Psychologie Québec / Portrait
volume 31 / numéro 05 / septembre 2014
21
de villages, sages, guérisseurs traditionnels – et les invitent à venir
voir comment le travail fonctionne au centre de traitement. « On
ne peut pas soigner les gens sans la collaboration des villageois,
insiste-t-elle. C’est à eux de nous guider dans le comment faire.
Il faut discuter avec eux à chaque étape, leur demander leur avis. »
En arrivant dans un endroit, Reine Lebel cherche d’abord à trouver
des intervenants du pays avec qui créer une synergie. « Ils sont
mes guides pour comprendre la population et ce sont eux qui
assureront la continuité des soins après notre départ. » Elle leur
donne de la formation sur divers thèmes, comme l’écoute ou la
manière d’annoncer les diagnostics aux patients. Il lui arrive aussi
de s’adjoindre un patient guéri qui peut témoigner de son expé-
rience auprès des familles, des malades et des communautés.
LA RÉALITÉ SUR LE TERRAIN
À Guéckédou, l’équipe médicale avait installé un centre de soins
temporaire comprenant une tente d’isolation. « On prend le temps
d’écouter les patients, les familles, ce qui facilite le travail des
autres équipes de soins », décrit Reine Lebel. La relation d’aide
s’effectue au gré des contacts et des besoins. « Le matin, on fait
une tournée, on voit comment les patients ont passé la nuit,
s’ils ont des besoins ou des préoccupations particuliers. Notre
présence est entière. On peut les voir cinq à six fois par jour et
on dispose d’un endroit privé pour discuter avec les familles. »
L’ambiance au centre de soins n’est pas aussi dramatique que ça
peut paraître, assure Reine Lebel en faisant allusion aux images
médiatiques fortes qui ne montrent que les intervenants habillés
de lourds équipements de protection rappelant des scaphandres.
« Je travaille en tenue civile », précise la psychologue, qui revêt
parfois l’équipement en question pour rendre visite à des patients
dépressifs ou mourants dans la tente d’isolation, comme le font
aussi les familles des malades. Les patients mobiles sortent quant
à eux de la zone sécurisée et peuvent ainsi discuter librement
avec les intervenants psychosociaux.
_MISSION : ÉCOUTER, BICHONNER,
REDONNER DE LA DIGNITÉ
« On est là pour prévenir les effets du stress post-traumatique et
pour soutenir la résilience de la communauté et de la famille, dit
la psychologue. Quand les membres de la famille sortent de la
tente après avoir visité un être cher, on est là pour les écouter, les
bichonner. C’est tout ce qu’on peut faire : offrir plus de dignité aux
personnes qui doivent composer avec un virus aussi cruel et pour
lequel la science n’a pas encore trouvé de solution. »
Reine Lebel s’emploie aussi à trouver des manières d’adapter les
rituels funéraires qui, normalement, comprennent une séance
de lavage et de préparation du corps par les proches. Or il faut
savoir que c’est précisément au moment du décès que le risque
de contamination s’accroît. « On a vu des groupes entiers décimés
à la suite de rites funéraires », raconte Reine Lebel. Les familles
doivent donc modifier leurs rituels en raison du danger. « C’est
un deuil qui s’ajoute à celui de la perte de l’être cher », souligne
la psychologue. Elle cherche à apaiser cette difficulté en adaptant
les rites religieux pratiqués localement, comme trouver un linceul
pour recouvrir le sac funéraire dans le cas des catholiques,
par exemple.
_VOCATION HÂTIVE
Reine Lebel est née à Québec et a grandi au sein d’une grande
famille. Fille de médecin, elle a été exposée aux activités médi-
cales dès son jeune âge. « Dans la maison, mon père faisait des
accouchements, recevait ses patients, et il y a avait des opérations
d’amygdales le samedi. » La psychologue se souvient encore
des moments passés à écouter les histoires des visiteurs. « Ça
m’intriguait de voir ces femmes revenir accoucher chaque année,
ou alors les mères célibataires qu’on cachait… Elles ont tellement
souffert. C’est moi qui allais, avec mon père, porter les bébés dans
les familles adoptives. » Quelque chose, à travers cette exposition
précoce, l’a marquée. « Tu ne comprends pas tout ce qui se passe,
mais tu es profondément touchée. »
Reine Lebel a choisi la psychologie en dépit des réticences de son
père, qui la voyait plutôt suivre ses traces. « C’était comme ça, à
l’époque », concède-t-elle. Dès que MSF a vu le jour en 1971, elle
s’est mise à rêver de rejoindre les missions d’aide internationale,
mais pas comme médecin. Comme psychologue. « Il y a long-
temps que l’aventure est en moi », dit Reine Lebel. Dans le cadre
de sa longue collaboration avec MSF, elle a d’abord joué un rôle
de consultante auprès des bénévoles revenant d’affectations. Sa
première mission de terrain comme responsable des soins de
santé mentale s’est déroulée lors de la crise du Kosovo.
_AMBASSADRICE DES DROITS DE LA PERSONNE
Son désir de socialiser et son amour des différentes cultures sous-
tendent son besoin d’aller aider au loin, mais il y a plus : « Je me
rebelle vis-à-vis des inégalités humaines et sociales. » Sa contribu-
tion s’inscrit dans une perspective de promotion des droits de
la personne. Au retour d’une mission au Congo, où elle avait vu
des centaines de victimes de violence sexuelle, la charge émotive
était intense. « J’ai eu des soubresauts de révolte et de peine
pendant un an, confie-t-elle. Nous, les psychologues, écoutons
les histoires intimes et donc nous sommes bien placés pour
faire du témoignage dans le but de mobiliser la communauté
internationale. » C’est d’ailleurs ce qui l’a menée à porter la voix
des femmes du Congo au Sénat américain, à Washington.
Fatou est sortie du centre de traitement de l’ebola avec un diagnostic négatif. Une de ses
sœurs est décédée au centre des suites de l’ebola. Sur la photo, Fatou et la psychologue
Reine Lebel.