LECLUBGrandentretien du 14.1 au 20.1.2016
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Le Jeudi: «Quand parle-t-onde
trouble de l'apprentissage?Que
sont les "dys"?»
Pascale Engel de Abreu:
«Quand un enfant présente une
difficulté àapprendre.Il yadiffé-
rents systèmes de classification.
Parmi ces troubles, on entend sou-
ventparler de dyslexie ou de dys-
calculie mais il ya aussi parexem-
ple les déficitsde l'attention avec
ou sans hyperactivité. On n'utilise
pas le suffixe "dys", mais il s'agit
aussi d'un trouble quiaffecte l'ap-
prentissage.»
Le Jeudi: «A quoi sont dus les
troubles "dys"?»
P. E. de A.: «Tous sont classifiés
dans la catégorie destroubles
neuro-développementaux. C'est
quelque chosequiestlà depuis le
début. On ne l'attrape pas en cin-
quième primaire,on ne devient
pas tout d'un coup dyslexique.
Souvent, cela n'apasété détecté
mais si on regardeen arrièreces
enfants onttoujours eu des diffi-
cultés.Il ya une importante re-
cherche dans le domainemais
nous n'avonsmalheureusement
pas de marqueurs biologiques qui
permettraient de faire un test gé-
nétique ou de neuroimagerie.
De plus, cestroublesne dispa-
raissent pas. Le problèmeestneu-
rologique. Le cerveautraite l'infor-
mation différemment. Ces enfants
ont des difficultés avec des proces-
sus cognitifs qui sontimportants
pour certains domaines d'appren-
tissage. Si on prend la lecture, il y a
une série de processus cognitifs qui
se déroulent dans notrecerveau
pour que l'on puisse apprendre à
lire.Et lorsquecela se déroule au-
trement chez certains enfants,
alorsils ontdes difficultés pourap-
prendreàlire de la manièredont
nous le faisons à l'école, précisé-
ment parcequ'ils traitentl'infor-
mation de manière différente.»
Le Jeudi:«Quelssont les diffé-
rents troubles?»
P. E. de A.: «Dans la littérature
scientifique,les troublesneuro-dé-
veloppementaux reprennent aussi
parexemplel'autismeou le handi-
capmental. Pour le forum (lire
page précédente), nousnous
concentrons toutefois sur cinq do-
maines:la dyslexie, la dyspraxie, la
dyscalculie, la dysphasie et les trou-
bles de déficit de l'attention avec
ou sans hyperactivité(lireenca-
dré). Ce qu'ils onten communest
que l'enfantprésente une difficulté
limitée à un domaine spécifique
quin'est pas le résultat d'une défi-
cience intellectuelle,d'uneatteinte
organiqueou d'un autretrouble. Il
n'y a en quelquesortepasde
"cause" manifeste. C'est très im-
portantànoterquel'environne-
ment de l'enfant ne cause pas le
problème. Ce n'est pasparce que
les parents n'ont pas lu avec l'en-
fant àla maison ou bien,et on me
pose souvent la question,parce
qu'il est multilingue. La dyslexie
n'est pas liée au multilinguisme.
Si un enfant a desproblèmes de
lecture en allemand mais qu'il ne
parlepasencore l'allemand, c'est
relativement normal qu'il aitdes
difficultés.Un enfant peut avoir
dans ce casdes cours de soutien
mais ce n'est pasunedyslexie.Mais
pourune dyslexiecela n'aide pas de
renforcer en faisantla même
chose, il faut travaillerdifférem-
ment.»
Manque de diagnostic
Le Jeudi:«Commentdétecte-t-on
les "dys"?»
P. E. de A.: «Nous faisons des
tests comportementaux. Destests
de lecture parexemple. On regarde
àquel niveau se situe l'enfant par
rapportà sonâge mental. Nous
parlons de divergence; la capacité
de lecture doit être en dessous de
ce qu'on pense qu'elle devraitêtre
parrapport à sonQI.
Normalement, il a une difficulté
dans un domaine spécifique et
dans les autres domaines il n'apas
de problèmes. Il faut aussidire que
le QI et les "dys" ne sont pas liés.
Ce qui ne veut pasdire que des en-
fantsavec unhandicapmentalne
puissentpas également être dys-
lexiques.»
Le Jeudi: «Comment lesrepérer,
en tant qu'enseignant?»
P. E. de A.: «Cen'est déjà pas
simple pour les chercheurs! Ce
qu'on peut dire, c'est que tous les
enseignants sont concernés
(NDLR: 7à10% des élèves se-
raient concernés). Pour l'ensei-
gnant, cen'est pas évident, il aen
face de lui unenfant qui est tout à
fait normal,intelligent, éveillé,qui
se développebien mais a une diffi-
culté importante dans un domaine
spécifique, c'estun signal. Il doit
alorspasser chez un professionnel,
pour fairedes testsplus spécifi-
ques.»
Le Jeudi: «Dequoi cesenfants
ont-ils besoin?»
P. E. de A.: «A monavis,avant
tout d'un diagnostic,quel'on re-
connaisse leur problème. Mais cela
arrive souvent trop tard ou pas du
tout.C'est unecritique que je peux
adresser au système luxembour-
geois.Nous n'avons pasde testsde
diagnostic comme il en existe en
Allemagneou en France. Pour-
quoi? Cestests sont développés
dans des universités avec des cher-
cheurs.Nous n'avions pas d'uni-
versité. Mais,désormais, nous en
avons une depuis dixans. On
pourraitcroire alors qu'il n'y aper-
sonnepour élaborer de tels tests,
pourtant si. Certains, dont moi,ai-
meraient le faireparcequec'est
très important pour réaliserun
diagnostic.»
Le Jeudi: «A quoidevraient res-
sembler ces tests?»
P. E. de A.: « A de la prévention
pourcommencer. Destestsde
screening. Il faut reconnaître le
problème le plus précocement pos-
sible. Tous les enfants détectés ne
seraient pasconcernés par le pro-
blème mais on parleraitici de ris-
quede développementd'une"dys".
Si on les détectait dès le présco-
laire, on pourrait agir en amontet
éviter bien des soucis parcequ'un
problème dans un domaineen-
traîne beaucoup de problèmes an-
nexes. Si l'enfant adu mal à lire,il
perd sa concentration ou bien
viennent s'ajouterdesdifficultés
comportementalesparce que cela
génère beaucoup de frustration. Ils
peuvententrer dans une spirale:
redoublement, décrochage sco-
laire, chômage... Ce dépistage est
faisable et permettrait de faire bien
des économies.»
Financement mal ciblé?
Le Jeudi: «Le diagnostic est donc
un point clé...»
P. E. de A.: «Oui parce qu'à ce
moment-là,on peut,par exemple,
donner destuyaux aux ensei-
gnants, aux parentset auxenfants.
Il faudrait aussi développerdu ma-
térield'intervention et, je le répète,
desvrais tests de diagnostic.Après
celui-ci,dans certains pays, lesen-
fantsse voient octroyer plusde
temps lorsdes examensou ontpar
exemple le droit d'utiliser une cal-
culatrice...»
Le Jeudi: «Ilexiste pourtant des
tests au Luxembourg...»
P. E. de A.: «Oui,mais comme
l'alphabétisation se fait en alle-
mand, on reprend souvent les tests
de lecture allemands. Mais pour un
enfant au Luxembourg, c'est diffi-
cile parce que cen'est générale-
ment pas sa langue maternelle,ceci
dit sa langueestplus proche de l'al-
lemand que celle d'un Portugais...
Nous devrions avoirdes tests pen-
sés pour notrepopulation.Au-
jourd'hui, les professionnelsdoi-
vent faire des tests mais nousn'en
avons pasdonc on prendceux d'un
autre pays et on reprend leurs nor-
mes d'évaluation dont le groupe de
référencesont desenfants mono-
lingues d'Allemagne ou de France.
Cela rendles choses plus compli-
quées. Il n'y adonc pasde scree-
ning et pas de test de diagnostic
spécifique au pays.On applique
dès lorsun modèle étranger. Le pa-
radoxe c'estquetoutle mondesait
que le problème existe, les gens sur
le terrain le savent et nous deman-
dentpourquoi on n'élabore pasde
tests à l'Université...
En tant que chercheur, c'est frus-
trantparceque nous ne recevons
pas les fondspourcela. Nous avons
certes desfonds pour la recherche,
mais lesdirectives font quele déve-
loppement de testsde diagnostic
quiseraient adaptés pour le
Luxembourg n'est pas assez inté-
ressantau niveau international.
Car, si je prends les critères du
Fonds nationalde la recherche,
l'impact internationalde la recher-
che financée doit être assez élevé,
ce quin'est le cas pour le dévelop-
pement d'un test diagnostique
pour le Luxembourg.»
Le Jeudi: «Que faut-il faire pour
remotiver un enfant à l'école?»
P. E. de A: «Il faut d'aborddire
qu'une difficulté en calcul, en écri-
ture ou en lecture ne veut pasdire
que l'enfant ne saitrien faire.Le
diagnostic est très important car
on peut alors dire quel'enfant a
une dyslexie. Pour beaucoup c'est
un soulagementparce quecela
veutdire que l'enfantn'est pas
bête, qu'il a uneintelligence nor-
male, qu'ilpeut être très bon dans
pleinde chosesmais qu'ilajuste
une faiblessedans un domaine. Et
ce n'est pasforcémentgrave. Il y a
beaucoup de moyensd'ypallier,
commepar exempleles vérifica-
teurs orthographiques.
Une dyslexie cela ne veut pas
dire qu'unenfant ne saura jamais
lire et écrire. Précisément, pour la
dyslexie, la recherche abeaucoup
avancé et on sait aujourd'hui quele
problème estsouvent, mais pas
uniquement, lié àla conscience
phonologique.Il s'agit de la diffi-
culté quepeut avoir un enfant de
reconnaître les phonèmesou les
sonsde la langue bien qu'il en-
tende de manière normale. Cette
conscience phonologique est la
base pour apprendre à lire.
La bonne nouvelle c'est qu'on
peut l'entraîner,le problème ne
disparaîtpasentièrement mais on
peut obtenir de réelles améliora-
tions.»
P
ROPOS RECUEILLISPAR
OLIVIER TASCH
PascaleEngelde
Abreuest
professeure en
psychologie
cognitive à
l'Université du
Luxembourg.
«LeQIetles "dys"ne sontpasliés»
Quand le cerveau s'emmêle
Dyspraxie: Troublede la coordi-
nation. Enfants qui ontdesdiffi-
cultés avec la motricité fine telle
que l'écritureou la motricité glo-
bale, par exemplepour sauter ou
reculer.
Dysphasie: Troublede la commu-
nication verbale. Difficulté de
s'exprimer ou bien de compren-
dre.
Dyslexie: Trouble de l'apprentis-
sage de la lectureou de l'écriture.
Dyscalculie: Difficulténuméri-
que, de la construction desnom-
bres et desopérationssurles
nombres.
Troublede déficit de l'attention
avecou sans hyperactivité:Il
s'agit-làd'un vaste domaine.Il se
manifeste notammentpar des
comportements intenses,fré-
quents et persistantsd'inatten-
tion,d'impulsivité ou encore
d'hyperactivité.
«DYS…»
Photo: Didier Sylvestre
«Nousdevrions avoirdes tests pensés pour notre population»