histoire Cent ans de rayons contre le cancer de la prostate J.M. Cosset* L a radiothérapie du cancer prostatique a déjà une longue histoire. Il y a presque 100 ans, en 1913, 2 collègues français, Pasteau et Degrais, publient dans le Journal d’urologie un article intitulé “De l’emploi du radium dans le traitement des cancers de la prostate”. Dans les années qui suivront, on pourra constater, au vu de schémas et de photographies, qu’il ne s’agissait pas seulement d’un vœu pieux. De fait, de par le monde, plusieurs tentatives sont effectuées pour traiter le cancer prostatique avec soit l’implantation directe d’aiguilles de radium dans la prostate (par voie périnéale), soit l’introduction de tubes de radium dans l’urètre et la vessie. On dispose même de photographies d’un applicateur au radium intrarectal, à mettre en place derrière la prostate ! À peu près à la même époque, d’autres médecins implantent dans la prostate de petits tubes de verre de 3 mm de long et de 0,3 mm de diamètre, recouverts d’or et contenant du radon, le gaz décrit comme l’“émanation” du radium, dont la demi-vie très courte (3,8 jours) a permis de réaliser les premières implantations permanentes. Les clichés de cette époque, dans les années 1920, semblent étrangement modernes, car ils rappellent nos implantations actuelles de grains d’iode 125. Un peu plus tard, dans les années 1960-1970, ce sont les grains d’or 198 qui vont remplacer les grains de radon (peu pratiques à produire) ainsi que les tubes et aiguilles de radium (trop gros pour ce genre d’utilisation). Ces grains sont implantés à ventre ouvert directement dans la prostate, un doigt introduit dans le rectum contrôlant que l’aiguille n’est pas poussée trop loin (quand on regarde les schémas de l’époque, on frémit rétrospectivement pour le doigt de l’opérateur !). Les années 1960-1970 voient également arriver les premiers accélérateurs linéaires, appelés à remplacer les vieux tubes à rayons X et les “bombes” au cobalt, peu adaptés, car insuffisamment puissants, pour traiter les tumeurs situées en profondeur dans le pelvis, comme le cancer de la prostate. Un radiothérapeute américain de Stanford, Malcolm Bagshaw (1925-2011), va alors relancer l’intérêt pour la radiothérapie externe (par opposition à la curiethérapie) dans le cancer prostatique, établissant les premières règles concernant les doses à délivrer, les volumes à irradier ainsi que l’étalement et le fractionnement de l’irradiation pour le cancer de la prostate. Cependant, la technique va peiner à trouver sa place, en particulier du fait de certaines dérives du fractionnement (doses par fraction trop élevées) au début des années 1970, et du fait de volumes irradiés trop importants. Il faudra attendre la fin du xxe siècle pour voir exploser l’utilisation des rayonnements dans le cancer prostatique. Les progrès vont alors concerner tout aussi bien la curiethérapie que la radiothérapie externe. En curiethérapie, la mise au point des grains d’iode 125 (4 mm de long, 0,8 mm de diamètre), puis de palladium 103 (mêmes dimensions), et l’introduction de l’échographie endorectale par Holm en 1983 vont permettre à la curiethérapie prostatique de trouver rapidement une place privilégiée dans le traitement des tumeurs prostatiques localisées de bas risque. Actuellement, plus de 50 000 implantations sont ainsi effectuées chaque année aux États-Unis, et de plus en plus de cas sont traités dans les centres européens. En parallèle, le cancer prostatique va bénéficier des développements rapides des technologies de radiothérapie externe : radiothérapie conformationnelle tridimensionnelle, modulation d’intensité, radiothérapie guidée par l’image – avec, de plus en plus fréquemment, l’implantation de grains d’or dans la prostate pour recaler à nouveau la balistique au millimètre près à chaque séance –, arcthérapie, tomothérapie, CyberKnife®, etc. Pour la première fois dans l’histoire, le radiothérapeute, grâce à ces nouveaux outils, a pu augmenter ses doses (on parle d’“escalade de dose”), et ce sans augmenter le taux de complications, et même en le diminuant. Largement complémentaires des options chirurgicales modernes, la radiothérapie et la curiethérapie modernes du cancer prostatique, fortes d’un siècle d’expérience, occupent désormais, et sans discussion possible, une place majeure dans l’arsenal thérapeutique contre le cancer prostatique. ■ Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 3 - juillet-août-septembre 2012 *Institut Curie, Paris. 95