la chine, une puissance mondiale ouverte à un renouveau du

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la chine, une puissance mondiale ouverte
àun renouveau du dialogue avec la france
sous la Direction de Dominique BARJOT
Professeur d’Histoire économique contemporaine, Université Paris Sorbonne (Paris IV)
et
Yimin LU
Professeur d’Histoire, Vice-doyen de l’école des sciences humaines, Université Zhejiang
L’Aaire BNP Paribas et la crise ukrainienne orent à la Chine l’occasion de
nouvelles avancées internationales
1
. En eet, encouragées par leur gouvernement,
les banques et les grandes entreprises russes envisagent de plus en plus ouvertement
de recourir à la devise chinoise (le renminbi, ou «monnaie du peuple», autre nom
du yuan) pour réaliser leurs transaction et leurs investissements. Depuis 2012 en
eet, le gouvernement de Pékin cherche à internationaliser sa monnaie en libéra-
lisant son usage pour les entreprises étrangères. C’est la conséquence directe de
l’armation d’un modèle économique chinois. Cette montée en puissance de l’éco-
nomie chinoise, si elle comporte des implications considérables sur la démographie,
la production et le développement spatial, renforce le poids géo-stratégique d’un
pays où la France continue de bénécier de l’importance de son héritage culturel.
1/ Un nouveau modèle de croissance économique confronté
au dé politique
De 1978 à 2008, le produit national chinois s’est développé au rythme de
10 % par an en moyenne et à prix constants; il se maintient encore autour de
70 % depuis
2
. Il semble donc que le rythme de croissance s’inéchisse à la baisse,
1. Fabrice Nodé-Langlois, «L’aaire BNP Paribas et Ukraine protent à la Chine», Le Figaro, mardi
10juin 2014, p. 17.
2. Sur l’économie chinoise d’aujourd’hui, voir entre autres: Michel Aglietta et Guo Bai, La voie chinoise.
Capitalisme et Empire, Paris, Éditions Odile Jacob, Coll. «Économie», 2012, trad. fr. par Christophe
Jaquet; China’s Development. Capitalism and Empire, London, Routledge; Marie-Claire Bergère, Chine,
le nouveau capitalisme d’État, Paris, Fayard, Coll. «Doc. Témoignage», 2013; Denise Flouzat, La nouvelle
émergence de l’Asie. L’évolution économique des pays asiatiques depuis la crise de 1997, Paris, PUF, 1999;
François Gipouloux, La Chine vers l’économie de marché? La longue marche de l’après-Mao, Paris, Editions
Nathan, 1993; La Chine du 21
e
siècle. Une nouvelle superpuissance?, Paris, Armand Colin, Coll. CIRCA,
2005; Benoît Vermander, La Chine ou le temps retrouvé. Les gures de la mondialisation et l’émergence chinoise,
Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant/Presses Universitaires de Louvain, Coll. «Orientales» 2, 2008.
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sous l’impulsion d’une nouvelle génération de dirigeants privilégiant, aux aides
publiques et aux exportations à faible valeur ajoutée, une demande auto-entretenue
par la consommation
3
. L’objectif de Xi Jinping, le successeur de Hu Jintao au
Secrétariat Général du parti et au poste de chef de l’État depuis 2012, et du Premier
Ministre Li Keqiang, est de rebâtir le système chinois sur des base plus saines, grâce
à des réformes libérales, à la lutte contre la corruption, sans pour autant renoncer
au contrôle de l’opinion (notamment du web), mais aussi à une politique plus
soucieuse de préserver l’environnement
4
.
Un «nouveau modèle de croissance pointe enn
5
. Certes l’exportation reste
essentielle, mais la hausse des coûts chinois et la faiblesse de la demande dans les
pays développés poussent à un rééquilibrage au prot de la demande interne et à
une réduction de l’excédent commercial chinois. L’autre moteur de la croissance,
l’investissement intérieur, tend aussi à s’essouer parce que générateur de dettes
bancaires, ou nancières: selon l’agence Fitch, l’endettement global de l’économie
est passé de 13 % du PIB en 2008 à 218% en 2013. C’est dans une large mesure le
résultat du plan de relance massif décidé n 2008 par les autorités chinoises an de
passer le cap de la crise nancière internationale.
Pour y parvenir, les nouveaux dirigeants doivent surmonter les trois obstacles
freinant la «révolution économique»
6
: le système nancier, l’immobilier et la
corruption. Le premier a été conçu dans un seul but: capter l’épargne massive
des ménages pour nancer des investissements. Mais cela n’a pu se réaliser qu’un
plafonnant la rémunération de l’épargne à des niveaux très bas au détriment de
l’épargnant moyen, c’est-à-dire du petit peuple. Pour encourager la consommation,
il faut donc introduire la concurrence entre les banques et que celles-ci cessent de
nancer presqu’exclusivement les groupes publics au détriment des PME et des
groupes privés innovants. Quant au marché immobilier, il est biaisé par deux fac-
teurs au moins: le caractère crucial des ventes de terre pour des collectivités locales
et régionales surendettées et la faible rémunération des placements bancaires et -
nanciers, qui détournent nombre de ménage de l’acquisition de valeurs mobilières.
Enn, la corruption demeure un éau: Xi Jinping ne s’est d’ailleurs pas trompé sur
3. «Chine», in «Le monde en 2014», e Economist-Courrier International, décembre 2013-février
2014, p. 88.
4. Gabriel Grésillon, « Xi Jinping, l’homme qui doit changer la Chine », in « 2013-2014. Les
10ruptures qui changent le monde», Les Echos, janvier 2014, p. 158.
5. Gabriel Grésillon, “En Chine, un nouveau modèle de croissance pointe enn”, Les Echos, janvier
2014, op. cit., p. 38.
6. «Les trois obstacles qui freinent la révolution économique», ibidem, p. 38.
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la cible en faisant tomber les principaux dirigeants de Petrochina. Mais jusqu’où
pourra-t-il aller?
Le pouvoir semble toutefois se concentrer sur l’économie comme l’indique la
mise en œuvre d’un plan de sauvetage en faveur des provinces, dont l’endettement
représente à lui seul plus d’un tiers du PIB
7
. La libéralisation politique n’est pas la
priorité
8
. Certes, le 4 juin 2014 a coïncidé avec le vingt-cinquième anniversaire
des évènements de Tianmen; certes à Hong Kong, les libéraux réclament l’intro-
duction, dès 2017 et selon la promesse faite par Pékin, du surage universel direct
pour élection de chef de l’exécutif du territoire; certes, à Taiwan, le parti au pou-
voir, le Kuomintang (KMT) connait une chute de popularité face au Parti démo-
crate, beaucoup moins enclin à coopérer avec Pékin. Mais, à l’intérieur, les grands
projets d’investissement ont toujours de beaux jours devant eux: nouveau centre
de lancement de satellites sur l’île méridionale de Hainan, le plus haut gratte-ciel
jamais réalisé en Chine (Sky City, 838m de hauteur à Shanghai), ligne de TGV de
1 776km reliant le Xinjiang à l’intérieur du pays par le Tibet, démarrage du nouvel
aéroport de Pékin, etc.
Dans un contexte marqué par la montée des conits en mer de Chine, notam-
ment avec le Japon, autour des îles Senkaku (selon le Japon et Diaoyu pour la
Chine)
9
, mais aussi le Vietnam à propos des îles Paracels, ou des Spratleys revendi-
quées aussi par Brunei, la Malaisie ou les Philippines
10
, la nouvelle politique semble
vouloir lutter plus ecacement contre la pollution. En 2014, les émissions de CO
2
atteignent presque le double de celles des États-Unis alors qu’elles étaient au même
niveau il y a moins de dix ans. Il s’agit moins de se concentrer sur le gaz à eet
de serre, que de résoudre le problème urbain. À Pékin par exemple, le nombre de
véhicule neufs autorisés à circuler sera réduit de près de moitié et un péage urbain
sur le modèle de celui de Londres est à l’étude. Reste à savoir si les classes moyennes
renonceront à considérer que «la possession et l’usage d’un voiture constitue un
droit inaliénable»
11
.
7. Simon Cox, «Plan de sauvetage en vue pour les provinces», in «Le monde en 2014», e
Economist-Courrier International, op. cit., p. 40.
8. James Miles, «Tout sauf la réforme politique», ibidem, p. 38.
9. Simon Long, «L’Avis de tempête en mer de Chine», ibid., p. 42.
10. Gabriel Grésillon, «En Asie, un voisin chinois de plus en plus encombrant», Les Echos, janvier
2014, op. cit., p. 43.
11. James Miles, «Tout sauf le réforme politique», art. cit.
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2/ La montée en puissance de l’économie chinoise: ses implications sur la
démographie, la production et le développement spatial
À plus long terme, la Chine doit faire face à un redoutable dé démographique
(Gérard-François Dumont). Depuis vingt-cinq siècles au moins, la Chine a tou-
jours représenté environ le cinquième de la population mondiale. Néanmoins, de
1900 à 2013, le nombre de ses habitants s’est accru à un rythme inférieur à celui
de la croissance mondiale. Par suite, la proportion de la Chine de la population
mondiale a diminué de 25,4 % en 1900 à 19 % en 2013, et, selon toute vraisem-
blance, 14,5 % en 2050. Pire, le dépeuplement pourrait commencer à se manifester
dès les années 2030, voire même à partir de 2025, conduisant à ce que l’Inde la
supplante. La rapidité du vieillissement de la population chinoise (22,1 % de 65ans
et plus en 2040 contre 7,7 % en 2010), la baisse projetée de sa population active
(-200 millions d’actifs en 2050 par rapport à 2013) tout cela résulte de la politique
de l’enfant unique, récemment assouplie, de même que le déséquilibre tout à fait
anormal entre les sexes et au prots des garçons.
Avec la fondation de la République populaire de Chine, en 1949, la réforme
agraire, la collectivisation des terres et l’instauration des communes populaires ont
constitué des réformes fondamentales sur lesquelles sont revenue les réformes de
Den Xiaoping en 1978, basées sur la restauration du rôle des ménages et de l’entre-
prise agricoles. Tout cela atteste du fait que le développement agricole chinois obéit
toujours à des mécanismes fondamentaux (Liang Jin-Ming): la croissance de la
main-d’œuvre agricole, la construction, coordonnée et impulsée par l’État, des in-
frastructures d’irrigation; les investissements eectués dans l’agriculture moderne,
grâce à la mobilisation de l’industrie (outils et machines agricoles, mais aussi engrais
et insecticides); la mutation du système de production agricole, grâce à l’aide des
banques commerciales et des institutions nanciers; l’amélioration quantitatives et
qualitatives des récoltes ainsi que la promotion des technologies agricoles.
Le développement économique de la Chine a dépendu de façon étroite des
mécanismes d’intégration économique dont le delta du Yangtsé ore le meilleur
exemple (Chen Jianjun). Cette intégration s’est réalisée en trois étapes. La première
correspond à la création de la zone économique de Shanghai, en 1983. Dans les
années 1980 et 1990, se sont opérés d’importants transferts entre Shanghai et les
régions de Zhejiang et du Jiangzu, lesquelles reposent sur une collaboration hori-
zontale des entreprises, sur le recours aux «ingénieurs du dimanche»
12
et sur la
12. Travaillant avec d’autres entreprises que celles les employant à titre principal.
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sous-traitance de marque. La seconde, décisive, a été le résultat de l’ouverture de la
zone spéciale de Pudong, bénéciant à la fois de la libéralisation nancière (créa-
tion de la Bourse) et de l’aux des investissements étrangers. Autour de Pudong
s’est engagée une collaboration particulièrement fructueuse avec la région Suzhou-
Wuxi-Changshu ainsi que l’aux d’entreprises venues du Zhejiang. Enn la troi-
sième s’ouvre avec l’adhésion de la Chine à l’OMC et la création d’infrastructure
qui en a résulté (ligne Shanghai-Ningbo et autoroute Shanghai-Hangzhou). En
dénitive, les deux facteurs majeurs de l’intégration ont été d’une part l’accélération
des ux de produits et de facteurs de production, de l’autre la division du travail et
les transferts de technologie qui ne sont opérés au sein du grand delta du Yangtsé.
L’action de Den Xiaoping a été décisive, on le sait, pour lancer la Chine dans
la course au développement économique, mais il se trouve, ce que l’on sait moins,
à l’origine de la puissance actuelle de l’industrie chinoise de la construction (Zhou
Xiaolan). Pragmatique, il disait «peu importe qu’un chat soit noir ou jaune, s’il
attrape la souris, c’est un bon chat». Cette formule, il l’a appliqué aussi à l’indus-
trie de la construction. Très aaiblie par l’échec du «Grand bond en avant», le
départ des techniciens russes et la révolution culturelle, cette industrie a atteint
son niveau le plus bas entre 1967 et 1976, avant de se redresser. Le grand tournant
date de 1980, avec l’introduction par Deng et son Premier Ministre Zhao Ziyang
de quatre réformes majeures, d’abord expérimentées à Shanghai: introduction du
système de l’adjudication, décentralisation des processus de décision, classement
des entreprises en fonction de leur qualication et de leur taille, aranchissement
de la tutelle étatique en matière de gestion et de design.
Cette politique s’est plutôt avérée ecace. Source d’ination, notamment
pendant les trois poussées qui aectèrent le pays (1985, 1988-89, 1993-95), la
construction est restée largement sous le contrôle de l’État, en particulier à travers la
nomination à la tête des plus grandes entreprises, de fonctionnaires ou de membres
du parti (insider control). En revanche, le secteur s’est trouvé porté en avant par la
masse des investissements consentis en sa faveur, mais non sans subir des à coups
liées aux politiques de contrôle de l’ination. Une fois encore, le pragmatisme prône
par Deng Xiaoping a servi de ligne directrice: «l’économie planiée n’équivaut pas
au socialisme et le capitalisme a besoin de plan; l’économie de marché n’équivaut
pas au capitalisme. Le plan et le marché ne sont que des moyens économiques». Il
en a résulté l’adoption du système des deux rails, reposant l’adoption d’une régu-
lation par le marché au niveau microéconomique et du contrôle de l’État à celui
macroéconomique.
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