Ann. Kinésithér., 1987, t. 14, nO 9, pp. 443-451
©Masson, Paris, 1987 MISE AU POINT
Aspects particuliers de la. biomécanique de l'épaule
G. PIERRON (1), A. LEROY (2), J.c. CHANUSSOT (3).
(J) ECK Bois-Larris, F 60260 Lamorlaye, (2) CPMK 12, rue du Val-d'Osne, 94410 St-Maurice,
(3) CMC Les Jockeys, F 60310 Chantilly.
L 'étude minutieuse de l'anatomo-physiolo-
gie articulaire et musculaire est indispensable
à la compréhension et à la conception de gestes
techniques kinésithérapiques parfaitement
adaptés àune entité locale ou régionale. La
physiologie du complexe de l'épaule doit donc
être non seulement abordée analytiquement,
unité par unité, et globalement, mais aussi au
travers des interactions existantes entre cha-
cune des deux unités de base de cet ensemble.
Ainsi se dégagent des notions plus précises
concernant la physiologie de certains musc/ès
ou l'influence sur la mécanique articulaire de
la position respective des os en présence.
Les éléments de réflexion issus de cette
analyse sont transposés aux pathologies de la
coiffe des rotateurs et président à la proposition
d'une progression kinésithérapique.
Si anatomiquement le complexe de l'épaule
comprend cinq articulations, physiologiquement
Castaing (3), Fischer, Gonon et coll. (6), Ka-
pandji (7) les regroupent en deux sous-ensembles
fonctionnels. Le premier ou unité scapu10-
thoracique assure la mobilité du scapu1um et de
sa baguette clavicu1aire sur le thorax. Le
deuxième ou unité scapu10-huméra1e assure celle
de l'humérus par rapport à la glène. L'étude de
la physiologie de ces deux unités les aborde soit
analytiquement en décrivant leurs possibilités de
déplacement, et les actions des différents muscles
qui en assurent la stabilité et/ou la mobilité;
Tirés à part: G. PIERRON, ECK Bois-Larris, B.P. 12, 60260
Lamorlaye.
soit en combinaison selon une chaîne cinétique
orientée essentiellement vers deux fonctions
majeures à savoir: l'élévation du bras vers le
zénith, et son retour coude au corps.
L'élévation latérale (abduction) ou antérieure
(flexion) associe un mouvement d'ouverture de
l'angle omo-huméral et un déplacement à type
de sonnette externe de l'omoplate; il y a
sommation des amplitudes articulaires des deux
unités afin d'obtenir un débattement angulaire
du membre supérieur par rapport au tronc de
grande importance. Le retour depuis le zénith
jusqu'au coude collé au corps s'effectue selon le
même schéma, réalisé par adduction ou exten-
sion, il associe une fermeture de l'angle omo-
huméral et une sonnette interne de l'omoplate.
Ceci débouche sur la notion de rythme scapu10-
huméral nécessitant une parfaite coordination
des muscles attribués à chacun des sous-
ensembles. Cependant l'analyse de schémas
d'organisations différentes fait apparaître d'une
part des modifications possibles de la physiologie
des muscles po1yarticu1aires croisant les deux
sous-ensembles, et d'autre part l'importance de
positionnement omoplate-humérus en regard
des possibilités cinétiques de l'articulation gléno-
humérale. Ces éléments deviennent essentiels
lors du choix des gestes thérapeutiques à utiliser
devant les dysfonctions du complexe de l'épaule.
Analyse musculaire
Des muscles axio-scapu1aires donc mono-
articulaires assurent la stabilité et/ou la mobilité
""'"" ••n" •••• ~
--
444 Ann. Kinésithér., 1987, t. 14, nO 9
du scapulum. Sans entrer dans le détail de la
physiologie de chacun d'eux, nous ne retien-
drons que le groupe responsable de la sonnette
externe: avec les trois faisceaux du trapèze et,
le large et puissant grand dentelé; et le groupe
responsable de la sonnette interne ne compre-
nant que trois petits muscles : les rhomboïdes,
l'angulaire, et en avant le petit pectoral. Il est
àremarquer l'importante disproportion existant
entre ces deux groupes au bénéfice de la sonnette
externe; ceci est paradoxal puisque la force
musculaire disponible pour l'écartement du bras
accompagnant la sonnette externe est nettement
plus faible que la force de rapprochement
accompagnant la sonnette interne.
Des muscles scapulo-huméraux eux aussi
monoarticulaires, assurent la stabilité et/ou la
mobilité de la gléno-humérale. Certains, courts,
périarticulaires ont un véritable rôle de ligament
actif de cette articulation; ce sont les muscles
de la .coiffe essentiellement synergiques du
deltoïde lors des mouvements d'élévation (2).
D'autres plus longs ont une vocation plus
dynamique; il s'agit du grand rond comme
adducteur et, d'une vaste nappe musculaire
circonférentielle constituée par les trois fais-
ceaux du deltoïde dont, Comtet et Auffray (4)
ont précisé l'activité des différentes portions (de
1à7 suivant Fick). Ces auteurs ont réalisé une
étude électromyographique de l'abduction dans
le plan frontal et de l'abduction dans le plan de
l'omoplate. Dans ce dernier cas (fig. 1) la
mobilisation de l'humérus est assurée simultané-
ment par le chef moyen et la partie externe du
ABD anat
FIG. 1. - Répartition de la nappe musculaire autour de la
gléno-humérale, en fonction de l'axe d'abduction anatomique ou
d'abduction physiologique.
chef antérieur, correspondant aux faisceaux
deux et trois de Fick. Le deltoïde postérieur peut
être alors considéré essentiellement comme un
extenseur et un abducteur horizontal alors que
la portion claviculaire du grand pectoral (por-
tion monoarticulaire) dissociable comme le
souligne J.V. Basmajian (1) du faisceau sterno-
·costal réalise la flexionet l'adduction horizontale
avec la portion interne du faisceau antérieur du
deltoïde.
L'appareil musculaire est enfin complété par
deux grands muscles axio-huméraux donc poly-
articulaires, àsavoir le grand dorsal en arrière,
et la partie sterno-costale du grand pectoral en
avant. Ces muscles réalisent l'adduction et
la rotation interne de la gléno-humérale;
Sohier (15), Dolto (5), Samuel (13) leur attri-
buent le rôle d'abaisseur actif de la tête humérale
par rapport àla glène, de par leurs composantes
de traction caudale de l'humérus. Castaing les
considère comme des adducteurs de la gléno-
humérale et des muscles de la sonnette interne
du scapulum. Cependant une analyse plus fine
de la mécanique conjointe de l'unité scapulo-
thoracique d'une part, et gléno-humérale d'autre
part, permet de mieux cerner la physiologie de
ces deux muscles pluriarticulaires. En effet lors
de leur contraction, la composante verticale de
leur force musculaire tend àdéplacer la tête en
caudale, celle-ci entraîne àson tour la glène
scapulaire réalisant ainsi une bascule de l'omo-
plate en sonnette interne, ils sont donc à classer
sans ambiguïté dans le groupe des muscles
réalisant la sonnette interne. La balance mus-
culaire scapulaire retrouve ainsi un équilibrage
beaucoup plus satisfaisant sur le plan mécani-
que. D'autre part lorsque l'extrémité distale de
l'humérus se trouve fixée, la réalisation d'une
sonnette interne correspond à une ouverture de
l'angle omo-huméral donc àune abduction de
la gléno-humérale. Dans cette situation le grand.
pectoral (sterno-costal) et le grand dorsal peu-
vent donc être considérés comme de véritables
abducteurs de la gléno-humérale (9, 10).
La fixité de l'extrémité distale de l'humérus
peut être obtenue par deux procédés :
- passivement (fig. 2a-2b) le sujet, assis
latéralement par rapport àune table, pose son
coude sur celle-ci, la contraction de ces deux
muscles ne pouvant s'exprimer par un rappro-
FIG. 2a-2b. - Action de sonnette interne et d'ouverture de l'angle
omo-huméral par la contraction des grands pectoral et dorsal
lorsque ~foude est fixé passivement.
chement de l'humérus de l'axe du corps, se
traduit intégralement par une sonnette interne
et l'omoplate, réalisant l'ouverture de l'angle
omo-huméral;
- activement (fig. 3a-3b) le sujet réalise un
allongement de son membre supérieur vers le
FIG. 3a-3b. - Action de sonnette interne de l'omoplate et
d'abduction de la gléno-humérale, par contraction des grands
pectoral et dorsal, l'humérus étant fixé par contraction du
deltoïde.
Ann. Kin ésithér., 1987, t. 14, nO 9 445
\\\1
446 Ann. Kinésithér., 1987, t. 14, n° 9
FIG. 4. - Système levier entre la résistance (R) et la composante
rotatoire du deltoïde (c-r), faisant office de point fixe, nécessite
la participation du grand pectoral et du grand dorsal afin d'éviter
un déplacement crânial de la tête humérale.
caudal ou vers le latéral; les deux muscles
précités réalisent l'abaissement du moignon de
l'épaule et la sonnette interne; l'humérus étant
maintenu par une contraction du deltoïde dont
l'insertion sur cet os est plus distale que celle
du grand pectoral et du grand dorsal. L'ouver-
ture de l'angle omo-huméral est donc réalisée
par l'activité synergique des muscles de l'adduc-
tion-sonnette interne et de l'abduction. Il s'agit
d'une cocontraction répondant à un besoin de
force que l'on retrouve par exemple dans
l'exercice de la croix de fer aux anneaux. Cette
synergie agoniste possible entre le deltoïde, le
grand pectoral et le grand dorsal, a d'ailleurs
été retrouvée par René Corail et Revel (11, 12)
au cours de l'élévation du membre supérieur.
Dans ce cas (fig. 4) la contraction du grand
pectoral et dorsal est nécessaire afin d'éviter le
déplacement crânial de la tête humérale sous
l'action combinée de l'action du deltoïde et de
celle (systématiquement négligée) de la résis-
tance opposée au mouvement; considérée de
cette façon la contraction du deltoïde est
toujours subluxante pour la tête humérale. Cette
co-contraction protégeant l'articulation prend
toute son importance dans les rééducations des
path01Qgies de la coiffe.
Analyse articulaire
Au NIVEAU SCAPULO-THORACIQUE
Classiquement il est décrit trois types de
déplacement du scapulum sur le thorax, un
vertical correspondant à l'élévation et à l'abais-
\
\
\\\\\
\\
.\
FIG. 5. - Mouvement de bascule antérieure sous la dépence du
muscle petit-pectoral.
sement, un horizontal correspondant à l'abduc-
tion et à l'adduction et un rotatoire correspon-
dant à la sonnette interne et à la sonnette
externe. Deux autres types de déplacement sont
peu décrits et présentent pourtant un intérêt
majeur dans la compréhension de la physiologie
du complexe de l'épaule, il s'agit:
- du mouvement de bascule postérieur ou
antérieur suivant un axe horizontal contenu dans
le plan de l'homoplate. La bascule antérieure est.
sous la dépendance de la contraction du petit
pectoral qui, attirant l'apophyse coracoïde vers
le bas (fig. 5), tend à décoller la pointe de
l'omoplate du thorax. Ce mouvement ac-
compagne l'extension de la gléno-tumorale ou
sa rotation interne lorsque le bras s'approche de
l'horizontal. Ceci explique l'impossibilité de
réaliser une élévation complète au zénith par
abduction anatomique en rotation interne. La
bascule postérieure, essentiellement sous la
dépendance du faisceau inférieur du trapèze,
accompagne la flexion de la gléno-humérale ou
sa rotation externe lorsque le bras est horizontal.
Fischer, Gonon et coll. (6) retrouvent ce dépla-
cement dans les mouvements d'abduction et le
chiffrent à dix-sept degrés.
- du mouvement de bascule latérale ou
médiale suivant un axe vertical contenu dans le
plan de l'omoplate. Elles accompagnent les
mouvements d'abduction ou d'adduction de
l'omoplate et sont imposées par la translation
circonférencielle du scapulum sur la convexité
du thorax. Lors de l'abduction Fischer, Gonon
et coll. 6ont évalué cette bascule latérale à trente
degrés; cette frontalisation du scapulum le
replace donc dans le plan de l'humérus, ce point
est important à retenir (fig. 6).
FIG. 6. - Mouvement de bascule latérale de l'omoplate accompa-
gnant l'abduction du membre d'après Fischer, Gonon et coll.
Ann. Kin ésithér., 1987, t. 14, 9 447
Au NIVEAU DE LA GLÉNO-HUMÉRALE
A) Rapport tête glène en fonction de la
position du scapulum
En position spontanée l'épine de l'omoplate
est quasiment horizontale (Péninou, Dufour 8),
la glène regarde alors essentiellement vers le
dehors et légèrement vers le haut ou le bas (14).
A l'aide d'un modèle mécanique reproduisant
fidèlement les mouvements de la gléno-humé-
raIe, il est possible de remarquer que dans cette
position spontanée de l'omoplate la tête humé-
rale est parfaitement centrée par rapport à la
glène (fig. 7a). Par contre l'élévation de l'angle
externe de l'omoplate par sonnette externe
entraîne non seulement une fermeture de l'angle
omo-huméral, c'est-à-dire une adduction de la
gléno-humérale mais aussi une remontée de la
tête par rapport à la glène (fig. 7b), la partie
inférieure de la tête est complètement située
au-dessus de la partie inférieure du bourrelet
glénoïdien. Cette adduction élévation explique
la nocivité de toute tentative de compensation
d'un manque d'abduction de la gléno-humérale
par une sonnette externe; cette _compensation
pourtant courante et observable, notamment
dans les pathologies de la coiffe des rotateurs,
FIG. 7a. - L'omoplate en position fonc-
tionnelle, la tête humérale est centrée par
rapport à la glène.
FIG. 7b. - L'omoplate en sonnette
externe, la tête humérale est excentrée en
crâniale par rapport à la glène.
FIG. 7c. - L'omoplate en sonnette in-
terne, la tête glisse en caudal et libère
l'espace acromio-tubérositaire .
-••
1 / 9 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !