histoire
Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 3 - juillet-août-septembre 2012
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Cent ans de rayons
contre le cancer de la prostate
J.M. Cosset*
L
a radiothérapie du cancer prostatique a déjà une
longue histoire. Il y a presque 100 ans, en 1913,
2 collègues français, Pasteau et Degrais, publient
dans le Journal d’urologie un article intitulé “De l’emploi
du radium dans le traitement des cancers de la prostate”.
Dans les années qui suivront, on pourra constater, au
vu de schémas et de photographies, qu’il ne s’agis-
sait pas seulement d’un vœu pieux. De fait, de par
le monde, plusieurs tentatives sont eff ectuées pour
traiter le cancer prostatique avec soit l’implantation
directe d’aiguilles de radium dans la prostate (par voie
périnéale), soit l’introduction de tubes de radium dans
l’urètre et la vessie. On dispose même de photographies
d’un applicateur au radium intrarectal, à mettre en place
derrière la prostate !
À peu près à la même époque, d’autres médecins
implantent dans la prostate de petits tubes de verre de
3 mm de long et de 0,3 mm de diamètre, recouverts d’or
et contenant du radon, le gaz décrit comme l’“émanation”
du radium, dont la demi-vie très courte (3,8 jours) a
permis de réaliser les premières implantations perma-
nentes. Les clichés de cette époque, dans les années
1920, semblent étrangement modernes, car ils rappellent
nos implantations actuelles de grains d’iode 125.
Un peu plus tard, dans les années 1960-1970, ce sont les
grains d’or 198 qui vont remplacer les grains de radon
(peu pratiques à produire) ainsi que les tubes et aiguilles
de radium (trop gros pour ce genre d’utilisation). Ces
grains sont implantés à ventre ouvert directement dans
la prostate, un doigt introduit dans le rectum contrôlant
que l’aiguille n’est pas poussée trop loin (quand on
regarde les schémas de l’époque, on frémit rétrospec-
tivement pour le doigt de l’opérateur !).
Les années 1960-1970 voient également arriver les
premiers accélérateurs linéaires, appelés à remplacer
les vieux tubes à rayons X et les “bombes” au cobalt, peu
adaptés, car insuffi samment puissants, pour traiter les
tumeurs situées en profondeur dans le pelvis, comme
le cancer de la prostate. Un radiothérapeute américain
de Stanford, Malcolm Bagshaw (1925-2011), va alors
relancer l’intérêt pour la radiothérapie externe (par
opposition à la curiethérapie) dans le cancer prosta-
tique, établissant les premières règles concernant
les doses à délivrer, les volumes à irradier ainsi que
l’étalement et le fractionnement de l’irradiation pour
le cancer de la prostate. Cependant, la technique va
peiner à trouver sa place, en particulier du fait de
certaines dérives du fractionnement (doses par fraction
trop élevées) au début des années 1970, et du fait de
volumes irradiés trop importants.
Il faudra attendre la fi n du xx
e
siècle pour voir exploser
l’utilisation des rayonnements dans le cancer prosta-
tique. Les progrès vont alors concerner tout aussi bien
la curiethérapie que la radiothérapie externe. En curie-
thérapie, la mise au point des grains d’iode 125 (4 mm
de long, 0,8 mm de diamètre), puis de palladium 103
(mêmes dimensions), et l’introduction de l’échographie
endorectale par Holm en 1983 vont permettre à la
curiethérapie prostatique de trouver rapidement une
place privilégiée dans le traitement des tumeurs prosta-
tiques localisées de bas risque. Actuellement, plus de
50 000 implantations sont ainsi effectuées chaque
année aux États-Unis, et de plus en plus de cas sont
traités dans les centres européens.
En parallèle, le cancer prostatique va bénéfi cier des
développements rapides des technologies de radio-
thérapie externe : radiothérapie conformationnelle tridi-
mensionnelle, modulation d’intensité, radiothérapie
guidée par l’image – avec, de plus en plus fréquemment,
l’implantation de grains d’or dans la prostate pour recaler
à nouveau la balistique au millimètre près à chaque
séance –, arcthérapie, tomothérapie, CyberKnife®, etc.
Pour la première fois dans l’histoire, le radiothérapeute,
grâce à ces nouveaux outils, a pu augmenter ses doses
(on parle d’“escalade de dose”), et ce sans augmenter
le taux de complications, et même en le diminuant.
Largement complémentaires des options chirurgicales
modernes, la radiothérapie et la curiethérapie modernes
du cancer prostatique, fortes d’un siècle d’expérience,
occupent désormais, et sans discussion possible, une
place majeure dans l’arsenal thérapeutique contre le
cancer prostatique. ■
*Institut Curie, Paris.