quai de Grenelle, 75015 Paris
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l'auteur, avec institution et adresse en note de bas de page, un résumé
français et anglais de 10 lignes chacun, 5 mots-clés maximum (français et
anglais), puis un texte bien écrit, avec des sous-parties, suivi d'une
bibliographie et de tableaux éventuels. L'ensemble ne doit pas dépasser
40 000 signes tout compris.
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les signes en surcharge (carrés, points noirs, flèches, cadres, etc.).
(2002, vol 8, n° 1)
Psychologie
du Travail et des Organisations
EDITORIAL
Voici donc le numéro 1-2002. Sans doute sommes-nous déjà
bien engagés dans l'année; mais les plus attentifs auront remarqué
l'imposant volume double - plus de 320 pages - qui constituait le
précédent numéro. Il ne s'agit en aucun cas d'un modèle à reproduire pour les prochaines parutions. La rédaction a voulu satisfaire
les auteurs, en éditant tous les articles retenus parmi ceux qui
avaient l'antériorité la plus forte. C'est chose faite aujourd'hui.
Le présent numéro regroupe, sous l'intitulé englobant
"dimensions de la psychologie du travail", des contributions variées
illustrant la diversité des thèmes, des cadres théoriques et des
problématiques de la psychologie du travail et des organisations.
Le numéro suivant comportera un dossier thématique
consacré au conseil dans ses relations avec la psychologie des organisations. Il sera constitué de six articles auxquels viendront s'ajouter,
comme à l'ordinaire, quelques articles hors thème. Sa réalisation est
déjà très bien engagée. Le texte complet sera remis à l'éditeur
courant juillet, ce qui assurera la publication du numéro 2-2002 à la
rentrée universitaire.
Et après? D'autres numéros sont d'ores et déjà en voie de
constitution et de nouveaux articles nous parviennent régulièrement.
La rédaction est donc très confiante dans le maintien du rythme de
parution.
Au niveau le plus simple, la pérennité d'une revue dépend
principalement de deux points: la qualité de ses auteurs - nous y
veillons - et le nombre de ses lecteurs. Sur le second point, nous
vous appelons, une fois encore, à contribuer à l'effort de diffusion et
notamment à l'augmentation des abonnements.
Bonne lecture à tous.
Patrick Gilbert
(2002, vol 8, n° 1)
@L'Hannatlan,2002
ISBN: 2-7475-3016-7
Psychologie
du Travail et des Organisations
7
SOMMAIRE
Contents
DIMENSIONS DE LA PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL
Influence des ressources d'autorité sur les explications
émises en organisation
Influence of resources of authority on explanations
emitted in organization
Axelle Bardin
9
Une avancée significative dans la conduite
du changement organisationnel
A significative progress in managing an organizational change
Céline Bareil et André Savoie
27
Rôle des dispositifs de formation en entreprise
dans la socialisation organisationnelle des nouvelles recrues
Role ofin-house training devices in newcomers' organizational
sozialisation
Nathalie Delobbe et Christian Vandenberghe
47
Etude des relations entre normes comportementales
et climat organisationnel perçu
Analysis of the relationship between required personality
characteristics and the perception of organizational change
Sabine Pohl
71
Que peut nous apporter la démarche psychanalytique
pour la recherche-action au sein des organisations?
What could we learn from the psychoanalytical approach for action
research within the organizations?
Hédia Zannad
87
Aspects culturels et professionnels de la motivation
intrinsèque et extrinsèque au travail
Cultural and organizational aspects of intrinsic and extrinsic
work motivation
Albert Kasereka Kyavuyirwe et Claude Lemoine
(2002, vol 8, n° 1)
113
8
Psychologie
du Travail et des Organisations
Les stratégies cognitives chez les policiers: examen de certains
déterminants contextuels, positionnels et idéologiques
Cognitive strategies in policemen: study of some contextual,
positional and ideological determiners
Catherine Esnard
.139
Le rôle du contremaitre dans les systèmes productifs émergents
The foreman's role in the emerging productive systems
Daniel Beaupré et Roch Laflamme
163
ANALYSE D'OUVRAGE
Psychologie du travail - Guy Kamas
ACTUALITE
-
AGENDA
(2002, vol 8, n° 1)
- ABONNEMENT
183
187
Psychologie
du Travail et des Organisations
9
INFLUENCE DES RESSOURCES D'AUTORITE SUR
LES EXPLICATIONS EMISES EN ORGANISATION
INFLUENCE OF RESOURCES OF AUTHORITY
ON EXPLANATIONS EMITTED IN ORGANIZATION
Axelle Bardin
1
RESUME: le rôle du contexte organisationnel dans les actions des
individus est avéré; son influence sur les processus cognitifs est
encore à explorer. Nous avons étudié ici les effets des ressources
d'autorité, c'est-à-dire des possibilités d'action qui découlent de
l'influence que l'on peut exercer sur autrui, sur les attributions. Nous
avons pu observer que l'introduction de ressources d'autorité amène
une diminution des attributions stables au profit d'attributions
instables, en comparaison avec une situation sans ressource. En
outre, les résultats montrent un décalage entre attribution et solution
proposée lorsque l'individu ne possède pas de possibilités d'action
correspondant à ses attributions. Il y aura concordance lorsque le
contexte offre les ressources correspondantes.
MOTS-CLES : attribution, action, contexte, ressource
ABSTRACT: the influence of organisational context on individual
actions is established; its influence on cognitive process must still
be explored. We study here the effects of authority resources, that
means possibilities of action that depend on influence that we can
have on others, on attributions. We observed that the introduction
of authority resources involve a diminution of stable attributions on
behalf of unstable attributions, compared to a without resource
condition. Moreover results show an unkeying between attribution
and proposed solution when the individual does not dispose of
possibilities of action that tally with his attributions. There will be
concordance when the context offers the concordant resources.
KEY WORDS: attribution, action, context, resource
1 Univ. Montpellier 3, Labo. de psychologie sociale, Pychologie sociale du travail et
des organisations, Rte de Mende, 34199 Montpellier C. 5 - [email protected]
(2002, vol. 8, n° 1)
10
Psychologie
CONTEXTE
du Travail et des Organisations
ORGANISATIONNEL
ET ACTION
Selon Friedberg (1993), une organisation est un contexte
d'action dans lequel se nouent et se gèrent des rapports de coopération, d'échange et de conflits entre des acteurs ayant des intérêts
divergents. Bouchiki (1990) se base sur les travaux de Giddens
(1987) pour affirmer que l'organisation est un système social qui
émerge et se reproduit dans l'interaction entre les acteurs. En
retour, la structure organisationnelle contraint ces interactions et
les actions des membres de l'organisation. Pour qu'il y ait action
en organisation, il faut qu'il y ait des possibilités d'action, et ces
dernières seront fonction du contexte, c'est-à-dire de l'ensemble
des ressources et des contraintes imposées à l'action. Le contexte
organisationnel prend donc toute son importance au travers de ces
ressources et contraintes qu'il impose à l'acteur.
Les ressources sont des possibilités d'action. Replacées dans le
cadre des systèmes d'action, les ressources sont "des propriétés
structurées des systèmes sociaux, que les agents utilisent et reproduisent en cours d'interaction" (Giddens, 1987, p. 64). Giddens
(1987) distingue à ce stade deux types de ressources:
.
Les ressources d'allocation qui font référence aux capacités de
contrôler des objets, des biens, donc des phénomènes
matériels. Ce sont des ressources matérielles qui comprennent
l'environnement physique comme les artefacts physiques. Il
s'agit donc de possibilités directes d'action.
.
Les ressources d'autorité qui font référence aux capacités qui
permettent de contrôler d'autres acteurs. Ce sont des
ressources non matérielles qui résultent du pouvoir qu'ont
certains acteurs sur d'autres. Il s'agit par conséquent de
possibilités indirectes d'action résultant de l'influence qu'un
individu exercera sur un tiers.
Ces deux type de ressources sont à la base de toute action. En
effet, sans ressource, sans moyen d'action, il ne peut y avoir
d'action. "Les fins sont déterminées par les moyens que possèdent
ou non les acteurs. S'il n'y a pas de ressources, d'opportunités,
(2002, vol. 8, n° 1)
Psychologie
du Travail et des Organisations
Il
l'acteur réduira ses attentes" (Curie, 1989, p. 119). Toutefois, ces
ressources entravent simultanément l'action puisque l'individu ne
peut agir que dans la lignée des ressources dont il dispose. Ainsi les
ressources "servent à rendre possibles certaines actions en même
temps qu'elles en restreignent ou en empêchent d'autres" (Giddens,
1987, p. 231). Le concept de ressources est donc étroitement lié à
celui de contraintes qui "fixent les limites sur l'éventail d'options
dont dispose un acteur ou un ensemble d'acteurs, dans un contexte
donné ou dans un type de contexte" (Giddens, 1987, p. 235).
Le contexte organisationnel est donc porteur à la fois de
ressources et de contraintes. Cependant, ces dernières ne sont pas à
appréhender dans une optique objectiviste : il n'y a ressource ou
contrainte qu'au regard d'une action, d'un acteur et d'un contexte
spécifiques.
CONTEXTE,
ACTION ET PROCESSUS COGNITIFS
De plus en plus de chercheurs prônent une vision pragmatique
de l'individu et de son fonctionnement cognitif (Beauvois, 1984,
Leyens, 1997, Dardenne, 1997, entre autres). Les processus de
perception, de traitement de l'information, de construction de
représentations ne sont pas des fins en soi mais permettent à l'individu de s'adapter et d'agir (Fiske, 92). Selon Walsh (1992), l'appel
à la notion de structures de connaissance dans le domaine organisationnel doit passer par l'éclaircissement du lien entre cognitions
et action. Il convient désormais de situer actions et cognitions dans
une relation circulaire, d'influence réciproque. Pour Von Cranach
(1992), la connaissance a pour fonction de guider l'action. En
retour, l'action viendra confirmer ou modifier la connaissance.
Cependant, les connaissances ne donnent pas naissance d'emblée,
et telles quelles, à des actions. Une étape essentielle consiste à
traduire ces connaissances en processus cognitifs, affectifs et motivationnels étroitement liés aux caractéristiques de la situation, au
contexte. Ce sont ces processus cognitifs contingents qui vont
guider l'action. Ainsi, nous trouvons-nous dans une relation dialectique entre l'individu et son contexte, chaque élément construisant
et reconstruisant l'autre.
(2002, vol. 8, n° 1)
12
Psychologie
du Travail et des Organisations
Contexte-cognitions: les cognitions ne peuvent être détachées
de l'environnement social qui les modèle. En retour, les cognitions,
en orientant la perception et en offrant des guides d'interprétation,
permettent de reconstruire cet environnement. "Toute réalité est
représentée, c'est-à-dire appropriée par l'individu ou le groupe,
reconstruite dans son système cognitif, intégrée dans son système
de valeurs dépendant de son histoire et du contexte social et
idéologique qui l'environne" (Abric, 1994, p. Il).
Cognitions-action: la relation qui lie ces deux éléments est
circulaire. Ajoutons à cela que les cognitions, de par la signification qu'elles donnent au contexte vont médiatiser les effets de
celui -ci sur les actions.
Contexte-activité: "au contraire de la cognition, [l'action]
peut modifier la situation, mais elle en subit nécessairement les
contraintes" (Amério, 1997, p. 121). Le contexte est donc source
d'opportunités, de ressources, et de contraintes pour l'acteur tout
en étant médiatisé par les cognitions (Giddens, 1987). En retour,
les actions vont modifier le contexte qui peut par conséquent être
perçu comme le résultat des actions des individus.
En conclusion, et pour faire un parallèle encore avec la théorie
constructiviste de Bouchiki (1990) qui considère que les acteurs
entretiennent des relations dialectiques avec l'organisation et l' organisation avec l'environnement, nous considérons que:
. cognitions et action s'inscrivent dans une relation dialectique
d'influence réciproque;
.
l'action et le contexte dans lequel elle s'inscrit entretiennent
également une relation de type dialectique.
Nous voyons donc que le contexte organisationnel va non
seulement contraindre les actions des individus, mais également
influencer le traitement cognitif. Des recherches ont donc été entreprises pour tester cet effet des facteurs de contexte, et notamment
des ressources, sur les processus cognitifs. A ce titre, ce sont les
processus attributionels qui ont été le plus souvent abordés. En
effet, si la psychologie des organisations emprunte de nos jours de
nombreux concepts à la cognition sociale (Louche et Talhouk,
1997), le concept d'attribution, c'est-à-dire les explications que les
(2002, vol. 8, n° 1)
Psychologie
du Travail et des Organisations
13
individus élaborent à propos des divers comportements ou événements auxquels ils sont confrontés, tient une place prépondérante
(Weick, 1995). "Les organisations institutionnalisent des relations
moyens-fins et des assertions de type si-alors et transforment des
inputs en résultats ultérieurs; tous ces éléments invitent à effectuer
des inférences de causalité" (Weick et Bougon, 1986, p.104).
Nous avons vu que Giddens (1987) différencie les ressources
d'autorité des ressources d'allocation. Ce sont ces dernières qui ont
été le plus souvent abordées.
INFLUENCE DES RESSOURCES D'ALLOCATION
SUR LES ATTRIBUTIONS
L'individu n'effectue pas les mêmes attributions lorsqu'il est
en situation d'action et de non-action (Louche, Dumont et LaurentDesilles, 1994, Bardin, 2000). Louche et aL. (1994) montrent que
l'action, même si elle est simplement anticipée, peut modifier les
attributions émises dans un contexte organisationnel. Les individus
effectuent des attributions plus internes en situation d'action que de
non-action. Une autre étude, menée auprès d'infirmières salariées
avec un questionnaire présentant des situations fréquentes dans leur
contexte organisationnel, montre également l'effet de l'action sur
les attributions (Bardin, 2000). Les individus se sont montrés plus
externes en situation d'action que de non-action. Une dernière étude,
permettant au contraire des deux précédentes de mesurer indépendamment la valorisation des explications internes et externes, a
permis de montrer que l'action ne provoquait pas une focalisation
sur un type d'explication mais une prise en compte d'une pluralité
de causes appartenant aux deux registres (Bardin, 2001).
Ainsi "les décisions, les relations, etc. qui s'attachent à l'action
acquièrent une signification cognitive et peuvent avoir un rôle
différenciateur dans la construction des représentations sociales,
des images, des attributions, des inférences" (Amério et de Piccoli,
1991, p. 27). Il est indispensable d'étudier les attributions émises
pour servir l'action, c'est-à-dire en situation d'action. Cependant
les études citées ci-dessus s'attachaient uniquement aux effets de
l'action et non à ceux du contexte de l'action. L'action étant
(2002, vol. 8, n° 1)
14
Psychologie
du Travail et des Organisations
toujours liée à son contexte, d'autres auteurs ont intégré ce facteur.
Batson, Jones et Cochran (1979) ont manipulé les caractéristiques
du contexte appréhendées sous l'angle des ressources d'allocation,
des possibilités directes d'action. Ils constatent que leurs sujets
n'attribuent pas les difficultés de patients fictifs aux mêmes causes
selon les possibilités d'aide dont ils disposent à leur égard. La
moitié des sujets avait à sa disposition une liste d'institutions
exclusivement centrées sur l'aide aux personnes rencontrant des
problèmes personnels (possibilité d'action sur des causes internes
ou ressources internes), l'autre moitié une liste d'institutions
exclusivement centrées sur l'aide aux personnes en difficulté
sociale (possibilités d'action sur des causes externes ou ressources
externes). En situation de ressources internes les attributions
effectuées sont plus largement dispositionnelles, en situation de
ressources externes elles sont plus situationnelles. Notons cependant que nous pouvons reprocher à ces auteurs de considérer
l'internalité et l'externalité comme les deux pôles d'une même
dimension. Avec un questionnaire permettant de mesurer indépendamment l'internalité et l'externalité, il a été également montré que
l'introduction de ressources internes, c'est-à-dire de possibilités
d'action sur des facteurs internes, a augmenté la valorisation de ces
mêmes facteurs (Bardin, 2001).
En conclusion il s'avère que le contexte dans lequel s'insère
l'action pèse sur les attributions. Plus précisément ce sont directement les possibilités d'action, les ressources d'allocation qui
influenceront les explications données.
INFLUENCE DES RESSOURCES D'AUTORITE
Force est cependant de constater qu'en organisation, l'individu
n'a pas toujours de possibilités directes d'action, de ressources
d'allocation. Devrions-nous alors considérer que tous les individus
ne "méritent" pas de se voir apposer le qualificatif d'acteur? Il
n'en est ici nullement question. L'organisation est un système
d'action dans lequel s'affrontent diverses rationalités; c'est un lieu
de confrontation, de négociation mais aussi d'influence. Giddens
(1987, p.441) aborde la notion de dialectique du contrôle pour
(2002, vol. 8, n° 1)
Psychologie
du Travail et des Organisations
15
expliciter le fait que "les moins puissants organisent et utilisent
leurs ressources de manière à exercer un contrôle sur les plus
puissants". Ainsi, à côté des ressources d'allocation, existe-t-il des
ressources d'autorité. Dans ce dernier cas, les ressources sont
dépendantes de l'influence qu'un individu peut exercer sur un
second individu, ce dernier possédant les ressources d'allocation
nécessaires à l'action.
Ainsi l'individu, par les ressources d'autorité dont il dispose,
doit être considéré comme un acteur, même s'il ne possède pas de
ressource d'allocation. Or, nous avons avancé et montré jusqu'à
présent que le contexte de l'action, et notamment les ressources
d'allocation, affectait les attributions. Le problème que nous
posons ici est de savoir si l'influence de ce contexte s'exerce
également par le biais de ressources d'autorité. En d'autres termes,
il s'agit de montrer que les ressources d'allocation dont dispose un
individu cible vont modifier les attributions d'autres individus
lorsqu'ils s'adressent à lui. Puisque les facteurs de contexte
modifient les processus cognitifs du sujet lorsqu'il est directement
en position d'agir, il nous semble qu'ils seront également actifs
lorsque le sujet "agit" par l'entremise d'un tiers. Ainsi les
ressources d'autorité, tout comme les ressources d'allocation
devraient influencer les explications en organisation.
ETUDE
L'objectif de cette étude est double: étudier l'effet des ressources
d'autorité sur les explications en organisation (pour simplifier nous
parlerons de ressource d'autorité interne lorsque l'individu
s'adresse à une personne cible qui a des ressources d'allocation
internes, c'est-à-dire des possibilités d'action sur des causes
internes, et de ressource d'autorité externe lorsque la personne
cible a des ressources d'allocation externes; dans le cas où la
personne cible n'a pas de ressources déterminées, nous parlerons
de groupe contrôle), étudier le lien entre explication et solution
proposée en situation sans ressource d'autorité et en situation avec
ressource. Nous avons vu que l'attribution constitue un processus
cognitif; nous considérons en revanche la proposition de solution
(2002, vol. 8, n° 1)
16
Psychologie
du Travail et des Organisations
de l'ordre du comportement. Nous avons dit que le contexte
pouvait avoir un effet sur les processus cognitifs. Nous voulons
également voir comment le contexte peut influencer les solutions
proposées, ainsi que la concordance entre cause et solution
proposées. Abric (1994) postule que les représentations jouent un
rôle déterminant sur les pratiques dans les situations où l'acteur
dispose d'une autonomie (même relative) par rapport aux
contraintes de la situation ou celles résultant des relations de
pouvoir. Or, le contexte de l'action est synonyme de contrainte
puisqu'il limite, par essence, les possibilités d'action. Nous
pouvons penser que le lien entre le champ des cognitions et celui
des comportements en sera affecté. Louche et aL. (1994)
obtiennent justement un affaiblissement de la concordance entre le
diagnostic organisationnel (cognition) et la solution proposée
(comportement) en situation d'action, c'est-à-dire de contrainte.
Hypothèses
Nous faisons l'hypothèse que l'introduction de ressources d'autorité, qu'elles soient internes ou externes, provoquera une
augmentation des scores d'internalité par rapport à la condition
contrôle (sans ressource). Il a déjà été montré que la situation
d'action influençait les attributions (Louche et al., 1994, Bardin,
2000). De plus, nous basant sur l'idée que les moyens déterminaient les fins (Curie, 1989), nous avançons que les ressources
devraient rendre certaines causes saillantes. Il a été montré que les
ressources d'allocation n'influencent que les explications internes
(Bardin, 2001); les scores d'externalité devraient donc rester
constants quelles que soient les ressources d'autorité. Enfin, nous
faisons l'hypothèse qu'en situation de ressource, nous observerons
un décalage entre les causes et les solutions, en termes d'internalité
et d'extemalité. Ce décalage n'apparaîtra pas en condition contrôle
(sans influence). En d'autres termes, les causes et les solutions
devraient donc faire apparaître des scores d'internalité et d'externalité comparables en condition contrôle. Ce ne sera pas le cas en
condition avec ressource.
(2002, vol. 8, n° 1)
Psychologie
du Travail et des Organisations
17
Variables
VI : il y a deux VI
. Type de ressource d'autorité: variable indépendante à trois
modalités: ressource interne, ressource externe, groupe
contrôle.
Ce qui est manipulé ici est en fait le type de ressources
d'allocation dont dispose le commanditaire du questionnaire. Pour
simplifier encore une fois, nous considérons la condition contrôle
comme une condition sans ressource. Dans cette dernière
condition, le sujet s'adresse à un tiers qui ne dispose pas de
ressource lui permettant d'agir.
.
Type de réponse "cause" ou "solution": nous avons ainsi
mesuré deux choses indépendantes, les attributions et les
solutions proposées pour résoudre le problème.
Le plan d'expérience est un plan à deux facteurs à mesures
partiellement répétées. Chaque sujet n'a été soumis qu'à l'une des
trois conditions de la V.I. "type de ressource d'autorité". Par contre
tous les sujets ont été soumis aux deux modalités de la V.I. "type
de réponse".
VD : il y a quatre VD.
. Score d'internalité, calculé grâce aux réponses au
questionnaire,
. Score d'externalité, calculé grâce aux réponses au
questionnaire.
Nous verrons plus loin que nous avons procédé à une nouvelle
analyse de nos données en considérant cette fois:
. Le score calculé sur les causes stables,
.
Le score calculé sur les causes instables.
Population
La population se compose de 86 étudiants de première année de
psychologie, répartis dans les trois groupes expérimentaux. Cette
population nous a paru intéressante pour plusieurs raisons. En
premier lieu, les étudiants sont des acteurs de l'organisation qu'est
l'université, au même titre que ses personnels et dirigeants. En
(2002, vol. 8, n° 1)
18
Psychologie
du Travail et des Organisations
second lieu, nous voulions disposer d'une population ne possédant
pas de ressource d'allocation sur un problème précis (ici nous
avons considéré l'échec en première année d'université) mais
pouvant disposer de ressources d'autorité sur d'autres individus
dotés, eux, de possibilités d'action directe. Les étudiants peuvent
selon nous être considérés comme non-détenteurs de ressources
d'allocation puisqu'il paraît indéniable qu'ils ne peuvent lutter (au
moins individuellement) contre l'échec au plan global.
Matériel
Le matériel se compose d'un questionnaire2 à deux questions. La
première question consiste à évaluer les causes d'échec des
étudiants de première année à l'Université. Pour cela, quatre causes
sont proposées (deux internes dont une relative à une cause stable
et l'autre à une cause instable, et deux externes dont une relative à
une cause stable et l'autre à une cause instable). Pour chaque cause,
il faut indiquer son degré d'accord sur une échelle de 1 à 4 (4
indiquant le degré d'accord le plus fort). La seconde question
consiste à évaluer les solutions possibles pour pallier à cet échec.
Cette question est construite sur le même modèle que la précédente
et les quatre solutions correspondent aux quatre causes précédemment proposées.
La V.I. "type de ressource d'autorité" a été opérationnalisée
par la consigne. Nous avons manipulé le commanditaire de
l'enquête sur l'échec en première année d'université: pour la
2 Questionnaire:
1) Si les étudiants échouent en première année, c'est parce que:
. Les étudiants ne font pas toujours suffisamment d'effort.
. On manque parfois de chance le jour des examens.
Le système de l'université est mal adapté pour certains étudiants.
..
Les étudiants ne sont pas toujours capables d'appliquer de bonnes méthodes de
travail.
2) Pour plus de réussite en première année, il faudrait:
. Imposer aux professeurs un contrôle continu sur l'année.
. Apprendre aux étudiants à travailler plus efficacement.
Montrer aux étudiants l'intérêt de faire des efforts.
..
Améliorer les conditions matérielles des cours.
3) Vous pensez que vos réponses influenceront les décisions mises en œuvre pour
remédier au problème d'échec à l'université:
I Pas du tout
2 Très peu
3 Un peu
4 Totalement
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Psychologie
du Travail et des Organisations
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modalité ressource interne l'enquête était censée être menée par le
Tutorat d'accompagnement de l'université, pour la modalité
ressource externe par le Conseil d'administration de l'université et
pour le groupe contrôle par une étudiante de maîtrise. Les rôles
respectifs du C.A.3 (action au niveau l'université donc sur des
facteurs externes) et du Tutorat4 (action directe auprès des
étudiants, donc sur des facteurs internes) étaient explicités en
quelques lignes de manière à renforcer la variable.
Le calcul de scores s'est effectué comme suit: nous avons
affecté de 1 point aux propositions ayant obtenu la note 1jusqu'à 4
points pour celles ayant obtenu la note 4. La moyenne de ces points
nous a permis d'obtenir les scores d'internalité, d'externalité ainsi
que de stabilité et d'instabilité. Ainsi, plus le score calculé pour
une catégorie de propositions est élevé, plus les individus ont été
d'accord avec celle-ci.
Précisons également que nous avions inclus à notre questionnaire une question permettant d'appréhender dans quelle mesure le
répondant pensait que ses réponses pouvaient réellement influencer
les décisions de l'instance commanditaire de l'enquête, en d'autres
termes dans quelle mesure il appréhendait ses possibilités d'action,
ses ressources. Les réponses se situaient sur un continuum allant de
1 (possibilité d'influence nulle) à 4 (possibilité d'influence très
fortement perçue).
Résultats
Le degré d'influence ressentie est de 2,19 en situation de
ressource interne et de 2,38 en situation de ressource externe.
L'analyse de variance à un facteur de classification ne révélant
aucune différence significative (F = 2,31 ns), les résultats obtenus
dans ces deux modalités de la variable ressource sont comparables.
3 Le conseil d'administration est fonné d'enseignants chercheurs, de personnels
lATOS, de personnels extérieurs et d'étudiants. Il détennine la politique de
l'établissement, vote le budget, fixe la répartition des emplois, approuve les
accords et les conventions et enfm exerce le pouvoir disciplinaire.
4 Les tuteurs sont des étudiants de second et troisième cycles ayant pour fonction
d'aider, de soutenir et de conseiller les étudiants de première année, afin de
faciliter leur insertion dans la faculté.
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Psychologie
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Nous avons testé l'influence de la variable type de ressource
sur les réponses internes. Si l'on considère nos trois situations,
nous n'obtenons aucun effet de la variable type de ressource
d'autorité à exercer (F
==
1,10 ns). Il semble que les individus
expriment les mêmes attributions, quelles que soient leurs
ressources d'autorité. Au niveau des scores d'internalité, nous ne
remarquons en outre pas de différence entre cause et solution et ce,
quelle que soit la condition considérée (F == 0,19 ns). De plus, il
n'existe aucun effet d'interaction (F == 1,60ns). Ceci nous amène à
penser que l'introduction de la variable influence n'a pas été
efficace. L'individu ne s'est peut-être pas considéré ici comme
acteur, c'est-à-dire comme disposant de moyens d'action.
Sur les explications externes les résultats sont les suivants:
RESSOURCES D'AUTORITE I
Ressources Ressources Contrôle
L
externes
internes
2,90
8,72
2,83
2,99
TYPE DE ICause
REPONSE
I
Solution
3,16
9,44
3,21
3,07
I
Tableau I : scores d' externalité pour les causes et solutions
en conditions de ressources internes, externes et contrôle
Si l'on considère les trois situations, nous n'obtenons pas de
différence significative (F == 0,05 ns). Par contre, il existe une
différence significative entre les causes et les solutions (F == 9,97
p<.002). Globalement, les solutions sont plus externes que les
causes. Cette différence apparaît cependant dans les conditions de
ressource d'autorité interne et contrôle, alors que nous l'attendions
seulement en situation de ressource quelle qu'elle soit. En situation
de ressource externe, les scores d' externalité concernant les causes
et les solutions sont équivalents. Ces résultats sont surprenants. En
condition contrôle, les individus ne devraient pas se comporter
comme des acteurs. Or, nous observons un décalage entre cause et
solution dans cette même condition; nous avons vu à ce propos
que ce décalage pouvait être expliqué par les contraintes inhérentes
au contexte, elles-mêmes dépendantes de l'action. Nous pouvons
ainsi en conclure que les individus en condition contrôle se sont
comportés comme des acteurs. Les contraintes proviendraient alors
de l'absence de ressource d'allocation du commanditaire. Une telle
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