Introduction historique au droit et histoire des institutions

Chapitre
1
Les Mérovingiens : une royauté
germanique
Planduchapitre
Section 1 Une conception personnelle du pouvoir
§1. Une royauté patronale et patrimoniale
§2. Les apports romain et chrétien
Section 2 Les moyens du gouvernement royal
§1. Des prérogatives royales sommaires
§2. Une administration peu développée
RÉSUMÉ
Sur les ruines de lEmpire romain dOccident et en conquérant au cours du VI
e
siècle
lensemble de la Gaule, les Francs établissent une royauté dont les principes et les
moyens sont largement en retrait par rapport à ceux de lancien État romain. Leur
royauté est patronale, le pouvoir royal y étant établi sur les rapports personnels
entretenus par le roi et ses principaux guerriers. Elle est également patrimoniale, le
royaume est la propriété du monarque. Dans lexercice de son pouvoir, le souverain
mérovingien dispose de prérogatives sommaires : le ban et la mainbour. Enfin, les
moyens administratifs sont limités tant au plan du gouvernement central que de
ladministration locale, tous deux embryonnaires.
Avec lavènement de Clovis, en 481, souvre lère de la dynastie mérovin-
gienne dont le règne devait durer jusquen 751. Dans les premiers temps de
cette période, les Francs vont parachever la conquête de la Gaule romaine et
mettre en place une monarchie largement tributaire de ses origines germani-
ques, tant dans la conception du pouvoir que dans la pratique gouvernemen-
tale et administrative.
Section 1 Une conception personnelle du pouvoir
Les Francs développent une conception relativement simple du pouvoir,
héritée de leur passé barbare, et nettement en retrait par rapport à lidée
romaine de res publica et dÉtat. Même si on peut noter un certain syncrétisme
qui combine les legs romain et chrétien à ses accents germaniques, la royauté
mérovingienne reste patronale et patrimoniale.
§1. Une royauté patronale et patrimoniale
32. On ne trouve pas, chez les Francs, lidée dun ordre juridique supérieur
dépassant la personne du ou des titulaires de lautorité publique comme
cétait le cas à Rome, sous la République et lEmpire. La notion dÉtat a été
très largement altérée et le pouvoir royal mérovingien repose en fait sur des
bases personnelles. On y retrouve notamment lesprit du comitatus, ou compa-
gnonnage, vieille institution germanique décrite par lhistorien latin Tacite.
Un groupe dhommes se rassemblait soit pour la chasse soit pour la guerre
autour dun meneur, considéré comme apte à exercer le commandement en
raison de qualités personnelles exceptionnelles. Effectivement, les rois méro-
vingiens, tout au moins les premiers dentre eux, ont conservé lessentiel de
ce qui faisait lessence même du chef de guerre germain. Le souverain
commande aux guerriers de sa suite car il sait les mener à la victoire. Il est
dailleurs Rex Francorum,cest-à-dire « roi des Francs » et non pas roi
de Francia ou de France ! Son art militaire lui vaut une autorité naturelle et
charismatique sur les guerriers. Le règne de Clovis, figure emblématique de la
dynastie mérovingienne, illustre parfaitement cette conception du pouvoir
fondée sur la conquête. À son avènement, le petit-fils de Mérovée nest quun
chef barbare parmi tant dautres et ne contrôle quune zone territorialement
limitée au nord de la Gaule et à la Belgique seconde. En 486, il bat le général
gallo-romain Syagrius et conquiert les bassins de la Seine et de la Loire. En
496, au terme dune bataille longtemps indécise, il écrase les Alamans à
Tolbiac. Enfin en 507, il défait les Wisigoths à Vouillé et les refoule vers
lEspagne. Ses fils détruiront le royaume burgonde et récupéreront la Provence,
parachevant ainsi la conquête franque de lancienne Gaule romaine. Épopée
militaire qui, en lespace de quelques décennies, singularise et prédestine la
famille mérovingienne, faisant delle lunique pépinière de la royauté. Lhéré-
dité, phénomène connu des Germains, est ainsi consacrée comme mode légi-
time de transmission de la couronne.
44 INTRODUCTIONHISTORIQUEAUDROITETHISTOIRE DES INSTITUTIONS
33. Dans le cadre dune telle conception du pouvoir, cest un lien personnel
qui unit le roi à ses sujets. Leur allégeance ne se fait donc pas en faveur dune
quelconque « chose publique », cette notion nexiste plus, mais se porte vers la
personne de celui qui commande. La tradition franque fondée sur lhonneur
militaire favorise dailleurs une relation dhomme à homme dont la matériali-
sation est le leudesamio, serment de fidélité prêté au roi par les hommes libres,
ou tout au moins par les principaux dentre eux, parmi lesquels se retrouvent
les grands du royaume, cest-à-dire laristocratie franque et gallo-romaine. Ceux
qui sengagent par serment vis-à-vis du souverain mérovingien deviennent ses
leudes, ses fidèles. Cest à travers eux que le roi assoit son autorité sur
lensemble de la population. Lefficience de son pouvoir repose ainsi sur la fidé-
lité de ces accompagnons proches.
34. Un autre aspect marquant résultant des mentalités franques est le caractère
patrimonial de la royauté. Le royaume est considéré comme la chose du roi. Ce
dernier a sur le regnum les mêmes droits quun propriétaire sur son patrimoine
privé. Le roi possède le royaume, assimilé à lorigine à un butin, par droit de
conquête. Il est ainsi totalement libre den disposer à sa guise, daliéner les
terres ainsi que les prérogatives qui leur sont attachées. Les rois francs prati-
quent ainsi à partir des biens du regnum une politique de libéralités et de
largesses qui leur permet de sattacher les leudes et les membres de laristo-
cratie. Cest ainsi que Clovis a pu débaucher les fidèles du roi Racagnaire en
étant plus généreux que leur ancien maître. Cette politique du don royal est
dailleurs conforme à la pratique franque du partage du butin entre le roi et
les guerriers victorieux. La légendaire affaire du vase de Soissons lillustre
bien. Toujours est-il que la distinction romaine entre le domaine public et le
domaine privé sest étiolée.
35. Le caractère patrimonial de la royauté se ressent également en matière de
succession royale. Les Mérovingiens ont consacré lhérédité, principe qui leur
permettait de maintenir le pouvoir dans leur lignée. Mais, la succession royale
est réglée comme une succession ordinaire, selon les termes de la fameuse Loi
salique, loi nationale des Francs (cf. infra, 66). À la mort du souverain, le
titre royal et le royaume reviennent ainsi à ses fils à parts égales, la Loi salique
excluant les filles de la succession à la terre salique en présence dhéritiers
mâles. Les Francs ignorant le principe de la primogéniture, cest-à-dire du
droit daînesse, les Mérovingiens pratiquent le partage du royaume. Ainsi, à
la mort de Clovis en 511, le regnum Francorum (le royaume des Francs) est-il
divisé entre ses quatre fils Thierry, Clotaire, Clodomir et Childebert. Chaque
héritier est gratifié du titre de roi des Francs et chacun dentre eux reçoit une
zone dinfluence. Vont ainsi progressivement émerger au sein du royaume
franc plusieurs entités territoriales : lAustrasie à lEst, la Neustrie à lOuest, la
Bourgogne et lAquitaine. Ces partages sont parfois sources de graves conflits,
mais ils se résolvent souvent par le triomphe dun des héritiers, comme ce sera
le cas pour Clotaire I
er
ou encore Dagobert I
er
, qui reconstitueront lunité du
regnum Francorum à leur profit. Les partages ne réussiront ainsi jamais à
entamer la cohésion des Francs, garantie par la pérennité de la dynastie.
CHAPITRE 1LES MÉROVINGIENS :UNE ROYAUTÉ GERMANIQUE 45
§2. Les apports romain et chrétien
Ils sont rendus inévitables par la rencontre des cultures barbare dune part,
romaine et chrétienne dautre part. Mais, les emprunts faits au pouvoir
romain et le rapprochement avec lÉglise sont également la conséquence dun
calcul politique des premiers Mérovingiens.
36. Devant régner sur une majorité de sujets gallo-romains (ils sont plusieurs
millions contre quelques centaines de milliers de Francs) et afin dêtre légi-
times aux yeux de ceux-ci, les souverains mérovingiens ont tout intérêt à
inscrire leur gouvernement dans la continuité de lEmpire romain. Suivant
lexemple de leurs premiers chefs qui sétaient mis au service de Rome en tant
quauxiliaires militaires, les rois francs se considèrent donc toujours comme
protecteurs de la romanitas. Avant même la conquête du royaume de Syagrius,
en 486, Clovis est considéré comme un « gouverneur » romain par lévêque
de Reims. Il nhésite alors pas à se parer du titre de princeps. Au lendemain
de sa victoire sur les Wisigoths, il reçoit de lempereur romain dOrient les
dignités de consul et dauguste. Ainsi, à la suite de leur figure de proue, les
Mérovingiens ne rechigneront pas à utiliser la titulature impériale, en raison
de son prestige et parce que cest un excellent moyen de renforcer leur autorité
sur les Gallo-romains.
37. LÉglise catholique présente également lavantage dassurer une meilleure
assise au pouvoir franc. La conversion de Clovis et de ses guerriers, au lende-
main de la bataille de Tolbiac, en 496, va lui concilier définitivement les
Gallo-romains et accélérer la fusion des élites. Il est dailleurs à noter que
Clovis a pris soin de recevoir le baptême catholique, se distinguant par là des
autres souverains barbares, Wisigoth ou Burgonde, dont larianisme fait deux
des chrétiens certes, mais hérétiques. À ce titre, les rois francs vont pouvoir
utiliser lÉglise, notamment sur le plan administratif, linstitution ecclésias-
tique savérant un moyen sûr de quadriller la population et par là même un
excellent instrument de règne. Enfin, le baptême du « nouveau Constantin »
(cest ainsi que Grégoire de Tours, lhistorien des Francs, appellera Clovis !)
inaugure une alliance qui savérera multiséculaire entre le trône et lautel.
Section 2 Les moyens du gouvernement royal
Parce quil est dorigine militaire, le pouvoir du roi franc se manifeste par des
prérogatives sommaires. Rapportée à la bureaucratie impériale romaine,
ladministration mérovingienne apparaît rudimentaire.
§1. Des prérogatives royales sommaires
Ces prérogatives qui matérialisent les rapports du roi avec ses sujets sont au
nombre de deux : le bannum et le mundium.
38. Le roi dispose tout dabord du bannum, ou ban, qui est le pouvoir de
commander, dordonner et dinterdire. Il sagit dune prérogative pleine, le
46 INTRODUCTIONHISTORIQUEAUDROITETHISTOIRE DES INSTITUTIONS
souverain lexerçant sans limites ou presque, et personnelle. Elle permet au roi
franc de convoquer larmée (on parle dhériban), dexiger tributs et impôts, de
promulguer certains actes de nature législative (même sils sont peu nombreux
àlépoque). Le bannum lui permet également de faire citer en justice ses sujets
dans le cadre de la procédure publique. La citation est alors appelée bannitio.Le
ban royal peut être appréhendé comme un ordre prescrivant un acte précis,
comme un pouvoir de contrainte. Y déroger, cest méconnaître la volonté du
roi. On dit de celui qui ignore un ordre du roi quil est forban, cest-à-dire en
dehors du ban. Nimporte qui peut alors légitimement le tuer dans la mesure où
il est devenu comme « le loup dans la contrée ».
39. Le roi est ensuite responsable de la paix et de lordre dans le regnum.D
la seconde prérogative qui est le mundium, sorte dautorité verbale (de
«mund », la bouche). On parle aussi de mainbour. Par le mundium, le roi
assure de manière générale la paix aux sujets et aux établissements sis dans le
royaume. Puisque telle est sa volonté, la paix royale revêt le caractère de pres-
cription. Cest à ce titre que le roi perçoit une partie de la composition pécu-
niaire ou de lamende versée à la victime, ou à la famille de celle-ci, par lauteur
dune injure ou dune agression. Cest le Friede Geld, le prix de la paix. Le roi
peut user de sa mainbour pour placer certaines personnes et certains lieux sous
une protection particulière. Il en est ainsi pour ses proches, ses leudes, les
grands francs ou gallo-romains. Les clercs et les établissements ecclésiastiques
bénéficient également de cette protection spéciale. Bien entendu, le montant
de la composition pécuniaire évolue proportionnellement au rang de la
victime et au niveau de protection dont elle bénéficie de la part du roi.
§2. Une administration peu développée
40. Les souverains francs gouvernent entourés de leurs proches et de leurs
fidèles. À cette fin, ils ont conservé linstitution romaine du palais ou palatium.
Évidemment, à lépoque mérovingienne, cet organe central de gouvernement
nest plus aussi structuré que sous lempire romain. Le palais réunit de ce fait
une foule fluctuante de courtisans, aristocrates, Francs et Gallo-romains, laïcs
et ecclésiastiques, et de domestiques, parmi lesquels le roi choisit ses conseillers
et les auxiliaires de son gouvernement. Toutes ces personnes sont ses convives,
ceux quil nourrit et quil entretient. Le gouvernement royal na pas véritable-
ment de siège fixe, même si certains lieux retiennent la préférence des souve-
rains (Paris, Orléans, Soissons par exemple), et le palais est donc itinérant, il se
déplace avec le roi de domaine en domaine. On peut noter toutefois un début
de spécialisation des tâches gouvernementales. Celles-ci sont confiées à des
officiers palatins, fidèles dentre les fidèles, qui cumulent la direction dun
service domestique et dun secteur de ladministration. Certains sont des
personnages considérables. Tel est le cas du maire du palais, ou major domus.
Chargé de lentretien du roi, il contrôle de ce fait lensemble de la domesticité
et coiffe tous les aspects du gouvernement. Le comte palatin exerce, lui, des
fonctions judiciaires, notamment en instruisant les affaires portées devant le
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