Histoire et liberté - Extrait de Leçons sur la philosophie de l`histoire

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Histoire et liberté
- Extrait de Leçons sur la philosophie de l’histoire de Hegel.
(Histoire, liberté, conscience, religion, Etat, progrès)
L’histoire humaine se présente d’une manière paradoxale, ou même contradictoire,
comme le montre Hegel :
- « L’histoire universelle est le progrès dans la conscience de la liberté » « Histoire » est
associé à « progrès », « liberté », « bonheur ». Idée véhiculée par l’opinion qui dit : « nous
ne sommes plus au moyenge » pour discréditer une pratique jugée inadmissible.
- « Quand nous considérons ce spectacle des passions et que nous envisageons les suites de
leur violence, de la raison qui ne s’allie pas seulement à elles, mais aussi et surtout aux
bonnes intentions, aux fins légitimes, quand de nous voyons surgir le mal, l’iniquité, la
ruine des empires les plus florissants qu’ait produits le nie humain, nous ne pouvons
qu’être emplis de tristesse par cette caducité, et, étant donné qu’une telle ruine n’est pas
seulement une œuvre de la nature, mais encore de la volonté humaine, en arriver en face
de ce spectacle, à une affliction morale, une révolte de l’esprit du bien, s’il se trouve en
nous »…L’histoire apparaît alors comme « l’autel où ont été sacrifié le bonheur des peuples,
la sagesse des Etats et la vertu des individus ».--> « Histoire » est maintenant assoc
à « violence », « mal », « iniqui», « ruine des empires », « autel ».
Hegel rassemble les deux points de vue en disant que « la raison gouverne le monde », en
mettant les passions, les intérêts, le mal finalement, au service du bien. C’est la version
sécularisée d’une notion théologique. C’est le thème de « la ruse de la raison », de « la
violence accoucheuse de l’histoire ». « On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ».
Pour sa part Walter Benjamin (1892-1940, plus ironique, voit le passé comme ce qui tout au
long des siècles produit « cette seule et unique catastrophe qui ne cesse d’amonceler
ruines sur ruines », ajoutant que « cette tempête est ce que nous appelons le progrès »
(Thèses sur la philosophie de l’histoire). Certains diront qu’ « on ne fait pas d’omelette sans
casser des œufs ».
Ce qui permet à Hegel d’affirmer en même temps ces deux propositions c’est le recours à
la dialectique, qui lui permet de tenir sur le même objet, l’histoire, ces deux thèses
contradictoires. La logique commune (aristotélicienne) admet deux principes, le principe
d’identité (A = A), et le principe de contradiction (deux propositions contradictoires ne
peuvent être toutes deux vraies en même temps ). Dès lors qu’on aborde l’histoire et qu’on
prend donc en compte la dimension temporelle de la réalité, on est conduit à « aménager »
la logique commune, et à remplacer A = A par A devient A.
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On va lire une page des Leçons sur la philosophie de l’histoire de Hegel qui explicite cette
conception dialectique de l’histoire.
On peut voir en ce passage deux parties,- a) les 9 premières lignes, est affirmée une
thèse générale sur l’histoire,- b) la suite du texte qui en est l’illustration.
- a) « …L’histoire universelle…est la représentation de l’esprit dans son effort pour
acquérir le savoir de ce qu’il est…L’histoire universelle est le progrès dans la
conscience de la liberté progrès dont nous avons à reconnaître la nécessité ».
Cette thèse est l’explicitation d’une thèse plus générale relative à l’essence de deux
concepts, « matière » ou « nature » et « esprit ». C’est aussi une illustration de la
dialectique. « Esprit » est dans les premières lignes associé à « conscience », plus
exactement à « conscience de soi ».
« Il faut dans la conscience distinguer deux choses ; d’abord le fait que je sais et ensuite
ce que je sais. Ces deux choses se confondent dans la conscience de soi, car l’esprit se
sait lui-même ».
Mais il ne se sait pas d’emblée lui-même.
Ce que laisse entendre la phrase suivante :
« Il est aussi l’activité par laquelle il revient à soi, se produit ainsi, se fait ce qu’il est en
soi ».
L’activité, et donc la temporalité, l’historicité sont des éléments constituants de la
spiritualité. D’où la définition de l’histoire :
« L’histoire universelle … est la représentation de l’esprit dans son effort pour acquérir le
savoir de ce qu’il est ».
S’agissant de l’activi humaine, le temps n’est pas une dimension extrinsèque au
concept. Au contraire le concept ne peut s’appréhender qu’à condition d’inclure le
temps dans sa définition. Comme l’écrit Fichte :
« C’est au sein du temps qu’il faut faire œuvre d’éternité ».
Ce qui amène comme conséquence que les activités humaines, n’apparaissant pas
comme elles sont, sont conduites à se transformer en leur contraire. C’est cela la
dialectique à l’œuvre dans l’histoire. Ce qu’illustre l’image utilisée par Hegel :
Image : « comme le germe porte en soi la nature entière de l’arbre » Du germe à
l’arbre, il y a devenir, l’arbre est à la fois le devenir, la réalisation et la négation du
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germe. L’arbre devient ce qu’il n’est pas (encore) mais il ne devient pas n’importe quoi, il
devient ce qu’il est. Pourquoi cette image convient-elle pour la liberté et pour l’esprit (le
« et » étant de trop, « l’essence de l’esprit est liberté ») ? L’homme devient libre parce
qu’il est libre et qu’il ne l’est pas. Le devenir est l’expression de cette contradiction.
L’histoire est donc la résolution de cette contradiction. Dans ce passage Hegel va en
montrer le sens et la logique « dialectique ».
Il y a une logique de l’histoire, qui n’obéit pas à la formule « A = A », mais à la formule
« - A devient A ».
Ce qu’il va montrer dans la suite du texte en nous proposant une interprétation de
l’histoire à partir de cette conceptualité dialectique.
- b) Cette histoire se divise en plusieurs moments, désignés par des figures
historiques : 1) « les Orientaux, 2) « les Grecs », 3) « nations germaniques…dans le
Christianisme, 4) …tâche nouvelle…long et pénible effort d’éducation ».
Mais déjà ce découpage fait problème : si « Les premières traces de l’esprit contiennent
déjà aussi virtuellement toute l’histoire », pourquoi le découpage commence-t-il avec « les
Orientaux », alors que c’est « chez les Grecs (que) s’est d’abord levée la conscience de la
liberté » ?
Tout se passe comme s’il y avait une double origine.
placer l’origine, dans « les premières traces » chez les Orientaux ou chez les Grecs
« s’est d’abord levée la conscience de la liberté » ? Seule la lecture minutieuse de l’extrait
permettra de répondre.
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-1) « Les Orientaux ne savent pas encore que l’esprit ou l’homme en tant que tel est en soi
libre ; parce qu’ils ne le savent pas, ils ne le sont pas ; ils savent uniquement qu’un seul est
libre ; c’est pourquoi une telle liberté n’est que caprice, barbarie, abrutissement de la
passion ou encore douceur, docilité de la passion qui n’est elle-me qu’une contingence
de la nature ou un caprice. Cet Unique n’est donc qu’un despote et non un homme libre ».
Les Orientaux oriri : se lever, l’Orient est là où le soleil se lève, l’origine. Mais c’est
l’Orient pour quelqu’un qui l’a déjà quit. L’Orient relève donc d’une vision rétrospective,
occidentale, (cadere : tomber) de l’Orient. Concrètement, l’Orient correspondrait ici aux
premiers empires, l’Empire Perse, ou encore la Chine et l’Inde.
Les Orientaux ne sont pas libres parce qu’ils ne le savent pas. La liberté n’a de sens que
lorsqu’elle est consciente de soi. Il n’y a pas de liberté inconsciente. Celui qui ne sait pas
qu’il est libre ne l’est pas, bien qu’il le soit. La liberté est « en soi » et « pour soi »
pour devenir libre, il faut l’être (en soi), pour l’être (pour soi), il faut le devenir.
Pourquoi alors les inclure dans une histoire de la liber ? Réponse : « ils savent
uniquement qu’un seul est libre ». La liberté est donc cependant déjà apparemment.
Apparemment, car elle y est sans y être. Mais de quelle liberté s’agit-il ? Comment en
formuler le concept ?
- Du point de vue de l’extension, elle est la propriété d’un seul.
- Du point de vue de la compréhension, elle semble absolue. L’Empereur, souvent divinisé,
peut faire ce que bon lui semble.
Hegel cependant la définit comme « caprice, barbarie, abrutissement de la passion ou
encore douceur, contingence de la nature, caprice ». Le terme essentiel est « caprice »,
présent deux fois. Faire un caprice revient à faire ce que je veux parce que je le veux. Mes
désirs sont des ordres. C’est la conception de la liberté de « cet Unique « (remarquer que
Hegel ne dit pas « cet homme »), L’Empereur de Chine était le maître du temps, le Pharaon
d’Egypte régnait sur les vivants et les morts. C’est le premier sens de la liberté que se fait
un être humain, la liberté telle que l’enfant la conçoit. C’est aussi le premier sens qui vient à
l’esprit de qui s’interroge sur le sens de la liberté : pouvoir faire tout ce qui me plaît. Nous
concluons donc que l’esprit, quand il commence à concevoir la liberté la conçoit ainsi, avec
une extension réduite à celui qui la proclame (moi), et avec une compréhension
apparemment infinie.
Mais Hegel va donner une toute autre signification à cette position :
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-Caprice = barbarie, abrutissement. Le despote, qui n’est soumis à aucune loi, peut tout se
permettre, comme de nommer son cheval consul (Caligula).
-Douceur = le despote peut avoir un naturel bienveillant. Tout ceci est « une contingence
de la nature ». Le despote est un gros bébé, comme un bébé est un petit despote.
Finalement, la conduite de « cet Unique » est dictée par sa nature, elle ne dépend pas de
lui, et ce que l’on croyait être son « caprice » n’était pas le sien mais celui « de la nature ».
Cet Unique est un jouet, une marionnette entre les mains de la nature. Par conséquent
cette liberté n’en est pas une. Cet « Unique » n’est pas un homme libre.
Conséquences :
- Hegel a établi l’identité entre la conception despotique, la conception infantile, et la
conception spontanée de la liberté. En outre ces trois conceptions (en fait la même !) n’ont
rien à voir avec la liberté. La liberté naturelle, à supposer qu’on puisse parler ainsi, n’est pas
la liberté, mais caprice de la nature.
- On comprend pourquoi le moment « les Orientaux » n’est pas le premier moment. A ce
stade, il n’y a pas de liberté, ni en extension ni en compréhension, « cet Unique n’est donc
qu’un despote et non un homme libre ». L’Orient n’est donc pas l’origine, du moins elle ne
le devient que lorsqu’on n’y est plus. L’humanité ne commence qu’avec la pluralité (cf. H.
Arendt) et avec la récusation de cette vision naïve de la liberté.
- L’idéalisme de Hegel se manifeste dans les phrases : « les Orientaux ne savent pas que
l’esprit ou l’homme en tant que tel est en soi libre ; parce qu’ils ne le savent pas, ils ne le
sont pas ». Mais il ne faudrait pas duire cet idéalisme à un contenu de conscience tel
qu’on pourrait le trouver dans l’esprit de quelques singularités, comme il le signifie un peu
plus loin lorsqu’il écrit que « cela Platon même et Aristote ne le savaient pas ». Ce « savoir »
est le savoir d’un peuple , et savoir que « quelques-uns sont libres » entraîne que me
ces « quelques-uns » (les citoyens ou « Platon et Aristote ») ne sont pas libres. Selon
l’idéalisme de Hegel, les idées s’incarnent d’abord dans les urs et les institutions d’un
peuple.
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