
savoir/agir 67
Grand entretien avec André Grimaldi
L’hôpital entreprise n’est pas une solution
et l’ère de l’épidémiologie (études por-
tant sur un nombre de plus en plus grand
de patients, multiplication des agences).
Mais on découvre aujourd’hui que le
génome n’explique pas tout et que ce qui
est plus important encore, c’est l’expres-
sion des gènes et l’épigénétique, c’est-
à-dire le rôle de l’environnement sur
l’expression des gènes et la transmission
à la descendance de ces modifications
induites par l’environnement. On croyait
qu’avec le génome on allait pouvoir tout
comprendre et sûrement un jour, tout
prévenir ou tout réparer. Là encore, c’est
en partie vrai, mais à chaque fois que l’on
avance, on se rend compte que la réalité
est toujours plus complexe. L’idée de
l’individualisation vient de ce constat.
C’est le modèle par excellence de la mala-
die chronique, qui indique à la fois un
échec (l’absence de guérison) et un pro-
grès plus ou moins important et plus ou
moins rapide, mais permanent. Si bien
que, dès que l’on publie des recomman-
dations, elles sont déjà dépassées par la
publication de nouvelles études.
Dans ma spécialité, l’approche psycho-
sociale est très importante. Mais cette
individualisation psychosociale indis-
pensable se double d’une nécessaire
individualisation biomédicale. Parado-
xalement, on est à l’opposé de la standar-
disation qu’on voulait nous imposer et à
laquelle notre mouvement a résisté !
Quand il faudrait passer une heure en
consultation, voire une semaine d’hos-
pitalisation, avec un malade diabétique
pour éviter qu’un jour il ne soit dialysé en
raison de la survenue d’une néphropathie
diabétique, la « rentabilité » pour l’hôpi-
tal est nulle. La tarification voulue par les
libéraux ne porte pas en effet sur le béné-
fice pour la société et pour le patient à dix,
quinze ou vingt ans, mais sur le rapport
coût/bénéfice immédiat. Savoir si cela est
bon ou non pour la santé publique n’est
pas le problème du marchand. En gros,
40% des nouveaux dialysés chaque année
sont diabétiques. Or la dialyse rénale, c’est
2% du budget de la Sécu. L’enjeu est donc
considérable. Il faut donc accepter de
« perdre du temps », c’est-à-dire de l’argent,
pour la prévention. Or, le système de la
tarification à l’activité (T2A) qu’on nous
impose, n’est pas prévu pour cela.
Dans l’opposition à la loi HPST, je
me suis donc retrouvé avec des collè-
gues nostalgiques du pouvoir médical
du passé et avec d’autres attachés aux
valeurs de l’éthique médicale et du ser-
vice public. Ce qui a donné une alliance
parfois hétéroclite, avec des personnes
politiquement plutôt éloignées les unes
des autres. Dans le camp d’en face, c’est
la même chose : on y trouve des « néo-
modernistes », partisans du « médecin
ingénieur » et de « l’hôpital entreprise »,
avec des managers souhaitant développer
des « business plan » et des financeurs
qui veulent pouvoir acheter au meil-
leur prix grâce à la concurrence sur le
marché. Leur alibi commun : « nous ne
voulons plus du médecin artisan gaspil-
leur ». On oppose souvent deux modèles
médicaux : d’un côté la médecine libérale
à l’ancienne, symbolisée par le cabinet
avec son colloque singulier et la libre
entente entre médecin et malades, y com-
pris sur les honoraires et de l’autre côté,
le modèle du médecin ingénieur sous
contrôle de l’assureur-financeur. Mais
aucun de ces modèles ne répond à la prise
en charge des patients atteints de maladie
chronique.
Savoir/Agir : Ce qui est intéressant
dans ce que vous dites, c’est que souvent
dans le débat public, on oppose les
gestionnaires et les soignants. Or, selon
vous, le débat oppose des alliances qui