Intégralité de la conférence de Marc Fromager (Directeur de l'Aide à l'Eglise en Détresse pour la France) faite lors de l’AG de l’APEL le 15 novembre 2016 L'APEL de La Tour a convié Marc Fromager, Directeur de l'Aide à l'Eglise en Détresse pour la France à venir nous éclairer sur la situation actuelle au Moyen Orient vue à travers son expérience d'homme de terrain. En préambule, Marc Fromager nous a rappelé la mission de l'AED, fondée au lendemain de la deuxième Guerre Mondiale, pour soutenir les églises de l'ombre à l'est de l'Europe. Aujourd'hui AED est présente dans 24 pays et en aide 150. Son attention s'est recentrée sur le Moyen Orient, berceau du christianisme, où cette religion a toujours été en butte aux difficultés pour coexister avec l'Islam majoritaire, mais où la situation depuis plusieurs années s'est gravement détériorée. Forte d'un budget de 125 millions d'euros, dont 37 collectés en France, AED consacre par exemple des sommes importantes pour sédentariser les réfugiés dans les pays limitrophes de la Syrie et de l'Irak en rétablissant des systèmes scolaires et de soins et en assurant le logement des chrétiens déplacés. L'objectif étant de leur permettre à terme de retrouver leurs biens et de leur permettre de participer à la reconstruction de leurs pays plutôt que de les lancer dans une vie de réfugiés ballotés d'un pays à l'autre. Qu’est-ce qui s'est passé en Irak et en Syrie depuis 2014 et la prise de Mossoul, deuxième ville d'Irak, par l'Etat Islamique ? A la suite de la prise de Mossoul, c'est toute la plaine de Ninive qui a été occupée. 125 000 chrétiens refusant les conversions forcées ont tout perdu et se sont enfuis vers le Kurdistan : ils représentent 10 % des réfugiés. Au total cette occupation a généré 1,3 millions de réfugiés musulmans, chrétiens, Yésidis. L'EI est ensuite entré en Syrie où la guerre entre les rebelles (opposants au régime de Bachar El Assad, islamistes, mercenaires divers) et l'armée régulière a déjà provoqué 300 000 morts et le déplacement de 8 millions de personnes sur une population totale de 22 millions, dont 4 millions sont réfugiés dans les pays voisins, Liban et Jordanie en tête. La guerre est aujourd'hui concentrée sur Alep, ville symbole pour les deux camps. L'objectif de l'EI est de rétablir un califat, territoire historique mythique, reniant les frontières actuelles et fondé sur la partition des territoires entre chiites (15 % des musulmans) et sunnites, deux branches de l'islam des origines qui se sont toujours opposées. L'EI est sunnite, apparu en 2006 en Irak il a été soutenu par les Etats Unis. Entre le nord-ouest de l'Irak et la moitié de la Syrie, il domine 8 millions d'habitant et a mis la main sur des ressources pétrolières qui lui procurent 1,2 million de dollars par jour, ce qui explique sa puissance. Une partie de l'explication de ce conflit remonte à la guerre Iran-Irak, à cet équilibre de la terreur qui a abouti à 1.3 millions de morts sans vainqueur ni vaincu. L'Irak alors soutenu par l'occident, ruiné, a cherché à s'emparer des richesses pétrolières du Koweït en 1990 provoquant la première guerre du Golfe suivie de 12 années d'embargo et de l'occupation américaine (2003-2011). L'allié d'hier est devenu l'ennemi d'aujourd'hui, de pays potentiellement riche, ayant un haut niveau d'éducation et une organisation étatique efficace, l'Irak est devenu un pays détruit, désorganisé, privé de ses élites, de ses intellectuels, de ses paysans ... En Syrie, surfant sur les "Printemps arabes" qui ont désorganisé le Moyen Orient à partir de 2010, les opposants modérés à Bachar El Assad souhaitant renverser sa dictature sans savoir pour autant par qui le remplacer, commencent à manifester. Dès le départ, les manifestations dégénèrent, attisées par des mercenaires étrangers (les ressortissants de 80 pays sont impliqués). Les opposants se regroupent au nord-ouest, soutenus de toutes parts par des armes et de l'argent en provenance des pays qui ont intérêt à détruire la puissance syrienne : Arabie Saoudite, Qatar, Turquie, USA, France, GB . Deux groupes émergent, Al Nosra affilié à Al Qaeda et l'EI, alliés et ennemis au gré des enjeux. Leur capitale Raqqa prise en 2013, soit un an avant Mossoul, n'est qu'à 500 kilomètres de celle-ci. Qui sont les responsables de ce chaos ? Tout d'abord, l'Arabie Saoudite (sunnite) en guerre par pays interposés contre l'Iran (chiite). Cette rivalité remonte aux premiers temps de l'Islam et a toujours eu pour objet l'hégémonie d'une branche ou de l'autre sur le moyen orient. L'A.S a donc visé le maillon faible de l'axe irano chiite, c'est à dire la Syrie. Le Qatar, allié de l'A.S, qui exporte son gaz par bateaux vers l'Europe, souhaitait construire un gazoduc via la Syrie et la Turquie. En concurrence sur cette énergie avec le Qatar, la Russie s'y est opposée car elle risquait de perdre sa position prépondérante de fournisseur de l'Europe. En 2011, la Syrie, alliée des russes dans la région, a refusé le passage sur son territoire et en a aussitôt payé le prix. Puis l'Iran qui agit de même vis à vis de l'Arabie Saoudite. Ces deux pays s'affrontent aujourd'hui par procuration au Yémen. En partant d'Irak, les américains ont laissé les chiites, inférieurs en nombre mais soutenus par l'Iran, et jusque-là dominés par les sunnites, prendre le contrôle de la capitale. De nombreux cadre de l'armée, sunnites, ont alors rejoint les rangs de l'EI. La Syrie, majoritairement sunnite mais dirigée par le clan Al Assad, alaouite (une doctrine proche du chiisme). Le Liban qui partagé par tiers entre les chrétiens, les sunnites et le hezbollah (chiite) est sans cesse au bord de l'implosion. La Turquie, alliée du Qatar dans le projet de gazoduc et pro EI, a intérêt à la dislocation des états actuels afin de reconstruire un nouvel empire ottoman et par la même occasion se débarrasser des kurdes avec qui elle est en guerre depuis des années. Enfin l'Europe et les Etats Unis ont favorisé l'EI à ses débuts. Lorsque l'on sait comment l'EI a pu progresser jusqu'à Palmyre sans être inquiété, on ne peut que penser que tous les états impliqués ont laissé faire. En effet, les frontières actuelles des différents pays ne correspondent pas aux vœux des Etats Unis et d'Israël qui verraient d'un meilleur œil des états ethniquement et religieusement homogènes, théoriquement plus faciles à contrôler et où à l'évidence les chrétiens n'ont plus leur place. La France en particulier obéit aux USA et au Qatar dont nous sommes dépendants. Il ne faut pas oublier que nous sommes le quatrième exportateur d'armes au monde et que l'A.S en est le premier importateur ! Ces pays investissent chez nous et rachètent notre dette sur les marchés financiers et ont de ce fait une force de persuasion certaine. Les armes françaises vendues dans la région ont été largement récupérées par l'EI présenté au début comme une armée de rebelles modérés. Par ailleurs, les USA de leur côté ont soutenu l'EI via Al Nosra. La Russie est intervenue en 2015 à la demande du gouvernement syrien en lui apportant le soutien de ses propres forces armées. Déjà, en 2013, une guerre totale avait été évitée in extremis. Alors que les opinions occidentales avaient été préparées à ces interventions au motif que des armes chimiques avaient été utilisées par Al Assad et que la France et que les USA étaient sur le point de les lancer, la Russie les a fait reculer au tout dernier moment sous la menace de rétorsions lourdes. Depuis, la Russie reste impliquée et a un poids considérable dans l'évolution de la situation favorable au régime syrien qui reconquiert son territoire. La Turquie s'est également beaucoup rapprochée de la Russie, tout particulièrement depuis le coup d'état manqué de juillet 2016. Enfin, il faut savoir que de très importants gisements de gaz et de pétrole ont été découverts dans les eaux territoriales syriennes et que tous ces pays les convoitent directement ou par alliés interposés. Le sort des réfugiés. S'il est vrai que ces vagues de réfugiés en appellent à notre compassion et à notre accueil, il y a également beaucoup de manipulations des opinions publiques pour les émouvoir et les préparer à autre chose. En effet, l'Allemagne trouve là une occasion de palier son grave déséquilibre démographique. La moitié des réfugiés ne sont pas syriens ou irakiens mais sont des migrants économiques. En agissant ainsi, l'Allemagne effectue un "rapt" de population, retenant les plus qualifiés qui ne reviendront donc jamais reconstruire leur pays. Ces réfugiés et migrants sont aussi au cœur d'un marchandage mené par la Turquie, qui en échange d'un milliard d'euros, de la libéralisation des visas pour ses ressortissants et de la poursuite du processus d'adhésion à l'UE a accepté, pour l'instant, de retenir sur son territoire les réfugiés qui y sont établis. Une lueur d'espoir ... L'Islam wahhabite tel qu'il est pratiqué en Arabie Saoudite et par l'EI s'exporte dans le monde entier grâce aux pétrodollars et tend à remplacer les différentes pratiques de l'Afrique à l'Asie en passant par le moyen orient. Cette radicalisation de l'Islam montre aussi l'état de crise dans lequel il est entré, comme s'il s'agissait d'une fuite en avant. Cet islam est miné par son opposition entre chiites et sunnites. Il est ensuite déconnecté de la modernité et recherche à tout prix un retour phantasmé à la gloire de ses origines ce qui explique cette lecture littérale du Coran. Il également déconnecté de la mondialisation qui, certes, comporte des aspects mauvais mais aussi de meilleurs comme le reconnaissance de plus en plus largement établie de la dignité et de l'égalité des personnes, des valeurs en grande partie d'inspiration chrétienne. Enfin, l'attraction du christianisme qui pour nous n'a plus de sens, trouve un écho dans les populations des pays musulmans où justement le message chrétien offre un nouveau regard. Les conversions, cachées car punies de mort, ne sont pas visibles, mais semblent réelles aux personnes avisées. En suivant cette voie l'Islam risque à long terme d'imploser à moins qu'il n'arrive à se réformer. En conclusion, il est probable que la Syrie arrivera à se pacifier et à se reconstruire, en revanche en Irak le processus reste plus qu'incertain par manque total de dirigeants et de structures capables de faire fonctionner le pays. La prochaine cible de l'EI est la Lybie, territoire fractionné depuis l'intervention occidentale de 2011, privé de gouvernement et livré au brigandage. Quoiqu'il en soit, les chrétiens d'orient ne comptent pas dans toutes ces décisions et elles mènent directement à leur disparition de ces terres où ils habitent depuis 2000 ans. L'exode avec non-retour possible, fait que, d'après un évêque égyptien, à ce rythme, d'ici à dix ans il n'y aura plus de chrétiens au proche et au moyen orient.