revue Virologie 2013, 17 (3) : 119-31 Origine et diversité génétique du virus de l’immunodéficience humaine : d’où vient-il, où va-t-il ? Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Martine Peeters1 Marie-Laure Chaix2 , 3 1 Université de Montpellier-I, UMI233, TransVIHMI, IRD, 911, avenue Agropolis, 34394 Montpellier, France <[email protected]> 2 Université Paris-Descartes, Sorbonne Paris Cité, EA 3620, 75015 Paris, France 3 AP-HP, CHU Necker-Enfants Malades, laboratoire de virologie, 75015 Paris, France Résumé. Aujourd’hui, des infections SIV ont été décrites chez plus de 45 espèces de primates non humains. Les SIV les plus proches du VIH-1 sont le SIVcpz et le SIVgor, qui infectent naturellement les chimpanzés (Pan troglodytes troglodytes) et les gorilles (Gorilla gorilla gorilla) de l’Ouest de l’Afrique Centrale. Les SIVsmm retrouvés chez les mangabés enfumés (Cercocebus atys) d’Afrique de l’Ouest sont les plus proches du VIH-2. Actuellement, au moins 12 transmissions du singe à l’Homme ont été documentées, quatre à l’origine des quatre groupes du VIH-1 (groupes M, N, O et P) et huit ou neuf pour le VIH-2. Après transmission à l’Homme, le VIH-1 groupe M a commencé à se diversifier et est aujourd’hui divisé en neuf sous-types (A, B, C, D, F, G, H, J, K) et de nombreuses formes circulantes recombinantes (CRF). La plus grande diversité génétique du VIH1 M a été observée dans la partie occidentale de la République Démocratique du Congo (RDC). Les différents variants ont commencé à se propager dans le monde entier à partir de cette région et la distribution géographique hétérogène des sous-types/CRF est le résultat de différents effets fondateurs, liés à des facteurs démographiques ainsi qu’aux déplacements et migrations de populations. La diversité du VIH ne cesse d’augmenter du fait d’évènements de co-infections ou de surinfections mais également du fait de la sélection de souches résistantes au traitement antirétroviral. doi:10.1684/vir.2013.0498 Mots clés : VIH, SIV, origine du VIH, diversité, sous-types, répartition géographique Abstract. Simian immunodeficiency viruses (SIV) have been described in at least 45 non-human primate species. SIVs from chimpanzees and gorillas from West Central Africa have crossed the species barrier on at least four occasions leading to HIV-1 in humans. HIV-2 viruses result from at least eight to nine independent transmissions of SIVs infecting sooty mangabeys from West Africa. These HIV variants have different virological and epidemiological histories. Only HIV-1 group M is responsible for the global epidemic and can be subdivided into nine subtypes and a wide diversity of circulating (CRFs) and unique (URFs) recombinant forms. The highest genetic diversity of HIV-1 M is observed in the Democratic Republic of Congo and HIV-1 strains started to spread globally from this area. The heterogeneous HIV-1 M subtype/CRF distribution is the result of founder effects related to demographic factors such as travel and migration. The genetic diversity of HIV-1 continues to increase overtime due to co- or superinfections. In addition, the expanded access to antiretrovirals leads to an increasing number of drug-resistant strains, especially in resource limited countries. Key words: HIV, SIV, origin of HIV, diversity, subtypes, geographical distribution Tirés à part : M. Peeters Virologie, Vol 17, n◦ 3, mai-juin 2013 119 Pour citer cet article : Peeters M, Chaix ML. Origine et diversité génétique du virus de l’immunodéficience humaine : d’où vient-il, où va-t-il ? Virologie 2013; 17(3) : 119-31 doi:10.1684/vir.2013.0498 revue Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Le VIH est proche des virus SIV retrouvés chez les primates non humains Peu de temps après la découverte du VIH-1 en 1983 [1], le premier SIV, SIVmac, fut isolé à partir d’un macaque rhésus (Macaca mulatta) dans le centre de primatologie du New England Regional Primate Research Center (NERPRC) aux États-Unis d’Amérique avec des symptômes d’immunodéficience similaires à ceux observés chez les patients infectés par le VIH [2]. Dès lors, l’origine simienne du sida chez l’Homme fut suspectée. En 1985, une enquête sérologique au Sénégal a montré que les sérums de plusieurs patients avaient des anticorps dirigés contre les SIV connus à cette époque mais pas contre les protéines du VIH-1, suggérant la présence d’un autre rétrovirus dans la population humaine en Afrique de l’Ouest [3]. En 1986, cette observation a été confirmée, car un autre virus proche du VIH-1, appelé VIH-2, fut isolé et caractérisé chez des patients vivants en France mais originaires d’Afrique de l’Ouest [4]. Aujourd’hui, des infections SIV ont été décrites chez plus de 45 espèces de primates non humains (PNH) [5]. Les virus SIV présentent une grande diversité génétique. Il y a de nombreux exemples de co-évolution entre ces virus et leur hôte, mais également des exemples de recombinaisons entre des SIV relativement distants. Une même espèce de primate peut aussi être porteuse de deux SIV différents. Néanmoins, globalement chaque espèce de PNH est infectée par des variants spécifiques qui forment une lignée monophylétique dans la radiation des SIV. Les SIV les plus proches du VIH-1 sont le SIVcpz et le SIVgor, qui infectent naturellement les chimpanzés (Pan troglodytes troglodytes) et les gorilles (Gorilla gorilla gorilla) de l’Ouest d’Afrique Centrale [6-8]. Les SIVsmm retrouvés chez les mangabés enfumés (Cercocebus atys) d’Afrique de l’Ouest sont les plus proches du VIH-2 (figure 1) [9]. À ce jour, il est clairement établi que de multiples transmissions zoonotiques de lentivirus du singe à l’Homme sont à l’origine de l’épidémie de VIH [10]. L’exposition de l’Homme au sang ou aux tissus contaminés de PNH infectés, lors de la chasse ou de la préparation de la viande de brousse, ou même lors de blessures infligées par des singes domestiqués, expliquerait le franchissement de la barrière inter-espèces du singe à l’Homme [11, 12]. Dans cette revue, nous décrirons plus en détail l’origine du VIH, sa diversité génétique et l’évolution de cette diversité dans l’épidémie actuelle et future. 120 L’origine du VIH-1 Les SIV des chimpanzés et des gorilles sont les ancêtres du VIH-1 Les premiers chimpanzés décrits comme infectés par des virus, SIVcpzGAB1 et -GAB2, proches du VIH-1 ont été observés au Gabon en 1989, chez deux animaux de la sousespèce P. t. troglodytes, nés dans la nature mais captifs [13]. Un troisième SIVcpz (SIVcpzANT), infectant un chimpanzé de la République Démocratique du Congo (RDC), appartenant à la sous-espèce Pan troglodytes schweinfurthii, et saisi en Belgique par les douanes, révéla une très grande diversité génétique parmi les SIVcpz [14, 15]. Des études ultérieures d’analyse phylogénétique, incluant d’autres séquences de SIVcpz, ont montré que les chimpanzés P. t. troglodytes d’Afrique Équatoriale de l’Ouest et les P. t. schweinfurthii en Afrique Équatoriale de l’Est étaient chacun infectés par un SIVcpz spécifique à ces sousespèces, respectivement SIVcpzPtt et SIVcpzPts [6, 16]. Ces analyses montraient aussi que les SIVcpzPtt étaient les virus les plus proches du VIH-1, suggérant déjà que les chimpanzés d’Afrique Équatoriale de l’Ouest étaient la source du VIH-1 (figure 1). Cependant, afin de mieux documenter et comprendre où, comment et combien de fois les SIV de chimpanzés avaient été transmis à l’Homme, il était nécessaire d’étudier un nombre plus important de chimpanzés vivant dans la nature. Pour ces espèces protégées et menacées d’extinction, il était d’abord nécessaire de développer des méthodes qui permettent d’identifier et de caractériser une infection SIV de façon non invasive. En 2002, des techniques permettant de détecter des anticorps et de l’ARN viral dans les fèces ont été mises au point [17]. Aujourd’hui, plus de 6 000 échantillons fécaux de chimpanzés ont été collectés dans de nombreuses régions d’Afrique, couvrant les aires géographiques des quatre sous-espèces de chimpanzés (figure 2). Ces études montrent que seules les deux sous-espèces (P. t. troglodytes et P. t. schwenfurthii) vivant en Afrique Centrale sont infectées par SIVcpz, chacun par des SIVcpz spécifiques des sous-espèces [7, 18-21]. L’infection SIVcpz est largement répandue parmi les deux sous-espèces, avec une inégalité des prévalences variant de 0 % à plus de 35 %. À l’intérieur des lignées SIVcpzPtt et SIVcpzPts, les virus se regroupent selon leur site d’origine de collecte, formant des clusters phylogéographiques. Ces études d’épidémiologie moléculaire à grande échelle ont donc permis d’identifier les réservoirs des virus humains pandémiques (VIH-1 M) et non pandémiques Virologie, Vol 17, n◦ 3, mai-juin 2013 ed ’O ug ba an id da 'Af riq ue SIV occ olc ide Co nta lob le ev ert SIV de la super espèce de l’ Hoest SIVgsn singe hocheur 2 moust SIVreg mousta c à ore illes ro usses SIVm u s SIV -3 mo ustac SIV asc ce bkm rcop cerc ithèq ocè ue a be n sca gne oir SI Vt al tal ap oin du no rd ug s1 and SIVmu ro SIV des cercopithèques arboricoles ue e èm ad i àd èq th i op t en eD f ad l n Wo mo SI ge ue de n i q s è a en ith razz Vd cop de B SI l cer e u q wo ithè rcop SIV b ce e d SIV y Vs SIVmnd-1 mandrill k rc ce SIVcol colobe guéréza SIVprg cercopithèque de Preuss SIVlho cercopithèque de l'Hoest SIVsun cercopithèque à queue de soleil SIVmnd-2 mandrill SIVdrl drill VI VIH- 1 P VIH-1 O cp or SIV tt VIH SIVg SIVsmm mangabé enfumé VIH-2 SI SIVcpz Chimpanzé SIVgor Gorille VIH-1 P N Ptt pz -1 z Vc p H Vc -1 M zP ts SI le agi c abé blan g n r ma lie col agi SIV abé à ng ma rcm SIV VIH-2D VIH-2B VIH-2I VIH-2H VIH-2C H SI S I 2G V s m Vs m m m VI Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. be pie 'Ethio t ivet d RI gr ER verve tantale gmG ue gmV ithèq SIVa rcop 1 ce TAN cc olo be agm wr SIVa SIV co lo SIV on oll Th de ai eb ob col rc trc Vk SIV SI ac SIV du genre Chlorocebus SIVmon cercopithèque mona revue 0.04 Figure 1. Diversité génétique des différentes lignées SIV/VIH montrant l’origine zoonotique des VIH-1 et des VIH-2. Analyse phylogénétique par neighbor-joining d’un alignement de séquences partielles du gène pol (294 pb) de SIV infectant diverses espèces de primates non humains et de VIH infectant l’Homme. Les longueurs de branche sont proportionnelles à l’échelle (la barre d’échelle représente 0,04 substitution par site). Les lignées VIH-1 et VIH-2 sont présentées en rouge et violet, respectivement. Le nom commun en français de l’espèce infectée est ajouté après chaque SIV. La correspondance entre les lignées de SIV et leurs hôtes naturels montre que, en général, chaque espèce de primate est infectée par un SIV spécifique à l’espèce. Cette caractéristique permet une nomenclature des virus en fonction de l’espèce infectée et le virus est noté SIV suivi de trois lettres en minuscule référant au nom commun anglais de l’espèce infectée (ex., SIVcpz pour les SIV infectant les chimpanzés ou SIVsmm [smm abréviation pour sooty mangabés] pour les SIV infectants les mangabés enfumés), et les initiales du nom latin de la sous-espèce peuvent être ajoutées si nécessaire (ex., SIVcpzPtt pour les SIV infectant les chimpanzés de la sous-espèce Pan troglodytes troglodytes). Virologie, Vol 17, n◦ 3, mai-juin 2013 121 revue ancêtres du HIV-1 N et M SIV neg Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. SIV neg SIV? SIVcpzPtt-MB66 * * * * * * * * * 0.05 VIH-1 M-A * VIH-1 M A VIH-1 M B SIVcpzPtt-MT145 VIH-1 N YBF30 * * VIH-1 N YBF106 SIVcpzPtt-EK505 * SIVcpzPtt-CAM3 * SIVcpzPtt-DP943 SIVcpzPtt-CAM5 * SIVcpzPtt-CPZ-US SIVcpzPtt-GAB2 SIVcpzPtt-CAM13 SIVcpzPtt-GAB1 SIVcpzPtt-Cam155 SIVcpzPtt-Gab4 VIH-1 O ANT70 * VIH-1 O MVP5180 SIVgor-CP2139 * SIVgor-CP2135 SIVgor-CP684 SIVgor-CR8257 * SIVgor-CR7993 * VIH-1 P_RBF168 * VIH P_U14788 SIVcpzPts-TAN2 * SIVcpzPts-TAN3 SIVcpzPts-UG38 * SIVcpzPtt P.t.troglodytes Chimpanzé d’ Afrique Centrale Pan troglodytes verus Pan troglodytes ellioti SIVgor G.g.gorilla Gorille de l’ ouest SIVcpzPts P.t.schweinfurthii Chimpanzé d’ Afrique de l’ Est Pan troglodytes troglodytes Pan troglodytes schweinfurthii Gorilla gorilla gorilla Pan paniscus Figure 2. Les SIV infectant les chimpanzés et les gorilles de l’Ouest de l’Afrique Centrale sont à l’origine du VIH-1. L’arbre phylogénétique représente les relations évolutives entre les différentes lignées VIH-1 groupes M, N, O, P (en noir), les SIVcpzPts des Pan troglodytes schweinfurthii (en bleu), les SIVcpzPtt des Pan troglodytes troglodytes (en rouge), et les SIVgor des Gorilla gorilla gorilla (en vert). L’arbre a été construit avec la méthode du maximum de vraisemblances à partir d’un alignement protéique de séquences SIV/VIH du gène de l’enveloppe (410 pb dans gp41). Les longueurs de branche sont proportionnelles à l’échelle (la barre d’échelle représente 0,05 substitution par site). La carte représente les répartitions géographiques des espèces concernées : les G. g. gorilla (traits vert) et les quatre sousespèces de chimpanzés (Pan troglodytes). Les points noirs et verts sur la carte indiquent respectivement les réservoirs des ancêtres des différents groupes du VIH-1 dans les populations de chimpanzés et de gorilles sauvages. Aujourd’hui, les études n’ont pas encore permis d’identifier les réservoirs directs du VIH-1 groupe O. Aucune infection SIV n’a encore été identifiée chez les chimpanzés des sous-espèces Pan troglodytes verus et Pan troglodytes eliotti ou le bonobo (Pan paniscus). (VIH-1 N) chez les chimpanzés sauvages de la sous-espèce P. t. troglodytes. Les souches virales ancêtres du VIH-1 M appartiennent à une lignée de SIVcpzPtt qui persiste encore 122 aujourd’hui chez des groupes de chimpanzés sauvages, vivant dans l’extrême Sud-Est du Cameroun et le VIH-1 groupe N a pour origine une autre lignée de SIVcpzPtt Virologie, Vol 17, n◦ 3, mai-juin 2013 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. revue infectant des animaux du centre du Cameroun (figure 2) [7, 20]. Les chimpanzés et les gorilles sont des espèces sympatriques qui cohabitent sur les mêmes territoires. Aujourd’hui, plus de 4 000 échantillons de fèces de gorilles ont été collectés et analysés pour détecter la présence de SIV. Ainsi, il a été démontré que les gorilles de la sousespèce G. g. gorilla vivant au Cameroun étaient infectés par un SIV [8, 22]. Sur l’ensemble de leur génome, les SIVgor forment un clade monophylétique inséré dans la radiation des SIVcpz dans l’arbre phylogénétique et sont très proches du VIH-1 groupes O et P [23]. Ces analyses phylogénétiques montrent aussi que les gorilles ont été infectés suite à une transmission inter-espèce de SIV des chimpanzés. Néanmoins, les SIVgor caractérisés à ce jour ne sont pas les ancêtres directs du VIH-1 O retrouvé chez l’Homme, étant donnée la distance génétique relativement importante entre ces deux lignées virales. En revanche, le réservoir du VIH-1 groupe P a été identifié dans une population de gorilles vivant au Sud-Ouest du Cameroun (figure 2) [24]. La distribution du SIVgor chez ces populations sauvages au Cameroun est inégale selon les sites (de 0 à 20 %) et la prévalence globale est trois fois plus faible que celle observée chez les chimpanzés dans les mêmes régions [22, 24]. Les quatre groupes du VIH-1 sont donc clairement le résultat de quatre transmissions inter-espèces indépendantes qui ont eu lieu dans la partie ouest d’Afrique Centrale, correspondant aux aires de répartition des gorilles de plaine de l’Ouest (G. g. gorilla) et des chimpanzés de Centre-Ouest (P. t. troglodytes). Les franchissements de la barrière d’espèce menant au VIH-1 ont eu lieu dans l’Ouest de l’Afrique Centrale au début du xxe siècle Les quatre transmissions inter-espèces n’ont pas toutes eu la même issue virologique et épidémiologique. En effet, seul le VIH-1 groupe M, découvert en 1983, a diffusé à l’échelle mondiale et est responsable de la pandémie qui touche aujourd’hui plus de 33 millions de personnes dans le monde (UNAIDS). Le VIH-1 groupe O a été identifié au début des années 1990 chez des patients camerounais et est limité à une épidémie restreinte dans la région du bassin du Congo où il représente moins de 1 % des infections VIH-1 [25-28]. Des données au Cameroun suggèrent que la prévalence du VIH-1 O reste stable autour de 1 % [29, 30]. Le VIH-1 N, décrit en 1998, et le VIH-1 P, décrit en 2009, ont été observés chez très peu d’individus, moins de 20 et deux respectivement [31-33]. Toutes les infections ont été décrites chez des personnes vivant au Cameroun, à l’exception d’un cas d’infection VIH-1 N chez une patiente diagnostiquée en France en 2011 mais qui s’était infectée au Togo [34]. Les franchissements de la barrière d’espèce Virologie, Vol 17, n◦ 3, mai-juin 2013 pour les groupes M, N et P ont certainement eu lieu dans le Sud du Cameroun où les réservoirs des ancêtres de ces trois variants viraux ont été retrouvés (figure 2). Cela coïncide avec la distribution géographique des infections VIH-1 N et P. La localisation de la transmission inter-espèce à l’origine du groupe O n’a pas encore été identifiée, mais pourrait se situer dans le Sud du Cameroun ou une région proche, correspondant à la zone épidémique. Néanmoins, pour le groupe M, l’épicentre de la pandémie est situé en RDC à plusieurs centaines de kilomètres du Sud-Est du Cameroun [35, 36]. Diverses hypothèses existent pour expliquer cette différence de localisation entre l’origine du virus et l’origine de l’épidémie. Il s’agit probablement d’une combinaison de plusieurs facteurs liées au virus et aux conditions socioéconomiques et démographiques [37]. Grâce aux analyses phylogénétiques, il est possible de dater l’ancêtre commun le plus récent (most recent common ancestor [MRCA]) à partir d’un ensemble de souches virales. Différentes techniques de datation moléculaire ont ainsi été utilisées dans le but d’estimer les dates des ancêtres communs à certains SIV ou VIH. Ainsi, les données les plus précises estiment que le MRCA du groupe M est le plus ancien, remontant au début du xxe siècle (1908 [18841924]), suivi du groupe O (1920 [1890-1940]) et du groupe N (1963 [1948-1977]) [38]. Pour le VIH-1 P, seulement deux souches ont été décrites et les datations de l’ancêtre commun sont donc très imprécises, on estime le moment de la transmission entre 1845 et 1989 [39]. L’origine du VIH-2 Les homologies entre le VIH-2 et le SIVsmm, infectant les mangabés enfumés (C. atys) en Afrique de l’Ouest, la présence du gène accessoire vpx, la coïncidence géographique entre l’épicentre de l’épidémie de VIH-2 et l’aire de répartition des mangabés enfumés confirment que les SIVsmm des mangabés (C. atys) sont les ancêtres du VIH-2 présent aujourd’hui chez l’Homme [9, 40]. La caractérisation de nombreuses souches de SIVsmm, provenant d’animaux sauvages ou captifs, a montré une très grande diversité génétique des SIVsmm au Libéria, en Sierra Leone et en Côte d’Ivoire. Une très grande diversité génétique est aussi observée parmi les souches VIH-2, constitué d’au moins huit groupes viraux (notés de A à H), correspondant à huit transmissions inter-espèces indépendantes [41, 42]. Récemment, un nouveau variant VIH-2 a été décrit chez un enfant vivant dans la forêt de Tai en Côte d’Ivoire et pourrait correspondre à une neuvième transmission interespèce [43]. La plupart des groupes (C à H) n’infectent que peu d’individus et ont été décrits essentiellement dans les zones rurales, où les habitants vivent au contact de ces 123 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. revue animaux (chasse ou domestication) [44]. Seuls les groupes A et B ont connu une diffusion épidémique en Afrique de l’Ouest. La Guinée-Bissau est l’épicentre du VIH-2 A, le groupe prédominant, qui circule dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest (Sénégal, Mali, Nigéria, Burkina Faso, Gambie, Côte d’Ivoire, etc.) ainsi qu’en Europe et, plus particulièrement, en France ou au Portugal qui possèdent des liens historiques avec ces pays [45]. Le VIH-2 groupe B est moins prévalent et circule essentiellement en Côte d’Ivoire et Ghana. Les ancêtres de ces deux groupes viraux ont été identifiés chez des mangabés enfumés sauvages de la forêt de Tai, en Côte d’Ivoire, proche de la frontière avec le Libéria [46]. Les analyses de datation estiment que l’émergence du VIH-2 a eu lieu vers 1932 pour le groupe A (1906-1955) et 1935 pour le groupe B (1907-1961) [38]. L’épidémie de VIH-2 est limitée à l’Afrique de l’Ouest avec les prévalences les plus élevées au Sud du Sénégal (Casamance) et en Guinée-Bissau. En général, les prévalences sont restées faibles, avec une décroissance au cours du temps, contrairement au VIH-1 [47, 48]. Le VIH-2 est moins pathogène et moins transmissible que le virus pandémique, VIH-1 M. Le risque de transmission mère-enfant est très faible (< 2 %) et la transmission sexuelle moins efficace certainement du fait de faibles charges virales [49-51]. Diversité génétique et épidémiologie moléculaire du VIH-1 M Classification du VIH-1 M La variabilité génétique du VIH est le résultat d’un taux élevé de réplication virale associé à une faible fidélité de la transcriptase inverse favorisant un taux de mutation et de recombinaison élevé. Après transmission à l’Homme, le VIH-1 groupe M a commencé à se diversifier et est aujourd’hui divisé en sous-types, eux-mêmes parfois divisés en sous-sous-types. Neuf sous-types (A, B, C, D, F, G, H, J, K) et des sous-sous-types pour les sous-types A (A1 à A4) et F (F1 et F2) sont actuellement reconnus (www.hiv.lanl.gov) (figure 3). La variation génétique entre souches d’un même sous-type est en général inférieure à 17 % [52] alors que la variation génétique entre différents sous-types est de 17 à 35 %. La classification des VIH1 est rendue plus complexe par la présence de nombreux virus recombinants. Les virus recombinants identifiés chez au moins trois individus sans lien épidémiologique entre eux sont appelés formes circulantes recombinantes (CRF) [53]. Aujourd’hui, 55 CRF sont décrits dans la classification (www.hiv.lanl.gov) et leur nombre ne cesse d’augmenter. Les CRF ont un numéro qui suit l’ordre dans lequel ils ont été découverts mais leur numérotation ne reflète pas leur histoire évolutive ou l’ancienneté de leur apparition [54]. 124 En plus du numéro, une extension indique les sous-types impliqués (ex. : CRF02_AG) quand il s’agit d’une recombinaison entre deux sous-types. Le terme « cpx » pour complexe est utilisé quand trois ou plusieurs sous-types ou même CRF sont présents dans le génome mosaïque. Des recombinaisons impliquant des CRF sont appelées CRF de deuxième génération. Certains CRF, comme le CRF01_AE et le CRF02_AG, étaient déjà présents au début de l’épidémie et jouent un rôle majeur dans certaines parties du monde. De nombreux autres virus recombinants ont été décrits, en particulier dans les régions où plusieurs soustypes/CRF co-circulent. Les virus recombinants identifiés chez moins de trois personnes sont appelés formes recombinantes uniques (URF). La classification du VIH-1 est en constante évolution, en particulier au fur et à mesure des découvertes de nouveaux sous-types viraux ou CRF. La diversité génétique intra-sous-type augmente aussi avec le temps [55]. Distribution géographique des différents variants VIH-1 M La classification des souches de VIH a permis de retracer l’évolution de la pandémie. Des efforts importants ont été accomplis pour collecter et caractériser les isolats de VIH à travers le monde et une vue d’ensemble de la distribution des souches de VIH a émergé. Les différents sous-types ou CRF sont inégalement répartis dans le monde (figure 4), reflétant une épidémiologie moléculaire complexe. Le soustype C est le plus prévalent dans le monde puisqu’il infectait 48 % des personnes vivant avec le VIH sur la période 2004-2007. Les prévalences des sous-types A et B ont été estimées à 12 et 11 %, respectivement, suivies par le CRF02_AG (8 %), le CRF01_AE (5 %), le sous-type G (5 %) et le sous-type D (2 %) [51]. Les sous-types F, H, J et K représentaient moins de 1 % des infections dans le monde. Les autres CRF représentaient 4 % des infections, ce qui porte le total de tous les CRF à 16 % et à 20 % si l’on ajoute les URF. La plus grande diversité génétique du VIH-1 M en termes de nombre de sous-types, diversité intra-sous-type et virus recombinants a été observée dans la partie occidentale de la RDC [35, 56]. Dans les analyses phylogénétiques, les souches provenant de ce pays se trouvent souvent à la racine des différents sous-types. L’ancienneté et la diversité de l’épidémie dans cette région est corroborée par le fait que à Kinshasa, 20 ans avant que l’épidémie de sida ne soit reconnue, une souche VIH-1 M sous-type D a été identifiée dans un sérum de 1959 et une souche VIH-1 M sous-type A dans une biopsie de 1960 [36, 57]. Du fait de l’ancienneté de l’épidémie et de la grande diversité virale en nombre de sous-types et diversité intra-sous-type, Virologie, Vol 17, n◦ 3, mai-juin 2013 revue U G CR UR 6-A CRF18-cpx F2 4-cpx CRF0 CR F24 -BG VIH-1 groupe M F A4 CRF45-cpx SIVcpzPts -cpx CRF09 cpx VIH-1 groupe O B UL H C D F1 C K F2 RF05 -DF VIH-1 SIVc pzPt VIH -1 gr t SIVg group eP or oup eN CR F0 F0 F2 CR A3 A1 2-0 2- px 9-c F1 R x C -cp 36 F CR AG 1A 1-A 1 E F37 CR CR Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. A2 BG 3G F2 4-B G R C F1 3-02 x R C F4 5-cp x CR RF2 06-cp C RF C J 1-cpx CRF1 CRF13-cpx CRF27-cpx 0.05 Figure 3. Diversité génétique du VIH-1 groupe M. Arbre phylogénétique par neighbor-joining des séquences du génome complet représentant la diversité génétique de la lignée VIH-1/SIVcpz/SIVgor. Dans le groupe M, sous-types et sous-sous-types sont mis en évidence en noir et les formes circulantes recombinantes (CRF) en bleu. Les formes recombinantes uniques (URF) sont en pointillés bleus. Les longueurs des branches sont proportionnelles à l’échelle (la barre indique la divergence de 5 %). cette partie d’Afrique est considérée comme l’épicentre de l’épidémie VIH-1 M. Les différents variants ont commencé à se propager dans le monde entier à partir de cette région et la distribution géographique hétérogène des sous-types/CRF est le résultat de différents effets fondateurs dans chaque pays, liés à des facteurs démographiques ainsi qu’aux déplacements et migrations de populations. À l’heure actuelle, le rôle des propriétés biologiques des différents sous-types et recombinants dans leur différence de propagation n’est pas encore clairement établi. La diversité génétique sur le continent africain est plus élevée que sur les autres continents, mais la distribution géographique est aussi hétérogène [58]. Dans les pays voisins de la RDC, la diversité génétique est aussi très élevée avec de nombreux soustypes et virus recombinants documentés au Cameroun, en Angola, en République Centrafricaine, au Gabon et en Guinée Équatoriale. L’épidémie en Afrique Australe est quasiment exclusivement liée au sous-type C, qui représente presque 100 % des infections en Afrique du Sud, au Zimbabwe, au Mozambique, au Malawi, au Swaziland et au Botswana. Ce sous-type prédomine aussi dans quelques pays d’Afrique de l’Est comme le Burundi ou l’Éthiopie. En Virologie, Vol 17, n◦ 3, mai-juin 2013 Afrique de l’Est, le sous-type A est majoritaire et les soustypes D et C y co-circulent, dans des proportions différentes selon les pays. De nombreux recombinants impliquant ces trois sous-types sont également décrits. En Afrique Occidentale, le CRF02_AG prédomine avec des prévalences variant entre 50 à 80 %. Le CRF06_cpx joue aussi un rôle important dans les épidémies au Togo, au Burkina Faso, au Niger et au Nigéria, représentant entre 20 à 50 % des virus circulants. En Océanie, le sous-type C est majoritaire. En Amérique du Nord, en Europe et en Australie, le sous-type B est majoritaire. Une étude d’épidémiologie moléculaire et de datation a montré que l’ancêtre commun du sous-type B actuel est originaire d’Afrique Centrale [59]. Les virus de sous-type B seraient arrivés à Haïti au milieu des années 1960 avant de diffuser dans la communauté HSH (hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes), chez les toxicomanes et chez les hémophiles aux États-Unis et en Europe. En Amérique du Sud, les sous-types B et F prédominent ainsi que les formes recombinantes impliquant ces deux soustypes (ex., CRF12_BF). En Europe de l’Est, le sous-type A est largement répandu, essentiellement chez les toxicomanes. En Asie du Sud-Est, le CRF01_AE prédomine avec 125 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. revue A B C D F G H J K CRF01 CRF02 autres CRFs URF Figure 4. Représentation schématique de la répartition géographique des variants du VIH-1 M dans le monde. Répartition en pourcentages des différents sous-types (A, B, C, D, F, G, H, J et K), CRF01_AE, CRF02_AG et des autres formes circulantes recombinantes (CRF) et formes recombinantes uniques (URF) circulants dans les différentes régions géographiques entre 2004 et 2007 à partir des chiffres publiés par Hemelaar et al. [52]. En Amérique Latine, les CRF et URF sont dérivés des sous-types B et F ou B et C. En Asie du Sud et Sud-Est, les CRF et URF sont dérivés du CRF01_AE et du sous-type B. En Asie de l’Est, les CRF sont dérivés des sous-types B et C. En Afrique, les CRF et URF sont très complexes et impliquent de nombreux sous-types et/ou CRF qui co-circulent localement. le sous-type B. En Inde, le sous-type C est majoritaire, mais le sous-type A y co-circule aussi dans certaines régions. En Chine, les CRF07_BC et CRF08_BC prédominent chez les toxicomanes et le CRF01_AE est fréquemment observé dans la population hétérosexuelle [52, 60, 61]. Co- et/ou surinfection et recombinaisons Le nombre et la complexité des souches recombinantes ne cessent d’augmenter, avec des recombinaisons entre CRF et/ou URF. Ces recombinaisons sont le résultat de co-infections ou de surinfections par différentes souches de VIH-1. Selon les études, des taux de co-infections variant de 0 à 20 % ont été rapportés [62]. Ces différences s’expliquent par les prévalences du VIH-1 différentes d’un pays à l’autre, les groupes de population étudiés et les différentes méthodologies utilisées [62]. Plusieurs cas de surinfections associés à une progression accélérée de la maladie ont été décrits [63, 64]. Des co- et/ou surinfections ont été documentées avec des souches du même sous-type, sous-type et CRF différents mais aussi avec les différents groupes de VIH-1 (M et O) [62, 65-69]. Le nombre croissant des formes recombinantes du VIH1 montre que les co-infections et les surinfections jouent 126 un rôle majeur dans la génération de nouvelles souches recombinantes et donc dans l’évolution de la diversité virale mondiale. La distribution géographique des sous-types et des formes circulantes recombinantes du VIH-1 M est en permanente évolution La distribution mondiale des différents sous-types, CRF et URF est restée relativement constante entre 2000 et 2007, cependant, une faible augmentation globale (1,4 %) de virus recombinants a été observée [52]. En revanche, à l’échelle des continents ou des pays, les changements dans le temps sont plus visibles. Au début de l’épidémie, seuls les sous-type B et F circulaient en Amérique du Sud, mais au fil des années, de nombreux recombinants B/F sont apparus (plus de 11 CRF B/F ainsi qu’une multitude d’URF) (www.hiv.lanl.gov). Le sous-type C a été introduit au Brésil entre 1960 et 1980 et il représente maintenant entre 30 à 60 % des infections dans le Sud du Brésil [70, 71]. En plus de ce sous-type, le CRF31_BC et de Virologie, Vol 17, n◦ 3, mai-juin 2013 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. revue nombreux URF B/C y sont maintenant présents. Un changement similaire a été observé en Asie du Sud-Est où au début de l’épidémie, le sous-type B était majoritaire chez les toxicomanes et le CRF01_AE essentiellement associé à la transmission hétérosexuelle. Désormais, le CRF01_AE représente la majorité des nouveaux cas d’infections dans les deux groupes. De plus, huit CRF impliquant le sous-type B et le CRF01_AE ont été décrits ainsi que de nombreux virus URF (www.hiv.lanl.gov) [72, 73]. Un autre exemple d’épidémiologie moléculaire évolutive est celui de la Grèce. Entre 1984 et 2004, la prévalence du sous-type B parmi les nouvelles infections est passée de 94 % en 1984 à 33 % en 2004. Au cours de la même période, la prévalence du sous-type A passait de 6 % en 1984 à 42 % en 2004. Alors que la prévalence du sous-type A était inférieure à celle du sous-type B au début des années 1980, elle n’a cessé d’augmenter et est devenue majoritaire en 2004 [74]. En France, on constate aussi une évolution de l’épidémie puisque pour les patients diagnostiqués au moment de leur primo-infection, la fréquence de virus VIH-1 de sous-type non-B est passée de 10 % durant les années 1999-2000 à 28 % pour les patients infectés en 2004-2010 [75, 76]. Chez les patients chroniquement infectés et naïfs de traitement, la proportion de ceux qui sont infectés par des virus non-B est de 50 % [77, 78]. Cette augmentation résulte de deux phénomènes : une proportion plus importante de patients originaires d’Afrique sub-saharienne et une augmentation de la fréquence des virus non-B dans la population caucasienne, en raison de la mixité des populations. La moitié des virus non-B, isolés en France, sont des CRF02_AG, ce qui témoigne des liens existant entre la France et l’Afrique de l’Ouest. Néanmoins, l’épidémiologie moléculaire en France est assez complexe puisque nous décrivons chez les patients au moment de leur primo-infection six sous-types non-B (A, C, D, F, G, J) et 11 CRF (CRF01_AE, CRF02_AG, CRF06_cpx, CRF09_cpx, CRF11_cpx, CRF12_BF, CRF14_BG, CRF18_cpx, CRF27_cpx, CRF42_BF et CRF45_cpx) [76]. De nombreuses URF sont également décrites dont des URF B/CRF02_AG qui sont des recombinaisons entre les deux formes de virus majoritaires en France [79]. De nombreux autres exemples de changements sont aussi documentés dans d’autres pays européens où le nombre de souches non-B augmente. La diversité s’accroît aussi dans les différents groupes à risque. En effet, dans les populations HSH ou toxicomanes, le sous-type B était quasiment le seul variant retrouvé au début de l’épidémie. Mais de plus en plus d’autres variants sont observés, comme le CRF06_cpx ou CRF01_AE chez les toxicomanes dans les pays de l’Europe du Nord, le CRF11_cpx en Suisse, le CRF14_BG en Espagne et au Portugal [80-82]. En France, une augmentation significative de virus non-B a été obser- Virologie, Vol 17, n◦ 3, mai-juin 2013 vée dans la population HSH caucasienne (7 % avant 2000, 11,6 % entre 2000 et 2004, et 18 % après 2004) [75, 76, 83]. L’introduction de nouveaux variants dans des populations à risque peut jouer un rôle majeur dans la propagation rapide de certains sous-types/CRF, par exemple, 40 % des HSH au Sénégal sont infectés avec le sous-type C versus moins de 5 % dans la population générale. Une étude récente visait à connaître l’origine géographique et temporelle de l’épidémie du sous-type C du VIH-1 au Sénégal. Des analyses phylogénétiques et d’horloge moléculaire fines ont permis d’identifier de multiples introductions dans la population générale de virus de sous-type C provenant de pays d’Afrique de l’Est et Australe [84]. En revanche, l’épidémie du VIH-1 C chez les HSH est le résultat de l’introduction unique d’un virus C originaire d’Afrique Australe suivie d’une diffusion efficace dans cette population. L’ancêtre commun aux souches du Sénégal a été daté au début des années 1970 dans la population générale et celui diffusant chez les HSH environ dix ans après [84]. Une autre évolution des souches VIH-1 dans l’épidémie : transmission de souches résistantes aux antirétroviraux (ARV) Grâce aux traitements ARV hautement actifs (HAART), la mortalité due au sida a considérablement diminué dans les pays industrialisés. Afin de limiter l’émergence des virus ayant des niveaux de résistance élevés, le traitement ARV dans les pays industrialisés est systématiquement associé à un suivi virologique, comprenant la mesure de la charge virale et le test génotypique de résistance. Plusieurs études récentes montrent que la prévalence de virus résistants transmis est stable au cours du temps aux États-Unis et en Europe, et représente entre 10 et 15 % des nouvelles infections [75, 85]. En France, nous notons une stabilité de la fréquence de virus B résistant transmis entre 1996 et 2010 (entre 12 et 16 %) alors que la fréquence de virus non-B résistants a augmenté au cours du temps puisqu’elle était de 0 % avant 1999 et de plus de 8 % après 2004. L’introduction des ARV est plus récente dans les pays à ressources limitées et a nécessité une approche différente de celle en cours dans les pays industrialisés, car le suivi virologique, intensif et coûteux, n’est pas possible pour la grande majorité des patients traités. De fait, la plupart de ces pays utilisent l’approche proposée par l’OMS qui préconise un traitement de première ligne standard comprenant deux inhibiteurs analogues nucléosidiques/nucléotidiques de la reverse transcriptase (RT) (INRTI) et un inhibiteur non nucléosidique de la RT (INNRTI) [86]. L’utilisation 127 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. revue Aucune information disponible en 2012 <5% chez les patients récemment infectés et/ou diagnostiqués 5-15% chez les patients récemment infectés et/ou diagnostiqués dans au moins une ville du pays Figure 5. Fréquence de la résistance primaire aux INNTI chez les patients récemment diagnostiqués ou récemment infectés en Afrique (dans les pays où cette surveillance est disponible). des inhibiteurs de la protéase (IP) est proposée seulement dans les traitements de seconde ligne. À l’inverse de ce qui est pratiqué dans les pays industrialisés, le changement de ligne de traitement dans les pays à ressources limitées est basé sur les critères cliniques et, quand cela est possible, sur des paramètres immunologiques comme la numération des lymphocytes CD4+ , voire les lymphocytes totaux. De plus, l’utilisation de combinaisons d’ARV standardisées qui incluent deux molécules à faible barrière génétique favorise aussi l’émergence rapide, la propaga- 128 tion et la transmission de virus résistants. Les possibilités de transmettre des souches résistantes sont donc plus élevées dans les pays du Sud que dans le Nord. Les premiers résultats des programmes de traitements ARV dans les pays en développement se sont révélés prometteurs, montrant des résultats virologiques similaires à ceux obtenus dans les pays développés [87, 88]. Cependant, l’expansion croissante des programmes de traitements ARV a révélé des taux élevés d’échecs du traitement dans certains pays, allant jusqu’à 20 % après 12 ou 24 mois de traitement Virologie, Vol 17, n◦ 3, mai-juin 2013 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. revue ART [89]. Les deux mutations les plus fréquemment sélectionnées sont M184V et K103N et peuvent compromettre la première ligne actuelle recommandée [90]. La plupart des études de « résistance transmise » ont rapporté moins de 5 % de nouvelles infections dans les pays du Sud causées par des virus résistants (http://www.who.int/hiv/ pub/drugresistance/report2012/en/index.html). Cependant, quelques études ont rapporté des prévalences allant jusqu’à 10 % dans certaines zones localisées et deux méta-analyses récentes suggèrent que la résistance augmente progressivement [91, 92]. La figure 5 montre la fréquence des souches résistantes aux INNTI chez des patients récemment infectés ou diagnostiqués en Afrique. L’émergence et la propagation de souches résistantes pourraient compromettre l’efficacité des programmes nationaux de traitement du VIH, surtout dans les pays à faibles ressources qui ont adopté l’approche OMS. diversité intra-sous-type, le nombre et la complexité des souches recombinantes. La distribution géographique des différents sous-types, CRF du VIH-1 M est aussi évolutive. Avec l’augmentation significative du nombre de personnes recevant un traitement antirétroviral, le nombre de souches résistantes transmises risque d’augmenter, en particulier dans les pays du Sud. La grande diversité des souches VIH-1 circulant à travers le monde a un impact important sur presque tous les aspects de la prise en charge de cette infection : le dépistage des personnes infectées, l’efficacité du traitement, le suivi et les stratégies de prévention comme le développement d’un vaccin. Pour toutes ces raisons, il est important de continuer à caractériser les virus qui circulent dans les différentes populations à travers le monde. Conclusion Références L’épidémie actuelle de VIH démontre l’extraordinaire importance que peut avoir un seul épisode de transmission lentivirale inter-espèce. Les premiers cas de sida avec le VIH-1 M ont été observés en 1981, mais le virus circulait déjà depuis le début du xxe siècle en Afrique Centrale. Actuellement, au moins 12 transmissions du singe à l’Homme ont été documentées, quatre à l’origine du VIH-1 et huit ou neuf pour le VIH-2. Cependant, il est très probable que d’autres ont eu lieu dans le passé mais sont restées inaperçues, le virus n’ayant pu s’adapter au nouvel hôte ou n’ayant pas eu l’occasion d’être introduit dans un milieu favorisant sa dissémination rapide. Dans la mesure où l’Homme est toujours potentiellement exposé à de nombreux lentivirus du fait de la chasse de PNH ou de la préparation de viande de brousse, la possibilité de nouveaux épisodes de transmissions inter-espèces est une éventualité qu’il faut anticiper. La découverte du VIH-1 P, en 2009, et un nouveau variant VIH-2, en 2012 chez un enfant vivant autour de la foret de Tai en Côte d’Ivoire, illustrent clairement que nos connaissances sur la diversité génétique ne sont pas encore complètes. On ne peut exclure que de nouveaux variants, issus d’autres transmissions, circulent ou ont circulé dans la population humaine, et qu’ils n’ont pas été détectés par les tests de dépistage des anticorps anti-VIH-1/-2 actuels. De plus, la longue phase asymptomatique caractéristique des lentivirus et la mobilité actuelle des hommes, permet une large diffusion d’un nouveau variant dans une population à risque avant qu’il ne soit effectivement reconnu. La diversité génétique de l’épidémie mondiale par le VIH1 M ne cesse d’augmenter dans le temps, incluant la 1. Barre-Sfinoussi F, Chermann JC, Rey F, et al. Isolation of a Tlymphotropic retrovirus from a patient at risk for acquired immune deficiency syndrome (AIDS). Science 1983 ; 220 : 868-71. 2. Daniel MD, Letvin NL, King NW, et al. Isolation of T-cell tropic HTLVIII-like retrovirus from macaques. Science 1985 ; 228 : 1201-4. 3. Barin F, M’Boup S, Denis F, et al. Serological evidence for virus related to simian T-lymphotropic retrovirus III in residents of West Africa. Lancet 1985 ; 2 : 1387-9. 4. Clavel F, Guyader M, Guetard D, Salle M, Montagnier L, Alizon M. Molecular cloning and polymorphism of the human immune deficiency virus type 2. 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