LE SONGE D`UNE NUIT D`ÉTÉ (A Midsummer

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 DOSSIER PEDAGOGIQUE pour explorer le spectacle…
LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ
(A Midsummer Night’s Dream)
William Shakespeare (Texte français : Stuart Seide) Mise en scène : Isabelle Pousseur Avec : Aminata Abdoulaye, Vincent Bazie, Edoxi Gnoula, Serge Henri, Safourata Kabore, Hyacinthe Kabre, Hypolitte Kanga, Anatole Koama, Mahamadi Nana, Gérard Ouedraogo, Justin Ouindiga, Charles Wattara, Sidiki Yougbare | Salimata Diabate, la musicienne. Scénographie et costumes : Zouzou Leyens | Assistante à la mise en scène : Julie‐Kazuko Rahir | Régie Générale à Ouagadougou : Isouf Yaguibou | Assist. à la scénographie : Toudeba Bobelle | Chorégraphie : Irène Tassembedo | Eclairages : Benoît Gillet | Une production du Théâtre National de la Communauté Française. Dossier pédagogique réalisé en décembre 2011 par Cécile Michaux, animatrice, pour le Service éducatif du Théâtre National. Ce dossier, s’appuyant notamment sur des notes de travail d’Isabelle Pousseur est réservé à une diffusion restreinte auprès des enseignants qui verront le spectacle et leurs étudiants. Une version PDF est disponible sur notre site www.theatrenational.be (rubrique « service éducatif »). Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 1 sur 23 Isabelle Pousseur n’aurait jamais, dit‐elle, monté ce Songe d’une nuit d’été, pièce exubérante et abyssale de Shakespeare, ici en Belgique. C’est à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, que le désir lui en est venu. Elle s’est mise au travail portée par le bonheur de ses premières impressions d’Afrique, émue de l’évidence et de la liberté avec laquelle les acteurs qu’elle rencontre là‐bas s’emparent des mots, saisissent l’énergie qui court dans cette histoire « à dormir debout », toute enchevêtrée de vie, de désir et d’amour, follement lucide, férocement tendre. Elle matérialise véritablement dans cette création‐ répétée beaucoup là‐bas, un peu ici‐ son respect pour « ces hommes et ces femmes, leur vécu, leurs rêves, leur mémoire et la poésie de leur réalité ». Rien qui prétende raconter l’Afrique. Mais tout pour faire aimer ces acteurs, leur façon de marcher, danser, dire, rire, le talent et la spontanéité avec lesquels ils investissent ces mondes emboîtés, fantasmagories mêlant réel et invention, hommes et animaux, puissances tutélaires et corps désirants, imagination et bon sens, prosaïque et sacré. Si Le Songe parle, entre autres choses et par‐dessus tout, du théâtre, de l’amour du théâtre, du théâtre fait avec amour, voici un hommage à son essence même : quelques hommes et quelques femmes, n’ayant perdu ni l’enfance ni la modestie ni la folie, se réunissent pour nous divertir et nous donner à voir...qui sait quoi au juste... Nous‐même ? La folie d’un monde qui, tombé dans la discorde, marche sur sa tête ? Toute existence et toute passion ramenée à sa juste mesure, un souffle, une seconde, une illusion, un songe... ? NB : Isabelle Pousseur a fait le choix d’une traduction, ‐celle de Stuart Seide‐ réalisée par un metteur en scène « guidé par ses instincts de jeu ». Elle et les acteurs se sont donné la liberté de réduire et de s’approprier le texte –fait pour vivre donc pour se transformer‐ consigné par le génial acteur Shakespeare. SOMMAIRE UNE COMEDIE WILLIAM SHAKESPEARE Page 3 LE THEATRE ELISABETHAIN Page 4 LE SONGE EN QUELQUES MOTS / LE TITRE Page 5 LES PERSONNAGES Page 7 LE SYNOPSIS Page 8 UN PROJET D’UNE RENCONTRE A L’AUTRE, L’HISTOIRE DU PROJET Page 9 DES INTENTIONS ‐ ENTRETIEN AVEC ISABELLE POUSSEUR Page 11 LE MUR / LA FRONTIERE / LA SEPARATION / COMMUNAUTE Page 16 LE DESIR / L’AMOUR VRAI / INITIATION Page 18 LE THEATRE / LA VIE / LE REVE Page 21 DES THEMES Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 2 sur 23 UNE COMEDIE WILLIAM SHAKESPEARE On sait peu de choses du comédien, né en 1564 à Stratford, actionnaire de troupe, père de famille, sujet d’Elisabeth 1ère puis de Jacques Ier. Qu’importe la maigreur des indices biographiques ! L’œuvre, elle, se révèle inépuisable : n’en sont venus à bout ni une activité critique confinant à l’industrie (5000 articles, livres et thèses par an !), ni quatre siècles de profondes mutations de la société humaine et de la pratique théâtrale, ni les avatars cinématographiques, ni les traductions dans toutes les langues planétaires. Outre les Sonnets, trente‐cinq pièces probablement écrites sans brouillon, dans l’énergie du jeu et dans l’urgence quotidienne du travail d’une troupe permanente, ont été publiées de façon posthume dans l’in‐folio de 1623. Elles sont répertoriées en Comedies, Histories, et Tragedies. Ces histoires, découpées en séquences courtes, jonglent avec les ellipses temporelles, entraînent l’imaginaire du spectateur d’un lieu à l’autre, de la chambre au palais, de la lande au cabaret, du monde de l’action à celui des impressions intérieures, du réel au symbolique, de la plus subtile poésie aux délires prosaïques des fous et des ivrognes. Véritable génie dramatique, doté d’une perception extraordinairement lucide quant aux forces qui régissent notre psychisme, d’un don d’observation et d’une force de pensée hors du commun, il exprime ses visions avec humour et compassion. Ses personnages sont de tous les langages, âges et conditions, miroirs à facettes d’un vertigineux kaléidoscope humain. Toute cette « comédie du monde » était jouée sans entracte sur le plateau quasi nu de l’atypique scène élisabéthaine, galeries de bois circulaires et parterre debout, bondés d’un public mélangé et parfois turbulent. Bien sûr, l’écritoire shakespearienne qui fume comme un cratère (c’est Hugo qui jubile) a suffoqué les classiques (Voltaire en tête), déconcertés par son exubérance, ses excès, ses contrastes baroques, ses variations de rythme, de langue et de ton. On a souvent crié au barbare, à l’esprit grossier ou immoral... mais plus souvent encore au génie... Libre et vivante, l’ « expérience Shakespeare » se renouvelle sans cesse, rassembleuse d’hommes et de femmes que passionnent l’humble artisanat et la puissance du théâtre. Tout le monde fait l’acteur. Traduction de l’épigraphe latine‐ Totus mundus agit histrionem‐ inscrite à la porte du Théâtre du Globe. Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 3 sur 23 LE THEATRE ELISABETHAIN Héritier des rituels médiévaux d’abord chrétiens puis païens donnés en rue et sur les places publiques de toute l’Europe, (mystères, moralités, interludes et comédies), le théâtre anglais contemporain d’Elizabeth 1ère, porte vers son accomplissement une pratique de scène tout à fait originale et singulière. Les représentations sont données à ciel ouvert, avant la tombée de la nuit, dans des théâtres en rond bâtis à partir de 1580 outre Tamise, à un jet de pierre du cœur de Londres. S’y côtoient tous les publics, entre deux auberges et combats de coq. Un plateau vide adossé à un mur de fond (avec étage, fenêtre et balcon), quelques trappes, aucun décor, pas de rideau, un public très nombreux, debout et turbulent accoudé à la scène, habitué aux conventions qui sollicitent son imagination : cette simplicité est l’écrin de costumes parfois somptueux, d’objets à forte valeur de symboles, le tremplin d’un jeu d’acteurs physique, engagé, tonique, d’une grande amplitude de tons et de registres. Si cette pratique, soutenue par la Reine, s’est peu à peu professionnalisée, elle hérite sans doute sa liberté jubilatoire de la libre passion de ses premiers acteurs – amateurs au sens plein du terme. Mais cette liberté –critique, politique, formelle,...‐ déplaît à l’opposition puritaine qui accuse le théâtre de corrompre les bonnes mœurs et les lieux de représentation d’accélérer la propagation de la peste. Sans doute ce théâtre‐là est‐il surtout un dangereux creuset de révolte, lui qui expose tout à la fois les lumières et les ombres de la nature humaine, mais aussi les noirs desseins qui agite le panier de crabes où convulsionnent ensemble politique, religion et morale, dans une époque bien troublée (exécutions, conjurations et conspirations). Les quelques six ou sept sociétés de théâtre animant les faubourgs de Londres, notamment « The Globe » dont Shakespeare est actionnaire, voient leurs activités interdites et leurs théâtres détruits en 1642. Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 4 sur 23 C’est un exceptionnel patrimoine architectural et artistique, le flamboyant théâtre élizabéthain et son oscillation entre ces deux pôles que Peter Brook appelle « le Brut et le Sacré » qui risque alors de disparaître. On doit à quelques rares documents et surtout à une œuvre comme celle de Shakespeare, transcrite par ses compères de scène, que n’aient pas été engloutis avec lui ses personnages surhumains, ou terriblement humains (corps et âme), versatiles, fascinants, ses fables discontinues et ses registres contrastés, ses folles actions et sa lucidité, ses poèmes sublimes et la saveur que lui confère le bon sens populaire. THESEE Je me demande si le lion va parler. DEMETRIUS Pourquoi pas, monseigneur. Un lion peut parler quand il y a tant d’ânes qui le font. Le songe d’une nuit d’été, Acte V, scène 1 LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ "Une pièce de théâtre doit être le lieu où le monde visible et le monde invisible se touchent et se heurtent. " Arthur ADAMOV, Ici et Maintenant, Gallimard, 1964 >>> En quelques mots : Deux jeunes filles, deux amoureux, tous quatre soumis aux jeux cruels de la rivalité et aux caprices du désir. Une potion aphrodisiaque qui complique tout. Le roi et la reine des fées qui se disputent un enfant. Une troupe d’artisans, comédiens amateurs, qui préparent une pièce pour le mariage d'un Duc. Voilà les ingrédients –réels ou rêvés ?‐ d’un étrange chassé‐croisé dans une forêt propice aux métamorphoses, le programme d’une nuit d’été et d’amour très agitée. >>> Le Titre : A Midsummer Night’s Dream. Tel est le titre original de cette pièce hors‐norme, comédie écrite entre 1594 et 1596. Il signifie littéralement : Un songe d’une nuit de la mi‐été. On ne sait s’il est question des « Rites de mai » (qu’évoque un des personnages et qui sont repérables dans de nombreuses traditions folkloriques, anglaises, celtiques...) ou s’il s’agit de la plus longue nuit de juin, celle du solstice d’été que le calendrier catholique appelle « nuit de la St Jean ». De toute façon, il s’agit d’un moment de fête, de célébration de l’amour, de la folie, du retour de la belle saison, pleine de promesses de fertilité. Dans leur version païenne, de telles fêtes nocturnes s’accompagnaient de rituels célébrant l’éveil de la sexualité, auxquels se livraient jeunes filles et garçons le temps d’une échappée « au fond des bois ». Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 5 sur 23 Aux changements de saison, ‐ réveil de la terre après l’hiver ou moment de la plus grande fertilité en été‐, correspond souvent dans les groupes humains le besoin de convoquer la nature ou de s’unir avec elle et de vivre un temps de débordement et de désobéissance (le carnaval est un de ces moments, rituel d’inversion des hiérarchies qui partage l’essence transgressive et populaire du théâtre). Plus tard, le monde chrétien a « récupéré » ces fêtes, faisant de leurs débordements les préparatifs d’un mariage imminent destiné à normaliser les pulsions, à assurer une procréation « cadrée » compatible avec un ordre social stable, à éviter la dispersion des patrimoines. La forêt du Songe d’une nuit d’été, telle que Shakespeare la peuple et la fait vivre, est le lieu où se rejoue cette bascule entre d’une part un monde païen, archaïque, emprunt de folie et d’animalité et par ailleurs les festivités d’un mariage qui annonce davantage d’ordre même s’il est encore entouré de superstitions et continue de s’inscrire dans le cycle des forces naturelles (la Nouvelle lune est garante de la fertilité d’une union). Du profane au religieux, s’il y a bien bascule, il n’y a pas rupture complète : dans les rituels de l’un et de l’autre, un même fil rouge passe, celui du sacré. Mais le mot‐clé du titre, c’est le SONGE. Un songe ? Est‐ce à dire que tout ce qui semble se produire dès qu’on entre dans la forêt n’est que fantasmagorie, délire imaginaire ? Cet autre monde, passé la lisière, hors de contrôle, serait celui des forces inconscientes agissant dans le sommeil du rêveur ? Et si TOUT ce qui est représenté n’était qu’un rêve ? Et tout le théâtre un songe fait par les spectateurs (qui, après tout, participent, toute imagination dehors, à ce qui advient)? Le théâtre et les songes seraient‐ils de la même étoffe ? Et si le théâtre est un miroir du monde, le monde alors, ‐tout ce que nous tenons pour la réalité‐, n’est‐il pas un songe ? Mais alors qui le rêve ? Qui « nous » rêve ? A moins que ce ne soit l’amour et le désir qui soient ici questionnés quant à leur mélange de réalité, de fantasmes et de projections, d’enjeux si souterrains qu’ils échappent à toute conscience ? Tout le génie de Shakespeare est dans ce vertige au centre du SONGE : Une question qui porte en même temps sur l’essence du théâtre, sur la tension de la vie humaine entre élans du désir et aspirations au sacré, une réflexion philosophique sur la limite, la frontière parfois floue, poreuse ou mouvante entre réel et illusion, corps et esprit. Un objet disparate aussi, fait, comme tous les songes, de bribes cousues ensemble, art savant du mélange et éloge du métissage. Photo Claudine Doury
Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 6 sur 23 >>> Les Personnages THÉSEE, Duc D’Athènes HIPPOLYTA, sa fiancée, Reine des Amazones. PHILOSTRATE, ordonnateur des fêtes de Thésée. ÉGÉE, père d'Hermia. HERMIA, fille d'Égée, amoureuse de Lysandre. LYSANDRE, et DEMETRIUS, tous deux amoureux d'Hermia. HÉLÈNA, amoureuse de Démétrius. OBERON, roi des fées TITANIA, reine des fées PUCK, créature féérique au service d’Obéron FLEUR‐DES‐POIS, TOILE D'ARAIGNÉE, PHALENE et GRAINE DE MOUTARDE, des fées Pierre QUINCE, charpentier. Nicholas BOTTOM, tisserand. Francis FLUTE, raccommodeur de soufflets. Thomas SNOUT, chaudronnier. Robin STARVELING, tailleur. SNUG, menuisier + Personnages du PROLOGUE que jouent les artisans ci‐dessus : PYRAME – THISBE – MUR – LION – LUNE – LIEUX DE L’ACTION : en ville (en principe Athènes, mais la proposition d’Isabelle Pousseur efface cette référence) et dans la forêt proche. QUINCE Messieurs, voici vos rôles et je vous demande, je vous supplie, je vous recommande de les savoir par cœur pour demain soir. Je vous donne rendez‐vous au clair d lune dans le bois voisin du palais à une lieue de la ville. C’est là que nous répèterons car si nous nous réunissions en ville, nous serions traqués par les curieux et toutes nos trouvailles seraient connues. En attendant je vais dresser la liste de tous les accessoires qu’il nous faut. Je vous en prie, ne le faites pas faux bond. BOTTOM Nous y serons, et là, nous répéterons avec courage et obscénité. Appliquez‐vous. Soyez parfaits. Adieu. Le songe d’une nuit d’été, Acte I, scène 2 Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 7 sur 23 Le Synopsis >>> ACTE 1 ‐Thésée prépare son mariage avec Hyppolyta lorsque survient Egée, troublé. Ce père de famille est en difficulté : sa fille Hermia refuse d’épouser Demetrius selon le choix de son père. Elle préfère Lysandre, qui l’aime aussi. Hermia et Lysandre projettent d’ailleurs de s’enfuir en forêt. Démétrius part à leur recherche. Sur ses talons, l’amie d’enfance d’Hermia, Héléna qui s’est éprise de lui et ne le lâche pas malgré ses menaces. ‐Au même moment, des artisans se donnent rendez‐vous le lendemain soir en forêt pour les premières répétitions d’une comédie tragique –Pyrame et Thisbé‐ qu’ils veulent jouer au mariage de Thésée. ACTE 2 ‐Dans la forêt, scène de ménage entre la reine et le roi des fées Titania et Obéron. L’objet de leur convoitise et cause de leur rivalité est un enfant qu’ils voudraient l’un et l’autre adjoindre à leur suite. La dispute dérive vers des reproches mutuels d’infidélité. Pour se venger de Titania, Obéron envoie Puck, créature surnaturelle, chercher le suc d’une fleur magique : déposé sur les yeux il fait tomber amoureux de la chose aperçue au premier regard. ‐Arrive Héléna. Et Démétrius furieux que celle‐ci le poursuive. ‐Obéron enduit de suc les paupières de Titania endormie. Puck, chargé d’en faire autant sur les paupières de Démétrius endormi, se trompe de jeune homme. C’est Lysandre qui au réveil succombera aux charmes de la première personne qu’il verra : Héléna. Hermia, à son réveil, réalise que Lysandre n’est plus près d’elle. Héléna pense que Lysandre se moque cruellement... ACTE 3 ‐Répétition des artisans‐comédiens. Ils donneront un prologue pour rassurer les spectateurs sur l’essence du théâtre : pas de vrai lion ici, Clair de lune est joué par un acteur avec une lanterne,... Puck qui les épie coiffe le tisserand Bottom d’une tête d’âne. Son apparence crée un moment de panique qui réveille Titania toujours endormie non loin d’eux. Elle tombe immédiatement amoureuse de Bottom à tête d’âne. –––––––ICI, ENTRACTE ‐ DANS LA CREATION D’ISABELLE POUSSEUR–––––––––––––––––––––––––––––‐ ‐Hermia croit que Démétrius a tué Lysandre. Entretemps Obéron et Puck entreprennent de rectifier leur méprise : les yeux de Démétrius sont enduits du suc magique. A son réveil il tombe amoureux d’Héléna qui passe par là, toujours poursuivie par Lysandre. Les deux garçons amoureux d’Héléna veulent se battre. Pour les en empêcher, Puck, contrefaisant leurs voix, provoque une poursuite dont ils sortent tous épuisés. Il frotte les paupières de Lysandre endormi d’un antidote. Il retrouvera ses perceptions antérieures. ACTE 4 Antidote et retour à la normale aussi chez Titania, étonnée d’avoir pu aimer en songe un monstre à tête d’âne. Obéron et elle, réconciliés, décident d’aller aux noces de Thésée. Une scène de l’adaptation cinématographique de Max Reinhardt en 1935 Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 8 sur 23 Celui‐ci, parti pour la chasse avec Hyppolita, découvre et réveille au son du cor le quatuor de jeunes amoureux. Ceux‐ci sont très troublés de cette nuit agitée. Thésée promet à Héléna et Démétrius désormais amoureux réciproques qu’ils pourront se marier. Bottom resté seul s’éveille à son tour et tente de raconter le rêve qu’il vient de faire. Ayant retrouvé sa troupe, il les emmène vers la ville car leur pièce a été sélectionnée pour les réjouissances. ACTE 5 Thésée et Hyppolita doutent de la réalité de la folle nuit racontée par les amants. Thésée propose une théorie de l’imagination poétique. Dans la bonne humeur générale commence la représentation du prologue élaboré pour la « pièce dans la pièce » (Pyrame et Thisbé). Contresens, erreurs de texte, malentendus font de ce spectacle un joyeux cafouillage dûment commenté par Thésée et sa cour. Les fées reprennent possession de la scène. Puck suggère que tout ceci n’était qu’un songe... XXX UN PROJET D’UNE RENCONTRE A L’AUTRE, L’HISTOIRE DU PROJET En hiver 2002, le Théâtre Océan Nord que dirige Isabelle Pousseur à Bruxelles présente le spectacle Bintou. Etienne Minoungou, acteur et metteur en scène burkinabé, est de la distribution. Il propose à la metteuse en scène belge de venir donner une formation à Ouagadougou dans le cadre du Festival de théâtre qu’il dirige et qui regroupe des compagnies de plusieurs pays africains francophones. En août 2003, dans le cadre de ces Récréâtrales, elle travaille les scènes des artisans du Songe d’une nuit d’été avec trente acteurs professionnels burkinabé, nigérians, maliens, togolais et ivoiriens. Ce premier séjour à Ouagadougou correspond pour l’artiste à une rencontre forte et profondément bouleversante avec l’Afrique et ces artistes qui, bien que connaissant Shakespeare, n’ont pas accès aux livres et prennent en charge comme des objets précieux les trente copies du texte qu’on leur confie. Elle est touchée par la ressemblance entre les conditions de création de Shakespeare (acteur qui écrivait pour sa troupe) et celles qui ont cours dans les troupes africaines qui ont chacune « leur auteur attitré ». Elle sent combien, en dépit des difficultés du texte, leur énergie, leur rapport –direct, sensuel, ludique‐ à la langue va pouvoir revitaliser les séquences des artisans. Au passage, elle découvre combien un acteur africain comme Anatole Koama, peut témoigner d’une compréhension immédiate et profonde de ce que doit être un clown shakespearien. Se disant qu’il ferait un Puck formidable, Isabelle Pousseur se met à rêver d’un Songe africain à Ouagadougou... Ce rêve est suspendu en 2004. Une troupe africaine monte le Songe. Pas de place pour deux Songe sur le territoire du théâtre francophone d’Afrique. Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 9 sur 23 C’est en 2009 que le projet renaît. Isabelle Pousseur, artiste associée au Théâtre National évoque ce projet auprès de Jean‐Louis Colinet qui s’enthousiasme. Le National s’engage dans cette aventure qui commence par un stage/audition en décembre 2009 à Ouagadougou. Vingt acteurs burkinabé travaillent tous les rôles. Voici comment Isabelle Pousseur témoigne de ces jours de découvertes et de rencontres : Une fois de plus la surprise est au rendez‐vous. Bien sûr le travail sur les artisans m’enchante : les acteurs rient avec la même joie contagieuse qu’aux Récréâtrales de Ouagadougou, ils improvisent des scènes en moré avec une liberté totale et laissent place à une porosité constante entre le texte de Shakespeare et ce qu’ils sont. (...) Toute appréhension est injustifiée : le manque d’expérience des textes du répertoire, le manque d’apprentissage strictement technique ne sont rien face à l’intelligence, à la grâce et au désir de théâtre (si neuf, si intact !) que possèdent plusieurs de ces acteurs. L’un, plutôt fluet, dégage une puissance et une étrangeté magnifiques. Cet autre m’étonne : très jeune, un corps immense, très grand et très lourd avec un visage d’enfant. (...) Se jetant sur le plateau comme s’il jouait sa vie, il est l’adolescent traversé par des forces, des pulsions plus fortes que lui et qu’il comprend à peine. Je suis terriblement touchée. Sa distribution se précise. Puck, Obéron‐Thésée, Bottom, Quince et les artisans sont choisis. Elle pense à une comédienne d’origine africaine résidant en Belgique pour jouer Hippolyta‐Titania. (...)Me manquent les deux jeunes filles, Hermia et Helena, et un homme (Lysandre ou un des artisans). Nous décidons de programmer un deuxième stage/auditions, à Bruxelles cette fois, avec des comédiens africains résidant en Belgique ou en France. Je me sens comme « réveillée », il me semble que cette distribution est exceptionnelle, personne ne pourra dire « pour des Africains ils sont formidables ! », ils seront formidables, tout simplement. THESEE Je veux entendre cette pièce ; Car rien ne peut être mal fait quand la simplicité et la loyauté nous l’offrent. Allez, faites‐les entrer. Prenez vos places, mesdames. Le songe d’une nuit d’été (photo de répétition ©J.Rahir) Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 10 sur 23 DES INTENTIONS... ENTRETIEN AVEC ISABELLE POUSSEUR (*) Théâtre National : Qu’est‐ce qui t’a le plus impressionnée lors de ton premier voyage au Burkina en 2003 ? Isabelle Pousseur : Malgré la pauvreté omniprésente c’est la vie qui m’a d’abord frappée ! Il y a un puissant sentiment de vie là‐bas, qui transporte, qui euphorise. J’ai été étonnée de me sentir si heureuse, stimulée, malgré le travail, la fatigue, les petits problèmes de santé, la perte des repères. Et voilà la seule explication qui me soit venue, un soir, après une intense journée de travail : c’est le rire ! La présence du rire, tous ces rires au coin d’une rue, d’un chemin, à la petite terrasse d’un maquis, derrière une échoppe.., Il y a des milliers d’échoppes à Ouagadougou. Le rire d’un marchand de bananes ou de briquets, d’un marchand de chaussures. Et ensuite bien sûr, le rire de Flûte, le rire de Snout, de Starveling…, les artisans du Songe d’une nuit d’été...Il y a aussi tous ces affects, tellement visibles ! Et puis, au Burkina, on vit tout le temps dehors. De retour à Bruxelles j’étais comme hantée, nostalgique chaque fois que je croisais un Africain dans ma rue ou dans le métro. Je travaillais à ce moment‐là sur Koltès avec des étudiants de l’Insas. Et je me suis souvenue avoir monté Quai Ouest plusieurs années auparavant et avoir cherché à comprendre le rapport de Koltès à l’Afrique sans la connaître moi‐même, sa fascination pour les noirs. Et là, de retour du Burkina, je le comprenais en quelque sorte de l’intérieur. J’ai relu le monologue de Leone à Alboury dans Combat de nègre et de chiens... (*) Isabelle Pousseur : Elève puis Professeur à l’Insas depuis 1981, Isabelle Pousseur a toujours déployé une intense activité dans les domaines de la transmission et de la pédagogie. L’histoire du Théâtre Océan Nord qu’elle dirige depuis sa fondation commence en 1982 à Liège. Toute jeune chargée de cours au Conservatoire elle y crée un remarquable Baal, de Bertold Brecht. Dans la foulée naît l'association du Ciel Noir, refondue un peu plus tard sous le nom de Théâtre Océan Nord, promis à un rayonnement international et installé dès 1996 dans un quartier populaire de Schaerbeek. S’y côtoient des ateliers pour amateurs et professionnels, des espaces de recherche dévolus à la jeune création et ses propres mises en scène (Shakespeare, Marivaux, Büchner, Sophocle, Tchekhov, des créations autour d'œuvres d'Adamov, de Kafka, de Heiner Müller, Koltès, et des travaux issus de démarches collectives). En France, elle devient Chevalier des Arts et des Lettres en 2001, elle devient artiste associée au Théâtre National en 2004. Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 11 sur 23 LEONE — (...) (Elle regarde autour d’elle.) C’est quand j’ai vu les fleurs que j'ai tout reconnu ; j’ai reconnu ces fleurs dont je ne sais pas le nom ; mais elles pendaient comme cela aux branches dans ma tête, et toutes les couleurs, je les avais déjà dans ma tête. Vous croyez aux vies antérieures, vous ? (Elle le regarde.) (...) J’y crois moi, j’y crois. Des moments si heureux, très heureux, qui me reviennent de si loin ; très doux. Tout cela doit être très vieux. Moi, j’y crois. Je connais un lac au bord duquel j’ai passé une vie, déjà, et cela me revient souvent, dans la tête. (Lui montrant une fleur de bougainvillée :) Cela, on ne le trouve pas ailleurs que dans les pays chauds, n’est‐ce pas ? Or je les ai reconnues, venant de très loin, et je cherche le reste, l’eau tiède du lac, les moments heureux. Bernard‐Marie Koltès, extrait de Combat de nègre et de chiens, scène 6, p.42‐43, Editions de Minuit, 1989.
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OBERON‐ (...) Je connais une rive où fleurit le thym sauvage, où poussent les primevères et les violettes pensives, recouverte d’un baldaquin de chèvrefeuille luxuriant, de douces roses musquées et de joyeuse églantine. C’est là que parfois Titania dort la nuit, bercée dans ces fleurs par les danses et les délices. C’est là que la couleuvre abandonne sa peau émaillée, robe assez large pour envelopper une fée. Le songe d’une nuit d’été, Acte II, scène 2
T.N. : Ce passage d’un univers à l’autre, à la manière de ton expérience si troublante, c’est pour toi une notion centrale dans Le Songe ? Isabelle Pousseur : Dans la pièce il est souvent question de différence, de déplacement d’un monde à l’autre. J’aimerais que la mise en scène soit imprégnée de ce sentiment de passage, nourrie de mon expérience, ‐non pas de l’Afrique puisqu’en réalité je n’en ai aucune‐, mais d’une sorte d’exaltation incompréhensible, un sentiment qui ME déplace, ME transforme. Shakespeare a un mot pour dire cette métamorphose, cette transfiguration : il dit que Bottom est « translated ». Moi aussi, je suis « translated » et j’aimerais que les spectateurs aient un peu le même sentiment : quelque chose d’anormal se passe et pourtant il y a du familier, un je ne sais quoi de reconnaissable. J’aimerais, à travers ces acteurs, grâce à eux, rendre à ce texte de Shakespeare ce mélange d’étrangeté et de « pas inconnu ». Comme dans les rêves. Ils nous font entrevoir qu’une autre réalité existe, fuyante, mystérieuse et pourtant bien présente en nous. Comme si l’on sentait confusément la présence en nous, ‐je le dis malgré le cliché‐, de l’Afrique, qui est le berceau du monde, notre origine à tous, très très ancienne et qui aurait laissé des sédiments... Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 12 sur 23 T.N. : Tu parles aussi, au‐delà des différences, de ce qui rapproche et met en connexion cette comédie anglaise du 16ème siècle avec ton équipe d’acteurs africains ? I. P. : Il y a une véritable porosité entre leur vie, leur culture et la pièce. C’est cela qui guide la mise en scène : une porosité, des connexions réelles et riches qui, tout en étant mystérieuses, reposent sur des éléments concrets. On peut repérer : l’expression de la joie si supérieure à la nôtre, le vécu du théâtre comme espace de survie, comme espace de libération, la proximité (en même temps qu’une certaine capacité à les mettre en dérision) du sacré et de la magie, et par dessus tout peut‐être une capacité à faire du neuf avec de l’ancien. Pas de façon démonstrative pour affirmer une capacité, par exemple « de relecture »‐ c’est ce que nous ne pouvons nous empêcher de faire depuis des décennies! Non, il s’agit de faire du neuf « mine de rien », sans y penser, tout simplement parce qu’on ne peut pas faire autrement. Tout comme on recycle les objets, les vélos, les voitures, les tables vieillies de la terrasse de l’hôtel, tout cela qui parait si vivant à côté des objets de notre monde de riches ! Les objets là‐bas sont vivants (on pourrait presque dire animés ou animistes) parce que nécessaires. Cette expérience de travail coïncide avec un désir et une nécessité importante pour moi aujourd’hui : mettre de la vie à la place du savoir‐faire. Ou peut‐être : mettre de la vie par‐dessus un savoir‐faire. Celui‐ci ne disparaîtrait donc pas complètement mais serait rendu INVISIBLE. (photo de répétition J.Rahir) T.N. : Tu n’es qu’à mi‐chemin du travail de répétition. Comment cela se passe‐t‐il ? I.P. : Au début des répétitions, je ne voulais pas trop construire la mise en scène. Je voulais garder la possibilité, la chance de redécouvrir Le Songe autrement, avec ces acteurs, par eux, grâce à eux. Il était important de me laisser faire, me laisser basculer, d’écouter, modestement mais avec concentration, ces hommes et ces femmes, avec leur vécu, leurs rêves, leur mémoire et la poésie de leur réalité. J’ai par exemple découvert combien l’espace « à part » de la forêt signifiait pour eux de façon concrète un lieu magique, un lieu de transformation, de dérèglement ou de régénération. Là‐bas, ils savent qu’en entrant Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 13 sur 23 dans ce qu’ils appellent la « petite forêt », celle qui jouxte les zones habitées mais s’en distingue, il faut se soumettre à des règles spécifiques. On entre dans un autre monde qui a ses propres lois. A plus forte raison la nuit qui est, en Afrique, autrement plus noire et « troublante » que chez nous où la pollution lumineuse nous prive de la vraie et profonde obscurité. Pour revenir aux répétitions, maintenant que nous sommes au cœur d’un travail beaucoup plus construit, persiste tout ce qui singularise leur manière de jouer : un rapport ludique à l’oralité, une inventivité très libre, spontanée, libérée de toutes les références dont nous sommes « alourdis » dès qu’on parle de Shakespeare, de cette pièce vue, jouée, lue, commentée tant de fois. Outre le rapport raffiné à la langue, ‐
pour eux les mots sont une matière pour s’amuser, comme dans les joutes oratoires chères aux élisabéthains‐ il y a aussi un rapport au corps qui est naturel, évident, jubilatoire. T.N. : Quelle part d’Afrique amènes‐tu sur le plateau ? I.P. : Je ne prétends rien raconter de l’Afrique, dont je n’ai une expérience que de quelques semaines. Il y a dans l’espace et les costumes de Zouzou Leyens, dans la façon de travailler la lumière sur le plateau, un je ne sais quoi d’Afrique, c’est certain, mais je souhaite travailler par petites touches, rebondir d’une chose à l’autre, procéder par collage, rapprocher des fragments comme par exemple la musique d’Arvö Part (ce morceau « Fratres » évocateur pour moi des forces de la nature, renouvelées) avec les danses africaines. Nous proposons en quelque sorte, dans le concret de la représentation, un métissage onirique qui fait écho au sujet même du Songe, à sa forme, un patchwork fait de bribes, comme nos rêves. On mélange, on juxtapose, on provoque des collisions, Shakespeare montre cette voie là lui qui mélange fées, personnages mythologiques, artisans, amoureux...! Pas question donc de références strictes ! Il n’est pas question, par exemple, d’importer tels quels sur scène des signes de la pratique magique des africains. Il y a d’ailleurs bien des questions universelles dans le Songe, auxquelles nous voulons faire écho. Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 14 sur 23 T.N. : L’amour, le désir... I.P. : Notamment, et il est remarquable que ces sujets sont abordés par Shakespeare avec une lucidité et une verdeur sans concession ! Du coup, comment ne pas reconnaître dans les tribulations nocturnes des jeunes amoureux la cruauté, la violence qui règnent parfois aujourd’hui dans les vies amoureuses et sexuelles débutantes des adolescents..., l’extrême tension qui sous‐tend les amitiés ? On se jauge, s’éprouve, se mesure, se désire et se déchire. Pas de cadeaux, tout est à faire, à découvrir, à prouver et l’énergie juvénile est là, pleine et entière... C’est si « vrai », actuel que les jeunes acteurs peuvent être très « eux‐mêmes » pour jouer cela. Sont présents aussi dans la trame shakespearienne, les enjeux, profonds, dont il n’est pas évident d’avoir conscience, comme cette façon dont le désir naît, s’oriente et se renforce, par mimétisme. René Girard propose une analyse très intéressante du Songe à partir de cette notion de désir mimétique. (n.d.l.r. voir partie thématique de ce dossier). T.N. : Et le théâtre. I.P. : C’est le cœur même du Songe. Shakespeare y donne à voir tout son amour pour le théâtre, cette façon de créer et d’emboîter des mondes, tous faits de mots, purement illusoires. Car si tout n’est qu’un songe, il reste quand même une réalité consistante sous nos yeux, celle de la représentation. Et Shakespeare rend hommage à tous les artisanats qui contribuent à faire advenir chaque représentation. Ceux qui sont les plus à même de mettre à nu toute la petite fabrique de l’illusion ce sont d’ailleurs les artisans, avec leur immense désir de jouer, leur mélange de fierté et d’humilité, leur naïveté qui est très créatrice. La soif de théâtre, cette façon de l’aimer, ‐en « amateurs » au sens plein et noble du terme‐, constitue depuis le premier jour le moteur de tous les acteurs qu’on verra sur le plateau, tout professionnels qu’ils soient, ce désir est la clé de notre travail. (Propos recueillis en octobre 2011) Quelques croquis pour les costumes (© Zouzou Leyens) Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 15 sur 23 DES THEMES La lecture qu’Isabelle Pousseur fait du Songe et la spécificité de cette création avec les acteurs burkinabé mettent en évidence une série (non exhaustive) de thématiques. Nous les évoquons ici, citations du texte à l’appui, par petites touches. Toutes sont susceptibles de provoquer questions et débats que nous vous suggérons de mener, selon les envies et les occasions, avec les jeunes qui auront vu le spectacle. 1‐ LE MUR, LA FRONTIERE, LA SEPARATION / LA COMMUNAUTE Le projet même de ce « Songe africain » provoque le glissement d’un monde à l’autre, d’ici à l’Afrique. Voilà qui déploie encore davantage la thématique du passage d’un monde à l’autre, ‐ de Pyrame à Thisbé tragiquement séparés, du masculin au féminin, de la ville à la forêt, de la veille au rêve ‐ très présente dans le texte Shakespearien et que métaphorise (et même matérialise dans la représentation) une fente dans un mur. QUINCE (...) Mais il y a encore autre chose : il nous faut un mur dans la grande salle ; car Pyrame et Thisbé, selon l’histoire, se parlaient à travers la fente d’un mur. SNOUT On ne pourra jamais faire entrer un mur. Qu’en dites‐vous Bottom ? BOTTOM Il faut que l’un ou l’autre d’entre nous représente le mur. Il faudra qu’il ait sur lui du plâtre, ou de l’argile, ou de la chaux pour signifier : Mur. Et puis qu’il tienne ses doigts comme ça et Pyrame et Thisbé pourront chuchoter par ce trou. Il s’agit donc à la fois de montrer ce qui sépare (le mur) et, en dépit de cette apparente division, ce qui permet le passage, ce qui fait la porosité (la fente, par laquelle communiquent deux mondes). « Etre séparé » ou « être réuni », c’est aussi la question qui tracasse Obéron et Titania (paradoxalement, ils pourraient se retrouver autour de leur communauté de désir –l’enfant indien‐ mais c’est ce désir identique qui suscite la rivalité). Leur discorde est d’ailleurs rien moins que l’origine d’un dérèglement qui se généralise à la nature entière, à l’ordre des saisons, à l’ordre des couples amoureux...C’est l’univers entier qui « va de travers ». Shakespeare/Puck réconcilieront tout ce petit monde en fin de comédie. TITANIA (...) Le printemps, l’été, l’automne fécond, l’hiver furieux, échangent leurs livrées coutumières ; et le monde stupéfait ne sait plus les distinguer l’un de l’autre. Et cette engeance de malheurs vient de notre querelle, de notre discorde. Nous en sommes les parents et les auteurs. Cette – illusoire ? ‐ séparation peut être entrevue comme un mur séparant deux mondes qui se jouxtent sur un même plan, mais aussi comme la séparation symbolique entre deux plans – le haut / le bas, le corps / l’esprit, l’humain / le sacré ‐. Or, peut‐être que l’homme ainsi « coupé » du sacré, d’une dimension sacrée inscrite dans la nature, manque de quelque chose... ? Notons combien Shakespeare, tant sur le plan Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 16 sur 23 thématique que sur celui des registres de langue, œuvre constamment à rassembler, faire cohabiter ces plans (trivialité / poésie, corps / cosmos, ...). Je suis séparé. Ce dont je suis séparé, je ne peux le nommer. Autrefois cela s’appelait Dieu. Maintenant il n’y a plus de nom. Je suis séparé ... Arthur Adamov Façons d’être et façons de vivre – européennes et africaines – si différentes semble‐t‐il – ont pourtant des racines communes, des besoins identiques (vivre, aimer), des aspirations, une soif de transcendance partagées qui signent la communauté de destin, la « fraternité » de ces deux groupes humains. Le théâtre, rituel très ancien, pratique communautaire par excellence, de souche commune avec le religieux, permet de « relier » ceux qui le font, ceux qui y assistent. Sur le plateau de notre Songe se mélangent musique occidentale contemporaine (« Fratres » d’Arvö Part) et danses – jamais loin du sacré‐ africaines. Isabelle Pousseur parle de « métissage onirique ». ????? ‐Murs concrets, murs symboliques, murs mentaux ou « moraux », murs idéologiques... Pouvez‐vous faire l’inventaire de ce qui sépare et divise aujourd’hui ? ‐A quoi servent les frontières ? ‐ Qu’est‐ce qui te sépare de ton voisin ? Qu’as‐tu de commun avec lui ? Par quelle « fente du mur » peux‐
tu communiquer avec lui ? ‐ A quoi nous est utile le fait de pointer des différences ? De les exacerber et d’en faire le fondement d’une discrimination, comme dans le racisme par exemple ? De quoi est porteur cet « autre » pour que nous le rejetions ? Les hommes ont une propension à élever des murs. Les reconnais‐tu ? Jérusalem, Favellas de Rio de Janeiro, Berlin, Banlieue de Paris, Ouagadougou ? Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 17 sur 23 2‐ DESIR / AMOUR VRAI / INITIATION ‐ Comment fonctionne le désir ? Le désir amoureux semble parfois capricieux, fragile, au‐delà de toute raison. Il est avivé par le refus et les obstacles ou au contraire éteint par trop de facilité ou d’empressement, ce qu’observent fort bien Hermia et Héléna... HERMIA Plus je le hais, plus il me poursuit HELENA Plus je l’aime, plus il me hait (acte I, scène 1) C’est que les choses sont moins simples qu’il n’y paraît. Il ne suffit pas seulement d’un sujet désirant et d’un objet d’amour... Imitation et rivalité sont deux forces sous‐jacentes qui organisent nos désirs. René Girard, philosophe et anthropologue, a proposé une analyse des apparents embrouillaminis, des changements de partenaires du Songe. Il fait intervenir la notion de désir mimétique. Voici une tentative de synthèse (un peu simplifiée) de cette théorie. Je désire cet homme, cette nouvelle voiture... : nous pensons faire l’expérience au quotidien de désirs libres, orientés vers des objets qui possèdent en eux‐mêmes la valeur qui justifie ces désirs. Mais cette vision simple du désir ne permet pas de rendre compte de phénomènes comme l'envie ou la jalousie (par exemple, des enfants se disputent pour le même jouet alors que la pièce est remplie de jouets en suffisance...) René Girard suggère que le désir humain serait bien plus complexe. Selon lui, ce que nous envions c’est l'être qui possède tel objet (les qualités de ce dernier ayant dans le fond peu d’importance et n'étant listées que pour se rassurer sur le fait qu’il est bel et bien désirable). Ainsi, par exemple, la publicité nous donne à désirer, non pas tant un produit dans ce qu'il a d'objectif, mais des gens qui semblent comblés par sa possession. Le schéma du désir devient alors triangulaire. Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 18 sur 23 Cette hypothèse repose donc sur l'existence d'un troisième élément, médiateur du désir, qui est l'Autre. C'est parce que l'être que j'ai pris comme modèle désire ou possède un objet (au sens le plus large de tout ce qui peut être désiré : job, voiture, partenaire amoureux, lieu de vacances,...) que je me mets à désirer celui‐ci. Ce qui fait la valeur de l’objet c’est justement qu’il est désiré par un autre. Ainsi s’expliqueraient, dans le Songe, ces polarisations successives sur une jeune fille (tout le monde aime Hermia) puis sur l’autre (tout le monde aime Héléna). Récapitulons : Le sujet humanisé a quitté le champ de la nature et des seuls besoins...et voilà qu’il désire, mais il ne sait pas très bien quoi. Il croise un être pourvu de quelque chose qui lui fait défaut et qui semble donner à celui‐ci une plénitude que lui ne possède pas et qui va le fasciner et l’engager à imiter. Il fixe alors son attention admirative sur ce modèle auquel il reconnaît inconsciemment un prestige dont il est privé. Dans le Songe, cette fixation admirative pour le modèle est naïvement et explicitement dévoilée par Héléna quand elle dit à Hermia combien elle aimerait avoir ses qualités, en d’autres mots, ETRE un peu ce qu’elle est. Ce qui est en jeu ce n’est pas simplement avoir ce que l’autre a, c’est DEVENIR ce que l’autre EST, une façon comme une autre d’échapper au vide, à l’insuffisance, au manque, à l’insatisfaction qui sont la marque de l’humaine condition. Mais il est difficile d’accepter cela , d’admettre le rôle essentiel de ce modèle envié car il rappelle douloureusement au sujet sa propre insuffisance d'être. Voilà pourquoi la fixation semble toujours rester concentrée sur l’objet. Ce qui pose problème quand, par le jeu des imitations et des rivalités, le désir change d’objet : il semble alors purement capricieux et incompréhensible. De son côté, le modèle (l’Autre envié) se réjouit de sentir d’autres désirs s’aligner sur le sien. Son objet d’amour est valorisé par les rivalités qui naissent. Mais à la longue, c’est le pire qui arriverait : le sujet aurait si bien imité le modèle que ce qui le sépare de lui deviendrait imperceptible, les différences étant proprement absorbées à force d’imitation. Les différences modèle/sujet abolies, seule subsisterait, à la place du jeu des désirs qui tournent en rond, la rivalité à nu du modèle et du sujet. Cette indifférenciation étant le pire des dangers (Si rien de ce qui me distinguait de mon voisin n'existe plus, qui suis‐je en réalité ?), tous les aspects des cultures humaines sont fondés sur la création permanente de différences qui permettent de se situer, de distinguer, de séparer. Pour maintenir la distance nécessaire avec le sujet, le modèle doit donc lui envoyer deux messages contradictoires : fais comme moi ET ne fais pas comme moi. Il est à la fois celui qui est adoré (puisqu'il montre au sujet ce qui est désirable) et celui qui est haï (puisque, rival, il lui en interdit la possession). Et voilà comment se touchent ces deux bouts de la même boucle : désir et haine. Car comme le dit René Girard : Le sujet éprouve donc pour son modèle un sentiment déchirant formé par l'union de deux contraires qui sont la vénération la plus soumise et la rancune la plus intense. C'est là le sentiment que nous appelons haine.
(A propos du décryptage du désir mimétique dans le Songe d’une nuit d’été, voir : René Girard, Shakespeare, les feux de l’envie, Ed. Grasset, 1990) ‐ Si l’on admet cette organisation du désir –notamment amoureux, on comprend mieux les tensions complexes qui règnent dans la vie affective des adolescents, traversés par toutes ces forces en éveil, « compliqués » jusque dans le champ de leurs relations amicales. Hermia et Héléna incarnent très bien l’amour/haine qui peut lier, parfois depuis l’enfance, des « meilleures amies » (qui s’aiment tant, se Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 19 sur 23 construisent ensemble, sont des miroirs l’une pour l’autre, et dont les désirs convergent parfois vers les mêmes amoureux)... HERMIA Hélas ! O jongleuse ! Chancre de fleurs ! Voleuse d’amour ! Tu es donc venue cette nuit et tu as dérobé le cœur de mon bien‐aimé. HELENA Vraiment, c’est admirable. N’avez‐vous aucune modestie, aucune pudeur, aucun sens de la honte ? Ah, quelle hypocrite ! Quelle marionnette ! Mais nous parlons de désir... N’est‐il pas plutôt question ici d’amour ? Quels liens, quelles différences y‐a‐
t’il entre amour et désir ? Et voici une autre question en filigrane du Songe : qu’est‐ce que l’amour vrai ? A quoi le reconnaît‐on ? >>> A la fidélité, la constance (rarissimes, prévient Puck/Shakespeare)? OBERON Qu’as‐tu fait ? Tu t’es complètement trompé. Tu as mis le jus d’amour sur les yeux d’un amant fidèle. Ton erreur, c’est sûr, détourne un amour vrai et non un faux en vrai. PUCK Ainsi le veut le destin : pour un homme qui garde sa foi, un million y manque, brisant serment après serment. >>>Au respect des codes et des distances ? Ainsi Lysandre qui s’est couché à quelques mètres d’Hermia pour préserver l’amour en tenant le désir en respect ? >>>>A la force du désir ? A l’irrépressible envie d’être ensemble ? Ainsi Puck voyant l’amoureux d’Hermia endormi à plusieurs mètres d’elle interprète cette distance comme un affront, une marque de dédain à l’égard de la jeune fille que certainement il ne désire pas assez. Il s’agit ici de définir l’amour en intégrant sa dimension charnelle et désirante, sans dissociation du corps (trivial) et de l’âme (aimante)... ‐ D’où qu’il vienne, de quelque nature qu’il soit, l’amour peut se révéler une terrible puissance d’aliénation (Voir ce que « l’amour fou » fait dire à Héléna) HELENA (...) Je suis ton épagneul Démétrius ; Plus tu me bats, plus je rampe à tes pieds. Traite‐moi comme ton épagneul : repousse‐moi, frappe‐moi, néglige‐moi, égare‐moi ; mais du moins permets moi de te suivre. Puis‐je mendier une place plus humble dans ton amour, que d’être traitée comme ton chien ? Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 20 sur 23 ‐ Mais quelle est la nature de l’amour ? D’où vient‐il ? N’est‐on pas simplement « amoureux de l’amour », en attente d’aimer qui que ce soit (dans ce cas, en quoi interviennent les qualités propres de l’objet d’amour ?) Voilà peut‐être ce que signifie l’existence de cette fleur, touchée par la flèche de Cupidon et produisant un suc qui rend amoureux. Les filles, dit Obéron, l’appellent « l’amour en attente ». ‐Quoiqu’il en soit, l’amour est une épreuve qui transforme, c’est ce « passage » que raconte aussi Le Songe, une nuit d’initiation qui laisse tous les jeunes gens chamboulés, « translated », un peu à la manière des rituels de la nuit de la Saint Jean où il est exigé des adolescents de sauter par dessus les bûches enflammées d’un grand feu pour marquer symboliquement leur passage à l’âge adulte. Lysandre avoue à Héléna : Et je traverserais des flammes pour l’amour de toi. ???? ‐ Qu’est‐ce que l’amour vrai ? ‐ Pourquoi dit‐on que l’amour rend aveugle ? ‐ L’amour nous transforme‐t‐il ? ‐ Amour et désir, c’est la même chose ? ‐ Démétrius fuit‐il Héléna parce qu’elle « lui court après » ? Ou bien il ne l’aime pas parce qu’il ne l’aime pas (c’est la faute à « pas de chance »...) ? LE THEATRE / LA VIE / LE REVE Il y a dans le théâtre, comme le dit Louis Jouvet du futile (on joue), du faux (on fait semblant), du vain (cela change‐t‐il le monde ?), mais néanmoins il n’y a rien de plus nécessaire que le théâtre. C’est sans doute parce qu’il a cette capacité de porter sous nos yeux, ‘déplacée’, décalée, (translated, à nouveau) la réalité du monde et de l’existence que le théâtre est si nécessaire. Il offre depuis très longtemps aux humains une « seconde scène » où rejouer sa vie, l’histoire, l’actualité, les mythes, un espace « symbolique » (on n’y meurt pas réellement), cathartique (on y exorcise des rages, des peurs et des pulsions affreuses) et analytique (on y trouve une chance de se comprendre). Et pourtant cette chose puissante qu’est le théâtre naît du plus simple des dispositifs (un cercle, un conteur), de quelques conventions (« on disait que... ») et d’un fort esprit communautaire (une troupe, une assemblée de spectateurs vivants réunis côte à côte dans un temps et un espace commun). Toutes ces dimensions du théâtre, « l’ici et maintenant » de la représentation, l’ampleur poétique de son propos, les connivences d’imaginaires sur lesquelles repose son rituel, tout cela est la matière même du Songe dans lequel Shakespeare joue de la mise en abîme (il y a une représentation dans la représentation) et d’une constante réflexivité sur l’art dramatique. Cette réflexion nous est offerte, non par des intellectuels « pensant le théâtre », mais par des artisans, habilités à faire advenir en toute simplicité, à allier savoir‐faire concret, modestie et engagement. BOTTOM Il faudra des pleurs pour bien jouer ça. Si je m’y mets, que les spectateurs prennent garde à leurs yeux. Je vais soulever des orages. Je vais souffrir lamentablement comme il faut.(...) Acte I, scène 2 Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 21 sur 23 Et cet art de « faire advenir » s’exerce avec le plus de jubilation quand justement il faut recourir à l’imagination des acteurs et à celle, complice, des spectateurs. Ainsi le théâtre élisabéthain, fort en convention, faisait jouer les rôles de femmes par de jeunes hommes. FLUTE Non, vraiment, ne me faites pas jouer une femme : j’ai la barbe qui me vient QUINCE Cela ne fait rien. Vous jouerez avec un masque et vous prendrez une voix aussi petite que vous voudrez. Acte I, scène 2 Le théâtre est un miroir de la vie. Bien ! Mais cela devient vertigineux si l’on suit Shakespeare dans sa façon de remettre en question la réalité même de l’existence qu’il apparente à un songe qui s’achève dans le profond sommeil (de la mort). Nous sommes faits de la même étoffe que les songes et notre petite vie, un somme la parachève. W. Shakespeare, La Tempête. L’étoffe des songes ? Lorsque Sigmund Freud se penche sur les rêves comme matériaux très précieux issu de l’inconscient, formidables ‘os à ronger’ pour la psychanalyse naissante, il en dresse le portrait. Ils sont des fragments de désirs refoulés qui affleurent sous une forme « défigurée » dans le conscient et s’agglutinent tant bien que mal, par collages et associations, de façon transformée, comme censurée. Il en résulte parfois des scénarios « monstres », incongrus, sans logique, comme des énigmes à déchiffrer. Le rêve, fatras ou bizarrerie, doit être interprété pour dévoiler sa signification profonde. Le rêveur lui‐même est le mieux placé pour se livrer librement à cette interprétation, pour mettre au jour –un peu, beaucoup ou pas du tout‐ les désirs enfouis. La totalité du SONGE d’une nuit d’été, œuvre non dépourvue de ces qualités de décousu, de mélangé, de « monstrueux » ne peut‐elle pas être comprise comme un emboîtement de rêves ? Toute cette histoire ne serait‐elle pas simplement le songe d’un dormeur endormi dans le rêve d’un autre dormeur, lui‐même rêvé par un troisième qui... ? Et cet embrouillamini des couples qui s’échangent (peut‐être simplement « en rêve ») n’est‐il pas la production « monstrueuse » de l’esprit de ces jeunes amoureux dont le désir secrètement s’oriente vers le partenaire de l’autre ? Dans cette brèche de nuit, ce temps d’ensorcellement, se vit un rêve, comme une parenthèse, un égarement, un pied de nez du désir «mobile, vagabond » adressé à l’ordre social –le grand jour‐ qui veut de la tempérance, promeut « l’amour vrai » ‐s’agirait‐il d’un leurre ?‐ pour garantir « à chacun sa chacune » et ... pas trop de bâtards. Et si notre vie est un songe, qui nous rêve ? Qui ordonne nos désirs et nos vies ? Puck, cette créature surnaturelle, difficile à identifier (il porte d’ailleurs deux noms interchangeables – Puck ou Robin) ? Ce dramaturge créateur de péripéties, du même ordre qu’Obéron, Titania et leur cortège de fées, impossible à repérer pour l’œil humain puisque doué d’invisibilité ? Il est si facétieux –voire maléfique‐ dans les délires qu’il organise qu’il est craint dans les villes et dans les hameaux. Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 22 sur 23 L’illusoire ne concerne pas seulement le monde nocturne de nos rêves de dormeurs. C’est toutes les perceptions humaines qui sont questionnées. Leur prétendue objectivité, la lucidité, la conscience dont on se targue parfois alors qu’il est si difficile d’avoir une idée juste de qui l’on est,... Et que dire des mécanismes projectifs qui nous font penser que nous perçons l’Autre à jour, alors que nous ne faisons qu’entrevoir en lui ce que nous refusons de voir en nous. SNOUT O Bottom, comme tu as changé ! Qu’est‐ce que je vois sur toi ? BOTTOM Qu’est‐ce que tu vois ? Tu vois une tête d’âne comme la tienne, peut‐être ; hein ? Le rêve, comme le théâtre, s’il nous reconnecte à quelques vérités enfouies, à des dimensions refoulées de notre humanité (sens du sacré, rapport aux forces de la nature, libido désordonnée,...) ne nous donne‐t‐il pas accès à un niveau de conscience plus élevé ? Quand sommes‐nous le plus idiots en fin de compte ? Quand nous rêvons ? Ou bien quand nous sommes éveillés ? PUCK Toi, quand tu te réveilleras, vois de nouveau avec tes propres yeux d’imbécile. Nous laissons à Bottom, comédien polymorphe, le mot de la fin (provisoire, car Le Songe appelle encore bien d’autres interprétations...) BOTTOM (...) L’homme n’est qu’un âne s’il tente d’expliquer un songe pareil. (...) Le songe d’une nuit d’été, Acte IV, scène 1 XXX BON SPECTACLE ! CamionàOuagadougou
Service éducatif du Théâtre National 111‐115, Boulevard Emile Jacqmain ‐ 1000 Bruxelles Tél : + 0032/274.23.22 – Courriel : [email protected] www.theatrenational.be Dossier pédagogique LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ‐ Page 23 sur 23 
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