Évaluation du jugement temporel après l`introduction d`un stimulus

Journal Identification = NRP Article Identification = 0297 Date: July 24, 2014 Time: 11:42 am
doi:10.1684/nrp.2014.0297
REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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Article original
Rev Neuropsychol
2014 ; 6 (2) : 90-8 Évaluation du jugement temporel après
l’introduction d’un stimulus émotionnel
de nature olfactive : apport dans
le diagnostic différentiel entre la maladie
d’Alzheimer et les troubles de l’humeur
Assessment of emotional processes:
contribution of priming effect
to temporal estimation
Auriane Gros1, Maurice Giroud2,
Olivier Rouaud3, Yannick Bejot2,
Dominique Valentin4,
Sophie Guillemin3,
Corinne Aboa-Eboulé5,
Martine Lemesle-Martin6
1CHU de Dijon, Université de Bourgogne,
Centre d’épidémiologie des populations,
École doctorale environnements-santé
discipline médecine, Service de neurologie,
Complexe du Bocage, 14, rue Paul-Gaffarel,
21000 Dijon, France
<auriane.gros@chu-dijon.fr>
2CHU de Dijon, Service de neurologie,
Dijon, France
3CHU de Dijon, Centre mémoire
de ressources et de recherche, Service
de neurologie, Dijon, France
4Université de Bourgogne, UMR, Centre
des sciences du goût et de l’alimentation
6265, CNRS, INRA, 21000 Dijon, France
5Faculté de médecine de Dijon, Service
de neurologie, Réseau StrokAvenir, Registre
dijonnais des AVC, 21079 Dijon, France
6CHU de Dijon, Service de neurologie,
Laboratoire d’exploration du système
nerveux, Dijon, France
Pour citer cet article : Gros A, Giroud M,
Rouaud O, Bejot Y, Valentin D, Guillemin
S, Aboa-Eboulé C, Lemesle-Martin M.
Évaluation du jugement temporel après
l’introduction d’un stimulus émotion-
nel de nature olfactive : apport dans le
diagnostic différentiel entre la maladie
d’Alzheimer et les troubles de l’humeur.
Rev Neuropsychol 2014 ; 6 (2) : 90-8
doi:10.1684/nrp.2014.0297
Résumé La multiplicité des termes et des théories concernant les
émotions rend leur évaluation particulièrement complexe.
La majorité des évaluations actuelles ne prend en compte que l’expérience psychique de
l’individu et omet la part implicite des processus émotionnels. Les procédures d’amorc¸age
permettent d’étudier ce type de traitement inconscient. En nous appuyant sur les paradigmes
d’amorc¸age affectif et les modèles d’horloge interne, nous avons élaboré un paradigme
d’amorc¸age émotionnel. Il consiste en une tâche de jugement temporel après l’introduction
d’un stimulus émotionnel. En temps normal, l’introduction d’un tel stimulus va créer une acti-
vation de l’horloge interne par les réactions physiologiques qui l’accompagnent et générer
une surestimation temporelle. Dans le cas d’une atteinte frontale et en absence d’un système
d’anticipation et de régulation émotionnelle, un syndrome d’hypofonctionnement limbique
est attendu. Il se traduit dans le test d’amorc¸age émotionnel par une surestimation tempo-
relle moins importante que la normale. À l’inverse une atteinte temporale se caractérise par
un effet d’amorc¸age plus important et une surestimation temporelle. Il correspondrait à un
syndrome d’hyperfonctionnement limbique. L’intérêt de ce paradigme a été étudié dans le
diagnostic différentiel entre la maladie d’Alzheimer et les troubles de l’humeur où l’on attend
un dysfonctionnement limbique inverse du fait des régions atteintes. Cet article a pour but
de présenter cette première recherche effectuée et donc un premier apport d’un test éva-
luant le traitement émotionnel implicite. L’objectif final est de pouvoir ensuite généraliser
l’utilisation de ce test à l’observation d’autres pathologies afin de mieux comprendre les
troubles émotionnels et les répercussions comportementales qui les composent.
Mots clés : émotions ·horloge biologique ·amorc¸age
Abstract Much emotion research has focused on the behavioral
effects of eliciting conscious and subjective emotions.
Such research has relied on either the natural occurrence of emotion or its direct conscious,
subjective elicitation. We extend existing emotion research by providing a demonstration
that emotion concepts can be nonconsciously primed, remain inaccessible to conscious
awareness, and still influence behavior in emotion-specific ways. Recent research has exa-
mined the effects of nonconscious affect primes. Affective priming involves facilitation of
responses to a probe stimulus following a prime stimulus when both have the same emo-
tional valence, in comparison with when the prime and the probe differ in valence. This
Correspondance :
A. Gros
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is a variant of the more general phenomenon of cognitive priming, in which the speed or
accuracy of a decision to a target is increased when a previous stimulus is related in mea-
ning or form. Different studies have pointed out that there are non-emotional processes,
such as perceptual identification and semantic categorization that might be involved in
the effects attributed to affective priming. In the present study, we used emotional para-
digms that occur automatically and removes the contribution of affective and semantic
dimensions. This test examines influence of emotional information in estimation the pas-
sage of time. This procedure was designed to activate specific emotion-related concepts
in a nonconscious manner and automatic processing of emotional valence. The advan-
tage of this paradigm has been studied in the difference between Alzheimer’s disease and
mood disorders. To present this first research conducted, this article aims a first input of
a test of this type. The ultimate goal is to generalize the use of the implicit test and to
observe it in other conditions. Beyond the differential diagnosis this test aims to improve
the management and the quality of life of patients.
Key words: emotions ·biological clocks ·priming
Introduction
Actuellement, beaucoup d’études se concentrent sur
l’évaluation et l’analyse de l’aspect social des émotions [1-
3]. Il est admis que l’émotion est un ensemble de réactions
complexes caractérisées par trois composantes : phy-
siologique, cognitive-expérientielle et comportementale-
expressive. Seulement ces études ne semblent s’attacher
qu’à la composante cognitive-expérientielle et comporte-
mentale en étudiant les processus qui apparaissent et qui
se développent suite au déclenchement d’une émotion
intervenant dans la perception de la situation et dans son
traitement. Les tests cliniques actuellement disponibles sur
la cognition sociale, censés évaluer les troubles émotion-
nels, ne s’intéresseraient donc uniquement au contrôle que
peut avoir le sujet sur la situation. Le traitement amygda-
lien, qui serait pourtant, selon l’approche physicaliste de
Goleman, «capable de déclencher une réponse émotion-
nelle avant même que les centres corticaux aient compris
ce qu’il se passe », est ainsi omis. Il existe différentes
fac¸ons d’étudier les variables physiologiques en laboratoire
notamment par le biais de la mesure de la température cor-
porelle, de la pression sanguine, du taux de concentration
de certaines hormones ou neurotransmetteurs, ou encore
de l’asymétrie de l’activité corticale. Mais, les quatre prin-
cipaux indices physiologiques actuellement utilisés sont
la réponse électrodermale, la fréquence cardiaque, la fré-
quence respiratoire et l’électroencéphalographie. Toutefois,
ces derniers sont très peu, voire pas du tout, utilisés en
clinique pour évaluer les émotions et leurs troubles. En
étudiant seulement l’aspect explicite des émotions, le sys-
tème limbique n’est pas appréhendé dans son ensemble
puisqu’il se divise en deux sous-systèmes, archicortical et
paléocortical qui réunissent à la fois le traitement émo-
tionnel explicite et implicite. Au sein de ces systèmes, le
cortex orbitofrontal et l’amygdale sont des structures clefs.
Les différentes données neuro-anatomiques, psychophysio-
logiques et électrophysiologiques [4] mettent en évidence
que le cortex orbitofrontal est davantage impliqué dans le
traitement émotionnel explicite tandis que l’amygdale est
activée principalement implicitement. Aussi, alors que le
traitement émotionnel explicite est actuellement de plus
en plus source d’intérêt et que de nombreux tests se déve-
loppent afin de mettre en évidence les pathologies qui s’y
rapportent, l’intégration des stimuli émotionnels de manière
implicite semble oubliée. Dans un certain nombre de patho-
logies, le système limbique est altéré et les répercussions
comportementales sont visibles. Néanmoins, et même si
cela n’est pas mis en évidence actuellement, l’origine de
ce dysfonctionnement limbique est souvent différente. Le
fait de pouvoir localiser le dysfonctionnement émotionnel
est crucial aussi bien dans la prise en charge des troubles
qu’il engendre que dans les possibilités de diagnostic dif-
férentiel. Cette première étude que nous présentons vise à
présenter un paradigme visant à étudier les troubles émo-
tionnels d’une manière plus complète en étudiant à la fois
le niveau amygdalien et frontal. Elle a également pour but
de montrer un premier intérêt d’un test tel que celui-ci qui
est celui de son apport dans le diagnostic différentiel entre
la maladie d’Alzheimer et les troubles de l’humeur.
Données bibliographiques
Parmi les démences dégénératives, la plus répandue
est sans conteste la maladie d’Alzheimer. Le diagnostic
se fait actuellement tardivement et seule la moitié des
patients est identifiée [5]. Ce sous-diagnostic trouve prin-
cipalement sa cause dans la difficulté de distinguer la
maladie d’Alzheimer d’autres pathologies et notamment
des troubles de l’humeur.
Au niveau du profil cognitif, les mêmes types de défi-
cits peuvent être retrouvés dans ces deux pathologies. Et
même si on a longtemps pensé que l’étude de la mémoire
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épisodique permettrait de les différencier du fait d’une pré-
servation du processus d’encodage dans les troubles de
l’humeur, un certain nombre d’études se sont opposées à ce
constat et ont mis en évidence que ce processus était égale-
ment déficitaire [6]. L’exploration des troubles mnésiques
retrouvés dans chacune des pathologies ne pourrait donc
pas permettre leur différenciation. Et cette difficulté de dif-
férenciation n’épargne pas les troubles comportementaux
et psychologiques. En effet, bien qu’ils fassent partie inté-
grante des critères de diagnostic des troubles dépressifs, il a
également été démontré que l’on retrouvait des symptômes
neuropsychiatriques chez 90 % des patients atteints de la
maladie d’Alzheimer [7].
Néanmoins, et malgré un profil cognitif et compor-
temental semblable, les altérations retrouvées au niveau
limbique sont inverses.
Différences structurales, fonctionnelles
et neurobiologiques
Dans la maladie d’Alzheimer, l’atrophie de l’amygdale
est précoce et parallèle à celle de l’hippocampe [8]. À
l’inverse, il a été mis en évidence un élargissement de
l’amygdale dans les troubles dépressifs [9]. Quant au
cortex orbitofrontal, longtemps préservé dans la maladie
d’Alzheimer, son volume est diminué dans les troubles uni-
polaires et bipolaires [10]. Au niveau fonctionnel, dans la
maladie d’Alzheimer il a été mis en évidence une baisse du
métabolisme dans le cortex temporo-pariétal des malades
[11]. En revanche, les troubles de l’humeur seraient carac-
térisés par une hyperactivité amygdalienne associée à une
hypoactivité du cortex orbitofrontal. Aussi, les modèles
actuels indiquent, en plus d’une activation plus impor-
tante de l’amygdale dans la réactivité émotionnelle, un
dysfonctionnement des régions fronto-orbitales impliquées
dans la régulation des émotions [12]. Ce dysfonctionne-
ment s’observe différemment selon la nature consciente ou
inconsciente du traitement puisqu’il a été démontré que les
patients bipolaires en phase dépressive et les patients uni-
polaires montraient une plus grande sensibilité aux stimuli
traités consciemment alors que le traitement inconscient
générait une suractivitée de réponse amygdalienne [13]. Il
en a été conclu un intérêt particulier à étudier le traite-
ment inconscient des stimuli émotionnels pour mettre en
évidence l’hyperactivité amygdalienne présente dans les
troubles de l’humeur.
Au niveau génétique, l’un des polymorphismes les plus
étudiés est le 5-HTTLPR. L’allèle S est associé à une moindre
recapture de la sérotonine et a été mis en relation avec
la dépression [14]. Des études de neuro-imagerie ont mis
en évidence que les porteurs de l’allèle S montraient une
plus grande réactivité amygdalienne [15]. Pour conclure, le
système limbique est le principal siège des modifications
observées dans la maladie d’Alzheimer ainsi que dans les
troubles de l’humeur. Néanmoins, au niveau fonctionnel
les différences d’activation sont inverses et on observe que
l’amygdale est hypoactive chez les malades d’Alzheimer
alors qu’elle est hyperactive chez les patients atteints de
trouble de l’humeur et qu’elle s’associe à une hypoactivité
du cortex orbitofrontal.
Rôle du cortex orbitofrontal et de l’amygdale
dans le jugement olfactif et émotionnel
Nous venons de montrer que l’amygdale est le siège
des principales modifications observées que ce soit au
niveau fonctionnel ou neurobiologique dans la maladie
d’Alzheimer et dans les troubles de l’humeur. Aussi, il est
reconnu que cette structure est spécifiquement impliquée
dans le traitement des émotions. De plus, par ses afférences
directes avec l’entrée olfactive, ce sont les stimuli olfactifs
qui se révèleraient les plus efficaces pour provoquer une
réponse de l’amygdale [16].
L’autre structure incriminée dans les troubles de
l’humeur du fait de son dysfonctionnement est le cor-
tex orbitofrontal. Un certain nombre d’auteurs ont mis en
évidence les fortes connexions réciproques entre ce der-
nier et le complexe amygdalien. Et, bien que les troubles
du comportement soient jugés comme similaires lors de
dommages de l’une ou l’autre région, des différences signi-
ficatives ont été relevées dans des tâches de discrimination
d’odeurs [17]. Cela peut s’expliquer par le fait que si
l’amygdale est activée de fac¸on «automatique », et notam-
ment pour les odeurs fortement émotionnelles, la tâche
consciente de jugement hédonique activerait spécifique-
ment le cortex orbitofrontal.
Évaluation du traitement émotionnel implicite
et procédure d’amorc¸age
Pour élaborer ce test, nous voulons donc utiliser une
procédure qui évalue le traitement émotionnel implicite.
La procédure d’amorc¸age semble en ce sens la plus perti-
nente. Les protocoles mis en place pour démontrer un effet
d’amorc¸age consistent à présenter deux stimuli de fac¸on
séquentielle et d’observer l’influence du premier (l’amorce)
sur le second (la cible). Diverses études ont montré que
l’effet est généralement obtenu lorsque moins de 300 ms
séparent l’apparition de l’amorce de celle de la cible [18].
Cette influence de l’affectif sur le traitement cognitif a
notamment été mise en évidence par le biais des odeurs.
Certains auteurs indiquent que des processus cognitifs tels
que l’attention, le raisonnement et le rappel peuvent être
influencés par des stimulations olfactives. Aussi, des don-
nées en neuro-imagerie et en EEG [4] indiquent que les
odeurs peuvent affecter le système nerveux sans être cons-
ciemment perc¸ues. Une ambiance odorante influencerait le
temps de présence du joueur devant une machine à sous,
dans un magasin ou le temps mis pour évaluer des images.
Pour toutes ces études, l’effet des odeurs était d’augmenter
le temps de présence ou d’évaluation. Aussi, alors que la
nature des relations entre émotion et cognition est un sujet
d’étude fertile, peu de recherches ont étudié le lien entre
les émotions et la perception du temps. Langer et al. ont
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été les premiers, en 1961, à montrer que le danger induisait
une surestimation temporelle et, par la suite, en 1984, Watts
et Sharrock obtiendront des résultats conformes. Thayer et
Schiff (1975 [28]) ont quant à eux démontré que le simple
fait de regarder quelqu’un exprimant une émotion provo-
quait une accélération du rythme de l’horloge interne et,
plus récemment, Noulhiane et al. [19] ont montré une sur-
estimation temporelle lors de la présentation de stimuli
auditifs émotionnels comparativement à des stimuli neutres.
En résumé, et face à l’ensemble de ces constats,
l’élaboration d’un paradigme avec pour amorce un stimu-
lus olfactif à valence émotionnelle et pour cible l’estimation
d’une durée nous a paru le plus adapté pour évaluer le
fonctionnement limbique dans son ensemble.
Perceptions et distorsions temporelles
Afin de mettre en évidence les différences de fonc-
tionnement de l’amygdale et du cortex orbitofrontal, nous
avons souhaité élaborer un test susceptible de démon-
trer une surestimation temporelle en cas d’hyperactivité
amygdalienne associée à une absence de régulation par
le cortex orbitofrontal. Pour comprendre les raisons pos-
sibles de cette surestimation et les différents facteurs qui
risquent de l’entraîner, il nous faut dans un premier temps
revenir sur les mécanismes de l’estimation temporelle en
tant que telle. Cette idée d’un mécanisme dévolu au trai-
tement de l’information temporelle est née de la réunion
de deux constats : les animaux comme les humains sont
capables de comportements temporels précis, et certains
facteurs semblent avoir une incidence plus ou moins impor-
tante sur ces comportements. Certains chercheurs ont donc
essayé de modéliser un mécanisme interne de mesure
du temps s’apparentant à une sorte d’horloge interne. En
1990, Treisman propose un modèle de type «oscillateur-
calibreur »dans lequel l’unité de calibration modulerait la
fréquence de base en fonction de l’activation induite par
des stimuli intérieurs ou extérieurs au sujet. Ce modèle
d’horloge interne a été repris dans le cadre de la théorie
du temps scalaire de Gibbon (1977 [29]) qui envisage que
le traitement de l’information temporelle résulte de trois
étapes comme autant d’étages interconnectés. Alors que le
modèle de Treisman considère que la variabilité des esti-
mations temporelles réside pour l’essentiel dans l’émission
des impulsions de l’horloge interne, Gibbon et al. consi-
dèrent chaque étage comme un lieu potentiel de source
de variation. Ces variations sont à l’origine des distorsions
temporelles qui correspondent au fait que le temps sub-
jectif, c’est-à-dire le temps estimé, ne correspond pas au
temps objectif, le temps mesuré par une montre. Selon
les conditions expérimentales, ces distorsions sont liées
principalement à des processus attentionnels ou à des pro-
cessus d’activation [20]. L’activation de l’horloge interne
engendrerait une surestimation temporelle. Elle serait due
à des mécanismes d’activation endogènes qui accélèrent
le rythme de l’horloge interne tels que l’augmentation de
la température corporelle, la nicotine ou la prise de sub-
stances psycho-actives telles que la méthamphétamine [21].
Des facteurs exogènes peuvent également générer des varia-
tions de l’horloge interne et particulièrement l’introduction
de stimuli émotionnels, comme nous l’avons précédem-
ment démontré. Toutefois, il semble pouvoir y avoir d’autres
sources de distorsion à d’autres niveaux du traitement de
l’information temporelle et notamment au niveau mnésique
[22]. Les troubles de la mémoire étant centraux dans la
maladie d’Alzheimer, nous pouvons donc nous interroger
sur la possibilité de distorsions temporelles déjà présentes
chez les malades. De même, si certaines études ont montré
qu’il n’y avait pas de lien entre la dépression et l’estimation
temporelle, d’autres suggèrent au contraire que les juge-
ments temporels sont altérés par la dépression [23]. En
résumé, l’étude de la perception du temps semble adap-
tée pour étudier l’effet émotionnel suscité dans le sens où
un stimulus émotionnel serait un activateur puissant des
mécanismes de l’horloge interne. Néanmoins, le fait que
d’autres facteurs puissent engendrer des distorsions tempo-
relles nous incite à prendre en compte qu’une estimation
erronée du temps est déjà susceptible d’exister dans nos
populations d’étude.
Problématique et objectifs
Nous avons mis en évidence que la maladie d’Alzheimer
et les troubles uni- et bipolaires étaient des pathologies fré-
quentes mais souvent confondues au cours de leur évolution
du fait de profils cognitifs et comportementaux proches.
Néanmoins, les données structurales, neurobiologiques et
fonctionnelles mettent en avant que, bien que le circuit
fronto-limbique soit affecté dans les deux pathologies, ce
ne sont pas les mêmes structures qui sont atteintes. En effet
dans les troubles de l’humeur, qu’ils soient uni- ou bipo-
laires, l’amygdale serait élargie et hyperactive à l’inverse
du cortex orbitofrontal atrophié et inactif, alors que dans
la maladie d’Alzheimer, l’amygdale serait le siège des
premières lésions et serait rendue inactive de manière pré-
coce. Les différentes études disponibles plaident en faveur
de l’existence de deux sous-systèmes neuronaux distincts
dans le traitement des odeurs. Le cortex orbitofrontal serait
davantage impliqué dans le traitement émotionnel explicite
des odorants à l’inverse de l’amygdale qui serait activée
principalement implicitement. Nous formulons l’hypothèse
qu’un test olfactif étudiant les réponses émotionnelles impli-
cites des odeurs pourrait permettre de différencier une
pathologie de type Alzheimer de troubles de l’humeur
et donc de mettre en évidence la différence entre un
dysfonctionnement limbique au niveau frontal ou un dys-
fonctionnement limbique au niveau amygdalien. Dans cette
étude, nous émettons l’hypothèse d’une différence d’effet
sur le traitement de la cible qui est l’estimation de la durée
d’un son entre nos deux populations d’intérêts. En effet,
le cortex orbitofrontal ne pouvant correctement réguler
l’amygdale dans le cas des troubles de l’humeur, nous nous
attendons à constater un effet d’hyperamorc¸age par rapport
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à une population témoin et donc une surestimation tempo-
relle plus grande. À l’inverse, l’amygdale étant précocement
atrophiée dans la maladie d’Alzheimer, nous supposons un
effet moindre de l’amorce et donc de la diminution de l’effet
de surestimation du temps.
Matériel et méthode
Le protocole que nous avons mis en place a été présenté
à 75 patients âgés de 55 à 95 ans et répartis en trois groupes
de 25 patients comprenant un groupe atteint de la maladie
d’Alzheimer au stade léger à modéré, un groupe atteint de
troubles de l’humeur uni- ou bipolaires et un groupe témoin.
Il consistait à juger de la valence hédonique d’une odeur
puis d’estimer de la durée d’un son sur une échelle visuelle
de 0 à 2 secondes. Sept odeurs et sept sons différents ont
été successivement utilisés.
Sujets
Le nombre total de sujets nécessaires a été estimé à
75 patients. Afin de pouvoir réaliser cette estimation, nous
nous sommes appuyés sur les résultats de prétests effec-
tués sur un échantillon de trente personnes. Pour comparer
les moyennes de scores entre ces groupes, nous avons uti-
lisé la méthode de Bonferroni afin de nous prémunir de
l’augmentation du risque de première espèce dans les tests
multiples. Avec une différence de durée de son de 0,40 ms
associée à une variabilité de 40 %, la puissance statistique
mesurée était de 80 %.
Le recrutement des sujets présentant une maladie
d’Alzheimer au stade léger à modéré a été effectué dans le
Centre mémoire ressources et recherche de Dijon. Les sujets
souffrant de troubles de l’humeur ont été recrutés à l’hôpital
de jour de Champmaillot ainsi qu’au CHU de Dijon. Nous
avons choisi de sélectionner 20 personnes avec des troubles
unipolaires et cinq personnes atteintes de troubles bipo-
laires en nous référant à la prévalence de chacune de ces
deux pathologies dans la population générale. Les classi-
fications officielles du Manuel diagnostique et statistique
des troubles mentaux (DSM-IV) et de la Classification inter-
nationale des maladies (CIM 10) différencient au sein des
troubles bipolaires les troubles de type I et ceux de type II. Le
trouble bipolaire de type I se caractérise par un ou plusieurs
épisodes maniaques ou mixtes sans présence d’une cause
organique, iatrogénique ou toxique. Le trouble bipolaire de
type II se défini par l’existence d’un ou plusieurs épisodes
hypomaniaques et d’un ou plusieurs épisodes dépressifs
majeurs. Le trouble unipolaire se définit par des épisodes
dépressifs récurrents. Selon le DSM-IV-TR, il existe deux
principaux symptômes : humeur triste et anhédonie. Au
moins l’un de ces symptômes doit être présent pour établir
le diagnostic. Il doit également s’associer au moins quatre
des symptômes suivants :
une perte ou un gain de poids significatif ;
une insomnie ou une hypersomnie ;
une agitation ou un ralentissement psychomoteur ;
une fatigue ou une perte d’énergie ;
un sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive
ou inappropriée ;
une diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ;
des pensées de mort récurrentes ou des idées suicidaires.
Il est à noter que ces symptômes ne doivent pas répondre
aux critères d’épisode mixte, qu’ils induisent une souffrance
cliniquement significative, ne sont pas imputables aux effets
physiologiques directs et ne sont pas mieux expliqués par un
deuil. Ils doivent enfin avoir été présents pendant une même
période d’une durée de deux semaines et avoir représenté
un changement par rapport au fonctionnement antérieur.
Les 75 sujets qui remplissaient nos critères d’inclusion
ont ainsi été répartis en trois groupes de 25 appartenant
aux strates maladie d’Alzheimer, troubles de l’humeur
et témoins. Dans chacun des groupes ont été inclus
13 femmes et 12 hommes qui avaient entre 55 et 95 ans
et se répartissaient quantitativement de manière égale entre
la médiane de 75 ans. Les critères d’exclusion communs
aux trois groupes ont été ceux qui auraient été suscep-
tibles d’entraîner des troubles cognitifs (tumeur cérébrale,
pathologie neurologique...), olfactifs (anosmie, hyposmie,
cacosmie) ou auditifs (hypoacousie, hallucinations audi-
tives). Les sujets étaient volontaires et ont rec¸u une note
d’information expliquant l’objectif et le déroulement du
projet de recherche auquel ils acceptaient de participer. Il
s’agissait d’une étude monocentrique non interventionnelle
et sans bénéfices individuels directs pour les sujets. Nous
avons obtenu l’accord de la Commission nationale infor-
matique et liberté ainsi que celui du département recherche
clinique et innovation du CHU de Dijon. Les sujets ayant
participé à cette évaluation étaient des habitants des régions
Bourgogne et Franche-Comté, tous étaient droitiers et leur
langue maternelle était le franc¸ais. Une mesure cognitive
globale a été effectuée, le Mini mental state examination
(MMSE) (Folstein et Folstein, 1975 [30]) afin d’exclure les
sujets atteints de la maladie d’Alzheimer au stade sévère.
Le score moyen au MMSE était de 22,7 pour les patients
atteints de la maladie d’Alzheimer et de 25,5 pour les
patients atteints de troubles de l’humeur.
Matériel
Les stimuli olfactifs utilisés font partie de la batterie semi-
quantitative Biolfa (Amplifon CCA Biodigital, Paris, France).
Celle-ci comprend deux séries de bouteilles en verre de
30 mL contenant des molécules odorantes dissoutes dans
du dipropyl-éthylène-glycol. Nous avons choisi d’utiliser la
deuxième série, destinée à des épreuves de type qualitatif,
à sa plus forte concentration. Les sept molécules odorantes
présentées aux participants ont été :
le para-crésyl (odeur de crottin de cheval) ;
la citronnella (citronnelle) ;
le cis-3-hexanol (herbe coupée) ;
le l-carvone (menthe) ;
l’eugénol (clou de girofle) ;
le 1-octène-3ol (champignon) ;
la vanilline (vanille).
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