Dossier La dépression du nourrisson Ses relations avec la carence affective et les troubles des interactions précoces Jacques Dayan Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Unité de psychiatrie périnatale, CHU de Caen. Équipe mixte de recherche E0218 Inserm – EPHE – Université de Caen. Laboratoire de neuropsychologie <[email protected]> Résumé La notion de dépression du nourrisson a été conceptualisée et systématisée en 1946 par le psychanalyste René Spitz autour des phénomènes induits chez des nourrissons en pouponnière par la privation durable de leurs mères. Ce concept de dépression « anaclitique » a continué à être utilisé durablement sans que de nouvelles études aient permis d’en généraliser la portée, ni d’en préciser la définition. D’autres études sur les effets de la privation maternelle ont conduit au développement de concepts fondamentaux tel celui d’attachement mais dont le lien avec la dépression reste flou. Au-delà des concepts de carence, la notion d’interactions entre le nourrisson et sa mère a permis d’étendre les conditions d’émergence d’une symptomatologie d’allure dépressive chez le nourrisson. Les études récentes ont porté surtout sur les distorsions interactives pouvant résulter de la dépression maternelle. Le tableau, bien que plus hétérogène et moins sévère que celui de la dépression anaclitique, présente quelques points communs, dont la progressivité et la symptomatologie, plus longtemps réversible. Des efforts récents ont été faits pour identifier de façon reproductible certains symptômes tel le « retrait relationnel durable » et expliciter leurs relations avec la dépression du nourrisson, mais une révision générale du concept de dépression du nourrisson est encore en attente. Mots clés : dépression, nourrisson, interaction précoce, carence doi: 10.1684/mtp.2008.0162 L a notion de dépression du nourrisson a été pour la première fois conceptualisée et systématisée en 1946 par le psychanalyste René Spitz [1] au décours d’une étude menée auprès de 123 puis de 170 nourrissons séjournant en pouponnière. Depuis cette date, soit depuis plus d’un demisiècle, cette notion n’a fait l’objet d’aucun enrichissement conceptuel majeur, ni de redéfinition. La modélisation du trouble dépressif tel qu’il est connu chez l’adulte a pu être appliquée avec des aménagements mineurs à l’adolescent puis à l’enfant. mt pédiatrie, vol. 11, n° 2, mars-avril 2008 Chez le nourrisson, l’étroite dépendance à l’environnement comme l’absence de langage et de nombreux autres éléments liés aux particularités du développement entraînent la nécessité d’une redéfinition des critères habituels du trouble, et une référence plus nette aux comportements observables. De plus, la cohérence d’un tel concept doit encore être assurée en regard des progrès effectués notamment en neuropsychologie et dans l’étude du développement cognitif et émotionnel permettant d’expliciter les systèmes de perception et de repré- 95 La dépression du nourrisson Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. sentation déjà à l’œuvre durant la première année de la vie. Des études de cohorte restent nécessaires pour attester d’une certaine homogénéité développementale ou au moins d’un risque psychopathologique commun aux nourrissons présentant une telle pathologie. Enfin, il existe des facteurs congénitaux, héréditaires ou secondaires aux conditions de la vie intra-utérine et de l’accouchement pouvant influencer la survenue de troubles « dépressifs » chez le nourrisson. Bien que leur existence ait déjà été postulée par Spitz, en pratique peu de recherches ont conduit à peu de résultats. Ces facteurs ne seront pas abordés ici. 96 Facteurs à l’origine de la dépression du nourrisson La dépression du nourrisson, même si des facteurs de vulnérabilité endogènes ou acquis durant la période intrautérine ont été suspectés, a surtout été modalisée en tant que réaction à un environnement défaillant. En effet, le nourrisson est extrêmement dépendant en termes de survie comme de développement d’un environnement humain adapté et réactif. L’analyse des troubles déclenchés par les altérations précoces et sévères des soins maternels a été à l’origine du concept de « dépression du nourrisson » et du développement de la « théorie de l’attachement ». Initialement fut surtout étudiée, une notion quantitative, la carence d’apport, parfois subdivisée en carence affective, souvent assimilée à une carence maternelle, par perte, interruption, insuffisance ou discontinuités de la relation mère-enfant, carence de soins et carence de stimulations. Actuellement ces études sont pratiquement abandonnées au profit des distorsions graves ou prolongées des interactions précoces, notamment de celles pouvant résulter de dépressions maternelles sévères ou de troubles de la personnalité. Les effets à court terme de la carence ont fait l’objet de tableaux descriptifs approfondis qui ont renouvelé la réflexion sur la nature et la genèse de la relation mère-enfant. Ainsi Bowlby [2], à partir de l’observation d’enfants abandonnés, et en se fondant sur les données de l’éthologie animale notamment les expériences de l’éthologue Harlow, définira l’attachement comme un besoin primaire, indépendant des besoins instinctuels, tandis que Spitz renouvellera la théorie de l’étayage pulsionnel ou Winnicott approfondira les notions de dépendance et de personnalisation, ouvrira à la théorie des interactions fantasmatiques développée en France par Lebovici. D’autres auteurs, notamment Field [3, 4], Murray [5] et Tronick [6, 7] aux États-Unis et au Royaume-Uni, se sont attachés aux effets de la dépression maternelle et des troubles des interactions qu’ils sont susceptibles d’engendrer chez le nourrisson. L’expérience des enfants sauvages a très tôt suggéré le rôle irremplaçable de l’environnement humain dans le développement précoce. L’avènement de la psychanalyse, à partir des remémorations infantiles dans la cure d’adultes, conduira à postuler le rôle essentiel des expériences affectives précoces dans la structuration de la personnalité. Dès la première partie du siècle des psychothérapies d’enfant seront entreprises mais c’est à la fin de la Seconde Guerre mondiale que naissent les premières synthèses sur le sujet, avec les observations d’A. Freud et D. Burlingham sur des enfants placés en pouponnière durant les bombardements de Londres, ou celles de W. Goldfarb analysant les conséquences sur le développement et la cognition de la carence, et enfin les contributions majeures de J. Bowlby ou R. Spitz. Les travaux princeps portaient sur des nourrissons privés de leur mère, et placés dans des conditions institutionnelles de maternage substitutif insuffisant. Aux effets de la séparation et de la privation, s’ajoutaient les effets potentiellement toxiques de l’institution. Par la suite, des formes plus subtiles de carence intrafamiliale ont été décrites. La dépression anaclitique ou carence affective partielle Spitz [1] a décrit, sous le terme de ″dépression anaclitique″ ou encore de ″privation maternelle partielle″, la réaction de jeunes enfants privés temporairement de leur mère. Il est entendu que les soins prodigués par les adultes prenant en charge l’enfant présentent une certaine qualité affective. À une première phase, d’environ un mois, marquée par des pleurs plus fréquents et des conduites d’accrochage à l’observateur, succède une seconde période marquée par des pleurnicheries ou des geignements, avec comportement de retrait ou d’évitement, pouvant se manifester par des pleurs ou des cris devant l’insistance du chercheur à entrer en contact. Le regard resterait longtemps interrogateur et communicatif, à la différence de ce que l’on constatera plus tard dans un certain nombre de tableaux pré-autistiques. Le visage exprime alors souvent la tristesse. En l’absence du retour de la mère, après deux ou trois mois, un retard du développement et une perte de poids ont pu être constatés. À la phase ultime se manifeste un refus de contact tandis que les signes somatiques s’accentuent et que l’enfant sombre peu à peu dans la léthargie. Le trouble serait réversible, pour autant que la perte soit temporaire, de durée inférieure à cinq mois, et l’enfant restitué à sa mère ou confié à un substitut acceptable. Trois conditions semblent nécessaires selon Spitz à la production de cet état : que la séparation inclue systématiquement une période située entre le sixième et huitième mois de l’enfant, qu’elle soit totale et dure au moins trois mois. Enfin Spitz remarque, usant d’un groupe contrôle, que l’établissement avant la séparation de relations discontinues ou de mauvaise qualité entraîne beaucoup moins fréquemment la survenue d’un tel syndrome : mt pédiatrie, vol. 11, n° 2, mars-avril 2008 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. la dépression anaclitique suppose l’établissement préalable d’une bonne relation mère-enfant. Une séparation de plus de cinq mois conduit selon Spitz à un syndrome non réversible associée à une rupture du développement qu’il nomme hospitalisme et qu’il attribue, au moins dans le cas de la cohorte d’enfants observés, à une carence de soins affectifs surajoutée, et non à la seule séparation d’avec la mère. On rapproche de ces notions la séquence elle aussi ternaire détresse – désespoir – détachement qui caractérise, pour Robertson et Bowlby [2], la perte d’objet en cas de séparation même temporaire. Ces troubles ont été observés essentiellement dans les unités de néonatalogie hospitalière, chez des nourrissons séparés de leur mère et présentant une vulnérabilité physiologique. Pour Roberston, le retour au domicile après une séparation brève ou bénigne s’accompagne de réactions d’attachement anxieux. Une sensibilité durable à la séparation manifestée sous forme d’angoisse pourrait persister. Lorsque la séparation est longue et sévère, au contraire, un comportement de détachement peut s’installer avec inaptitude à nouer des liens d’affection. Les séparations itératives seraient les plus nocives, équivalentes à une carence prolongée. Effets durables de la carence institutionnelle : l’hospitalisme ou carence affective totale L’institution a fourni le modèle des conditions carentielles, conjuguant séparation prolongée et frustration par maternage substitutif insuffisant, multiple et discontinu : absence de figure maternelle de référence, cantonnement aux soins d’hygiène et de nourrissage. Ici intervient, audelà du manque, une toxicité propre au fonctionnement institutionnel. La conséquence en est l’hospitalisme. Décrit par Spitz [1], il est une forme extrême de la dépression anaclitique. Les enfants sont passifs, figés, sans expression, sans réaction, agités de mouvements bizarres et répétitifs. Ils désinvestissent le monde extérieur puis jusqu’à leur propre corps : après une phase d’exacerbation toutes les activités auto-érotiques disparaissent. La sévérité de ces tableaux, rappelant ceux des encéphalopathies, a parfois fait contester leur origine carentielle univoque. Ce modèle « historique », a grandement contribué à infléchir les conditions d’hospitalisation et de placement. La préférence a été donnée aux placements familiaux tandis que le fonctionnement des pouponnières a fait l’objet d’un vaste mouvement de réforme. Kreisler [8] en France reprend et développe le tableau des dépressions anaclitiques du nourrisson, essentiellement en collectant des situations cliniques variées qu’il prend en charge. Selon l’auteur le trouble « dépressif » peut aussi se rencontrer chez des mères « borderline », suite à un deuil en période périnatale ou dans le cadre d’une dépression postnatale. Après une période initiale marquée par l’exacerbation de l’angoisse de séparation, s’installent l’atonie thymique, plus proche de l’indifférence que de la tristesse, l’inertie motrice caractérisée par la monotonie des conduites, la rareté des réponses et initiatives motrices, la pauvreté de la communication interactive avec le regard vide ou évitant, et la vulnérabilité psychosomatique. Ces troubles qui rompent avec l’habitus antérieur s’accompagnent de la disparition de l’angoisse de l’étranger, d’un intérêt conservé en partie pour les objets inanimés. Ils seraient rapidement réversibles sous l’effet de la thérapeutique. La désorganisation psychosomatique s’inscrit pour Kreisler (1989) dans le prolongement de la dépression avec notamment troubles alimentaires, mérycisme, troubles du sommeil et sensibilité aux infections notamment ORL. Ce type de carence est redevenu d’actualité avec la découverte en 1989 des orphelinats roumains, où les taux de mortalité atteignaient 25-50 %, et où 20 % des survivants présentaient après l’âge de trois ans des signes de déficience mentale les amenant à être dirigés vers un système « asilaire » [9]. Parmi les enfants adoptés issus de ce système, 15 % étaient en bonne santé physique à l’arrivée dans le pays d’adoption, et 10 % avaient un développement normal après l’âge d’un an, 34 % avaient un retard de croissance, proportionnel au temps passé en institution, et 41 % une microcéphalie. Carences intrafamiliales – Négligence Si les institutions fournissent un modèle d’étude quasi expérimental de la séparation, elles ne fournissent pas un modèle tout à fait satisfaisant de la carence. En effet, celle-ci peut s’observer chez des enfants élevés par leurs propres parents. Les manques sont plus complexes, plus parcellaires, plus discontinus et s’y ajoutent des distorsions plus ou moins importantes des relations. D’observation actuellement fréquente, la carence intrafamiliale associe à des degrés divers le manque de soins et de stimulations et la privation affective. Les troubles de personnalité de la mère (ou plus généralement de la « figure de soins »), les modifications brutales de son humeur, l’alternance d’hostilité et de cajoleries, l’imprévisibilité des réponses maternelles ou encore leur extrême rigidité engendrent des troubles que Spitz qualifie de « psychotoxiques », plus orientés vers des manifestations psychosomatiques que vers la dépression. Le terme de négligence, introduit la notion de responsabilité parentale et s’éloigne de la description psychologique. Il recouvre, mais en partie seulement, dans le champ juridique et social, la notion de carence intrafamiliale. Il peut s’appliquer à toutes les situations où les besoins primaires de l’enfant ne sont pas satisfaits : nourriture, habillement, hygiène et soins de santé, logement, mt pédiatrie, vol. 11, n° 2, mars-avril 2008 97 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. La dépression du nourrisson affection, protection, éducation et scolarisation. Un certain nombre de facteurs de risque de négligence ont été mis en évidence. Ils ne coïncident pas tout à fait avec ceux démontrés pour la maltraitance active, ni pour la dépression maternelle : les mères négligentes seraient plus âgées, plus souvent célibataires, d’intelligence ou de niveau scolaire inférieur par rapport à des contrôles. La taille de la famille, le nombre de grossesses non désirées, l’extrême pauvreté, les conditions de logement et l’environnement de l’enfant sont également associés à la négligence. Au plan psychologique, les mères négligentes seraient plus souvent déprimées, anhédoniques, insatisfaites, agitées, exprimant des sentiments d’ennui et de solitude. On a décrit un syndrome d’apathie-inutilité chez ces femmes. Les mères négligentes auraient moins d’interaction avec leurs enfants, seraient volontiers plus directives et exigeantes, moins attentives aux besoins de l’enfant, qu’elles évalueraient de manière moins réaliste. Les soins insuffisants ou inadaptés sont préjudiciables à court terme, compte tenu de l’extrême dépendance du nourrisson pour la satisfaction de ses besoins et des dangers que font courir l’absence de surveillance et l’environnement inadapté. On a décrit, particulièrement dans les familles dites à problèmes multiples [10], des interactions chaotiques marquées du sceau de la discontinuité et de l’imprévisibilité. Il y est noté l’anarchie des rythmes de vie, des stimulations excessives succédant à une quasi-négligence, des relations tantôt érotisées ou violentes, tantôt rejetantes ou distantes, et, à l’extrême, la succession d’hospitalisations ou de placements. Les troubles présentés par les enfants sont variables et complexes. De plus, la suppléance par les aînés ou le support social peut offrir une certaine protection à la déstructuration et au sentiment d’insécurité, éviter l’apparition de désordres affectifs, de troubles du comportement ou de troubles cognitifs qui peuvent toutefois en résulter. Le rôle de la dépression maternelle Études cliniques La mise en évidence des conséquences de la dépression du post-partum dans le développement de l’enfant laisse supposer une communauté symptomatique entre troubles liés à la carence et troubles secondaires à la dépression maternelle. Ces derniers semblent toutefois généralement plus modérés, s’éloignant du tableau impressionnant de la dépression anaclitique. Certains auteurs soutiennent néanmoins que l’indisponibilité maternelle affecte davantage le bébé qu’une séparation franche. Selon Field [3, 4], si la mère n’est pas disponible le bébé recherche les moyens d’une régulation propre qui, s’ils sont infructueux, peuvent conduire à un état de détresse et/ou des affects déprimés. En effet, la dépression affecte de multiples manières la communication interper- 98 sonnelle notamment en modifiant la fréquence de l’adresse verbale, la qualité de la voix, le contact œil à œil, la qualité de l’expression et des réponses émotionnelles maternelles [5], et donc les mécanismes d’adaptation du nourrisson le rendant inapte à réguler correctement les interactions. L’adversité sociale comme les troubles de la personnalité agissent en synergie avec les facteurs dépressifs pour perturber les interactions, aggravant le stress maternel et réduisant les capacités d’adaptation. Toutefois, les interactions des mères déprimées ne sont pas constamment perturbées et, quand elles le sont, s’organisent autour de deux tendances : comportement intrusif et hostile d’une part, désengagement et évitement des relations d’autre part [6, 7, 11]. Cohn et Tronick [11] ont montré qu’au comportement intrusif des mères répondent plus souvent des « regards vagues » du nourrisson, au désengagement la protestation, mais au comportement positif, des réponses positives. Les nourrissons de mères déprimées présenteraient à 19 mois plus de manifestations de colères et moins de mutualité affective avec leur mère que dans un groupe contrôle. Une étude menée en Suisse [12] a permis d’examiner le développement de l’enfant et de la relation mère-enfant à 3 et à 18 mois. À 3 mois, les enfants de mères déprimées présenteraient plus de troubles fonctionnels : problèmes alimentaires, troubles du sommeil, pleurs excessifs. Toutefois ces comportements sont rapportés par la mère qui tend à péjorer les descriptions de l’enfant et d’elle-même. À 18 mois, les enfants de mères déprimées ont moins d’échanges vocaux et visuels, et sont moins souriants. Les échanges se déroulent souvent sur un mode discontinu, les mères plus permissives ou interdictrices favorisent moins l’exploration par l’enfant de l’environnement. Ces derniers jouent davantage seuls, présentent moins d’interaction à distance, adoptent un comportement d’évitement par rapport à la mère. Ils expriment moins de plaisir, leur capacité d’attention est diminuée et ils se fatiguent plus vite. Ils présentent moins souvent un attachement sécurisant et plus souvent un attachement « non sécurisant-évitant ». La question demeure de déterminer le facteur de risque principal de ces troubles : dépression, adversité sociale, troubles de la personnalité, dysfonctionnements familiaux, gardant à l’esprit que la nature des interactions, tant sur le plan qualitatif que quantitatif demeure le facteur agissant. Études expérimentales Des études expérimentales ont aussi cherché à évaluer l’impact des modifications des interactions induites par la dépression maternelle. Le protocole dit de « la situation étrange » [2], dont l’objectif est d’évaluer la qualité de l’attachement du nourrisson à sa mère et ses réponses aux séquences de séparations/retrouvailles, ne répondant pas exactement aux spécificités de la dépression maternelle, différents modèles expérimentaux ont été proposés. Tronick en 1978 met au point un paradigme expérimental qui mt pédiatrie, vol. 11, n° 2, mars-avril 2008 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. demeure encore aujourd’hui un outil de référence : l’expérience du « still face » [6, 7] consiste à fournir à la mère la consigne de demeurer face à son nourrisson sans réaction pendant trois minutes. Immédiatement les bébés tentent d’attirer l’attention de leur mère par des stratégies mises systématiquement en échec par le protocole luimême. Ils se détournent après chaque tentative sans réponse puis tentent à nouveau de la solliciter notamment par le regard. Ils abandonnent plus ou moins tôt ce cycle de sollicitations, puis en moins de trois minutes leur corps s’affaisse, ils se retirent de la réconciliation et tentent plus ou moins de se réconforter eux-mêmes. Les comportements de détresse du bébé persistent un temps après le retour à la normale du comportement maternel. Bien qu’il s’agisse d’une situation expérimentale, ces faits indiquent que les enfants ont des réactions spécifiques, appropriées et négatives en réponse à la dépression simulée chez leur mère. Field [3, 4] suggère que ce protocole expérimental ne reflète pas les interactions observées avec les mères réellement déprimées. Il constate expérimentalement que le comportement des nourrissons de mères déprimées semble mimer celui de cette dernière. Il décrit un style interactif « déprimé » des nourrissons : diminution de l’expression d’affects positifs, moins de vocalisations, plus de protestations. Il montre que ce style tend à persister même quand le nourrisson interagit avec des adultes non déprimés ou bien lorsque la mère cesse son comportement de retrait. Les séquences interactives du still face ont constitué pour beaucoup un modèle paradigmatique des effets de la dépression maternelle sur le nourrisson. Il représente pour Tronick « un modèle expérimental de négligence émotionnelle et de déni de l’intersubjectivité ». Il demeure incertain que la qualité des interactions et le rythme des discontinuités reflètent celles présentes dans l’interaction réelle d’une mère déprimée avec son nourrisson. La chute brutale de l’intérêt portée à l’enfant et la durée de l’absence de réaction à tout stimulus provenant de ce dernier s’apparentent plus à une expérience traumatique qu’à la privation plus continue offerte par une mère sévèrement déprimée ou au repli d’une dépression modérée plus sensible aux signaux émis par l’enfant [13]. Le protocole utilisé actuellement tend d’ailleurs à réduire à une minute la période où la mère s’abstient de répondre. gressivité assez homogène : tentatives de rapprochement avec la mère ou le substitut maternel, tentative d’adaptation en cas d’échec répété (détournement actif et/ou protestation) puis abandon et apparition de manifestations motrices avec tendance à la passivité et l’hypotonie. Toutefois ces troubles sont de degré très variable comme d’ailleurs leur réversibilité, et leurs effets à long terme diffèrent. La tristesse comme l’absence de satisfaction suivant l’apaisement des besoins essentiels, la perte du jeu, la rareté du sourire, le manque d’initiative dans l’interaction, les troubles du sommeil ou alimentaires sont autant de symptômes communs avec la dépression de l’enfant plus âgé. Des efforts récents ont été faits pour identifier de façon reproductible certains symptômes tels le « retrait relationnel durable » [14] et expliciter leurs relations avec la dépression du nourrisson, mais une révision générale du concept de dépression du nourrisson est encore en attente. Références 1. Spitz R. De la naissance à la parole. Paris : PUF, 1968. 2. Bolwby J. Attachement et perte. Paris : PUF, 1984 ; (3 vol.). 3. Field T, Healy B, Goldstein S. Infants of depressed mothers show “depressed” behaviour even with non-depressed adults. Child Dev 1988 ; 59 : 1569-79. 4. Field T, Healy B, Goldstein S, Guthertz M. Behavior-state matching and synchrony in mother-infant interactions in non-depressed versus depressed dyads. Dev Psychol 1990 ; 26 : 7-14. 5. Murray L. The impact of postnatal depression on infant development. J Child Psychol Psychiatry 1992 ; 33(3) : 543-61. 6. Reck C, Hunt A, Fuchs T, et al. Interactive regulation of affect in postpartum depressed mothers and their infants : an overview. Psychopathology 2004 ; 37 : 272-80. 7. Weinberg MK, Tronick EZ. Emotional characteristics of infants associated with maternal depression and anxiety. Pediatrics 1998 ; 102 : 1298-304. 8. Kreisler L. La dépression du nourrisson. In : Lebovici S, WeilHalpern F, eds. Psychopathologie du bébé. Paris : PUF, 1989. 9. Johnson DE, Miller LC, Iverson S, et al. The health of children adopted from Romania. JAMA 1992 ; 268 : 3446-51. 10. Stoleru S, Lebovici S. L’interaction parent-enfant. In : Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Paris : PUF, 1995 : 320-39 ; (Tome I). 11. Cohn JF, Tronik EZ. Three month old infant’s reaction to simulated maternal depression. Child Dev 1983 ; 54(1) : 185-93. Conclusion La dépression du nourrisson n’est pas une entité clairement définie. Toutefois, tant les études portant sur les effets de carence, notamment chez l’enfant placé en institution ou hospitalisé, que celles portant sur les effets de la dépression maternelle notamment en cas de troubles sévères ou associées à des conditions sociales défavorables ou à un trouble de la personnalité, mettent en évidence une communauté de symptômes, encore retrouvée dans des conditions expérimentales. Le trouble présente une pro- 12. Righetti-Veltema M, Manghi M, Conne-Perreard E, Manzano J. Effets observés chez l’enfant de la dépression maternelle du postpartum à 3 mois et à 18 mois – Résultats d’une recherche épidémiologique sur les signes précurseurs de la dépression du post-partum. In : Manzano J, ed. Les Relations précoces parents-enfants et leurs troubles. Genève : Éd. Médecine et hygiène, 1996 : 143-57. 13. Dayan J, Andro G, Dugnat M. Psychopathologie de la périnatalité. Paris : Masson, 2003. 14. Guedeney A, Dumond C, Grasso F, Starakis N. Comportement de retrait relationnel du jeune enfant : Du concept à l’outil diagnostique. M S Méd Sci 2004 ; 20 : 1046-9. mt pédiatrie, vol. 11, n° 2, mars-avril 2008 99