T R I B U N E VIH et Asie : partageons notre expérience " H.J.A. Fleury* L a fin du XXe siècle a été marquée par l’émergence du sida ; le premier cas était décrit aux États-Unis en 1981, le virus VIH-1 isolé à l’Institut Pasteur en 1983. Un deuxième virus, le VIH-2, était ensuite mis en évidence. Rapidement, les enquêtes sérologiques indiquaient que les VIH étaient originaires d’Afrique où leur prévalence, en zones urbaines d’Afrique centrale, était déjà élevée. En Europe occidentale, aux États-Unis et en Australie, la transmission du VIH-1 se faisait surtout par contacts homosexuels et par toxicomanie intraveineuse avant de concerner les contacts hétérosexuels. Le cas de figure était radicalement différent en Afrique où, d’emblée, la transmission était hétérosexuelle, comme l’est celle du virus de l’hépatite B. Dès lors, l’incidence de l’infection était grande malgré des campagnes de prévention méritoires. En ce début de l’an 2000, l’Afrique subsaharienne est la zone la plus touchée par l’infection VIH-1 ; malheureusement, comme il fallait s’y attendre, l’infection a gagné tous les continents et, compte tenu de l’arrivée relativement tardive du VIH-1 dans certaines zones géographiques, la dynamique de contamination (spread dynamics) fait apparaître trois groupes : – une dynamique faible proche de la stabilisation en Europe de l’Ouest, Amérique du Nord, Australie et Nouvelle- Zélande ; – une dynamique moyenne mais assurant une expansion claire de l’infection en Amérique latine, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient ; – une dynamique forte, voire très forte : forte en Afrique subsaharienne, Asie du Sud et Asie du Sud-Est, très forte en Asie centrale, Asie de l’Est et Europe de l’Est. L orsque l’on sait que l’Asie représente 57 % de la population mondiale, et eu égard à la dynamique de contamination, on peut être sûr que le début du XXIe siècle sera difficile à gérer sur le plan médical dans les pays correspondants. Plus de 4 millions de sujets seraient déjà infectés en Inde ; la Chine estime à 400 000 le nombre de porteurs de VIH-1, le Vietnam à plus de 70 000 et le Cambodge (dont la population est pourtant nettement plus restreinte que celles des autres pays cités) à 180 000. En Chine, au Vietnam, en Thaïlande, l’épidémie a commencé chez les toxicomanes par voie intravasculaire pour diffuser ensuite par voie hétérosexuelle via la prostitution. Au Cambodge et en Inde, la contamination a d’emblée été hétérosexuelle, avec un rôle important de la prostitution féminine. La réduction de structures ancestrales comme les fumeries d’opium a été réalisée au profit de l’injection intravasculaire de drogue. Un phénomène inquiétant est représenté par les banques de sang qui recrutent des donneurs payés, le plus souvent sans assurer la détection des porteurs de VIH. D es travaux d’épidémiologie moléculaire ont été entrepris dans la plupart des pays concernés : on sait ainsi que le soustype C est prédominant en Inde, le sous-type E au Vietnam et au Cambodge ; les sous-types E et B circulent en Thaïlande, cependant que la Chine décrit une situation plus complexe avec des sous-types B en provenance du Myanmar (nom officiel de la Birmanie), C en provenance de l’Inde, E à la frontière nord du Vietnam ainsi que des recombinants, en particulier B/E. L a prise en charge thérapeutique antirétrovirale reste très faible du fait du coût des molécules et des moyens de la santé publique de ces pays qui, à l’exclusion de certains, le Japon notamment, sont en voie de développement. Par exemple, en Inde, les molécules antirétrovirales sont disponibles, mais le traitement ainsi que la mesure de la charge virale et des lymphocytes T CD4 sont à la charge du patient, et seuls 2 % des sujets séropositifs ont les moyens d’être traités. Des essais de prévention de la transmission mère-enfant ont été réalisés avec succès en Thaïlande. L’ampleur du problème est telle que la stratégie à privilégier est probablement la mise au point d’un vaccin préventif ; un essai de phase III a d’ailleurs débuté en Thaïlande avec des protéines de surface de sous-types B et E. Nous ne sommes pas convaincus de la pertinence d’un tel essai, mais nous espérons que des conclusions rapides pourront être tirées ; elles permettront de confirmer ou d’infirmer l’option choisie. Voilà un domaine où l’expertise française dans le champ de l’abord fondamental du vaccin peut être importante pour ces pays ; il est peu probable qu’un vaccin empirique émerge sans une définition des épitopes neutralisants et CTL, une étude de l’immunité mucosale et un choix éprouvé du ou des vecteur(s) utilisable(s). Sur le plan thérapeutique, les essais de traitement alterné avec des vacances thérapeutiques, qui pourraient sous peu être développés en France et aux États-Unis, intéresseront les autorités sanitaires de ces pays en voie de développement ; on peut imaginer un prolongement de ces essais dans les pays d’Asie avec, par exemple, un relais par la médecine traditionnelle chinoise, pendant les vacances de chimiothérapie lourde. Un autre domaine potentiel d’intervention est la simplification et la diminution des coûts des techniques de suivi biologique des patients infectés ; l’ANRS a stimulé dans ce sens les équipes d’immunologie et de virologie. Un volet non négligeable de cette collaboration indispensable est représenté par la formation, en France, de médecins et biologistes œuvrant en Asie dans le domaine de l’infection VIH. * Laboratoire de virologie, hôpital Pellegrin, 33000 Bordeaux. L e XXIe siècle va s’ouvrir en Asie sur un problème médical de grande ampleur ; les équipes françaises, dont l’expérience acquise depuis le début de la pandémie est largement reconnue, ont et auront un devoir éthique d’intervention. ! La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 1 - janvier 2000 5