affection, protection, éducation et scolarisation. Un cer-
tain nombre de facteurs de risque de négligence ont été
mis en évidence. Ils ne coïncident pas tout à fait avec ceux
démontrés pour la maltraitance active, ni pour la dépres-
sion maternelle : les mères négligentes seraient plus âgées,
plus souvent célibataires, d’intelligence ou de niveau sco-
laire inférieur par rapport à des contrôles. La taille de la
famille, le nombre de grossesses non désirées, l’extrême
pauvreté, les conditions de logement et l’environnement
de l’enfant sont également associés à la négligence. Au
plan psychologique, les mères négligentes seraient plus
souvent déprimées, anhédoniques, insatisfaites, agitées,
exprimant des sentiments d’ennui et de solitude. On a
décrit un syndrome d’apathie-inutilité chez ces femmes.
Les mères négligentes auraient moins d’interaction avec
leurs enfants, seraient volontiers plus directives et exi-
geantes, moins attentives aux besoins de l’enfant, qu’elles
évalueraient de manière moins réaliste. Les soins insuffi-
sants ou inadaptés sont préjudiciables à court terme,
compte tenu de l’extrême dépendance du nourrisson pour
la satisfaction de ses besoins et des dangers que font courir
l’absence de surveillance et l’environnement inadapté.
On a décrit, particulièrement dans les familles dites à
problèmes multiples [10], des interactions chaotiques
marquées du sceau de la discontinuité et de l’imprévisibi-
lité. Il y est noté l’anarchie des rythmes de vie, des stimu-
lations excessives succédant à une quasi-négligence, des
relations tantôt érotisées ou violentes, tantôt rejetantes ou
distantes, et, à l’extrême, la succession d’hospitalisations
ou de placements. Les troubles présentés par les enfants
sont variables et complexes. De plus, la suppléance par les
aînés ou le support social peut offrir une certaine protec-
tion à la déstructuration et au sentiment d’insécurité, éviter
l’apparition de désordres affectifs, de troubles du compor-
tement ou de troubles cognitifs qui peuvent toutefois en
résulter.
Le rôle de la dépression maternelle
Études cliniques
La mise en évidence des conséquences de la dépres-
sion du post-partum dans le développement de l’enfant
laisse supposer une communauté symptomatique entre
troubles liés à la carence et troubles secondaires à la
dépression maternelle. Ces derniers semblent toutefois
généralement plus modérés, s’éloignant du tableau im-
pressionnant de la dépression anaclitique. Certains
auteurs soutiennent néanmoins que l’indisponibilité ma-
ternelle affecte davantage le bébé qu’une séparation fran-
che. Selon Field [3, 4], si la mère n’est pas disponible le
bébé recherche les moyens d’une régulation propre qui,
s’ils sont infructueux, peuvent conduire à un état de dé-
tresse et/ou des affects déprimés. En effet, la dépression
affecte de multiples manières la communication interper-
sonnelle notamment en modifiant la fréquence de
l’adresse verbale, la qualité de la voix, le contact œil à œil,
la qualité de l’expression et des réponses émotionnelles
maternelles [5], et donc les mécanismes d’adaptation du
nourrisson le rendant inapte à réguler correctement les
interactions. L’adversité sociale comme les troubles de la
personnalité agissent en synergie avec les facteurs dépres-
sifs pour perturber les interactions, aggravant le stress
maternel et réduisant les capacités d’adaptation. Toute-
fois, les interactions des mères déprimées ne sont pas
constamment perturbées et, quand elles le sont, s’organi-
sent autour de deux tendances : comportement intrusif et
hostile d’une part, désengagement et évitement des rela-
tions d’autre part [6, 7, 11]. Cohn et Tronick [11] ont
montré qu’au comportement intrusif des mères répondent
plus souvent des « regards vagues » du nourrisson, au
désengagement la protestation, mais au comportement
positif, des réponses positives. Les nourrissons de mères
déprimées présenteraient à 19 mois plus de manifesta-
tions de colères et moins de mutualité affective avec leur
mère que dans un groupe contrôle. Une étude menée en
Suisse [12] a permis d’examiner le développement de
l’enfant et de la relation mère-enfantà3età18mois. À
3 mois, les enfants de mères déprimées présenteraient
plus de troubles fonctionnels : problèmes alimentaires,
troubles du sommeil, pleurs excessifs. Toutefois ces com-
portements sont rapportés par la mère qui tend à péjorer
les descriptions de l’enfant et d’elle-même. À 18 mois, les
enfants de mères déprimées ont moins d’échanges vocaux
et visuels, et sont moins souriants. Les échanges se dérou-
lent souvent sur un mode discontinu, les mères plus per-
missives ou interdictrices favorisent moins l’exploration
par l’enfant de l’environnement. Ces derniers jouent da-
vantage seuls, présentent moins d’interaction à distance,
adoptent un comportement d’évitement par rapport à la
mère. Ils expriment moins de plaisir, leur capacité d’atten-
tion est diminuée et ils se fatiguent plus vite. Ils présentent
moins souvent un attachement sécurisant et plus souvent
un attachement « non sécurisant-évitant ». La question
demeure de déterminer le facteur de risque principal de
ces troubles : dépression, adversité sociale, troubles de la
personnalité, dysfonctionnements familiaux, gardant à
l’esprit que la nature des interactions, tant sur le plan
qualitatif que quantitatif demeure le facteur agissant.
Études expérimentales
Des études expérimentales ont aussi cherché à évaluer
l’impact des modifications des interactions induites par la
dépression maternelle. Le protocole dit de « la situation
étrange » [2], dont l’objectif est d’évaluer la qualité de
l’attachement du nourrisson à sa mère et ses réponses aux
séquences de séparations/retrouvailles, ne répondant pas
exactement aux spécificités de la dépression maternelle,
différents modèles expérimentaux ont été proposés. Tro-
nick en 1978 met au point un paradigme expérimental qui
La dépression du nourrisson
mt pédiatrie, vol. 11, n° 2, mars-avril 2008
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