Introduction historique au droit et histoire des institutions

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Chapitre
1
Les Mérovingiens : une royauté
germanique
Plan du chapitre
Section 1
§1.
§2.
Section 2
§1.
§2.
Une conception personnelle du pouvoir
Une royauté patronale et patrimoniale
Les apports romain et chrétien
Les moyens du gouvernement royal
Des prérogatives royales sommaires
Une administration peu développée
RÉSUMÉ
Sur les ruines de l’Empire romain d’Occident et en conquérant au cours du VIesiècle
l’ensemble de la Gaule, les Francs établissent une royauté dont les principes et les
moyens sont largement en retrait par rapport à ceux de l’ancien État romain. Leur
royauté est patronale, le pouvoir royal y étant établi sur les rapports personnels
entretenus par le roi et ses principaux guerriers. Elle est également patrimoniale, le
royaume est la propriété du monarque. Dans l’exercice de son pouvoir, le souverain
mérovingien dispose de prérogatives sommaires : le ban et la mainbour. Enfin, les
moyens administratifs sont limités tant au plan du gouvernement central que de
l’administration locale, tous deux embryonnaires.
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INTRODUCTION
HISTORIQUE AU DROIT ET
HISTOIRE
DES INSTITUTIONS
Avec l’avènement de Clovis, en 481, s’ouvre l’ère de la dynastie mérovingienne dont le règne devait durer jusqu’en 751. Dans les premiers temps de
cette période, les Francs vont parachever la conquête de la Gaule romaine et
mettre en place une monarchie largement tributaire de ses origines germaniques, tant dans la conception du pouvoir que dans la pratique gouvernementale et administrative.
Section 1
Une conception personnelle du pouvoir
Les Francs développent une conception relativement simple du pouvoir,
héritée de leur passé barbare, et nettement en retrait par rapport à l’idée
romaine de res publica et d’État. Même si on peut noter un certain syncrétisme
qui combine les legs romain et chrétien à ses accents germaniques, la royauté
mérovingienne reste patronale et patrimoniale.
§1. Une royauté patronale et patrimoniale
32. On ne trouve pas, chez les Francs, l’idée d’un ordre juridique supérieur
dépassant la personne du ou des titulaires de l’autorité publique comme
c’était le cas à Rome, sous la République et l’Empire. La notion d’État a été
très largement altérée et le pouvoir royal mérovingien repose en fait sur des
bases personnelles. On y retrouve notamment l’esprit du comitatus, ou compagnonnage, vieille institution germanique décrite par l’historien latin Tacite.
Un groupe d’hommes se rassemblait soit pour la chasse soit pour la guerre
autour d’un meneur, considéré comme apte à exercer le commandement en
raison de qualités personnelles exceptionnelles. Effectivement, les rois mérovingiens, tout au moins les premiers d’entre eux, ont conservé l’essentiel de
ce qui faisait l’essence même du chef de guerre germain. Le souverain
commande aux guerriers de sa suite car il sait les mener à la victoire. Il est
d’ailleurs Rex Francorum, c’est-à-dire « roi des Francs » et non pas roi
de Francia ou de France ! Son art militaire lui vaut une autorité naturelle et
charismatique sur les guerriers. Le règne de Clovis, figure emblématique de la
dynastie mérovingienne, illustre parfaitement cette conception du pouvoir
fondée sur la conquête. À son avènement, le petit-fils de Mérovée n’est qu’un
chef barbare parmi tant d’autres et ne contrôle qu’une zone territorialement
limitée au nord de la Gaule et à la Belgique seconde. En 486, il bat le général
gallo-romain Syagrius et conquiert les bassins de la Seine et de la Loire. En
496, au terme d’une bataille longtemps indécise, il écrase les Alamans à
Tolbiac. Enfin en 507, il défait les Wisigoths à Vouillé et les refoule vers
l’Espagne. Ses fils détruiront le royaume burgonde et récupéreront la Provence,
parachevant ainsi la conquête franque de l’ancienne Gaule romaine. Épopée
militaire qui, en l’espace de quelques décennies, singularise et prédestine la
famille mérovingienne, faisant d’elle l’unique pépinière de la royauté. L’hérédité, phénomène connu des Germains, est ainsi consacrée comme mode légitime de transmission de la couronne.
CHAPITRE 1 – LES MÉROVINGIENS :
UNE ROYAUTÉ GERMANIQUE
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33. Dans le cadre d’une telle conception du pouvoir, c’est un lien personnel
qui unit le roi à ses sujets. Leur allégeance ne se fait donc pas en faveur d’une
quelconque « chose publique », cette notion n’existe plus, mais se porte vers la
personne de celui qui commande. La tradition franque fondée sur l’honneur
militaire favorise d’ailleurs une relation d’homme à homme dont la matérialisation est le leudesamio, serment de fidélité prêté au roi par les hommes libres,
ou tout au moins par les principaux d’entre eux, parmi lesquels se retrouvent
les grands du royaume, c’est-à-dire l’aristocratie franque et gallo-romaine. Ceux
qui s’engagent par serment vis-à-vis du souverain mérovingien deviennent ses
leudes, ses fidèles. C’est à travers eux que le roi assoit son autorité sur
l’ensemble de la population. L’efficience de son pouvoir repose ainsi sur la fidélité de ces accompagnons proches.
34. Un autre aspect marquant résultant des mentalités franques est le caractère
patrimonial de la royauté. Le royaume est considéré comme la chose du roi. Ce
dernier a sur le regnum les mêmes droits qu’un propriétaire sur son patrimoine
privé. Le roi possède le royaume, assimilé à l’origine à un butin, par droit de
conquête. Il est ainsi totalement libre d’en disposer à sa guise, d’aliéner les
terres ainsi que les prérogatives qui leur sont attachées. Les rois francs pratiquent ainsi à partir des biens du regnum une politique de libéralités et de
largesses qui leur permet de s’attacher les leudes et les membres de l’aristocratie. C’est ainsi que Clovis a pu débaucher les fidèles du roi Racagnaire en
étant plus généreux que leur ancien maître. Cette politique du don royal est
d’ailleurs conforme à la pratique franque du partage du butin entre le roi et
les guerriers victorieux. La légendaire affaire du vase de Soissons l’illustre
bien. Toujours est-il que la distinction romaine entre le domaine public et le
domaine privé s’est étiolée.
35. Le caractère patrimonial de la royauté se ressent également en matière de
succession royale. Les Mérovingiens ont consacré l’hérédité, principe qui leur
permettait de maintenir le pouvoir dans leur lignée. Mais, la succession royale
est réglée comme une succession ordinaire, selon les termes de la fameuse Loi
salique, loi nationale des Francs (cf. infra, nº 66). À la mort du souverain, le
titre royal et le royaume reviennent ainsi à ses fils à parts égales, la Loi salique
excluant les filles de la succession à la terre salique en présence d’héritiers
mâles. Les Francs ignorant le principe de la primogéniture, c’est-à-dire du
droit d’aînesse, les Mérovingiens pratiquent le partage du royaume. Ainsi, à
la mort de Clovis en 511, le regnum Francorum (le royaume des Francs) est-il
divisé entre ses quatre fils Thierry, Clotaire, Clodomir et Childebert. Chaque
héritier est gratifié du titre de roi des Francs et chacun d’entre eux reçoit une
zone d’influence. Vont ainsi progressivement émerger au sein du royaume
franc plusieurs entités territoriales : l’Austrasie à l’Est, la Neustrie à l’Ouest, la
Bourgogne et l’Aquitaine. Ces partages sont parfois sources de graves conflits,
mais ils se résolvent souvent par le triomphe d’un des héritiers, comme ce sera
le cas pour Clotaire Ier ou encore Dagobert Ier, qui reconstitueront l’unité du
regnum Francorum à leur profit. Les partages ne réussiront ainsi jamais à
entamer la cohésion des Francs, garantie par la pérennité de la dynastie.
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INTRODUCTION
HISTORIQUE AU DROIT ET
HISTOIRE
DES INSTITUTIONS
§2. Les apports romain et chrétien
Ils sont rendus inévitables par la rencontre des cultures barbare d’une part,
romaine et chrétienne d’autre part. Mais, les emprunts faits au pouvoir
romain et le rapprochement avec l’Église sont également la conséquence d’un
calcul politique des premiers Mérovingiens.
36. Devant régner sur une majorité de sujets gallo-romains (ils sont plusieurs
millions contre quelques centaines de milliers de Francs) et afin d’être légitimes aux yeux de ceux-ci, les souverains mérovingiens ont tout intérêt à
inscrire leur gouvernement dans la continuité de l’Empire romain. Suivant
l’exemple de leurs premiers chefs qui s’étaient mis au service de Rome en tant
qu’auxiliaires militaires, les rois francs se considèrent donc toujours comme
protecteurs de la romanitas. Avant même la conquête du royaume de Syagrius,
en 486, Clovis est considéré comme un « gouverneur » romain par l’évêque
de Reims. Il n’hésite alors pas à se parer du titre de princeps. Au lendemain
de sa victoire sur les Wisigoths, il reçoit de l’empereur romain d’Orient les
dignités de consul et d’auguste. Ainsi, à la suite de leur figure de proue, les
Mérovingiens ne rechigneront pas à utiliser la titulature impériale, en raison
de son prestige et parce que c’est un excellent moyen de renforcer leur autorité
sur les Gallo-romains.
37. L’Église catholique présente également l’avantage d’assurer une meilleure
assise au pouvoir franc. La conversion de Clovis et de ses guerriers, au lendemain de la bataille de Tolbiac, en 496, va lui concilier définitivement les
Gallo-romains et accélérer la fusion des élites. Il est d’ailleurs à noter que
Clovis a pris soin de recevoir le baptême catholique, se distinguant par là des
autres souverains barbares, Wisigoth ou Burgonde, dont l’arianisme fait d’eux
des chrétiens certes, mais hérétiques. À ce titre, les rois francs vont pouvoir
utiliser l’Église, notamment sur le plan administratif, l’institution ecclésiastique s’avérant un moyen sûr de quadriller la population et par là même un
excellent instrument de règne. Enfin, le baptême du « nouveau Constantin »
(c’est ainsi que Grégoire de Tours, l’historien des Francs, appellera Clovis !)
inaugure une alliance qui s’avérera multiséculaire entre le trône et l’autel.
Section 2
Les moyens du gouvernement royal
Parce qu’il est d’origine militaire, le pouvoir du roi franc se manifeste par des
prérogatives sommaires. Rapportée à la bureaucratie impériale romaine,
l’administration mérovingienne apparaît rudimentaire.
§1. Des prérogatives royales sommaires
Ces prérogatives qui matérialisent les rapports du roi avec ses sujets sont au
nombre de deux : le bannum et le mundium.
38. Le roi dispose tout d’abord du bannum, ou ban, qui est le pouvoir de
commander, d’ordonner et d’interdire. Il s’agit d’une prérogative pleine, le
CHAPITRE 1 – LES MÉROVINGIENS :
UNE ROYAUTÉ GERMANIQUE
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souverain l’exerçant sans limites ou presque, et personnelle. Elle permet au roi
franc de convoquer l’armée (on parle d’hériban), d’exiger tributs et impôts, de
promulguer certains actes de nature législative (même s’ils sont peu nombreux
à l’époque). Le bannum lui permet également de faire citer en justice ses sujets
dans le cadre de la procédure publique. La citation est alors appelée bannitio. Le
ban royal peut être appréhendé comme un ordre prescrivant un acte précis,
comme un pouvoir de contrainte. Y déroger, c’est méconnaître la volonté du
roi. On dit de celui qui ignore un ordre du roi qu’il est forban, c’est-à-dire en
dehors du ban. N’importe qui peut alors légitimement le tuer dans la mesure où
il est devenu comme « le loup dans la contrée ».
39. Le roi est ensuite responsable de la paix et de l’ordre dans le regnum. D’où
la seconde prérogative qui est le mundium, sorte d’autorité verbale (de
« mund », la bouche). On parle aussi de mainbour. Par le mundium, le roi
assure de manière générale la paix aux sujets et aux établissements sis dans le
royaume. Puisque telle est sa volonté, la paix royale revêt le caractère de prescription. C’est à ce titre que le roi perçoit une partie de la composition pécuniaire ou de l’amende versée à la victime, ou à la famille de celle-ci, par l’auteur
d’une injure ou d’une agression. C’est le Friede Geld, le prix de la paix. Le roi
peut user de sa mainbour pour placer certaines personnes et certains lieux sous
une protection particulière. Il en est ainsi pour ses proches, ses leudes, les
grands francs ou gallo-romains. Les clercs et les établissements ecclésiastiques
bénéficient également de cette protection spéciale. Bien entendu, le montant
de la composition pécuniaire évolue proportionnellement au rang de la
victime et au niveau de protection dont elle bénéficie de la part du roi.
§2. Une administration peu développée
40. Les souverains francs gouvernent entourés de leurs proches et de leurs
fidèles. À cette fin, ils ont conservé l’institution romaine du palais ou palatium.
Évidemment, à l’époque mérovingienne, cet organe central de gouvernement
n’est plus aussi structuré que sous l’empire romain. Le palais réunit de ce fait
une foule fluctuante de courtisans, aristocrates, Francs et Gallo-romains, laïcs
et ecclésiastiques, et de domestiques, parmi lesquels le roi choisit ses conseillers
et les auxiliaires de son gouvernement. Toutes ces personnes sont ses convives,
ceux qu’il nourrit et qu’il entretient. Le gouvernement royal n’a pas véritablement de siège fixe, même si certains lieux retiennent la préférence des souverains (Paris, Orléans, Soissons par exemple), et le palais est donc itinérant, il se
déplace avec le roi de domaine en domaine. On peut noter toutefois un début
de spécialisation des tâches gouvernementales. Celles-ci sont confiées à des
officiers palatins, fidèles d’entre les fidèles, qui cumulent la direction d’un
service domestique et d’un secteur de l’administration. Certains sont des
personnages considérables. Tel est le cas du maire du palais, ou major domus.
Chargé de l’entretien du roi, il contrôle de ce fait l’ensemble de la domesticité
et coiffe tous les aspects du gouvernement. Le comte palatin exerce, lui, des
fonctions judiciaires, notamment en instruisant les affaires portées devant le
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INTRODUCTION
HISTORIQUE AU DROIT ET
HISTOIRE
DES INSTITUTIONS
tribunal du palais. Les Mérovingiens ont par ailleurs souhaité maintenir la
tradition romaine de la chancellerie. Institution qui met en forme les actes
royaux, elle est dirigée par le cancellarius et est composée par un personnel
issu des couches cultivées de la population gallo-romaine.
41. Le plaid est le second organe de gouvernement. Même si, chez les
Germains, l’assemblée des guerriers semble avoir joué un rôle politique important, sous les Mérovingiens il est rare que les guerriers soient tous réunis
fréquemment, même si les souverains tentent d’organiser annuellement une
revue militaire générale. L’assemblée populaire originelle a laissé désormais la
place au plaid ou placitum, réunion politique restreinte où le roi convie les
grands chaque fois qu’il tient à les consulter au sujet de ses décisions gouvernementales. Cette institution tient lieu de palais élargi, le roi cherchant à obtenir
l’adhésion des notables. À partir du VIesiècle, les grands seront ainsi associés à
la procédure législative par le biais du placitum. Bien entendu, de simple organe
consultatif sous le règne de rois puissants, le plaid peut se transformer en véritable conseil aristocratique de gouvernement à l’occasion du règne de monarques plus faibles.
42. Enfin, à l’échelon local, le pouvoir royal est représenté et relayé par des
agents territoriaux. Dans ce domaine également, le système administratif mérovingien est très en retrait par rapport à l’administration municipale et provinciale romaine. Les rois francs prennent l’habitude de déléguer leur ban et leur
mainbour à des comtes. Ce terme vient du latin comes qui signifie compagnon
et qui traduit la force du lien les unissant au roi. Chacun d’eux est installé dans
une circonscription territoriale, le pagus ou pays. Tant que faire se peut, on a
respecté le découpage administratif gallo-romain et le pagus recoupe souvent
l’ancien territoire de la cité et du diocèse, ce qui permet au passage d’utiliser
l’évêque comme auxiliaire administratif. Le comte emploie les pouvoirs qui lui
ont été confiés pour assurer le respect des ordres royaux et maintenir la paix du
roi, rendre la justice, lever les contingents militaires, recouvrer les subsides
auprès des sujets. Il est assisté d’agents subalternes, les centeniers, que l’on
trouve à la tête de la centaine, nouvelle subdivision issue du découpage du
pagus. Les charges comtales sont considérées comme des honores, des honneurs.
Conception patrimoniale de la royauté aidant, elles sont accompagnées de
largesses. Le roi pourvoit ses comtes en terres, titres et prérogatives. Ceci
explique le développement d’une puissante aristocratie terrienne détentrice
d’une partie de la puissance publique.
Conseils de méthodologie
Exercice. Commenter le texte suivant :
Marculf, Formulae..., I, 8, in J. Imbert, G. Sautel & M. Boulet-Sautel, Histoire des institutions et des
faits sociaux I. Des origines au Xe siècle, Paris, PUF, 1957, pp. 340‑341.
Charte de duché, de patriciat ou de comté. – La perspicacité de la clémence royale est louée dans
sa perfection pour ce qu’elle sait choisir entre tous les sujets ceux que distinguent leur mérite et
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UNE ROYAUTÉ GERMANIQUE
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---------------------------------------------------------------------------leur vigilance et il ne convient pas de commettre une dignité judiciaire à quiconque avant d’avoir
éprouvé sa foi et son zèle. En conséquence, comme il nous semble avoir trouvé en toi, foi et efficacité, nous t’avons confié la charge du comté, du duché ou du patriciat, dans tel pays, que untel,
ton prédécesseur, paraît avoir assumée jusqu’à présent, pour l’assumer et la régir, en sorte que tu
gardes toujours une foi intacte à l’égard de notre gouvernement, et que tous les peuples habitant
là – tant Francs, Romains, Burgondes que toute autre nation – vivent et soient administrés par ta
direction et ton gouvernement et que tu les régisses par droit chemin, selon leur loi et coutume,
que tu apparaisses le grand défenseur des veuves et des orphelins, que les crimes des brigands et
des malfaiteurs soient sévèrement réprimés par toi, afin que les peuples vivant dans la prospérité
et dans la joie sous ton gouvernement aient à demeurer tranquilles ; et que tout ce que dans
cette charge l’autorité du fisc est en droit d’attendre que tu l’apportes toi-même, chaque
année, à nos trésors.
Proposition de correction
ÉLÉMENTS POUR L’INTRODUCTION
Auteur et nature du texte. Marculf est un moine qui, au milieu du VIIe siècle, est maître dans l’art
de rédiger les actes juridiques les plus variés, aussi bien ceux relevant de la vie courante, donc du
droit privé, que ceux relevant du droit public. Marculf exerce son art à l’école de l’évêque
de Paris, Landry. Le recueil de Marculf suit précisément la distinction entre droit public et droit
privé : en effet, sa première partie est constituée par les modèles d’actes utilisés par les services
de l’administration royale, les praecriptiones regales, tandis que sa seconde partie regroupe des
modèles d’actes privés pour les particuliers, les cartae pagenses. Le texte ici présenté, charte de
duché, de patriciat ou de comté, appartient à la première catégorie.
Contexte historique et juridique. Au Ve siècle, le déferlement de plusieurs peuples germaniques
dans les territoires occidentaux de l’empire met fin à plusieurs siècles de culture et de civilisation
romaines. Parmi ces peuples, les Francs, installés dans le Nord de la France et l’actuel Benelux,
jouèrent un rôle fondamental. Ce sont des alliés traditionnels de l’Empire romain, qu’ils défendent contre les attaques d’autres peuples germaniques. À la fin du Ve siècle et au début du VIe, ils
sont sous l’autorité d’un roi énergique, Clovis. En 30 ans, il va conquérir un royaume en écrasant
successivement l’armée du commandant romain du Nord de la France à Soissons (486), les
Alamans à Tolbiac (496), et les Wisigoths d’Alaric II à Vouillé en 507. Clovis est soutenu par les
populations gallo-romaines que les Francs connaissaient bien et avaient défendues. Sa conversion au catholicisme fit de lui l’allié privilégié de l’Église, en pleine ascension. Ainsi, deux aspects
fondamentaux de l’histoire de France étaient mis en place : le lien avec l’Église catholique et la
légitimité dynastique, puisque les fils de Clovis lui succédèrent sans problème. Un dernier élément
d’importance est l’établissement de sa capitale à Paris. Les fils de Clovis continuèrent d’ailleurs
l’œuvre de leur père en annexant le royaume Burgonde (Sud-est de la France), fixant ainsi pratiquement les frontières de la France actuelle. Le droit romain, extrêmement précis et élaboré,
cohabite désormais avec les droits coutumiers des différents peuples germaniques (cf. infra,
nº s59 et s.). En effet, lorsque les différents peuples germaniques entrèrent dans l’empire, il
sembla plus simple de les laisser bénéficier de leur droit « national ». Ce système de la personnalité des lois est caractéristique de l’époque mérovingienne : il est le résultat de la cohabitation sur
un même territoire de peuples différents, chacun restant soumis à ses lois d’origine. Ce système
est cependant circonscrit au domaine du droit privé, dont le droit pénal, car en ce qui concerne le
droit public, les rois francs ont imposé à tous les peuples vivant sous leur autorité, leur organisation administrative et politique.
Intérêt du texte et problématique. En matière administrative et politique précisément, les Francs
imposent leurs conceptions, ce dont la charte, présentée par Marculf, constitue une illustration
significative. Cette charte expose en effet les critères de nomination des agents royaux mérovingiens, ainsi que leurs missions.
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INTRODUCTION
HISTORIQUE AU DROIT ET
HISTOIRE
DES INSTITUTIONS
---------------------------------------------------------------------------ANNONCE DU PLAN. Ce modèle de charte est révélateur de la volonté des rois mérovingiens
d’imposer leur ordre public (I) en même temps qu’il prescrit le maintien de l’ordre juridique
privé existant (II).
I. L’IMPOSITION DE L’ORDRE PUBLIC MÉROVINGIEN
Les rois mérovingiens nomment leurs gouverneurs territoriaux (comtes) en vertu d’un rapport
personnel de confiance et de fidélité (A) ; ce lien personnel entre le roi et ses administrateurs
explique la nature régalienne des pouvoirs de ces derniers (B).
A – LES RAPPORTS PERSONNELS ENTRE LE ROI ET LES ADMINISTRATEURS
1) La confiance du roi
En principe, le roi choisit ses administrateurs territoriaux à sa guise. Le texte invoque la « perspicacité » royale qui sait distinguer les plus méritants parmi ses sujets. C’est là un héritage de la
conception germanique du pouvoir, marquée par l’importance du lien personnel unissant le roi à
ses guerriers. En fait, le roi lui‑même est moins libre qu’il n’y paraît, puisqu’il est lié par la diversité ethnique du royaume et par l’apparition d’une noblesse héréditaire. Ainsi, il nomme de préférence des comtes gallo-romains au sud du royaume, et des comtes d’origine germanique au nord.
Le roi doit également tenir compte des rapports de force au sein de la société et nomme souvent
les membres des mêmes grandes familles, car leur soutien lui est nécessaire.
2) La fidélité à l’égard du roi
Dans la tradition germanique, les guerriers étaient liés à leur roi par des liens personnels de sujétion et de fidélité, extérieurement symbolisés par un serment consistant en une promesse de ne
pas nuire au roi, de lui obéir et d’épouser ses amitiés et ses inimitiés. C’est d’ailleurs grâce à un
autre texte de Marculf que l’on connaît l’existence de ce serment, le leudesamio. Cette fidélité est
conçue comme devant être préalablement éprouvée ; ainsi, la charge de comte est présentée
comme la récompense du mérite personnel de celui auquel elle est confiée.
B – UNE ADMINISTRATION DE TYPE ROYAL
1) Une délégation générale de puissance publique
La charte fait clairement apparaître le comte comme un agent du roi, comme un représentant de
la puissance publique. Il est notamment en charge de l’administration de la justice et le pouvoir
qui lui est confié est qualifié de « gouvernement ». Cela démontre qu’entre le pouvoir royal et le
pouvoir comtal, il y a une différence de niveau, mais pas de nature : le pouvoir du comte prolonge
celui du roi.
2) La mise en œuvre des pouvoirs fiscaux
L’obligation personnelle la plus lourde pesant sur le comte est l’obligation fiscale. En même
temps, cette obligation démontre que le comte est bien l’agent qui prolonge l’action royale au
niveau local. Il collecte l’impôt pour le roi, les droits de péage, ainsi que les amendes. Même s’il
en garde une part pour lui-même, cette prérogative fiscale fait du comte un élément déterminant
de l’imposition d’un ordre public royal par les Mérovingiens.
II. LE MAINTIEN DE L’ORDRE JURIDIQUE PRIVÉ
Le maintien de l’ordre juridique privé relève également du comte. Ce dernier est responsable du
maintien de l’ordre en matière pénale (A), ainsi que du fonctionnement du système de la personnalité des lois (B).
A – LE MAINTIEN DE L’ORDRE EN MATIÈRE PÉNALE
1) La répression des crimes
Les fonctions régaliennes du comte en matière de droit privé consistent essentiellement dans la
répression des infractions pénales sur le territoire qu’il administre. Le comte nomme notamment
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CHAPITRE 1 – LES MÉROVINGIENS :
UNE ROYAUTÉ GERMANIQUE
51
---------------------------------------------------------------------------des agents territoriaux de rang inférieur, les viguiers et centeniers qui vont convoquer les tribunaux que le comte préside.
2) La défense des faibles
Parallèlement à la répression des crimes, les comtes, véritables images du roi, doivent également
protéger « la veuve et l’orphelin », c’est-à-dire les plus faibles. C’est là évidemment une transposition, au niveau local, de la mission générale du roi telle qu’elle est conçue par l’Église.
B – LE RESPECT DES LOIS DE CHACUN POUR LE BIEN DE TOUS
1) Le principe de la personnalité des lois
Le principe de la personnalité des lois est une obligation pour le comte. Il doit appliquer à chacun
des hommes placés sous sa juridiction le droit de son peuple d’origine. Cela peut évidemment
causer des conflits de lois lorsque des personnes d’origine différente étaient opposées devant le
juge. Différentes solutions ont été adoptées (en droit pénal en particulier, on appliquait la loi de
l’accusé), mais avec la fusion des peuples, le système de la personnalité des lois fut remplacé par
un système territorial.
2) Le bien commun comme but
Le maintien de l’ordre en matière criminelle ainsi que le respect des lois de chacun, est présenté
par la charte de Marculf comme la condition de l’ordre et de la prospérité. De ce point de vue, la
conception d’un bien commun inséparable du bien particulier apparaît comme la conséquence de
l’influence des conceptions aussi bien germaniques que romaines.
Bibliographie
FOURNIER (G.), Les Mérovingiens, Paris, PUF, Coll. « Que-sais-je ? », 7e éd. 1996.
GUILLOT (O.), « Clovis “Auguste”, vecteur des conceptions romano-chrétiennes », Arcana
imperii, Limoges, PULIM, 2003, p. 149-182.
HEUCLIN (J.), Les Mérovingiens, Paris, Ellipses, 2014.
ROUCHE (M.), Le choc des cultures. Romanité, Germanité, Chrétienté durant le Haut Moyen
Âge, Lille, Septentrion, 2003.
ROUCHE (M.) et DUMEZIL (B.) (dir.), Le Bréviaire d’Alaric. Aux origines du code civil,
Paris, PUPS, 2008.
SASSIER (Y.), Royauté et idéologie au Moyen Âge, Bas Empire, monde franc, France (IVeXIIesiècle), Paris, A. Colin, 2e éd. 2012.
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