Approche exploratoire du biais égocentrique chez les patients atteints de la maladie de Huntington Muy-Cheng Peich Cogmaster – Mémoire de Master 2 Session de Juin 2012 Sous la direction du Pr. A.-C. Bachoud-Lévi et du Dr. C. Jacquemot Laboratoire de Neuropsychologie Interventionnelle 2 Table des matières 1 Introduction 9 1.1 Qu’est-ce que le biais égocentrique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 1.2 Bases expérimentales pour l’exploration du biais égocentrique chez les patients MH . . . . . . . 10 1.3 Maladie de Huntington (MH) et biais égocentrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 1.4 Objectifs de l’étude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 1.4.1 Démontrer l’existence d’un biais égocentrique prononcé chez les patients MH . . . . . . . 13 1.4.2 Le biais égocentrique des patients MH est-il domaine-dépendant ? . . . . . . . . . . . . . 14 1.4.3 Conséquences du biais égocentrique sur le comportement des patients MH . . . . . . . . 14 1.4.4 Biais égocentrique et atteinte des autres fonctions cognitives . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 2 Participants 17 3 Expérience de mémoire partagée 19 3.1 Matériel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 3.1.1 Tâche de catégorisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 3.1.2 Tâche de choix forcé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 Protocole expérimental . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 3.2.1 Tâche de catégorisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 3.2.2 Tests de mémoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 Analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 3.3.1 Analyse des performances en rappel libre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 3.3.2 Analyse des performances en choix forcé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 3.3.3 Définition de l’intensité du biais égocentrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 3.4.1 Mémoire partagée en rappel libre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 3.4.2 Mémoire partagée en choix forcé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 3.4.3 Biais égocentrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Discussion de l’expérience de mémoire partagée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 3.2 3.3 3.4 3.5 4 5 Mesure de la distance interpersonnelle 29 4.1 Protocole expérimental et matériel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 4.2 Analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 4.3 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 4.4 Discussion partielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 Questionnaire d’empathie 31 5.1 Protocole expérimentale et matériel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 5.2 Analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 3 6 7 5.3 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 5.4 Discussion des données d’empathie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 Liens entre comportement et biais égocentrique 32 6.1 Analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 6.2 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 Discussion 35 7.1 Les patients MH présentent un biais égocentrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 7.2 Nature du déficit à l’origine du biais égocentrique des patients MH . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 7.3 Déficit de la gestion de l’espace social chez les patients MH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 7.4 Déficit de l’empathie chez les patients MH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 7.5 Le biais égocentrique des patients MH semble domaine-dépendant . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 7.6 Liens entre biais égocentrique et comportement des patients MH . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 7.7 Le biais égocentrique : perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 A Pilote 49 B Listes de mots 50 B.1 Phase de test . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . C Phase de choix forcé 50 53 4 Remerciements Je remercie vivement Anne-Catherine Bachoud-Lévi d’avoir guidé mon travail tout au long de cette année, de m’avoir accueillie au sein de son équipe pour travailler sur ce projet passionnant et de m’avoir apporté sans compter soutien et conseils. Merci infiniment pour votre disponibilité, votre patience, votre présence ! Je remercie vivement Charlotte Jacquemot pour son soutien, ses précieux conseils et toute l’aide qu’elle m’a apportée tout au long de l’année. Sans Anne-Catherine Bachoud-Lévi et Charlotte Jacquemot, je n’aurais jamais eu pu mener à bien un tel projet, je leur suis extrêmement reconnaissante pour la confiance qu’elles m’ont accordée. Je remercie également Laurent Cleret de Langavant, Simon Lambrey et Catherine Schramm pour leurs précieux conseils, leurs commentaires toujours judicieux et toute l’aide qu’ils m’ont apportée. Je remercie Katia Youssov pour toute l’aide qu’elle m’a apportée dans le recrutement des patients, sa patience, ses précieux conseils et sa disponibilité. Je remercie les neuropsychologues de l’équipe, Laurie Lemoine, Mehdi Aoun-Sebaiti et Maryline Couette pour toute l’aide qu’ils m’ont apportée dans la collecte des données. Je remercie tous les membres du laboratoire de Neuropsychologie Interventionnelle pour leurs conseils, leur soutien et l’excellente ambiance de travail qui règne dans l’équipe. Merci beaucoup également à Corinne Léonard pour son aide précieuse, sa disponibilité et son soutien ! Un grand merci également à Farideh Badei et à Delphine Delbos pour toute l’aide qu’elles m’ont apportée. Je remercie également tout le personnel médical du CIC pour leur aide, leur patience et leur gentillesse. Merci tout particulièrement à Graça Morgado pour son temps, sa disponibilité et sa patience ! Enfin, je remercie sincèrement tous les patients et les sujets sains qui ont accepté à mon étude. 5 6 Résumé La description des patients atteints de la maladie de Huntington par leurs proches et leurs médecins s’accordent sur le caractère égocentré de leur comportement. Toutefois aucun biais égocentrique n’a jusque-là été démontré expérimentalement. Une expérience de mémoire partagée inspirée d’un protocole mis en place chez les sujets sains nous a permis de mettre en évidence le biais égocentrique qui semble domaine-dépendant. En effet, aucune corrélation n’existe entre ce biais égocentrique et les distances interpersonnelles ou les scores d’empathie des patients. Néanmoins, ceux-ci tendent à présenter une distance interpersonnelle inférieure à celle des sujets sains et montrent un déficit de l’empathie. Préface Les patients atteints des maladies d’Alzheimer, de Parkinson ou de Huntington sont souvent décrits par leurs proches comme étant égocentrés (Snowden et al. , 2003; Starkstein et al. , 2004), sans que cela ait jamais été démontré expérimentalement. Ce trouble de la cognition sociale pourrait être handicapant au quotidien pour les patients dont les relations avec leurs proches se détériorent à mesure que la maladie progresse et pourrait participer à la désinsertion sociale des patients. En effet, le patient, centré sur lui-même, peut éprouver des difficultés à maintenir une relation avec son entourage ou même, se sentir insuffisamment pris en compte et agresser l’entourage en retour. A l’inverse, les proches peuvent ne plus supporter le désintérêt du patient pour eux et devenir intolérants à son comportement. Avec 6000 personnes atteintes en France, la maladie de Huntington est l’une des maladies rares les plus répandues dans la population caucasienne. C’est également la maladie neurodégénérative pour laquelle les troubles du comportement les plus sévères et les plus fréquents sont observés. Du fait de son caractère génétique, son diagnostic est fiable et ses caractéristiques anatomiques sont relativement homogènes et comprennent une atteinte primitive du striatum. C’est pourquoi, nous prendrons la maladie de Huntington pour modèle d’étude du biais égocentrique. Mon projet de master 2 a pour objectif d’une part de mettre en évidence l’existence d’un biais égocentrique chez les patients atteints de la maladie de Huntington, d’autre part d’explorer des aspects complémentaires dans les domaines spatial et de l’affect. 7 8 1 Introduction 1.1 Qu’est-ce que le biais égocentrique ? Le terme de « biais égocentrique » a été introduit pour la première fois par Ross & Sicoly (1979). Il désigne la tendance des sujets sains à s’attribuer davantage de responsabilité dans les conséquences d’une action commune que ne leur en attribueraient leurs partenaires. Les auteurs ont montré qu’au sein de couples mariés, chacun tend à surestimer sa contribution aux tâches quotidiennes : 73 % des sujets testés pensent contribuer davantage que leur conjoint aux activités du couple. Cette surestimation de leur propre participation est vraie aussi bien pour les actions jugées positives – par exemple, s’occuper des enfants, faire la vaisselle, gérer le budget familial – que pour des actions jugées négatives – telles qu’initier une dispute, irriter le conjoint, mettre la maison en désordre. Ross & Sicoly ont répliqué ces résultats dans différents contextes sociaux : les joueurs de basketball, comme les membres de groupes de discussion présentent un biais égocentrique semblable à celui mis en évidence chez les couples mariés. Une autre définition du biais égocentrique est celle proposée par Allison et al. (1989) et complétée par de nombreuses autres études (Allicke et al. , 1995; Dunning et al. , 1989; Epley & Dunning, 2000) : les sujets sains ont tendance à se considérer plus moraux qu’autrui. Epley & Dunning citent le sondage réalisé aux Etats-Unis, en février 1998, au moment de l’affaire Lewinsky. CBS News avait téléphoné à un échantillon d’Américains auxquels il demandait leur niveau d’intérêt pour les détails de l’affaire Lewinsky. Sept pour cent des sondés s’était déclarés « fascinés », tandis que 50 % des participants se disaient « complètement désintéressés ». Lorsqu’on leur avait demandé leur avis sur le niveau d’intérêt de leurs compatriotes, les personnes sondées avaient estimé que 25 % de la population étaient « fascinés » et que seulement 18 % étaient « complètement désintéressés ». Ce que certains pourraient considérer comme une contradiction correspond en fait au biais égocentrique tel qu’il a été défini par Allison et al. . En effet, nombreux sont les travaux qui montrent que les sujets sains ont tendance à se considérer plus charitable, plus généreux, plus sincère, plus loyal que les autres. Ce biais dans le jugement de soi ne se limite pas aux concepts moraux abstraits : la plupart des gens pensent par exemple être plus enclins à coopérer dans le paradigme du prisonnier 1 , plus prompt à laisser leur siège à une femme enceinte dans les transports en commun que leurs pairs. Allison et al. (1989) ont montré que cette tendance à se juger favorablement était plus prononcé pour les qualités morales (honnêteté, sincérité, loyauté, justice, etc.) que pour les qualités intellectuelles, suggérant que le biais égocentrique s’applique essentiellement à des caractéristiques subjectives et privées, par opposition à des caractéristiques facilement mesurables et accessibles au regard d’autrui. Les travaux de Greenberg (1983) définissent quant à eux le biais égocentrique comme étant la difficulté à adopter le point de vue d’autrui, à prendre en compte l’opinion de l’autre dans la construction de son propre jugement. Greenberg demande à des sujets sains de participer à une expérience de relecture de textes, pour laquelle les sujets reçoivent habituellement une somme de 2 dollars. Certains sujets vont en fait recevoir une somme soit supérieure (4 dollars), soit inférieure (0.50 dollars) à cette indemnité usuelle. Les sujets répondent à la fin de l’expérience à un questionnaire portant sur leur perception de l’équité du paiement reçu. Greenberg a ainsi montré que lorsque les sujets reçoivent une somme inférieure à l’indemnité usuelle, ils s’indignent 1. Le dilemme du prisonnier est un jeu social dans lequel deux sujets sont placés dans la situation de deux prisonniers complices d’un crime et retenus dans des cellules séparées. Ils ne peuvent communiquer. Les règles sont les suivantes : si un des deux prisonniers dénonce l’autre, alors il est libéré et l’autre est condamné à la peine maximale (10 ans). Si les deux se dénoncent l’un l’autre, alors ils sont tous deux condamnés à une peine plus légère (5 ans). Enfin si aucun des deux ne dénonce l’autre, alors ils sont tous deux condamnés à la peine minimale (6 mois). Les deux participants auraient donc intérêt à coopérer, c’est-à-dire à ne pas dénoncer l’autre. Toutefois, l’incitation à trahir l’autre est forte. 9 davantage que lorsqu’autrui reçoit une somme inférieure à l’indemnité usuelle. A l’inverse, ils éprouvent davantage d’indignation lorsqu’autrui reçoit une somme supérieure à la somme usuelle, que lorsqu’eux-mêmes reçoivent une somme plus importante que la norme. Ce biais de jugement disparaît lorsque les sujets sont placés dans une pièce où des surfaces réfléchissantes leur permettent de se voir. Il a été démontré que le fait de se voir rendait les sujets plus conscients d’eux-mêmes et de leurs actes (Greenberg, 1983). Or selon Greenberg, plus on est conscient de soi et de ses actes, plus on est à même de se projeter sur autrui, de prendre en compte son point de vue. Le biais de jugement des sujets testés par l’auteur relèverait donc d’une tendance générale à ignorer la perspective d’autrui. Au vu de cette hypothèse, il semble que la définition du biais égocentrique de Greenberg et celle de Goethals soient à rapprocher. En effet, Epley & Dunning (2000) proposent d’expliquer le biais égocentrique observé aussi bien dans leurs travaux que ceux de Goethals et d’Allison par la réticence des sujets sains à se référer aux taux de base lorsqu’ils s’auto-évaluent. Tandis que lorsqu’ils prédisent le comportement d’autrui, ils sont prompts à faire usage de ces taux de base. Le biais égocentrique dériverait donc d’une réticence à se considérer comme semblable à autrui. Si nous reprenons l’exemple du sondage réalisé lors de l’affaire Lewinsky, la moitié des Américains sondés semblent se considérer comme différents de la population générale, considérant que l’hystérie générée par l’affaire Clinton est née de la vulgarité des autres. Or si on ne se juge pas semblable à autrui, il paraît difficile d’adopter naturellement sa perspective. En effet, lorsque les sujets sont rendus conscients d’eux-mêmes dans l’expérience de Greenberg, ils sont plus prompts à adopter le point de vue d’autrui, ce qui pourrait s’expliquer par le fait que plus on est conscient de soi, plus on est conscient de sa similitude avec autrui. 1.2 Bases expérimentales pour l’exploration du biais égocentrique chez les patients MH Afin de mettre en évidence l’existence d’un biais égocentrique chez les patients MH, nous nous sommes inspirés des données sur la coopération sociale existant chez les sujets sains et avons adaptés les protocoles expérimentaux mis en place par l’équipe de Sebanz (non publié) chez les sujets sains à l’étude des patients. L’étude de l’action jointe a mis en évidence la tendance à la coopération des sujets sains. Une tâche de compatibilité spatiale testée par Sebanz et al. (2003) a montré que les sujets sains se représentent l’action d’autrui comme ils se représentent la leur. Dans une première expérience, les sujets doivent appuyer à gauche si le stimulus présenté à l’écran (une bague) est rouge et à droite si le stimulus est vert. Chaque stimulus est accompagné d’une information non pertinente pour la réponse du sujet : la bague est portée par une main pointant soit à gauche, soit à droite, soit vers le sujet (information neutre). Il a été montré que les sujets répondent plus lentement lorsque la main pointe dans la direction inverse de l’action à accomplir (main pointant vers la droite lorsque la bague est rouge et main pointant vers la gauche lorsque la bague est verte) que lorsque la main pointe vers eux et plus rapidement lorsque l’information non pertinente et le stimulus sont compatibles que lorsque la main pointe vers eux. Il s’agit de l’effet de Simon. Dans une deuxième expérience, la tâche est divisée en deux. Chaque sujet ne répond qu’à une seule couleur, il lui est soit demandé d’appuyer à gauche lorsque la bague est rouge, soit d’appuyer à droite lorsque la bague est verte. De même que dans la première expérience, la bague est portée par une main qui pointe soit à gauche, soit à droite, soit vers le sujet. Chaque sujet réalise donc une tâche de type « go-no go ». Cette expérience est réalisée soit par le sujet seul (condition Seul), soit par deux sujets assis l’un à côté de l’autre (condition à Deux). Les résultats montrent que, dans la condition à Deux, les sujets répondent plus vite lorsque le stimulus et l’information non pertinente sont compatibles que lorsque l’information non pertinente est neutre, et plus 10 lentement lorsque les informations sont incompatibles. L’effet de Simon mis en évidence durant la première expérience est donc retrouvé lorsque deux sujets se partagent la tâche, chacun effectuant une tâche de « go-no go » aux côtés d’un co-acteur. Dans la condition Seul, aucun effet de ce type n’est observé, les temps de réaction ne sont pas significativement différents que le stimulus et l’information non pertinente soient compatibles ou incompatibles. Les auteurs en ont concluent que deux sujets sains agissant ensemble ne s’ignorent pas : un sujet sain se représente l’action d’autrui comme il se représente la sienne propre, même si sa tâche et celle d’autrui sont indépendantes. Cela reste vrai même lorsque le sujet aurait intérêt à ne pas prêter attention aux actions du co-acteur afin de se concentrer sur sa propre tâche (Sebanz et al. , 2006; Wenke et al. , 2011, Sebanz et al., non publié). Une deuxième étude de Sebanz (non publiée) a montré que, placés dans une situation de partage de tâche, les sujets sains simulent non seulement l’action d’autrui lorsque c’est à son tour d’agir, mais ils mémorisent aussi l’information nécessaire à la réalisation de la tâche d’autrui, de la même manière qu’ils mémorisent l’information dont ils ont eux-mêmes besoin pour accomplir la tâche. Il s’agit du phénomène de mémoire partagée. C’est cette expérience de mémoire partagée que nous avons choisie pour démontrer l’existence du biais égocentrique chez les patients MH. Une fois ce biais égocentrique démontré, nous avons souhaité explorer les autres dimensions de l’interaction sociale et vérifier l’existence du biais égocentrique dans les domaines spatial et affectif. L’espace est en effet une dimension essentielle des interactions sociales. L’espace péri-personnel est défini par Hall (1966) comme étant une zone centrée sur le sujet et délimitée par une frontière invisible qu’autrui n’est pas censé franchir. Il conditionne les relations aux autres et varie fortement en fonction du degré d’intimité que nous entretenons avec eux. Cet espace péri-personnel est considéré par chacun comme psychologiquement sien (Hall, 1966; Frith & de Vignemont, 2005). La pénétration de cet espace par autrui est ressentie comme une violation de son territoire et génère chez les sujets sains dont l’espace péri-personnel a été envahi un sentiment de malaise, voire d’anxiété ou de colère. Il s’établit donc naturellement entre les sujets sains interagissant une distance dite « interpersonnelle », qui correspond à la distance entre deux sujets sains à laquelle chacun se sent à l’aise pour interagir avec l’autre. Si le biais égocentrique des patients MH mis en évidence dans le domaine mnésique se manifeste par un trouble dans le domaine spatial, les patients devraient présenter une distance interpersonnelle inférieure à celle des sujets sains. Les émotions sont également une composante importante de la relation à autrui (Adolphs, 2011). En particulier, l’empathie, à savoir la capacité à ressentir ce qu’autrui ressent, joue un rôle crucial dans l’interaction avec l’autre. Elle participe en effet à notre compréhension d’autrui, de son comportement et de ses réactions. Le questionnaire de Mehrabian (2000) évalue cette capacité d’empathie et nous permettra de comparer les aptitudes des patients MH et des sujets sains à ressentir les émotions d’autrui. 1.3 Maladie de Huntington (MH) et biais égocentrique La maladie de Huntington (MH) est une maladie génétique neurodégénérative grave et rare caractérisée par des mouvements choréiques involontaires, un déclin cognitif qui touche principalement les fonctions exécutives, mais aussi les processus de la cognition sociale et des troubles psychiatriques (anxiété, dépression, etc.). Les troubles de la cognition sociale, bien que peu connus et encore mal compris, se révèlent néanmoins 11 extrêmement handicapants pour les patients MH, comme le souligne une étude récente de Ho & Hocaoglu (2011). Les auteurs ont réalisé une série d’entretiens avec des patients MH à différents stades de la maladie (patients porteurs du gène 2 , patients aux stades 1, 2, 3, 4 et 5 de la maladie), afin d’apprécier l’impact de la MH sur la qualité de vie des patients. Il ressort de cette étude que les difficultés relationnelles sont particulièrement mal vécues. En effet, les patients porteurs du gène déclarent éprouver des difficultés à interagir avec autrui : ils rapportent des relations compliquées avec leurs proches, un sentiment d’absence de soutien aussi bien de la part de l’équipe médicale qui les entoure, que de leur famille et de leurs amis, ainsi que la difficulté d’affronter le regard et l’attitude d’autrui vis-à-vis de la MH. Ces problèmes sociaux constituent selon cette étude 47,7 % des difficultés ressenties par les patients porteurs du gène. La part des problèmes relationnels se maintient après l’apparition des symptômes, les patients de stades 1, 2, 3, 4 et 5 rapportant des difficultés sociales avec une fréquence variant de 13,1 % (stade 3) à 16,9 % (stade 2). Aux problèmes évoqués par les patients porteurs du gène s’ajoutent des difficultés à sortir et sociabiliser, et à maintenir une relation affective et sexuelle avec le conjoint. Les études neuropsychiatriques de la MH décrivent les patients comme étant irritables et anxieux, persévérants et sujets à des idées fixes (Paulsen et al. , 2001; Rosenblatt, 2007). Leurs proches, comme les médecins qui les suivent, les décrivent souvent comme faisant preuve de peu de compassion, de peu d’empathie et mentalement inflexibles, avec des idées fixes qui ne tiennent compte ni du point de vue général, ni des preuves de l’environnement pouvant aller à l’encontre de leur propre pensée (Snowden et al. , 2003). Si ces caractéristiques comportementales des patients MH sont cohérentes avec les difficultés relationnelles qu’ils décrivent eux-mêmes, aucune preuve expérimentale ne permet à ce jour d’en identifier les mécanismes. Le manque d’empathie et de compassion des patients MH semble relever d’une exacerbation du biais égocentrique décrit par Greenberg (1983) chez les sujets sains. En effet, les patients éprouvent des difficultés à ressentir ce qu’autrui ressent, à réagir aux émotions d’autrui, comme ils réagiraient aux leurs (Paulsen et al. , 2001; Rosenblatt, 2007). De même, leur inflexibilité mentale semble elle aussi relever d’une forme de biais égocentrique. A l’origine de cette inflexibilité mentale résident effectivement les difficultés des patients MH à prendre en compte le point de vue d’autrui dans leur raisonnement. La description clinique des patients MH par leur entourage suggère donc l’existence d’un biais égocentrique, qui s’il n’est pas réductible à une seule des définitions du biais égocentrique chez le sujet sain, n’en reste pas moins un déficit qui s’apparente à un comportement égocentrique semblable à ceux observés chez les sujets sains, mais qui serait toutefois plus intense et aurait pour résultat une difficulté à interagir avec autrui. Enfin, si le biais égocentrique des patients MH n’a jamais été démontré expérimentalement, les auteurs s’accordent sur l’existence de troubles de la cognition sociale tels que la production et la reconnaissance des émotions. Les patients MH éprouvent ainsi des difficultés à reconnaître les émotions aussi bien négatives (peur, colère, dégoût, etc.) que positives (plaisir) (Sprengelmeyer et al. , 1997, 1998; Hayes et al. , 2007; de Gelder et al. , 2008; Snowden et al. , 2008; Calder et al. , 2010; Trinkler et al. , 2011). Leur capacité à produire des expressions faciales traduisant des émotions telles que la colère, la surprise ou la joie est également défectueuse relativement au comportement des sujets sains, tandis que leur compréhension des émotions et leur capacité à les exprimer sont préservées (Trinkler et al. , 2011). Si ces déficits ne peuvent à eux seuls expliquer le comportement égocentré des patients MH, ils contribuent, du moins partiellement, à l’explication des difficultés d’interaction sociales rencontrées par les patients. Les données sur la théorie de l’esprit des patients MH, à savoir leur capacité à inférer les pensées, les 2. Le diagnostic de la MH peut en effet être réalisé avant la déclaration des symptômes. 12 croyances et les intentions d’autrui, sont moins unanimes que les résultats portant sur leurs processus émotionnels. En effet, si les travaux de Brüne et al. (2011) et d’Allain et al. (2011) suggèrent que les patients Huntington présentent bien un déficit important de la théorie de l’esprit, similaire à celui observé chez les schizophrènes, Snowden et al. (2003) proposent, chez les patients MH, non pas une atteinte de la théorie de l’esprit, mais un déficit généralisé non spécifique. Dans les tâches testées par ces auteurs, les patients MH n’éprouvent pas de difficultés à proposer une interprétation des actions d’autrui. Cette interprétation est néanmoins dans la plupart des cas erronée, voire n’ayant que peu de rapport avec les indices présents dans l’environnement. Que les patients MH présentent ou non un déficit de la théorie de l’esprit, il semble donc qu’ils éprouvent des difficultés à prendre en compte, dans leur interprétation des événements et de leurs causes, d’autres perspectives, d’autres points de vue ou indices que ceux qui correspondent à leur propre opinion. Ce type de comportement se rapproche de la définition du biais égocentrique donnée par Greenberg (1983). Ainsi, la description clinique des patients MH suggère l’existence d’un biais égocentrique, jusque-là jamais mis en évidence expérimentalement. Les données neuropsychologiques sur les processus de traitement des émotions et la théorie de l’esprit dans la MH corroborent cette hypothèse, sans pour autant offrir d’explication complète et satisfaisante ni des mécanismes, ni de la nature de ce biais comportemental, qui s’apparente fortement à une forme exacerbée du biais égocentrique décrit chez les sujets sains. Dans le cadre de notre étude, nous adopterons toutefois une définition plus large du biais égocentrique, qui alliera la définition de Greenberg à celle de Ross & Sicoly (1979). Nous appellerons biais égocentrique un comportement qui consiste à se référer excessivement à soi, à se rapporter excessivement à sa propre pensée, à sa propre opinion, sans tenir compte d’autrui, de ses actions, de ses pensées et de sa perspective. 1.4 Objectifs de l’étude 1.4.1 Démontrer l’existence d’un biais égocentrique prononcé chez les patients MH L’objectif premier de notre étude est la mise en évidence expérimentale du biais égocentrique chez les patients MH. Pour cela, nous nous sommes inspirés des protocoles expérimentaux mis en place chez les sujets sains par l’équipe de Sebanz (?) et avons adapté l’expérience de mémoire partagée décrite ci-dessus à l’étude des patients MH. Nous avons répliqué les résultats obtenus par Sebanz en mémoire partagée dans un pilote réalisé chez des sujets sains et jeunes (Voir Annexe 1). L’expérience de compatibilité spatiale n’est en effet pas réalisable chez les patients MH. Les patients MH éprouvent en effet des difficultés importantes à réaliser des tâches motrices. Leurs temps de réaction en tâche de « go-no go » sont extrêmement variables et difficiles à interpréter. C’est pourquoi nous avons privilégié la tâche de mémoire partagée pour la démonstration du biais égocentriques chez les patients MH. Le biais égocentrique ainsi mis en évidence nous permettra de conclure à l’incapacité des patients MH à mémoriser l’information nécessaire à autrui pour réaliser sa tâche : il s’agit donc d’un biais égocentrique appliqué au domaine mnésique. L’interaction sociale étant un processus qui implique de nombreuses autres dimensions cognitives, nous allons dans la suite de notre étude tester l’existence du biais égocentrique dans d’autres domaines de la cognition sociale. 13 1.4.2 Le biais égocentrique des patients MH est-il domaine-dépendant ? L’espace et l’affect sont les deux autres dimensions de l’interaction sociale que nous explorerons dans cette étude, le but étant de tester l’existence ou non du biais égocentrique dans d’autres domaines que la mémoire. Nous comparerons la distance interpersonnelle des patients MH à celle des sujets sains, afin de déterminer l’existence ou non d’un déficit de la gestion de l’espace social. Et nous corrélerons le biais égocentrique des patients MH aux mesures de distance interpersonnelle. Une absence de corrélation suggérera la non-unicité de la représentation d’autrui dans les différents domaines de la cognition sociale. Nous explorerons également le domaine des émotions qui constituent pour les sujets sains des signaux sociaux riches en information (Forgas, 1998; Adolphs, 2011). Comme évoqué ci-dessus, les patients MH ont des difficultés à reconnaître et à produire toute une gamme d’émotions (Sprengelmeyer et al. , 1997, 1998; Hayes et al. , 2007; de Gelder et al. , 2008; Calder et al. , 2010; Snowden et al. , 2008; Calder et al. , 2010; Trinkler et al. , 2011). Toutefois, ces déficits dans le traitement des stimuli émotionnels sont accompagnés d’une capacité intacte à exprimer et à comprendre leurs émotions. Si le biais égocentrique mnésique des patients MH se manifeste dans le domaine émotionnel, nous nous attendons à ce que les patients MH soient moins empathiques que les sujets sains, validant ainsi la description clinique de la MH. 1.4.3 Conséquences du biais égocentrique sur le comportement des patients MH Rares sont les études qui ont lié résultats neuropsychologiques et comportement. Nous nous intéressons ici aux liens entre le biais égocentrique et le comportement des patients MH dans la vie quotidienne. Ce dernier est évalué par la partie comportementale de l’Unified Huntington’s Disease Rating Scale (UHDRS). La corrélation des résultats de mémoire partagée avec ce score comportemental nous renseignera sur les liens éventuels entre comportement et biais égocentrique. 1.4.4 Biais égocentrique et atteinte des autres fonctions cognitives La maladie de Huntington est caractérisée par un déclin cognitif qui touche essentiellement les fonctions exécutives (planification, attention, etc.). Si le biais égocentrique des patients MH est démontré, il restera à en déterminer les mécanismes sous-jacents. La corrélation du biais égocentrique avec les capacités exécutives des patients devrait nous suggérer des pistes à explorer dans la compréhension des causes du biais égocentrique. En effet, on sait que les patients MH souffrent d’un déficit de l’attention partagée. Ils éprouvent des difficultés à gérer deux tâches simultanément (Paulsen et al. , 2001). Or la capacité à partager son attention entre au moins deux tâches est une aptitude essentielle pour l’interaction sociale, puisque pour communiquer avec autrui, il faut être capable de prendre en compte son propre point de vue et celui d’autrui en même temps. Cela implique de pouvoir inhiber son propre point de vue, ses propres pensées au profit de ceux d’autrui. L’existence d’un biais égocentrique en mémoire partagée pourrait ainsi s’expliquer par une incapacité du patient MH à prêter attention à sa tâche et à celle d’autrui en même temps. Une autre explication serait l’inflexibilité mentale des patients MH (Rosenblatt, 2007; Paulsen et al. , 2001; Snowden et al. , 2003). S’ils restent mentalement bloqués sur leur tâche, ils peuvent ne pas prendre en compte autrui, ce qui aboutirait à un comportement égocentré caractérisé par une absence de l’influence d’autrui sur la performance des patients MH. 14 Mon étude comprend trois expériences : – Expérience 1 : Mémoire partagée (tâche de catégorisation suivie de deux tests de mémoire) – Expérience 2 : Mesure de la distance interpersonnelle – Expérience 3 : Questionnaire d’empathie (BEES, Mehrabian, 2000) Chaque participant participe aux trois expériences successivement. Les patients MH, inclus dans le protocole « Biomarqueur », bénéficient aussi d’une évaluation générale comprenant une évaluation globale par l’échelle du Mattis Dementia Rating Scale (MADRS) et l’échelle de l’Unified Huntington’s Disease Rating Scale (UHDRS), des tests des fonctions exécutives tels que les Trail Making Tasks A et B (TMT A et TMT B) et des tests mnésiques tels que le Hopkins Verbal Learning Test (HVLT). Expérience de mémoire partagée Tâche de catégorisation Tâche de mémoire Mesure de la Distance InterPersonnelle (DIP) DIPSoi 1 DIPAutrui 2 Mesure de l’empathie BEES 3 F IGURE 1 – Déroulement chronologiques de l’étude. L’étude comprend 3 composantes : une expérience de mémoire partagée, une expérience de mesure de la distance interpersonnelle et un questionnaire d’empathie. 15 16 2 Participants 19 patients atteints de la maladie de Huntington (stades 1 et 2 de la maladie) et 19 sujets sains appariés en âge, en genre et en éducation aux patients ont participé à l’étude après avoir pris connaissance des modalités de l’expérience et donné leur consentement. Groupe Sujets Sains Patients MH Age 48,6 ans ± 7,32 49,6 ans ± 10,5 Sexe 14 femmes ; 5 hommes 9 femmes ; 10 hommes Latéralité 19 droitiers 18 droitiers, 1 gaucher Stade de la maladie — Stade 1 Age au début de la maladie — 46,5 ± 8,07 UHDRS - moteur — 23,1 ± 14,1 UHDRS - comportemental — 7,33 ± 6,51 UHDRS TFC — 11,7 ± 1,67 MADRS — 11,5 ± 9,68 TMTB — 77,2 ± 62,7 HLVT — 18,7 ± 7,91 TABLE 1 – Données démographique des sujets sains et des patients Huntington testés (UHDRS : Unified Huntington’s Disease Rating Scale, composantes motrice, cognitive, comportementale, échelle d’indépendance, composante fonctionnelle, TFC : Total Functional Capacity ; MDRS : Mattis Dementia Rating Scale) Aucun des sujets sains n’a déclaré avoir de troubles neurologiques. Aucun participant (sujet sain ou patient) n’a déclaré avoir des troubles visuels non corrigés par des lunettes ou des lentilles. 17 18 3 Expérience de mémoire partagée Cette expérience a pour but d’évaluer l’existence d’un biais égocentrique dans une tâche de mémorisation. Préalablement à cette tâche de mémorisation, les patients se voient exposer à une tâche de catégorisation. Celle-ci est réalisée sous deux conditions soit Seul, soit à Deux. Trois catégories sémantiques sont sélectionnées. Les participants se voient en début d’expérience attribuer l’une d’entre elles. Ils ne doivent répondre que si le mot présenté sur l’écran d’un ordinateur appartient à la catégorie qui leur a été attribuée. En condition de catégorisation Seul, ils répondent ainsi uniquement à 1/3 des mots. En condition de catégorisation à Deux, la tâche est identique mais réalisée aux cotés de l’examinateur qui doit lui aussi répondre à une catégorie qui lui a été attribuée et qui diffère de celle du participant. Le participant répond donc à 1/3 des mots, l’examinateur à un autre 1/3 et dans les deux 1/3 des mots, attribués à personne ne sont répondus par personne. Les participants ne savent pas qu’ils seront ensuite exposés à une tâche de mémoire. Il leur est en effet ensuite demandé de se rappeler le maximum de mots possible parmi ceux qui ont été présentés dans les tâches de catégorisation, sans distinction de la personne à qui a été attribuée la catégorie. Le résumé des tâches est présenté en F IGURE 2. Nous mesurons l’influence de la présence d’autrui sur le rappel des informations par les participants. Selon l’hypothèse de Sebanz (non publié), les sujets sains devraient mieux retenir les mots de leur catégorie que ceux des catégories d’autrui ou de personne, à l’inverse ils devraient être meilleur pour retenir les mots attribués à autrui que ceux attribués à personne. Si les patients MH ont un biais égocentrique, on s’attend à ce que leurs performances de rappel soient meilleurs pour les mots qui leur ont été attribués que pour les mots attribués à autrui ou personne mais qu’il n’y ait plus aucune différence entre les mots attribués à autrui ou à personne. kangourou oreiller artichaut sucrier Phase 1 Phase 2 Phase 3 Phase 4 Test Seul Test à Deux Test de mémoire Rappel libre Test de mémoire Choix forcés F IGURE 2 – Déroulement de l’expérience de mémoire partagée. L’expérience de mémoire partagée est constituée d’une tâche de catégorisation qui comprend deux phases (catégorisation seul et catégorisation à deux) et de tests de mémoire (rappel libre et tâche de choix forcé). 19 3.1 Matériel 3.1.1 Tâche de catégorisation Trois catégories sémantiques ont été sélectionnées : animaux, fruits/légumes, objets manufacturés. Nous avons sélectionnés 32 mots par catégorie (la moitié d’entre eux étaient des bisyllabiques, l’autre moitié des trisyllabiques). Les mots prototypiques de chaque catégorie ont été retirés de chaque liste (Brandt et al, HVLT) afin d’éviter que les patients ne les produisent naturellement sur un indice sémantique et non à partir d’une mémorisation. Par exemple, pour « animaux », les mots « chien » et « chat » qui sont les premiers qui viennent à l’esprit, sont éliminés des listes. Les listes ont ainsi été appariées en prototypicalité grâce à la base de données BASETY (Léger et al., en révision). Elles ont aussi été appariées sur leur nombre de syllabes, leur nombre de lettres, leur fréquence lexicale (voir en Annexe 2) à partir la base de données filmique Lexique 3 (New B., Pallier C., Ferrand L., Matos R., 2001) (les films étant plus proches de la langue parlée que le langage littéraire) et finalement sur le nombre d’agrégats consonantiques, c’est-à-dire de regroupements de consonnes difficiles à prononcer. En effet les patients atteints de MH ayant des troubles de l’articulation pourraient être pénalisés pour les mots complexes. 3.1.2 Tâche de choix forcé Pour réaliser la tâche de choix forcé, trois listes complémentaires portant sur les mêmes catégories ont été construites. Elles ne comprennent aucun des mots utilisés pour les tâches de catégorisation mais leur sont appariées en fréquence lexicale (Lexique 3, New B., Pallier C., Ferrand L., Matos R., 2001, corpus de sous-titres de films), en nombre de lettres par mot et nombre d’agrégats consonantiques. Les exemplaires prototypes ont également été exclus des listes (BASETY, L. Léger et al., en révision). 3.2 Protocole expérimental 3.2.1 Tâche de catégorisation Deux chaises sont disposées en face de l’écran d’ordinateur. La place attribuée au sujet testé est aléatoirement choisie. Il la conserve tout au long de l’expérience. Le principe de la tâche de catégorisation est le même que la tâche soit réalisée seul ou à deux. Les mots apparaissent un à un sur l’écran de l’ordinateur (voir F I GURE 4). Le sujet doit appuyer sur une touche si le mot qui apparait à l’écran appartient à la catégorie qui lui a été attribuée. S’il est assis sur la chaise de gauche, il utilisera la touche « A », s’il est aussi sur la chaise de droite, il utilisera la touche « P » en utilisant sa main dominante. La répartition des positions des patients et des sujets sains sur les chaises est identique. Dès qu’un sujet a appuyé sur une touche, le mot change de couleur : Initialement écrit en noir (RGB : 0, 0, 0), il devient bleu foncé (RGB : 0, 0, 128). En effet, les mouvements effectués pour appuyer sur une touche du clavier sont d’une amplitude relativement faible et pourraient ne pas être remarqués par des patients dont les capacités attentionnelles sont diminuées, par rapport à celles de sujets sains. De plus, les sujets sains répondent plus vite que les patients MH à toute tâche qui leur est proposée et donc à la catégorisation. De manière à éviter un biais dans le rappel des mots lié au temps de présentation des mots calibré sur la vitesse de réponse des sujets, le changement de couleur permet non seulement d’attirer l’attention du sujets sur la réponse d’autrui mais aussi de maintenir le temps de présentation (et donc de mémorisation) constant. Il nous a paru préférable au paradigme de N. Sebanz dans lequel les mots disparaissaient dès la réponse du sujet. 20 Dans la condition de catégorisation « Seul », le patient est assis seul à gauche ou à droite en face de l’ordinateur. Dans la condition « à Deux », il garde son siège mais l’autre est occupé par l’examinateur. En effet, afin de respecter la confidentialité du diagnostic médical, les patients MH ne peuvent accomplir la tâche avec un sujet sain inconnu qui pourrait remarquer leur maladie. Le patient garde la même catégorie que ce soit dans la condition Seul ou à Deux, l’examinateur se voit attribuer aléatoirement une des catégories restantes. Il appuie sur la touche « A » ou « P » de l’ordinateur selon sa position face à l’écran. Les 32 mots de chaque catégorie sont aléatoirement divisés par deux pour chaque sujet, 16 d’entre eux étant utilisés pour la catégorisation Seul, les 16 autres pour la catégorisation à Deux. Chacun de ces mots est présenté deux fois dans chaque condition, afin d’améliorer la mémorisation involontaire des mots par les sujets. La présentation est aléatoire avec contraintes : aucun mot n’est présenté deux fois de suite. Il n’y a jamais plus de trois mots de la même catégorie présentés successivement, afin d’éviter qu’un sujet n’ait pas à répondre pendant plus de six essais. Les mots sont présentés sur l’écran d’un Macbook Air 13 pouces. L’expérience a été programmée en langages HTML, PHP et JavaScript, sous la forme d’un site Internet hébergé localement grâce au serveur MAMP, et a ensuite été exécutée via le navigateur web Google Chrome. 3.2.2 Tests de mémoire La deuxième partie de l’expérience consiste en deux tests de mémoire : un rappel libre, suivi d’une tâche de choix forcé. Lors du rappel libre, on demande au sujet d’énoncer le maximum de mots possibles parmi ceux présentés durant les deux conditions de catégorisation, que ces mots appartiennent ou non à la catégorie qui leur a été attribuée. Le sujet dispose d’autant de temps que nécessaire. Il met fin au rappel libre lorsqu’ils considère ne plus se remémorer de nouveaux mots. Nous avons décidé de ne pas limiter l’épreuve dans le temps afin de ne pas pénaliser les patients MH par rapport aux sujets sains. L’expérimentateur note les mots au fur et à mesure que le sujet les énonce. La deuxième partie du test de mémoire est une tâche de choix forcé. Des paires de mots sont successivement présentées sur un écran d’ordinateur. Chaque paire est constituée d’un mot présenté durant la tâche de catégorisation (Condition Seul ou à Deux), et d’un mot n’ayant pas été présenté au cours de la tâche de catégorisation. Le sujet doit choisir le mot qui lui a déjà été présenté. S’il s’agit du mot situé à gauche de l’écran, il doit appuyer sur la touche « A », s’il s’agit du mot de droite, il doit appuyer sur la touche « P ». Quatre-vingt-seize paires de mots sont présentées. Elles sont constituées aléatoirement avec contraintes : chaque paire de mot est constituée de mots appartenant à la même catégorie sémantique et ayant le même nombre de syllabes. L’ordre de présentation des paires est aléatoire. 3.3 Analyse 3.3.1 Analyse des performances en rappel libre Une ANOVA 2 × 2 × 3 avec pour variables dépendantes le Groupe (Sujets Sains vs. Patients MH), la Condition (Seul vs. à Deux) et la Catégorie (Soi vs. Autrui vs. Personne) et pour variable indépendante le nombre de mots rappelés est réalisée. Il est vrai que dans la condition Seul, « autrui » est confondu avec « personne » au moment de la tâche de catégorisation. Néanmoins, la tâche de rappel identifie clairement la catégorie attribuée à autrui. L’analyse portant sur la tâche de rappel, on ne peut exclure un effet différentiel sur « autrui » et « personne » y compris dans la condition « Seul ». Néanmoins, afin d’affiner l’analyse des résultats et selon 21 le plan d’analyse proposé par N. Sebanz, nous avons complété nos analyses par deux ANOVA 2 × 2 pour les sujets sains d’une part, et pour les patients MH d’autre part. La première ANOVA a pour variables dépendantes la Condition (Seul vs A deux) et la Catégorie (Soi vs Personne). La deuxième ANOVA a pour variables dépendantes la Condition (Seul vs A deux) et la Catégorie (Autrui vs Personne). 3.3.2 Analyse des performances en choix forcé Les erreurs effectuées par les sujets sont comptabilisées et classées en fonction de la condition (Seul ou à Deux) durant laquelle les mots ont été présentés et et de leur attribution (soi, autrui ou personne). Les mêmes ANOVAs que celles réalisées sur les résultats de rappel libre sont réalisées ici. 3.3.3 Définition de l’intensité du biais égocentrique Le biais égocentrique (BE) ne se conçoit que dans la condition à Deux. Nous définissons une variable notée BE, avec BE = 100 − (AutruiAD × 100)/SoiAD , où : – SoiAD est le nombre de mots énoncés par le sujet en rappel libre qui ont été présentés durant la phase de catégorisation à Deux et qui appartiennent à la catégorie attribuée au sujet (Soi), – AutruiAD est le nombre de mots énoncés par le sujet en rappel libre qui ont été présentés durant la phase de catégorisation à Deux et qui appartiennent à la catégorie attribuée à autrui (Autrui). (AutruiAD × 100)/SoiAD correspond à la proportion de mots auxquels autrui a répondu et dont le sujet se souvient lors du rappel libre, normalisé par rapport au nombre de mots appartenant à sa catégorie, présentés à la phase de catégorisation à Deux et énoncés par le sujet en rappel libre. La normalisation permet de s’affranchir du niveau des performances mnésiques des sujets, afin de faciliter la comparaison entre les performances des sujets sains et celles des patients MH, dont les capacités en mémoire de travail sont inférieures à celles des sujets sains. L’intensité du biais égocentrique des sujets sains et celle des patients MH seront comparées à l’aide de tests de comparaison de moyenne (t-tests de Student). 3.4 Résultats 3.4.1 Mémoire partagée en rappel libre Les résultats de rappel libre sont présentés en F IGURE 5 (sujets sains) et F IGURE 6 (patients MH). L’ANOVA 2 × 2 × 3 montre une interaction significative entre le Groupe (Patients MH vs. Sujets sains), la Condition (Seul vs. à Deux) et l’Attribution (Soi vs. Autrui. vs. Personne) (F(1; 2) = 7, 18, p < 0, 001). L’analyse des interactions doubles montrent que les sujets sains se remémorent davantage les mots appartenant à la catégorie attribuée à autrui que ceux appartenant à la catégorie attribuée à personne, ce qui n’est pas le cas des sujets sains (F(1; 2) = 13, 33, p < 0, 001). L’ANOVA 2 × 2 (Condition (Seul vs à Deux) et attribution (soi vs personne)) montre que les sujets sains ont une meilleure mémoire des mots de la catégorie qui leur a été attribuée (Effet de Catégorie : F(1; 18) = 36, 02, p < 0, 001) mais plus encore dans la condition à Deux que dans la condition Seul (Effet de Condition : F(1; 18) = 8, 63, p < 0, 05). L’interaction n’est pas significative (F(1; 18) = 1, 97, p = 0, 173). Une seconde ANOVA 2x2 (Condition (Seul vs à Deux) et Attribution (Autrui vs Personne)) montre que les sujets sains ont une meilleure mémoire des mots auxquels autrui a répondu durant la condition à Deux mais pas dans la 22 condition Seul (Condition : F(1; 18) = 26, 26, p < 0, 001) et surtout ils retiennent mieux les mots retenus par autrui plutôt que ceux qui n’ont été attribués à personne. (Effet d’attribution : F(1; 18) = 17, 33, p < 0, 001). L’interaction est également significative (F(1; 18) = 10, 26, p = 0.005). Chez les patients, la même ANOVA 2 × 2 montre également deux effets principaux significatifs (Condition : F(1; 18) = 11, 24, p < 0, 005 ; Catégorie : F(1; 18) = 22, 84, p < 0, 001). L’interaction n’est pas significative (F(1; 18) = 0, 25, p = 0, 6191). Les patients MH, comme les sujets sains, ont une meilleure mémoire des mots auxquels ils ont répondu que des mots auxquels personne n’a répondu, et ce, que ces mots aient été présentés lorsque les sujets réalisaient la tâche seul ou à deux. 3.4.2 Mémoire partagée en choix forcé Les résultats en choix forcé sont présentés dans en F IGURE 7 (sujets sains) et F IGURE 8 (patients MH). L’ANOVA 2 × 2 × 3 ne montre pas d’interaction triple significative (F(1; 2) = 0, 03, p = 0, 9727), ni d’interaction double significative. Cette analyse montre uniquement que les sujets sains réalisent moins d’erreurs que les patients MH en choix forcé (F(1; 1) = 149, 05, p < 0, 001). Une ANOVA 2 × 2 (Condition (Seul vs à Deux) et Attribution (Soi vs Personne)) montre que les sujets font autant d’erreur pour les mots de leur catégorie que pour ceux de la catégorie attribuée à personne (Effet d’attribution non significatif, p = 0, 6876). Ceci est vrai dans la condition Seul, comme dans la condition à Deux (Effet de condition non significatif, p = 0, 8232). L’interaction n’est pas significative (p = 0.7544). Une deuxième ANOVA 2 × 2 (Condition (Seul vs à Deux) et Attribution (Autrui vs Personne)) montre que les sujets font autant d’erreurs sur les mots attribués à autrui que sur ceux attribués à personne (Effet d’attribution non significatif, p = 0, 1328). Ce comportement est observé en condition Seul comme à Deux (Effet de condition non significatif, p = 0, 9195). L’interaction n’est pas significative (p = 0, 8399). 3.4.3 Biais égocentrique L’indicateur BE mesure l’intensité du biais égocentrique des sujets en mémoire partagée. Une comparaison de moyenne (t-test de Student) montre que les patients MH présentent un biais égocentrique plus important que celui des sujets sains (t = 3, 577, p = 0, 0010). 3.5 Discussion de l’expérience de mémoire partagée Les résultats en rappel libre montre que les sujets sains ont une meilleure mémoire des mots d’autrui que de ceux attribués à personne. Il s’agit du phénomène de « mémoire partagée » introduit par Sebanz (non publié). Les patients MH ne montrent pas ce type de comportement. Ils se souviennent essentiellement des mots appartenant à leur catégorie et ont un meilleure identique pour les mots d’autrui et les mots de personne. Ils présentent un biais égocentrique prononcé par rapport aux sujets sains, du moins dans le domaine de la mémoire. Des études de fluence verbale (Cardebat et al. , 1990; Capitani et al. , 1999) ont montré que le sexe du sujet peut influencer la performance en fluence verbale sémantique. Par exemple, les performances des femmes pour les catégories « fruits » et « meubles » sont meilleures que celles des hommes, tandis que les hommes sont meilleurs que les femmes pour la catégorie « outils ». De ce fait, nous avons été extrêmement prudents dans la répartition des catégories aux sujets. Nous avons réparti de la façon la plus homogène possible les catégories entre d’une part, les patients hommes et femmes et d’autre part, les sujets sains hommes et femmes. 23 Un test de khi-deux avec pour facteurs la catégorie sémantique (Animaux, Fruits/légumes, Objets) et le sexe (homme, femme) montre que les répartitions des catégories chez les patients, comme chez les sujets sains sont homogènes. Les effets de mémoire partagée décrits chez les sujets sains, de même que l’absence de mémoire partagée chez les patients MH, sont donc bien imputables à l’influence de la présence d’autrui et non à la nature de l’interaction entre le sexe du sujet et la catégorie sémantique qui lui a été attribuée. On pourrait également critiquer l’influence du changement de couleur sur la mémorisation des mots par le sujet testé. En effet, l’expérience a été programmée de telle sorte que chacun des mots soit présenté durant 3 secondes, ce qui n’était pas le cas dans l’étude de N. Sebanz dont nous nous sommes inspirés. Dans le protocole utilisé par son équipe, les sujets devaient appuyer aussi vite que possible sur une touche donnée du clavier chaque fois qu’un mot appartenant à la catégorie qui leur avait été attribuée apparaissait sur l’écran. Le mot disparaissait alors, dès que le sujet avait appuyé. Les sujets sains ayant un temps de réaction significativement plus court que celui des patients MH, nous avons préféré fixer le temps de présentation des mots, afin de ne pas pénaliser les patients MH par rapport aux sujets sains. En effet, si les mots disparaissaient dès qu’un sujet y répondait en appuyant sur une touche du clavier, les mots appartenant à la catégorie attribuée aux sujets sains seraient en moyenne présentés moins longtemps sur l’écran que ceux auxquels les patients MH répondent. Toutefois, afin de différencier les mots pour lesquels une action est accomplie – par soi ou par autrui – des mots appartenant à la catégorie attribuée à personne, nous avons introduit un changement dans la présentation des mots : lorsqu’un sujet répond en appuyant sur une touche du clavier, le mot change de couleur. De noir, le mot passe à une couleur bleue foncée (RGB : 0, 0, 128), que nous avons jugée suffisamment différente du noir initial pour que le changement de couleur soit visible, sans être trop saillante et donc distrayante. Nos résultats montrent que, dans la condition « à Deux » les patients MH n’ont pas une meilleure des mots attribués à autrui – qui changent de couleur – que des mots attribués à personne – qui ne changent pas de couleur. Le changement de couleur ne fait donc que mettre en valeur la réalisation de l’action (« appuyer sur une touche du clavier ») qui sans cela pourrait se révéler trop discrète pour être détectée par les patients MH dont les capacités attentionnelles, notamment d’attention partagée, sont affectées par la maladie. La description clinique des patients souligne un biais égocentrique comportemental important. Les composantes de l’interaction sociale ne se limitant pas au domaine de la mémoire, il est important d’explorer les autres domaines dans lequel le biais égocentrique pourrait s’exprimer. 24 Essai 1 Essai 1 éléphant koala Essai 2 Essai 2 oreiller saladier Essai 3 Essai 3 tomate citron F IGURE 3 – Principe de la tâche de catégorisation (expérience de mémoire partagée). La tâche de catégorisation comprend deux conditions : une condition de catégorisation seul et une condition de catégorisation à deux. Durant la condition de catégorisation seul, le sujet appuie sur une touche du clavier chaque fois qu’un mot appartenant à la catégorie sémantique qui lui a été attribuée (ici, la catégorie animaux) apparaît sur l’écran. Il répond ainsi à 1/3 des mots présentés. Durant la condition de catégorisation à deux, le sujet continue d’appuyer sur une touche du clavier chaque fois qu’un mot de sa catégorie apparaît sur l’écran. Il répond à 1/3 des mots présentés. L’expérimentateur, à qui une autre catégorie sémantique a été attribuée (ici, fruits/légumes), appuie sur une autre touche du clavier chaque fois qu’un mot de sa catégorie apparaît sur l’écran. Il répond également à un 1/3 des mots. Le tiers restant correspond aux mots de la catégorie qui n’a été attribuée à personne et auxquels personne ne répond. Écran de fixation 1s Présentation du mot panda 3s Écran blanc 1.5 s F IGURE 4 – Présentation des stimuli durant la tâche de catégorisation (expérience de mémoire partagée) 25 Mots 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 Soi Autrui Personne Soi Condition Seul Autrui Personne Condition à Deux F IGURE 5 – Moyenne des mots énoncés en rappel libre par les sujets sains. Les mots sont classés en fonction de la condition durant laquelle ils ont été présentés (condition seul ou à deux) et de leur attribution (Soi, Autrui, Personne). Mots 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 Soi Autrui Personne Soi Condition Seul Autrui Personne Condition à Deux F IGURE 6 – Moyenne des mots énoncés en rappel libre par les patients MH. Les mots sont classés en fonction de la condition durant laquelle ils ont été présentés (condition seul ou à deux) et de leur attribution (Soi, Autrui, Personne). 26 Erreurs (mots) 5 4 3 2 1 0 Soi Autrui Personne Soi Condition Seul Autrui Personne Condition à Deux F IGURE 7 – Moyenne des erreurs effectuées en choix forcé par les sujets sains. Les mots sont classés en fonction de la condition durant laquelle ils ont été présentés (condition seul ou à deux) et de leur attribution (Soi, Autrui, Personne). Erreurs (mots) 5 4 3 2 1 0 Soi Autrui Personne Soi Condition Seul Autrui Personne Condition à Deux F IGURE 8 – Moyenne des erreurs effectuées en choix forcé par les patients MH. Les mots sont classés en fonction de la condition durant laquelle ils ont été présentés (condition seul ou à deux) et de leur attribution (Soi, Autrui, Personne). 27 28 4 Mesure de la distance interpersonnelle 4.1 Protocole expérimental et matériel La distance interpersonnelle des sujets est mesurée au cours de deux tâches. Durant la première, on de- mande au sujet de s’approcher de l’expérimentateur jusqu’à une distance qui lui semble optimale pour engager une conversation avec ce dernier. Cette distance notée DIPsoi est mesurée à l’aide d’un pointeur laser (Stanley, Tru Laser, TLM 130I), posé contre le sternum de l’expérimentateur et pointé vers le sternum du sujet. Durant la deuxième tâche, le sujet reste immobile. L’expérimentateur s’avance vers le sujet, auquel il demandé d’arrêter verbalement l’expérimentateur (en lui disant « Stop ») lorsque ce dernier se trouve à une distance notée DIPautrui que le sujet juge optimale pour entamer une conversation. Cette distance est également mesurée. 4.2 Analyse Les mesures de la DIPsoi et de la DIPautrui des sujets sains et des patients MH sont comparées au moyen de tests de comparaison de moyenne (t-tests de Student). La corrélation entre les distances interpersonnelles DIPsoi et DIPautrui est calculée, ainsi que la corrélation entre chacune de ces distances et le biais égocentrique mesurée en mémoire partagée. 4.3 Résultats Chez les sujets sains comme chez les patients MH, il n’y a pas de corrélation entre la DIPsoi et la DIPautrui (sujets sains : r = 0, 0034, p = 0, 6859 ; patients MH : r = 0, p = 0, 8952). La comparaison des moyennes de la DIPsoi et de la DIPautrui ne montrent pas de différence significative ni chez les sujets sains (t = 1, 6112, p = 0, 1280), ni chez les patients MH (t = 0, 5930, p = 0, 5620). Il n’y a de différence significative ni entre la DIPsoi des sujets sains et des patients MH (t = 1, 7432, p = 0, 0915), ni entre la DIPautrui des sujets sains et des patients (t = 1, 8135, p = 0, 0798). Néanmoins, il est envisageable qu’avec un plus grand nombre de mesures cette différence puisse être significative. La corrélation de la DIPsoi et du biais égocentrique n’est significative ni chez les sujets sains, ni chez les patients MH (sujets sains : r = 0, 2414, p = 0, 3678 ; patients MH : r = 0.1681, p = 0, 5492). Il en est de même pour la DIPautrui (sujets sains : r = 0, 2651, p = 0, 3211 ; patients MH : r = 0, 3379, p = 0, 2180). 4.4 Discussion partielle L’absence de différence significative entre les mesures de distance interpersonnelle des sujets sains et celles des patients MH suggère une gestion de l’espace social non altérée dans la MH. L’absence de corrélation entre distance interpersonnelle et biais égocentrique laisse quant à elle penser que si le biais égocentrique des patients MH est incontestable en mémoire partagée, il n’existe pas dans le domaine spatial : le biais égocentrique serait domaine-dépendant. Néanmoins le faible nombre de mesures par sujet (une mesure par sujet pour chaque distance) rend ces résultats difficiles à interpréter. Réitérer l’expérience en augmentant le nombre de mesures pour la DIPsoi et pour la DIPautrui et en effectuant les mesures avec deux expérimentateurs différents permettrait de consolider nos résultats. 29 Distance (m) .70 .60 .50 .40 .30 .20 .10 0 Sujets sains Sujets sains Patients DIPSoi Patients DIPAutrui F IGURE 9 – Distances interpersonnelles mesurées chez les sujets sains (orange) et chez les patients MH (bleu). La DIPSoi correspond à la distance interpersonnelle mesurée lorsque le sujet s’approche de l’expérimentateur, la DIPAutrui correspond à la distance interpersonnelle mesurée lorsque l’expérimentateur s’approche du sujet. Dans le cadre de l’exploration des différents domaines de l’interaction sociale, nous nous sommes également intéressés à la relation entre le biais égocentrique et le domaine affectif. Pour cela, nous avons soumis chaque sujet au questionnaire d’empathie de Mehrabian (2000). 30 5 Questionnaire d’empathie 5.1 Protocole expérimentale et matériel Nous utilisons une version du questionnaire BEES de Mehrabian, traduite en français (C. Delanaye et L. Mendlewicz) et modifiée pour une utilisation auprès de patients atteints de la maladie de Huntington (C. Jacquemot, A.-C. Bachoud-Lévi et I. Trinkler, 2003). Ce questionnaire comporte 30 assertions. Pour chacune d’entre elles, il est demandé au sujet d’exprimer son degré d’accord ou de désaccord avec chaque assertion, à l’aide d’une échelle de notation allant de +3 (très fortement d’accord) à -3 (très fortement en désaccord). Quinze des 30 phrases sont formulées positivement : l’accord du sujet avec la phrase correspond à un haut niveau d’empathie. Les 15 autres phrases sont formulées négativement : l’accord du sujet avec la phrase correspond cette fois-ci à un faible niveau d’empathie. Cette construction du questionnaire permet de neutraliser le biais d’acquiescement, à savoir la tendance de certains sujets à être toujours en accord ou toujours en désaccord avec les assertions qu’on leur propose. Chaque assertion est lue à voix haute par l’expérimentateur qui note ensuite la réponse des sujets sur le questionnaire, visible des sujets. 5.2 Analyse Les scores d’empathie des sujets sont calculés en faisant la somme algébrique de leurs réponses aux phrases formulées positivement et en soustrayant de cette quantité leurs réponses aux phrases formulées négativement. Les scores des patients MH sont comparés à ceux de sujets sains à l’aide de tests de comparaison de moyenne (t-tests de Student). Et la corrélation entre les scores des patients et l’intensité du biais égocentrique est calculée. 5.3 Résultats La comparaison des scores d’empathie des sujets sains et des patients MH montrent que les sujets sains sont significativement plus empathiques que les patients MH (t = 6, 079, p = 0). Il n’y a de corrélation significative ni entre les scores des sujets sains et leur biais égocentrique en mémoire partagée (r = −0, 2054, p = 0, 4291), ni entre les scores des patients MH et leur biais égocentrique (r = −0, 1763, p = 0, 4702). 5.4 Discussion des données d’empathie D’après le questionnaire de Mehrabian, les patients MH sont moins empathiques que ne le sont les sujets sains. L’absence de corrélation entre le biais égocentrique et l’empathie émotionnelle mesurée par le questionnaire suggère la non unicité de la représentation d’autrui. En effet, les patients éprouvant le plus de difficulté à prendre en compte autrui dans l’expérience de mémoire partagée ne sont pas ceux présentant le plus faible niveau d’empathie émotionnelle. Il existe un découplage entre la capacité à co-représenter l’action d’autrui et la capacité à éprouver ce que l’autre ressent. 31 Score BEES 60 50 40 30 20 10 0 Sujets sains Patients F IGURE 10 – Scores d’empathie mesurés chez les sujets sains (orange) et chez les patients MH (bleu). 6 Liens entre comportement et biais égocentrique 6.1 Analyse Les corrélations entre les données neuropsychologiques des patients sont calculées et corrigées à l’aide d’une correction de Bonferroni (TABLE 2). 6.2 Résultats Aucune corrélation n’est trouvée entre le biais égocentrique mesuré en mémoire partagée et les scores des patients aux évaluations neuropsychologiques. 32 33 HLVT TMTB TFC UHDRSB UHDRSM MADRS AgeDebutMH DIP_A_P DIP_SOI_P Empathie_P BE_P 1.0000 — -0.4778 (1.0000) -0.6377 (0.7785) -0.4040 (1.0000) -0.2106 (1.0000) -0.2409 (1.0000) -0.5093 (1.0000) -0.0423 (1.0000) -0.0970 (1.0000) 0.0897 (1.0000) (1.0000) 0.1681 (1.0000) 0.3379 (1.0000) -0.3658 (1.0000) 0.2357 (1.0000) -0.0760 (1.0000) 0.1347 (1.0000) 0.1571 (1.0000) -0.6535 (1.0000) -0.4694 (1.0000) Empathie_P -0.2054 — 1.0000 BE_P (1.0000) -0.0500 (1.0000) -0.0646 (1.0000) 0.0421 (1.0000) 0.4456 (1.0000) -0.2161 (1.0000) 0.6842 (1.0000) 0.3666 — 1.0000 DIP_A_P (1.0000) 0.0727 (1.0000) 0.4028 (1.0000) 0.1963 (1.0000) 0.3448 (1.0000) -0.2040 (1.0000) 0.0393 — 1.0000 AgeDebutMH (1.0000) -0.1363 (1.0000) 0.3510 (1.0000) 0.3684 (0.2468) 0.9096 (1.0000) -0.2742 — 1.0000 MADRS (0.9241) -0.7629 (1.0000) -0.4280 (0.1185) -0.7916 (1.0000) 0.0115 — 1.0000 UHDRSM TABLE 2 – Comportement et biais égocentrique (1.0000) 0.0231 (1.0000) 0.2115 (1.0000) 0.6777 (1.0000) 0.5221 (0.2556) -0.7798 (0.6560) 0.8238 (1.0000) 0.4463 (0.1845) 0.6859 — 1.0000 DIP_SOI_P (1.0000) -0.1399 (1.0000) 0.5888 (1.0000) 0.2034 — 1.0000 UHDRSB (1.0000) 0.4686 (1.0000) 0.4920 — 1.0000 TFC (1.0000) 0.6038 — 1.0000 TMTB — 1.0000 HLVT 34 7 Discussion Notre travail avait pour objectif de mettre en évidence les bases expérimentales du biais égocentrique chez les patients MH. Dans une première expérience nous avons démontré l’existence d’un biais égocentrique chez les patients MH dans le domaine de la mémoire. Contrairement aux sujets sains, les patients MH ne mémorisent pas les informations nécessaires à la réalisation de la tâche d’autrui, mais seulement celles en rapport avec la leur. Ce biais égocentrique semble également présent dans le domaine spatial. Les patients MH tendent en effet à s’approcher davantage d’autrui et à laisser autrui s’approcher davantage d’eux que les sujets sains. Enfin, ils sont aussi moins empathiques que les sujets sains, moins susceptibles de ressentir ce qu’autrui ressent. Néanmoins le biais égocentrique observé dans la tâche de mémoire partagée n’est corrélé ni à la distance interpersonnelle des sujets, ni à leur score d’empathie, suggérant que le biais égocentrique mis en évidence est domaine-dépendant. Aucune corrélation entre le biais égocentrique et les scores aux tests neuropsychologiques évaluant le comportement des patients, leur inflexibilité mentale et leur capacité mnésiques n’a été observée. Le biais égocentrique et les capacités motrices des patients sont également décorrélées, suggérant que le biais égocentrique ne s’aggrave pas avec l’évolution de la maladie. 7.1 Les patients MH présentent un biais égocentrique L’expérience de mémoire partagée démontre expérimentalement pour la première fois l’existence du biais égocentrique chez les patients MH. En effet, si les patients sont souvent décrits comme égocentriques (Paulsen et al. , 2001; Snowden et al. , 2003; Rosenblatt, 2007), les études qui existent sur la cognition sociale des patients MH se sont intéressées exclusivement à leurs déficits des processus de la cognition sociale, à savoir leurs difficultés à reconnaître et produire les émotions (Sprengelmeyer et al. , 1997, 1998; Hayes et al. , 2007; de Gelder et al. , 2008; Snowden et al. , 2008; Calder et al. , 2010; Trinkler et al. , 2011) et leurs déficits de la théorie de l’esprit (Snowden et al. , 2003; Brüne et al. , 2011; Allain et al. , 2011). Nous montrons ici l’existence d’un biais égocentrique qui semble s’apparenter à une forme exacerbée de celui décrit par Greenberg (1983) chez les sujets sains. Dans son expérience, les sujets sains tendaient à ne pas prendre en compte autrui lorsqu’ils n’y étaient pas incités. De même, la performance des patients MH dans l’expérience de mémoire partagée n’est pas influencée par la présence d’un examinateur effectuant la tâche à leurs côtés. Les patients semblent donc ne pas faire de différence entre la condition « Seul » et la condition « à Deux » : ils ne tiennent pas compte de la présence d’autrui. La description des patients MH par leur entourage corrobore notre démonstration de l’existence d’un biais égocentrique. En effet, les patients sont souvent dits irritables par leurs proches, et cela, à tels point que ces derniers évitent toute situation, tout acte pouvant irriter le patient (Craufurd et al. , 2001; Paulsen et al. , 2001; Rosenblatt, 2007; Redeeker et al. , 2012). Ils ne supportent pas de voir leur routine changée (Rosenblatt, 2007; Thompson et al. , 2012) et ont un seuil de tolérance à la frustration moins élevé que la moyenne des sujets sains. Mentalement inflexibles, ils présentent parfois des idées fixes qui n’ont que peu de rapport avec la réalité (Snowden et al. , 2003; Rosenblatt, 2007). Lorsqu’ils sont convaincus d’un fait – même si celui-ci s’avère erroné – leurs proches ne parviennent pas à les en détacher. Rosenblatt (2007) conseille aux familles de « choisir leurs combats », de ne contredire le patient que lorsque sa sécurité est en jeu, car certains patients peuvent s’avérer très obstinés, voire « incorrigibles » au dire des proches. 35 Cette description du comportement des patients MH qui suggère l’existence du biais égocentrique que nous avons mis en évidence – et qui est à l’origine de notre étude – est semblable à la description par Frith & de Vignemont (2005) du comportement des patients atteints du syndrome d’Asperger. Les auteurs citent l’exemple d’un enfant précoce, Bernard, diagnostiqué avec le syndrome d’Asperger. Petit, il inventait des jeux aux règles complexes que les autres enfants ne comprenaient pas. Et lorsque ses camarades refusaient de jouer avec lui, il se mettait en colère contre eux. A l’école, élève très doué, ses professeurs le disaient incapables de travailler en groupe. Il apprenait par ailleurs vite, mais refusait de suivre le programme. Maintenant adolescent, il vit avec ses parents et se plaint de devoir se conformer à leurs règles de vie. Lorsque sa mère a dû séjourner à l’hôpital, il était agacé de voir sa routine modifiée. La description de Bernard est très semblable à celle souvent faite des patients MH par leurs proches, ce qui suggère une similitude entre le biais égocentrique démontré chez les patients MH et le comportement égocentré des patients atteints du syndrome d’Asperger. Il est cependant difficile de pousser plus loin la comparaison, les mécanismes sous-jacents à ces deux comportements égocentrés pouvant être tout à fait distincts. Toutefois, dans cet article qui porte sur l’égocentrisme chez les patients atteints du syndrome d’Asperger, Frith & de Vignemont (2005) suggèrent que l’étude de la théorie de l’esprit des patients ne suffit pas à expliquer leur comportement égocentré. Or une tâche de mémoire partagée telle que celle que nous avons utilisée pourrait permettre de démontrer expérimentalement chez ces patients l’existence d’un biais égocentrique. 7.2 Nature du déficit à l’origine du biais égocentrique des patients MH Les travaux de Cohen (1981) et d’Englekamp et al. (2004) ont montré que les sujets sains mémorisent mieux les phrases qui décrivent une action qu’ils ont eux-mêmes réalisée que les phrases décrivant une action qu’ils n’ont pas accomplie. Par exemple, la phrase « fermer la boîte » est mieux mémorisée lorsqu’on demande aux sujets de lire la phrase et d’effectuer l’action, que lorsqu’on leur demande de simplement lire la phrase. Il s’agit de l’effet d’« enactment ». Dans notre expérience de mémoire partagée, on s’attend à ce que les sujets sains, comme les patients aient une meilleure mémoire des mots pour lesquelles ils ont dû accomplir une action de catégorisation que des mots pour lesquels ils n’ont pas eu à accomplir cette action. En effet, afin d’accomplir leur propre tâche de catégorisation, les sujets sains, comme les patients, doivent se souvenir de la catégorie sémantique qui leur a été attribuée et doivent, pour chaque mot présenté, se demander si le mot appartient ou non à cette catégorie. Si les sujets sains simulent l’action d’autrui, ils mémorisent également la catégorie attribuée à autrui et se demandent pour chaque mot présenté non seulement si le mot appartient à la catégorie qui leur a été attribuée, mais aussi si ce mot appartient à la catégorie attribuée à autrui. Chez les sujets sains, on s’attend donc à ce que l’effet d’enactment soit observé pour les mots appartenant à la catégorie attribuée à soi, mais aussi pour les mots appartenant à la catégorie attribuée à autrui. En revanche, si les patients MH présentent un biais égocentrique, ils ne devraient pas être sensible à l’effet d’enactment pour les mots de la catégorie d’autrui. Nos résultats montrent effectivement que les patients MH mémorisent mieux les mots appartenant à la catégorie qui leur a été attribuée que les mots appartenant à la catégorie qui n’a été attribuée à personne. Et ils n’ont pas une meilleure mémoire des mots appartenant à la catégorie attribuée à autrui que des mots appartenant à la catégorie qui n’a été attribuée à personne. L’effet d’enactment est donc observé chez les patients MH uniquement pour les actions qu’ils accomplissent eux-mêmes. Les actions accomplies par autrui ne leur permettent pas de mieux mémoriser les mots auxquels ces actions sont associées. A l’inverse, les sujets sains qui réalisent l’expérience de mémoire partagée se représentent l’action d’autrui 36 comme ils se représentent la leur : ils simulent l’action de l’expérimentateur lorsque c’est à son tour d’agir. Les résultats des tests de mémoire montrent qu’ils mémorisent non seulement l’information dont ils ont besoin pour réaliser leur tâche, mais aussi l’information dont l’expérimentateur a besoin pour réaliser la sienne. Le fait que les sujets sains aient une meilleure mémoire des mots appartenant à la catégorie attribuée à autrui suggère que l’effet d’enactment est valable non seulement pour les mots associés à une action du sujet, mais aussi pour les mots associés à une action du co-acteur. L’absence du phénomène de mémoire partagée chez les patients MH peut s’expliquer de deux façons : soit les patients MH ne se représentent pas les actions d’autrui, comme le font les sujets sains, soit ils se les représentent mais ne mémorisent pas les informations nécessaires à la réalisation de la tâche de l’autre. Dans le premier cas, le biais égocentrique des patients s’expliquent par une représentation de l’action d’autrui déficiente par rapport à celle construite par un sujet sain. Dans le second cas, le biais égocentrique observé s’expliquerait par une absence d’encodage de l’information non pertinente pour soi, mais pertinente pour autrui. Nos données ne nous permettent pas de trancher entre ces deux hypothèses. Pour déterminer l’étape déficitaire chez les patients MH, il nous faudrait tester la capacité des patients à se représenter l’action d’autrui. Sebanz et collègues ont réalisé une étude en électroencéphalographie (EEG) utilisant la tâche de compatibilité spatiale décrite dans l’introduction. L’expérience comprend deux conditions : Seul et à Deux. Dans la condition Seul, le sujet réalise une tâche de type « go-no go » durant laquelle on lui présente sur un écran une main portant une bague qui peut être soit verte, soit rouge. Chaque sujet répond à une seule couleur en appuyant sur un bouton. Par exemple, si on lui assigne la couleur rouge, il doit appuyer sur un bouton à chaque fois que la bague présentée sur l’écran est rouge et il ne fait rien lorsque la bague est verte. La main portant la bague pointe soit la gauche de l’écran, soit la droite. La direction dans laquelle la main pointe n’est pas une information pertinente pour le sujet, qui ne doit prendre en compte que la couleur de la bague. Il y a donc des essais où l’information de couleur et l’information non pertinente (direction dans laquelle pointe la main) sont compatibles et des essais où ces deux informations sont incompatibles. Dans la condition à Deux, deux sujets assis côte à côte réalisent chacun une tâche de « go-no go » : la couleur rouge est assignée à l’un, la couleur verte est assignée à l’autre. Les auteurs ont montré que lorsqu’un stimulus associé à l’action du co-acteur (autrui) est présenté à l’écran, il élicite une réponse électrophysiologique dans les régions frontales identique à celle élicitée par un stimulus associé à l’action du sujet (soi). Il semble que les sujets sains représentent l’action d’autrui de la même façon que la leur. De plus, pour chaque sujet, la présentation d’un stimulus associée à une action d’autrui génère une P300 dont l’amplitude est plus élevée dans la condition à Deux que dans la condition Seul. Ce dernier résultat suggère que l’action d’autrui est simulée par les sujets sains et que cette action doit être inhibée. Cette étude de Sebanz montre donc que les sujets sains, placés dans un contexte social, représentent l’action d’autrui. Coupler l’expérience de mémoire partagée que nous avons mise en place chez les patients MH à un enregistrement des activités cérébrales en EEG nous permettrait donc de répondre à la question de l’existence ou non d’une représentation des actions d’autrui chez les patients MH. L’adaptation d’une deuxième expérience mise en place par de Langavant et al. (2011b) chez les sujets sains complèterait cette première approche de l’étude de la représentation d’autrui chez les patients MH. Il s’agit d’une expérience où les sujets testés doivent désigner des objets posés sur une table située face à eux. Un expérimentateur est assis à leur gauche, un autre est assis à leur droite. Deux conditions sont testées : la désignation communicative et la désignation non communicative. Dans la condition « désignation communicative », il est demandé aux sujets de montrer un des objets posés devant eux soit à l’expérimentateur assis à leur gauche, soit à l’expérimentateur assis à leur droite. Par exemple, l’instruction pouvait être « montrer la gomme à Gilles ». 37 Dans la condition « désignation non communicative », il est demandé aux sujets de désigner un objet, sans intention de communication. L’instruction pouvait alors être « montrer la gomme ». Les auteurs ont montré que la trajectoire du doigt désignant l’objet varie selon que le sujet montre un objet à un expérimentateur ou qu’il le montre sans intention de communication. En effet, dans la condition de « désignation communicative », la trajectoire du doigt pointant l’objet est différente de celle observée dans la condition de « désignation non communicative ». de Langavant et al. suggèrent que cette modification de la trajectoire de pointage est due au fait que dans la désignation communicative, le sujet doit diriger son attention vers autrui, capturer l’attention de ce dernier, prendre en compte le point de vue d’autrui et enfin interagir avec autrui à propos de l’objet désigné. Si les patients MH présentent un biais égocentrique car ils ne tiennent pas compte d’autrui, dans l’expérience de de Langavant et al. décrite ci-dessus, ils ne devraient pas présenter la différence observée chez les sujets sains entre les trajectoires de désignation en condition de « désignation communicative » et en condition de « désignation non communicative ». 7.3 Déficit de la gestion de l’espace social chez les patients MH Les patients MH ont tendance à s’approcher plus d’autrui et à se laisser approcher davantage par autrui que les sujets sains. Cette différence comportementale dans la gestion de l’espace social des patients MH par rapport aux sujets sains est cohérente avec l’existence du biais égocentrique dans la MH. En effet, un patient qui ne tient pas compte d’autrui aura tendance à ne pas respecter l’espace social de l’autre. On aurait cependant pu penser que les mouvements choréiques des patients MH susciteraient un trouble de la gestion de l’espace social inverse. Pour éviter de heurter autrui, on aurait pu supposer que les patients MH auraient plutôt tendance à présenter une distance interpersonnelle plus importante que celle des sujets sains. Néanmoins les travaux de Snowden et al. (1998) et ceux de Ho et al. (2006) montrent un déficit de l’« insight » chez les patients MH. Ils sont peu conscients des mouvements involontaires qu’ils effectuent. Ce déficit de l’insight, couplé au biais égocentrique des patients, pourrait expliquer que bien que sujets à des mouvements choréiques, les patients MH aient tendance à s’approcher davantage d’autrui et à se laisser davantage approcher que les sujets sains. Le déficit d’insight présenté par les patients MH affecte non seulement la capacité des patients à juger de la sévérité de leurs troubles moteurs, mais aussi leur capacité à estimer leurs aptitudes comportementales. En effet, l’étude de Ho et collègues montrent que les patients MH sous-estiment la sévérité de leurs troubles du comportement de 26 % par rapport au jugement de leurs proches. Vérifier l’existence d’un lien entre ce déficit d’insight et le biais égocentrique pourrait éclairer le comportement égocentré des patients MH. Un patient qui ne s’aperçoit pas qu’il se comporte de manière égocentré ne peut corriger son comportement, ce qui aboutirait à un biais égocentrique observable. L’expérience de Greenberg (1983) a montré que des sujets sains incités à se considérer comme semblable à autrui ne présentaient pas de biais égocentrique. Le même mécanisme pourrait exister chez les patients MH. Réaliser l’expérience de mémoire partagée en incitant les patients MH à prêter attention aux actions d’autrui nous renseignerait sur le lien entre capacité d’insight et biais égocentrique. 7.4 Déficit de l’empathie chez les patients MH Dans notre étude, les patients MH présentent des scores d’empathie inférieurs à ceux des sujets sains. Ils sont moins susceptibles que les sujets sains de ressentir ce qu’autrui ressent. Il a été démontré que la MH affecte la capacité des patients à reconnaître les émotions positives comme négatives (Sprengelmeyer et al. , 1997, 1998; Hayes et al. , 2007; de Gelder et al. , 2008; Snowden et al. , 2008; Calder et al. , 2010; Trinkler et al. , 38 2011). Une atteinte des capacités d’empathie des patients est donc cohérente avec ces déficits de la perception des émotions : en effet, un patient incapable de reconnaître les émotions d’autrui est moins susceptible de ressentir ce qu’autrui ressent. L’étude de Trinkler et al. (2011) avait montré que les scores d’empathie des patients MH étaient similaires à ceux des sujets sains. Une comparaison de nos données à celles de Trinkler et al. montre que les résultats des patients MH testés dans les deux études sont semblables (t = 0, 892, p < 0, 05). Ce sont les scores des sujets sains testés qui diffèrent (Trinkler et al. (2011) : score moyen des sujets sains = 33 ; notre étude : score moyen des sujets sains = 61). Cette différence peut s’expliquer par l’échantillonnage effectué. En effet, dans notre étude, davantage de femmes ont été testées parmi les sujets sains que dans l’étude de Trinkler et al. (aucune différence n’a cependant été montrée entre la distribution en genre des patients et des sujets sains) : 14 femmes et 5 hommes ont été testés dans notre étude, tandis que 6 femmes et 7 hommes ont été testés dans l’étude de Trinkler et al. . Or, Mehrabian (2000) a montré que les femmes étaient en moyenne plus empathiques que les hommes (score moyen des femmes = 60 ± 21, score moyen des hommes = 29 ± 28). De plus, contrairement à l’étude précédente, nous n’avons pas testé les conjoints des patients, afin d’obtenir un échantillon de sujets sains homogène et ne présentant aucun trouble du comportement, la maladie du conjoint pouvant être à l’origine de troubles psychiatriques chez certains sujets. Enfin, on discerne une tendance dans l’étude de Trinkler et al. qui peut ne pas avoir été significative en raison du plus faible nombre de sujets testés (13 dans l’étude de Trinkler et al. contre 19 ici). 7.5 Le biais égocentrique des patients MH semble domaine-dépendant Aucune corrélation n’a été trouvée entre le biais égocentrique et la distance interpersonnelle des sujets sains et des patients MH d’une part, et entre le biais égocentrique et les scores d’empathie des sujets sains et des patients MH d’autre part. Ces résultats suggèrent que le biais égocentrique est domaine-dépendant. La représentation d’autrui dans le domaine de l’action jointe et de la mémoire ne serait pas la même que la représentation d’autrui dans le domaine spatial ou dans le domaine affectif. Une exploration des mécanismes sous-jacents au biais égocentrique, ainsi qu’une étude plus approfondie de la distance interpersonnelle chez les patients MH devraient nous renseigner sur la nature de la représentation d’autrui et confirmer la dépendance au domaine d’application du biais égocentrique. En effet, le faible nombre de mesures des distances interpersonnelles effectuées par sujet rend la tendance observée ici difficile à interpréter. Nous répéterons l’expérience de mesure de la distance interpersonnelle chez les sujets sains et les patients MH en augmentant le nombre de mesure par sujet et en effectuant chaque mesure avec deux expérimentateurs différents, afin de minimiser l’effet de l’expérimentateur. 7.6 Liens entre biais égocentrique et comportement des patients MH Rares sont les études qui lient facultés neuropsychologiques et comportement des sujets. Nous avons voulu établir le lien entre le biais égocentrique des patients MH et leur comportement dans la vie quotidienne en étudiant le lien entre le biais égocentrique et les scores des patients MH à l’UHDRS comportemental et à la Total Functional Capacity (TFC) (composantes de l’Unified Huntington’s Disease Rating Scale ou UHDRS). L’UHDRS comportemental évalue le comportement des patients en termes de tristesse, d’estime de soi, d’anxiété, de tendances suicidaires, d’agressivité, d’irritabilité, de comportements obsessionnels, de comportements compulsifs, de fantasmes et d’hallucinations. L’échelle TFC évalue quant à elle la capacité du patient à occuper un emploi, à gérer ses finances, à effectuer les tâches ménagères, à gérer les tâches de la vie quotidienne, à 39 prendre soin de lui. Aucune corrélation n’a été établie entre le biais égocentrique des patients et leurs scores à ces tests. Les items composant chacun de ces questionnaires étant très variés, il aurait été intéressant de ne s’intéresser qu’au lien entre le biais égocentrique et les sous-parties de l’UHDRS comportemental qui portent sur les comportements agressifs et l’irritabilité. Je ne disposais cependant pas de ces scores. Aucune corrélation n’a non plus été démontrée entre le biais égocentrique et le score à l’UHDRS moteur, suggérant une absence de lien entre la sévérité des troubles moteurs et l’intensité du biais égocentrique. Le score à l’UHDRS est très lié à la progression de la maladie, une absence de corrélation laisse donc supposer soit que le biais égocentrique ne s’aggraverait pas avec l’évolution de la maladie, soit qu’il existe un effet protecteur contre l’aggravation du biais égocentrique. La relation entre troubles moteurs et biais égocentrique semble complexe : ne pas tenir compte d’autrui est sans doute le résultat d’une interaction entre par exemple les capacités attentionnelles, émotionnelles et de flexibilité mentale des patients. Aucune corrélation n’a été montrée entre le biais égocentrique des patients et leurs performances au Trail Making Task B, qui mesure la flexibilité mentale des sujets testés. Le biais égocentrique des patients MH ne serait donc pas liée à leur inflexibilité. Si leur performance en mémoire partagée n’est pas influencée par la présence d’autrui, ce n’est donc pas parce concentrés sur leur tâche, ils ne peuvent alterner entre la représentation de leur tâche et celle d’autrui. Le déficit d’attention partagée des patients MH pourrait également être à l’origine de leur biais égocentrique. La corrélation entre ce dernier et les scores des patients au test de barrage de signes permettrait de mettre en évidence l’existence d’un éventuel lien entre attention partagée et biais égocentrique. Enfin, nous proposons de réitérer chez des patients MH et des sujets sains l’expérience de mémoire partagée en demandant cette fois-ci explicitement aux sujets de prêter attention aux actions d’autrui durant la phase de catégorisation à deux. Si le biais égocentrique des patients MH est lié à leurs déficits en attention partagée, ils devraient obtenir dans cette expérience les mêmes résultats que ceux présentés dans cette étude. 7.7 Le biais égocentrique : perspectives Chez l’adulte, il a été montré que les individus dépressifs étaient plus égocentriques que les sujets sains (Baron & Hanna, 1990). On pourrait donc objecter à notre étude que le biais égocentrique des patients MH n’est pas spécifique aux maladies neurodégénératives, mais caractéristique des patients atteints de maladie grave. Un patient souffrant d’une maladie incurable est plus susceptible qu’un sujet sain de développer une dépression. Par conséquent, il est aussi plus susceptible de se replier sur lui-même et donc de présenter un comportement égocentré. Le biais égocentrique que nous avons démontré pourrait donc soit avoir une base neurologique, soit être lié à la dépression engendrée par le diagnostic de la MH. Cependant, les descriptions des patients MH, comme celles des patients atteints du syndrome d’Asperger, sont souvent différentes de celles des comportements égocentrés chez le sujet dépressif (Baron & Hanna, 1990), qui relèveraient plus de la focalisation sur soi que du fait de ne pas tenir compte d’autrui. Toutefois, nous avons prévu de tester sur l’expérience de mémoire partagée des patients atteints d’arthroses sévères. Il s”agit là d’une maladie grave non neurologique. Si les patients atteints d’arthroses sévères ne présentent pas de biais égocentrique, nous pourrons écarter l’hypothèse d’un biais égocentrique dû au repli du patient sur lui-même suite au diagnostic d’une maladie grave et nous intéresserons alors aux bases neurales du biais égocentrique. Une adaptation de l’expérience de pointage de de Langavant et al. (2011b) chez les patients MH, ainsi que le couplage de l’expérience de mémoire partagée à de l’EEG chez les sujets sains et les patients MH nous 40 renseignera sur la capacité des sujets sains à percevoir autrui comme un agent semblable à soi et susceptibles d’interagir avec eux. Il a en effet été montré que les sujets sains qui pointent un objet pour le montrer à quelqu’un modifient leur référentiel de pointage par rapport à une situation où ils pointent un objet sans qu’il n’y ait d’interaction avec autrui. Si les patients MH ne perçoivent pas autrui comme un agent social, ils ne devraient pas présenter ce phénomène d’adaptation du référentiel de pointage à la communication. Dans ce cas, il serait alors probable que ce soit la représentation d’autrui par les patients MH qui soit déficitaire. Étudier en imagerie fonctionnelle chez les patients MH l’activation du système connu chez le sujet sains pour être impliqué dans la représentation des actions d’autrui pourrait nous permettre de clarifier la question des mécanismes sous-jacents au biais égocentrique. La MH s’accompagne d’une atteinte primitive du striatum. Or nombreux sont les travaux qui ont montré le rôle du striatum en cognition sociale. Riling et al. (2002) ont par exemple montré son implication dans la coopération sociale. Lorsque les sujets sains se montrent coopératifs dans le dilemme du prisonnier, ils présentent une activation du striatum supérieure à celle observée lorsqu’ils prennent des décisions égocentrées. Le comportement de coopération mutuelle est en effet associé à l’activation du réseau formé par le nucleus accumbens, le noyau caudé, le cortex orbito-frontal et le cortex ventro-médian. Les auteurs proposent que l’activation de ce réseau renforce les comportements altruistes et est associée à une diminution des décisions d’accepter l’aide d’autrui, sans lui offrir la sienne. De même, Izuma et al. (2008) ont montré l’implication du striatum dans la récompense sociale, à savoir le fait d’être jugé positivement par ses pairs. Les sujets sains testés devaient répondre à des questionnaires de personnalité, puis se présenter en quelques mots dans une vidéo. L’expérimentateur leur faisait ensuite croire que leurs résultats aux questionnaires et leur vidéo allaient être présentés à d’autres sujets qui évalueraient leur personnalité sur la base de ces informations. En réalité, les évaluations étaient faites par l’expérimentateur et distribuées de telle sorte que tous les sujets aient la même expérience d’évaluation. Izuma et al. ont ainsi montré une activation du striatum lorsque les sujets recevaient une évaluation positive, suggérant l’implication du striatum dans la récompense sociale. Ainsi, le striatum constitue une des régions que nous étudierons en imagerie fonctionnelle dans notre exploration des bases neurales du biais égocentrique. Des travaux ont également montré l’implication du sillon temporal supérieur (STS), du cortex pariétal et du cortex prémoteur – qui constitue un système homologue au système miroir mis en évidence chez le singe (di Pellegrino et al. , 1992; Fadiga et al. , 2000; Rizzolati & Luppino, 2001) – dans la représentation partagée d’actions familières chez le sujet sain (Decety & Grezes, 1999; Grezes et al. , 1998, 1999; de Langavant et al. , 2011b). Or on sait que la MH s’accompagne d’une atteinte du cortex pariétal (Ho & Hocaoglu, 2011; Rosas et al. , 2008). Si la représentation de l’action d’autrui chez les patients MH apparaît comme déficiente par rapport aux sujets sains, l’exploration de l’activation de l’aire prémotrice supplémentaire (pre-SMA) constitue une autre piste à explorer. Dans l’expérience de désignation mise en place par de Langavant et al. chez les sujets sains et décrite ci-dessus, une activation du STS et du pre-SMA a été mise en évidence dans la condition de « désignation communicative », suggérant que ces régions sont impliquées dans la représentation d’autrui lors de tâches où il est demandé au sujet de communiquer avec un partenaire. Une étude récente réalisée chez le macaque (Yoshida et al. , 2011) a également mis en évidence dans le pre-SMA l’existence de neurones codant spécifiquement l’action d’autrui – par opposition aux neurones miroirs qui déchargent à la fois lorsque le singe observe une action accomplie par autrui et lorsqu’il réalise lui-même cette action. Les auteurs proposent l’hypothèse de connexions entre le STS et le pre-SMA qui formeraient un réseau impliqué dans la détermination de l’agent qui réalise l’action observée. Il a en effet été montré que les régions fronto-médiales jouaient un rôle important 41 dans la théorie de l’esprit chez l’humain. Or la capacité à distinguer soi d’autrui est une étape préliminaire cruciale à tout processus relevant de la théorie de l’esprit (Knoblich & Sebanz, 2006; ?). Pour réussir une interaction sociale, il semble en effet aussi important de se représenter l’action d’autrui comme la sienne propre que de pouvoir identifier l’agent réalisant l’action. Cette aptitude à distinguer soi de l’autre permet se coordonner avec autrui, de savoir quand son action s’arrête pour laisser place à celle du partenaire. Une lésion du sillon temporal supérieur ou du pre-SMA chez les patients MH pourrait donc expliquer un potentiel déficit de la représentation d’autrui. Nous garderons toutefois à l’esprit que l’étude de Yoshida et al. , si elle est prometteuse, ne garantit pas l’existence de neurones dit « neurones-partenaires », à savoir des neurones encodant la nature de l’agent accomplissant l’action. En effet, il est possible que les neurones identifiées dans le pre-SMA ne codent pas pour la nature de l’agent, mais plutôt pour des associations complexes entre action et condition Burnett & Husain (2011). Une étude réalisée en imagerie fonctionnelle a en effet mis en évidence cette fonction du pre-SMA (Nachev et al. , 2008). Néanmoins, Il n’en reste pas moins intéressant de comprendre les interactions entre le sillon temporal supérieur et le pre-SMA, nombreuses étant les études montrant l’implication du sillon temporal supérieur et les régions fronto-médiales dans différents processus propres à la cognition sociale et notamment la distinction entre soi et autrui (Decety & Lamm, 2007, Amodio and Frith, 2006 ; ). 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Current Biology, 21, 249–253. 47 48 A Pilote Un pilote de l’expérience de mémoire partagée a été réalisée chez 6 sujets sains âgés de 22 à 26 ans (m = 23, 7 ± 1.63 ans), avec un niveau d’éducation moyen égal à 16,7 ± 0,516 ans d’étude. Les résultats en rappel libre sont présentés dans la figure suivante. Mots 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 Soi Autrui Personne Soi Condition Seul Autrui Personne Condition à Deux 49 B B.1 Listes de mots Phase de test Catégorie Exemplaire Fréquence film Syllabes Lettres Log fréquence film animaux cochon 21,67 2 6 1,33585891131982 animaux tortue 4 2 6 0,602059991327962 animaux iguane 0,63 2 6 -0,200659450546418 animaux renard 4,69 2 6 0,671172842715083 animaux requin 8,15 2 6 0,911157608739977 animaux taureau 8,37 2 7 0,92272545799326 animaux castor 2,4 2 6 0,380211241711606 animaux corbeau 3,57 2 7 0,552668216112193 animaux brebis 7,02 2 6 0,846337112129805 animaux panda 1,46 2 5 0,164352855784437 animaux lézard 4,9 2 6 0,690196080028514 animaux chameau 7,21 2 7 0,857935264719429 animaux vipère 3,42 2 6 0,534026106056135 animaux baleine 11,52 2 7 1,06145247908719 animaux grenouille 5,74 2 10 0,758911892397974 animaux panthère 1,84 2 8 0,264817823009536 animaux koala 0,15 3 5 -0,823908740944319 animaux écrevisse 0,54 3 animaux chimpanzé 1,96 3 9 0,292256071356476 animaux coccinelle 1,15 3 10 0,0606978403536116 animaux écureuil 5,71 3 8 0,756636108245848 animaux perroquet 4,39 3 9 0,642464520242121 animaux cachalot 0,7 3 animaux hérisson 0,69 3 8 -0,161150909262745 animaux papillon 8,12 3 8 0,909556029241175 animaux crocodile 6,14 3 9 0,788168371141168 animaux lémurien 0,3 3 8 -0,522878745280338 animaux colibri 0,21 3 7 -0,677780705266081 animaux scarabée 0,6 3 8 -0,221848749616356 animaux libellule 1,07 3 9 0,0293837776852097 -0,267606240177031 -0,154901959985743 50 Catégorie Exemplaire Fréquence film Syllabes Lettres Log fréquence film animaux antilope 2,16 3 8 0,334453751150931 animaux caribou 0,74 3 7 -0,130768280269024 fruits/légumes pastèque 2,39 2 8 0,378397900948138 fruits/légumes melon 4,92 2 5 0,69196510276736 fruits/légumes groseille 0,29 2 9 -0,537602002101044 fruits/légumes cassis 0,67 2 6 -0,173925197299174 fruits/légumes pruneau 0,92 2 7 -0,0362121726544447 fruits/légumes chataigne 0,55 2 9 -0,259637310505756 fruits/légumes noisette 0,57 2 8 -0,244125144327509 fruits/légumes goyave 0,06 2 6 -1,22184874961636 fruits/légumes endive 0,03 2 6 -1,52287874528034 fruits/légumes radis 1,81 2 5 0,257678574869184 fruits/légumes oignon 4,35 2 6 0,638489256954637 fruits/légumes cresson 0,24 2 7 -0,619788758288394 fruits/légumes poivron 0,51 2 7 -0,292429823902064 fruits/légumes olive 2,54 2 5 0,404833716619938 fruits/légumes rhubarbe 1,56 2 8 0,193124598354462 fruits/légumes navet 1,25 2 5 0,0969100130080564 fruits/légumes avocat 89,28 3 6 1,9507541815935 fruits/légumes mandarine 0,6 3 9 -0,221848749616356 fruits/légumes pamplemousse 1,56 3 12 0,193124598354462 fruits/légumes nectarine 0,12 3 9 -0,920818753952375 fruits/légumes mirabelle 0 3 9 0 fruits/légumes ananas 2,02 3 6 0,305351369446624 fruits/légumes aubergine 0,11 3 9 -0,958607314841775 fruits/légumes brocoli 0,07 3 7 -1,15490195998574 fruits/légumes artichaut 1,45 3 9 0,161368002234975 fruits/légumes cornichon 1,29 3 9 0,110589710299249 fruits/légumes salsifis 0 3 8 0 fruits/légumes haricot 1,4 3 7 0,146128035678238 51 Catégorie Exemplaire Fréquence film Syllabes Lettres Log fréquence film fruits/légumes pomelo 0,01 3 6 -2 fruits/légumes potiron 0,99 3 7 -0,00436480540245009 fruits/légumes céleri 1,43 3 6 0,155336037465062 fruits/légumes ciboulette 0,95 3 10 -0,0222763947111523 objets fourchette 4,98 2 10 0,697229342759718 objets stylo 15,34 2 5 1,18582535961296 objets boussole 2,71 2 8 0,432969290874406 objets tondeuse 1,72 2 8 0,235528446907549 objets bougie 7,4 2 6 0,869231719730976 objets brouette 1,1 2 8 0,0413926851582251 objets compas 1,5 2 6 0,176091259055681 objets ciseau 0,86 2 6 -0,0655015487564323 objets carafe 1,02 2 6 0,00860017176191757 objets bocal 2,73 2 5 0,436162647040756 objets ballon 27,27 2 6 1,43568513794163 objets raquette 1,77 2 8 0,247973266361807 objets tricycle 0,5 2 8 -0,301029995663981 objets passoire 1,27 2 8 0,103803720955957 objets cuillère 5,18 2 8 0,714329759745233 objets panier 13,82 2 6 1,14050804303818 objets agrafeuse 0,73 3 9 -0,136677139879544 objets rapporteur 11,4 3 10 1,05690485133647 objets écouteur 0,37 3 8 -0,431798275933005 objets domino 0,35 3 6 -0,455931955649724 objets trampoline 1,17 3 10 0,0681858617461616 objets entonnoir 0,81 3 9 -0,0915149811213502 objets portefeuille 16,53 3 12 1,21827285357145 objets saladier 0,68 3 8 -0,167491087293764 objets lavabo 2,56 3 6 0,40823996531185 objets thermomètre 1,37 3 11 0,136720567156407 52 C Catégorie Exemplaire Fréquence film Syllabes Lettres Log fréquence film objets éventail 2,82 3 8 0,450249108319361 objets oreiller 7,93 3 8 0,899273187317604 objets étagère 3,29 3 7 0,517195897949974 objets tabouret 2,79 3 8 0,445604203273598 objets cendrier 3,86 3 8 0,586587304671755 objets sécateur 0,15 3 8 -0,823908740944319 Phase de choix forcé Catégorie Exemplaire Fréquence film Syllabes Lettres Log fréquence film animaux cochon 21,67 2 6 1,33585891131982 animaux tortue 4 2 6 0,602059991327962 animaux iguane 0,63 2 6 -0,200659450546418 animaux renard 4,69 2 6 0,671172842715083 animaux requin 8,15 2 6 0,911157608739977 animaux taureau 8,37 2 7 0,92272545799326 animaux castor 2,4 2 6 0,380211241711606 animaux corbeau 3,57 2 7 0,552668216112193 animaux brebis 7,02 2 6 0,846337112129805 animaux panda 1,46 2 5 0,164352855784437 animaux lézard 4,9 2 6 0,690196080028514 animaux chameau 7,21 2 7 0,857935264719429 animaux vipère 3,42 2 6 0,534026106056135 animaux baleine 11,52 2 7 1,06145247908719 animaux grenouille 5,74 2 10 0,758911892397974 animaux panthère 1,84 2 8 0,264817823009536 animaux koala 0,15 3 5 -0,823908740944319 animaux écrevisse 0,54 3 animaux chimpanzé 1,96 3 9 0,292256071356476 animaux coccinelle 1,15 3 10 0,0606978403536116 -0,267606240177031 53 Catégorie Exemplaire Fréquence film Syllabes Lettres Log fréquence film animaux écureuil 5,71 3 8 0,756636108245848 animaux perroquet 4,39 3 9 0,642464520242121 animaux cachalot 0,7 3 animaux hérisson 0,69 3 8 -0,161150909262745 animaux papillon 8,12 3 8 0,909556029241175 animaux crocodile 6,14 3 9 0,788168371141168 animaux lémurien 0,3 3 8 -0,522878745280338 animaux colibri 0,21 3 7 -0,677780705266081 animaux scarabée 0,6 3 8 -0,221848749616356 animaux libellule 1,07 3 9 0,0293837776852097 animaux antilope 2,16 3 8 0,334453751150931 animaux caribou 0,74 3 7 -0,130768280269024 fruits/légumes pastèque 2,39 2 8 0,378397900948138 fruits/légumes melon 4,92 2 5 0,69196510276736 fruits/légumes groseille 0,29 2 9 -0,537602002101044 fruits/légumes cassis 0,67 2 6 -0,173925197299174 fruits/légumes pruneau 0,92 2 7 -0,0362121726544447 fruits/légumes chataigne 0,55 2 9 -0,259637310505756 fruits/légumes noisette 0,57 2 8 -0,244125144327509 fruits/légumes goyave 0,06 2 6 -1,22184874961636 fruits/légumes endive 0,03 2 6 -1,52287874528034 fruits/légumes radis 1,81 2 5 0,257678574869184 fruits/légumes oignon 4,35 2 6 0,638489256954637 fruits/légumes cresson 0,24 2 7 -0,619788758288394 fruits/légumes poivron 0,51 2 7 -0,292429823902064 fruits/légumes olive 2,54 2 5 0,404833716619938 fruits/légumes rhubarbe 1,56 2 8 0,193124598354462 fruits/légumes navet 1,25 2 5 0,0969100130080564 fruits/légumes avocat 89,28 3 6 1,9507541815935 fruits/légumes mandarine 0,6 3 9 -0,221848749616356 54 -0,154901959985743 Catégorie Exemplaire Fréquence film Syllabes Lettres Log fréquence film fruits/légumes pamplemousse 1,56 3 12 0,193124598354462 fruits/légumes nectarine 0,12 3 9 -0,920818753952375 fruits/légumes mirabelle 0 3 9 0 fruits/légumes ananas 2,02 3 6 0,305351369446624 fruits/légumes aubergine 0,11 3 9 -0,958607314841775 fruits/légumes brocoli 0,07 3 7 -1,15490195998574 fruits/légumes artichaut 1,45 3 9 0,161368002234975 fruits/légumes cornichon 1,29 3 9 0,110589710299249 fruits/légumes salsifis 0 3 8 0 fruits/légumes haricot 1,4 3 7 0,146128035678238 fruits/légumes pomelo 0,01 3 6 -2 fruits/légumes potiron 0,99 3 7 -0,00436480540245009 fruits/légumes céleri 1,43 3 6 0,155336037465062 fruits/légumes ciboulette 0,95 3 10 -0,0222763947111523 objets fourchette 4,98 2 10 0,697229342759718 objets stylo 15,34 2 5 1,18582535961296 objets boussole 2,71 2 8 0,432969290874406 objets tondeuse 1,72 2 8 0,235528446907549 objets bougie 7,4 2 6 0,869231719730976 objets brouette 1,1 2 8 0,0413926851582251 objets compas 1,5 2 6 0,176091259055681 objets ciseau 0,86 2 6 -0,0655015487564323 objets carafe 1,02 2 6 0,00860017176191757 objets bocal 2,73 2 5 0,436162647040756 objets ballon 27,27 2 6 1,43568513794163 objets raquette 1,77 2 8 0,247973266361807 objets tricycle 0,5 2 8 -0,301029995663981 objets passoire 1,27 2 8 0,103803720955957 objets cuillère 5,18 2 8 0,714329759745233 objets panier 13,82 2 6 1,14050804303818 55 Catégorie Exemplaire Fréquence film Syllabes Lettres Log fréquence film objets agrafeuse 0,73 3 9 -0,136677139879544 objets rapporteur 11,4 3 10 1,05690485133647 objets écouteur 0,37 3 8 -0,431798275933005 objets domino 0,35 3 6 -0,455931955649724 objets trampoline 1,17 3 10 0,0681858617461616 objets entonnoir 0,81 3 9 -0,0915149811213502 objets portefeuille 16,53 3 12 1,21827285357145 objets saladier 0,68 3 8 -0,167491087293764 objets lavabo 2,56 3 6 0,40823996531185 objets thermomètre 1,37 3 11 0,136720567156407 objets éventail 2,82 3 8 0,450249108319361 objets oreiller 7,93 3 8 0,899273187317604 objets étagère 3,29 3 7 0,517195897949974 objets tabouret 2,79 3 8 0,445604203273598 objets cendrier 3,86 3 8 0,586587304671755 objets sécateur 0,15 3 8 -0,823908740944319 56