Origine et diversité génétique du virus de l`immunodéficience

Journal Identification = VIR Article Identification = 0498 Date: May 17, 2013 Time: 11:10 am
revue
Virologie 2013, 17 (3) :119-31
Origine et diversité génétique du virus
de l’immunodéficience humaine : d’où vient-il,
où va-t-il ?
Martine Peeters1
Marie-Laure Chaix2,3
1Université de Montpellier-I,
UMI233,
TransVIHMI,
IRD,
911, avenue Agropolis, 34394
Montpellier,
France
2Université Paris-Descartes,
Sorbonne Paris Cité,
EA 3620,
75015 Paris, France
3AP-HP,
CHU Necker-Enfants Malades,
laboratoire de virologie,
75015 Paris,
France
Résumé. Aujourd’hui, des infections SIV ont été décrites chez plus de 45 espèces
de primates non humains. Les SIV les plus proches du VIH-1 sont le SIVcpz et le
SIVgor, qui infectent naturellement les chimpanzés (Pan troglodytes troglodytes)
et les gorilles (Gorilla gorilla gorilla) de l’Ouest de l’Afrique Centrale. Les
SIVsmm retrouvés chez les mangabés enfumés (Cercocebus atys) d’Afrique de
l’Ouest sont les plus proches du VIH-2. Actuellement, au moins 12 transmissions
du singe à l’Homme ont été documentées, quatre à l’origine des quatre groupes du
VIH-1 (groupes M, N, O et P) et huit ou neuf pour le VIH-2. Après transmission
à l’Homme, le VIH-1 groupe M a commencé à se diversifier et est aujourd’hui
divisé en neuf sous-types (A, B, C, D, F, G, H, J, K) et de nombreuses formes
circulantes recombinantes (CRF). La plus grande diversité génétique du VIH-
1 M a été observée dans la partie occidentale de la République Démocratique du
Congo (RDC). Les différents variants ont commencé à se propager dans le monde
entier à partir de cette région et la distribution géographique hétérogène des
sous-types/CRF est le résultat de différents effets fondateurs, liés à des facteurs
démographiques ainsi qu’aux déplacements et migrations de populations. La
diversité du VIH ne cesse d’augmenter du fait d’évènements de co-infections ou
de surinfections mais également du fait de la sélection de souches résistantes au
traitement antirétroviral.
Mots clés : VIH, SIV, origine du VIH, diversité, sous-types, répartition géogra-
phique
Abstract. Simian immunodeficiency viruses (SIV) have been described in at
least 45 non-human primate species. SIVs from chimpanzees and gorillas from
West Central Africa have crossed the species barrier on at least four occasions
leading to HIV-1 in humans. HIV-2 viruses result from at least eight to nine
independent transmissions of SIVs infecting sooty mangabeys from West Africa.
These HIV variants have different virological and epidemiological histories. Only
HIV-1 group M is responsible for the global epidemic and can be subdivided into
nine subtypes and a wide diversity of circulating (CRFs) and unique (URFs)
recombinant forms. The highest genetic diversity of HIV-1 M is observed in the
Democratic Republic of Congo and HIV-1 strains started to spread globally from
this area. The heterogeneous HIV-1 M subtype/CRF distribution is the result of
founder effects related to demographic factors such as travel and migration. The
genetic diversity of HIV-1 continues to increase overtime due to co- or superin-
fections. In addition, the expanded access to antiretrovirals leads to an increasing
number of drug-resistant strains, especially in resource limited countries.
Key words: HIV, SIV, origin of HIV, diversity, subtypes, geographical distribu-
tion
Tirés à part : M. Peeters
doi:10.1684/vir.2013.0498
Virologie, Vol 17, n3, mai-juin 2013 119
Pour citer cet article : Peeters M, Chaix ML. Origine et diversité génétique du virus de l’immunodéficience humaine : d’où vient-il, où va-t-il ? Virologie 2013; 17(3) : 119-31 doi:10.1684/vir.2013.0498
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revue
Le VIH est proche des virus SIV
retrouvés chez les primates
non humains
Peu de temps après la découverte du VIH-1 en 1983 [1],
le premier SIV, SIVmac, fut isolé à partir d’un macaque
rhésus (Macaca mulatta) dans le centre de primatologie du
New England Regional Primate Research Center (NER-
PRC) aux États-Unis d’Amérique avec des symptômes
d’immunodéficience similaires à ceux observés chez les
patients infectés par le VIH [2]. Dès lors, l’origine simienne
du sida chez l’Homme fut suspectée. En 1985, une enquête
sérologique au Sénégal a montré que les sérums de plu-
sieurs patients avaient des anticorps dirigés contre les SIV
connus à cette époque mais pas contre les protéines du
VIH-1, suggérant la présence d’un autre rétrovirus dans
la population humaine en Afrique de l’Ouest [3]. En 1986,
cette observation a été confirmée, car un autre virus proche
du VIH-1, appelé VIH-2, fut isolé et caractérisé chez des
patients vivants en France mais originaires d’Afrique de
l’Ouest [4].
Aujourd’hui, des infections SIV ont été décrites chez plus
de 45 espèces de primates non humains (PNH) [5]. Les
virus SIV présentent une grande diversité génétique. Il y
a de nombreux exemples de co-évolution entre ces virus
et leur hôte, mais également des exemples de recombinai-
sons entre des SIV relativement distants. Une même espèce
de primate peut aussi être porteuse de deux SIV diffé-
rents. Néanmoins, globalement chaque espèce de PNH est
infectée par des variants spécifiques qui forment une lignée
monophylétique dans la radiation des SIV. Les SIV les plus
proches du VIH-1 sont le SIVcpz et le SIVgor, qui infectent
naturellement les chimpanzés (Pan troglodytes troglodytes)
et les gorilles (Gorilla gorilla gorilla) de l’Ouest d’Afrique
Centrale [6-8]. Les SIVsmm retrouvés chez les mangabés
enfumés (Cercocebus atys) d’Afrique de l’Ouest sont les
plus proches du VIH-2 (figure 1) [9].
À ce jour, il est clairement établi que de multiples trans-
missions zoonotiques de lentivirus du singe à l’Homme
sont à l’origine de l’épidémie de VIH [10]. L’exposition
de l’Homme au sang ou aux tissus contaminés de PNH
infectés, lors de la chasse ou de la préparation de la viande
de brousse, ou même lors de blessures infligées par des
singes domestiqués, expliquerait le franchissement de la
barrière inter-espèces du singe à l’Homme [11, 12]. Dans
cette revue, nous décrirons plus en détail l’origine du VIH,
sa diversité génétique et l’évolution de cette diversité dans
l’épidémie actuelle et future.
L’origine du VIH-1
Les SIV des chimpanzés et des gorilles sont
les ancêtres du VIH-1
Les premiers chimpanzés décrits comme infectés par des
virus, SIVcpzGAB1 et -GAB2, proches du VIH-1 ont été
observés au Gabon en 1989, chez deux animaux de la sous-
espèce P. t. troglodytes, nés dans la nature mais captifs [13].
Un troisième SIVcpz (SIVcpzANT), infectant un chim-
panzé de la République Démocratique du Congo (RDC),
appartenant à la sous-espèce Pan troglodytes schweinfur-
thii, et saisi en Belgique par les douanes, révéla une très
grande diversité génétique parmi les SIVcpz [14, 15].
Des études ultérieures d’analyse phylogénétique, incluant
d’autres séquences de SIVcpz, ont montré que les chim-
panzés P. t. troglodytes d’Afrique Équatoriale de l’Ouest
et les P. t. schweinfurthii en Afrique Équatoriale de l’Est
étaient chacun infectés par un SIVcpz spécifique à ces sous-
espèces, respectivement SIVcpzPtt et SIVcpzPts [6, 16].
Ces analyses montraient aussi que les SIVcpzPtt étaient
les virus les plus proches du VIH-1, suggérant déjà que
les chimpanzés d’Afrique Équatoriale de l’Ouest étaient la
source du VIH-1 (figure 1).
Cependant, afin de mieux documenter et comprendre où,
comment et combien de fois les SIV de chimpanzés avaient
été transmis à l’Homme, il était nécessaire d’étudier un
nombre plus important de chimpanzés vivant dans la nature.
Pour ces espèces protégées et menacées d’extinction, il
était d’abord nécessaire de développer des méthodes qui
permettent d’identifier et de caractériser une infection SIV
de fac¸on non invasive. En 2002, des techniques permet-
tant de détecter des anticorps et de l’ARN viral dans les
fèces ont été mises au point [17]. Aujourd’hui, plus de
6 000 échantillons fécaux de chimpanzés ont été collec-
tés dans de nombreuses régions d’Afrique, couvrant les
aires géographiques des quatre sous-espèces de chimpan-
zés (figure 2). Ces études montrent que seules les deux
sous-espèces (P. t. troglodytes et P. t. schwenfurthii) vivant
en Afrique Centrale sont infectées par SIVcpz, chacun
par des SIVcpz spécifiques des sous-espèces [7, 18-21].
L’infection SIVcpz est largement répandue parmi les deux
sous-espèces, avec une inégalité des prévalences variant de
0 % à plus de 35 %. À l’intérieur des lignées SIVcpzPtt
et SIVcpzPts, les virus se regroupent selon leur site
d’origine de collecte, formant des clusters phylogéogra-
phiques. Ces études d’épidémiologie moléculaire à grande
échelle ont donc permis d’identifier les réservoirs des virus
humains pandémiques (VIH-1 M) et non pandémiques
120 Virologie, Vol 17, n3, mai-juin 2013
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SIVmus1 and 2 moustac
0.04
VIH-2I
SIVagmTAN1 cercopithèque tantale
VIH-1 O
VIH-2H
SIVdrl drill
SIVmon cercopithèque
mona
VIH-1 M
VIH-1 N
SIVcol colobe guéréza
VIH-2D
SIVmnd-1 mandrill
VIH- 1 P
SIVmnd-2 mandrill
SIVagmVER vervet
SIVreg moustac à oreilles rousses
VIH-2C
VIH-2G
SIVsun cercopithèque à queue de soleil
SIVmus-3 moustac
SIVprg cercopithèque de Preuss
SIVagmGRI grivet d'Ethiopie
VIH-2B
SIVgor
SIVgsn singe hocheur
SIVlho cercopithèque de l'Hoest
SIVcpz Chimpanzé
SIVgor Gorille
VIH-1
SIVsmm mangabé enfumé
VIH-2
SIV de la super espèce de l’ Hoest
SIV du genre Chlorocebus SIV des cercopithèques arboricoles
SIVwrc colobe bai d'Afrique occidentale
SIVolc Colobe vert
SIVkrc colobe rouge d’Ouganda
SIVtrc colobe bai de Thollon
SIVagi mangabé agile
SIVrcm mangabé à collier blanc
SIVcpz Pts
SIVcpz Ptt
SIVcpz Ptt
SIVasc cercopithèque ascagne
SIVbkm cercocèbe noir
SIVtal talapoin du nord
SIVsyk cercopithèque à diadème
SIVden singe mona de Dent
SIVwol cercopithèque de Wolf
SIVdeb cercopithèque de Brazza
SIVsmm
SIVsmm
Figure 1. Diversité génétique des différentes lignées SIV/VIH montrant l’origine zoonotique des VIH-1 et des VIH-2. Analyse phylogéné-
tique par neighbor-joining d’un alignement de séquences partielles du gène pol (294 pb) de SIV infectant diverses espèces de primates non
humains et de VIH infectant l’Homme. Les longueurs de branche sont proportionnelles à l’échelle (la barre d’échelle représente 0,04 sub-
stitution par site). Les lignées VIH-1 et VIH-2 sont présentées en rouge et violet, respectivement. Le nom commun en franc¸ais de l’espèce
infectée est ajouté après chaque SIV. La correspondance entre les lignées de SIV et leurs hôtes naturels montre que, en général, chaque
espèce de primate est infectée par un SIV spécifique à l’espèce. Cette caractéristique permet une nomenclature des virus en fonction de
l’espèce infectée et le virus est noté SIV suivi de trois lettres en minuscule référant au nom commun anglais de l’espèce infectée (ex.,
SIVcpz pour les SIV infectant les chimpanzés ou SIVsmm [smm abréviation pour sooty mangabés] pour les SIV infectants les mangabés
enfumés), et les initiales du nom latin de la sous-espèce peuvent être ajoutées si nécessaire (ex., SIVcpzPtt pour les SIV infectant les
chimpanzés de la sous-espèce Pan troglodytes troglodytes).
Virologie, Vol 17, n3, mai-juin 2013 121
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SIVcpzPts
P.t.schweinfurthii
Chimpanzé d’ Afrique de l’ Est
SIVgor
G.g.gorilla
Gorille de l’ ouest
SIVcpzPts-UG38
SIVcpzPts-TAN3
SIVcpzPts-TAN2
SIVgor-CR7993
SIVgor-CR8257
*
SIVgor-CP684
SIVgor-CP2135
SIVgor-CP2139
*
SIVcpzPtt-Gab4
SIVcpzPtt-Cam155
SIVcpzPtt-GAB1
SIVcpzPtt-CAM13
SIVcpzPtt-GAB2
SIVcpzPtt-CPZ-US
SIVcpzPtt-CAM5
SIVcpzPtt-DP943
SIVcpzPtt-CAM3
SIVcpzPtt-EK505
*
SIVcpzPtt-MT145
*
SIVcpzPtt-MB66
*
SIVcpzPtt
P.t.troglodytes
Chimpanzé d’ Afrique
Centrale
SIV neg SIV neg
SIV?
*
VIH P_U14788
VIH-1 P_RBF168
*
*
*
VIH-1 O MVP5180
VIH-1 O ANT70
*
*
*
*
VIH-1 N YBF106
VIH-1 N YBF30
*
*
*
VIH-1 M B
VIH-1 M A
VIH-1 M-A
*
*
*
*
*
*
0.05
ancêtres du
HIV-1 N et M
Pan troglodytes troglodytes
Pan troglodytes schweinfurthii
Pan paniscus
Pan troglodytes verus
Pan troglodytes ellioti
Gorilla gorilla gorilla
Figure 2. Les SIV infectant les chimpanzés et les gorilles de l’Ouest de l’Afrique Centrale sont à l’origine du VIH-1. L’arbre phylogénétique
représente les relations évolutives entre les différentes lignées VIH-1 groupes M, N, O, P (en noir), les SIVcpzPts des Pan troglodytes
schweinfurthii (en bleu), les SIVcpzPtt des Pan troglodytes troglodytes (en rouge), et les SIVgor des Gorilla gorilla gorilla (en vert). L’arbre
a été construit avec la méthode du maximum de vraisemblances à partir d’un alignement protéique de séquences SIV/VIH du gène de
l’enveloppe (410 pb dans gp41). Les longueurs de branche sont proportionnelles à l’échelle (la barre d’échelle représente 0,05 substitution
par site). La carte représente les répartitions géographiques des espèces concernées : les G. g. gorilla (traits vert) et les quatre sous-
espèces de chimpanzés (Pan troglodytes). Les points noirs et verts sur la carte indiquent respectivement les réservoirs des ancêtres des
différents groupes du VIH-1 dans les populations de chimpanzés et de gorilles sauvages. Aujourd’hui, les études n’ont pas encore permis
d’identifier les réservoirs directs du VIH-1 groupe O. Aucune infection SIV n’a encore été identifiée chez les chimpanzés des sous-espèces
Pan troglodytes verus et Pan troglodytes eliotti ou le bonobo (Pan paniscus).
(VIH-1 N) chez les chimpanzés sauvages de la sous-espèce
P. t. troglodytes. Les souches virales ancêtres du VIH-1 M
appartiennent à une lignée de SIVcpzPtt qui persiste encore
aujourd’hui chez des groupes de chimpanzés sauvages,
vivant dans l’extrême Sud-Est du Cameroun et le VIH-1
groupe N a pour origine une autre lignée de SIVcpzPtt
122 Virologie, Vol 17, n3, mai-juin 2013
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revue
infectant des animaux du centre du Cameroun (figure 2)
[7, 20].
Les chimpanzés et les gorilles sont des espèces sym-
patriques qui cohabitent sur les mêmes territoires.
Aujourd’hui, plus de 4 000 échantillons de fèces de gorilles
ont été collectés et analysés pour détecter la présence de
SIV. Ainsi, il a été démontré que les gorilles de la sous-
espèce G. g. gorilla vivant au Cameroun étaient infectés par
un SIV [8, 22]. Sur l’ensemble de leur génome, les SIVgor
forment un clade monophylétique inséré dans la radiation
des SIVcpz dans l’arbre phylogénétique et sont très proches
du VIH-1 groupes O et P [23]. Ces analyses phylogéné-
tiques montrent aussi que les gorilles ont été infectés suite
à une transmission inter-espèce de SIV des chimpanzés.
Néanmoins, les SIVgor caractérisés à ce jour ne sont pas
les ancêtres directs du VIH-1 O retrouvé chez l’Homme,
étant donnée la distance génétique relativement importante
entre ces deux lignées virales. En revanche, le réservoir
du VIH-1 groupe P a été identifié dans une population de
gorilles vivant au Sud-Ouest du Cameroun (figure 2) [24].
La distribution du SIVgor chez ces populations sauvages au
Cameroun est inégale selon les sites (de0à20%)etlapré-
valence globale est trois fois plus faible que celle observée
chez les chimpanzés dans les mêmes régions [22, 24].
Les quatre groupes du VIH-1 sont donc clairement le résul-
tat de quatre transmissions inter-espèces indépendantes qui
ont eu lieu dans la partie ouest d’Afrique Centrale, corres-
pondant aux aires de répartition des gorilles de plaine de
l’Ouest (G. g. gorilla) et des chimpanzés de Centre-Ouest
(P. t. troglodytes).
Les franchissements de la barrière d’espèce
menant au VIH-1 ont eu lieu dans l’Ouest
de l’Afrique Centrale au début du xxesiècle
Les quatre transmissions inter-espèces n’ont pas toutes eu
la même issue virologique et épidémiologique. En effet,
seul le VIH-1 groupe M, découvert en 1983, a diffusé à
l’échelle mondiale et est responsable de la pandémie qui
touche aujourd’hui plus de 33 millions de personnes dans
le monde (UNAIDS). Le VIH-1 groupe O a été identifié
au début des années 1990 chez des patients camerounais
et est limité à une épidémie restreinte dans la région du
bassin du Congo où il représente moins de 1 % des infec-
tions VIH-1 [25-28]. Des données au Cameroun suggèrent
que la prévalence du VIH-1 O reste stable autour de 1 %
[29, 30]. Le VIH-1 N, décrit en 1998, et le VIH-1 P, décrit
en 2009, ont été observés chez très peu d’individus, moins
de 20 et deux respectivement [31-33]. Toutes les infections
ont été décrites chez des personnes vivant au Cameroun, à
l’exception d’un cas d’infection VIH-1 N chez une patiente
diagnostiquée en France en 2011 mais qui s’était infectée
au Togo [34]. Les franchissements de la barrière d’espèce
pour les groupes M, N et P ont certainement eu lieu dans le
Sud du Cameroun où les réservoirs des ancêtres de ces trois
variants viraux ont été retrouvés (figure 2). Cela coïncide
avec la distribution géographique des infections VIH-1 N et
P. La localisation de la transmission inter-espèce à l’origine
du groupe O n’a pas encore été identifiée, mais pourrait
se situer dans le Sud du Cameroun ou une région proche,
correspondant à la zone épidémique. Néanmoins, pour le
groupe M, l’épicentre de la pandémie est situé en RDC à
plusieurs centaines de kilomètres du Sud-Est du Cameroun
[35, 36]. Diverses hypothèses existent pour expliquer cette
différence de localisation entre l’origine du virus et l’origine
de l’épidémie. Il s’agit probablement d’une combinaison de
plusieurs facteurs liées au virus et aux conditions socioéco-
nomiques et démographiques [37].
Grâce aux analyses phylogénétiques, il est possible de
dater l’ancêtre commun le plus récent (most recent com-
mon ancestor [MRCA]) à partir d’un ensemble de souches
virales. Différentes techniques de datation moléculaire ont
ainsi été utilisées dans le but d’estimer les dates des ancêtres
communs à certains SIV ou VIH. Ainsi, les données les
plus précises estiment que le MRCA du groupe M est le
plus ancien, remontant au début du xxesiècle (1908 [1884-
1924]), suivi du groupe O (1920 [1890-1940]) et du groupe
N (1963 [1948-1977]) [38]. Pour le VIH-1 P, seulement
deux souches ont été décrites et les datations de l’ancêtre
commun sont donc très imprécises, on estime le moment
de la transmission entre 1845 et 1989 [39].
L’origine du VIH-2
Les homologies entre le VIH-2 et le SIVsmm, infectant les
mangabés enfumés (C. atys) en Afrique de l’Ouest, la pré-
sence du gène accessoire vpx, la coïncidence géographique
entre l’épicentre de l’épidémie de VIH-2 et l’aire de répar-
tition des mangabés enfumés confirment que les SIVsmm
des mangabés (C. atys) sont les ancêtres du VIH-2 pré-
sent aujourd’hui chez l’Homme [9, 40]. La caractérisation
de nombreuses souches de SIVsmm, provenant d’animaux
sauvages ou captifs, a montré une très grande diversité
génétique des SIVsmm au Libéria, en Sierra Leone et en
Côte d’Ivoire. Une très grande diversité génétique est aussi
observée parmi les souches VIH-2, constitué d’au moins
huit groupes viraux (notés de A à H), correspondant à
huit transmissions inter-espèces indépendantes [41, 42].
Récemment, un nouveau variant VIH-2 a été décrit chez
un enfant vivant dans la forêt de Tai en Côte d’Ivoire et
pourrait correspondre à une neuvième transmission inter-
espèce [43]. La plupart des groupes (C à H) n’infectent
que peu d’individus et ont été décrits essentiellement dans
les zones rurales, où les habitants vivent au contact de ces
Virologie, Vol 17, n3, mai-juin 2013 123
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