L2COURS2 sports

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CM 2 en Licence 2 Semestre 3
Quelles sociologies pour l’objet « sports » ?
L'évolution de la discipline sociologique est historiquement marquée et apporte une
connaissance spécifique du monde sportif.
I Monde des sports et sociologie
Le monde sportif fait appel à l'expertise du sociologue lorsqu'une crise ou un échec
entravent la vie sportive habituelle. L'institution sportive est en pleine croissance, chacune
de ses poussées de croissance engendre des espoirs et provoque des inquiétudes. La
sociologie s'est donc intéressée au phénomène
Par exemple, le processus par lequel les pratiques sportives éclipsent plus ou moins les jeux
traditionnels a éveillé l’attention, de même que le mouvement de diffusion des sports, très
inégalement accompli selon les classes sociales, les nations, les groupes.
Les points de vue savants s'immiscent dans la vie des groupes et trouvent évidemment de la
résistance. En effet le sport est un jeu et il supporte des émotions telles que l'objectivation
biomécanique, physiologique ou socio-économique contredit l'expérience première.
Le rejet s'appuie parfois sur un anti-intellectualisme sensible.
Pourtant la pertinence du sport comme objet de recherche s'est affirmée depuis les années
80. Le secteur de recherche qui se développe vite relève de la socio économie et vise à
dégager les structurations économiques et sociales du monde sportif.
On voit émerger une sociologie qui privilégie le point de vue des agents, mettant en
évidence les formes de conscience et de sensibilité, l'économie émotive des spectateurs et
des participants.
D’autres se proposent de mettre en évidence les conditions que doivent remplir les règles
sportives pour être acceptables.
Enfin des études plus politiques se centrent sur les processus d'identification de
communautés politiques ou ethniques à des équipes sportives. Elles posent du même coup la
question de l'unification mondiale du sport. Les relations entre l'Etat et les sports entrent
dans le domaine des sciences politiques.
On peut dire aussi que le monde des sports est très segmenté et hiérarchisé mais sécrète
une culture sportive à peu près commune et des traits culturels spécifiques.
Aux analyses allant dans le détail des pratiques sportives, se sont ajoutées des réflexions sur
l’impact du sport sur la société et sur ses fonctions à l’égard de la politique, de l’économie,
de la santé et du savoir.
1.1. Problèmes de définitions et de mesure de l’activité sportive :
Dans le travail théorique la question de la définition se pose toujours. De quoi parle t-on ?
Plusieurs définitions sociales du sport sont données, souvent contradictoires, en général
flottantes et variant avec les situations pratiques dans lesquelles elles sont formulées. Les
définitions indiquent des frontières ou dégagent des traits caractéristiques qu'un noyau de
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pratiques incarne (le caractère énergétique du sport à travers le sprint par ex, alors que
d'autres s'en éloignent, (tir à l'arc, lancer de fresbee etc...)
En sciences sociales, comment définir la diversité et l'unité des sports ?
A partir des années 50 les définitions des experts en sciences humaines prévalent sur
celles des agents engagés dans les affaires sportives.
La notion de sport couvre un large éventail d'activités dotées de propriétés parfois
contradictoires, allant du jeu et de la distraction, aux formes éphémères, à une multitude de
loisirs sportifs et de spectacles sportifs, jusqu'à une forme de sport relevant du travail
hautement qualifié, minutieusement codifié, exercé à plein temps avec un souci poussé du
rendement, la notion de carrière et de programme.
Le sport est donc à la fois un jeu doté de gratuité et une activité rationnelle tendue vers une
forme d'efficacité visant la performance. Il s'écarte du jeu en se posant comme jeu
sérieux.
Par exemple Magnane définit le sport comme une activité de loisir dont la dominante est
l'effort physique, participant à la fois du jeu et du travail, pratiquée de façon compétitive,
comportant des règlements et des institutions spécifiques et susceptible de se transformer en
activité professionnelle.
Norbert Elias (in La violence maîtrisée) travaillera autour de cette définition contradictoire
en prônant l'idée que le sport est "une forme de combat qui donne du plaisir sans choquer la
conscience".
La biologie, l'anthropologie et la philosophie donnent des définitions qui montrent que
le sport peut être défini comme une forme sociale historiquement datée et changeante ou
au contraire assimilé à un registre d'activité rendu possible par la conformation psychique et
physique de l'espèce humaine et actualisé. L'approche du sport comme forme d'activité liée
au répertoire anthropologique fondamental, dans toutes les civilisations est une perspective
développée par les anthropologues, les biologistes et parfois des essais sociologiques. Le
sport dériverait de schémas comportementaux innés chez l'être humain. Le fondement
biologique principal semble être celui du jeu corporel.
Définition par la culture de l'institution ou définition par la nature anthropologique de
l'activité, les approches coexistent et s'affrontent avec des succès divers selon les
époques.
Certains décrivent le sport comme un universel culturel qui "repose sur des bases
biologiques au même titre que l'alimentation ou la sexualité". ( Betbeze in Crédoc, 1987). Le
schéma proposé précise cependant que tout ce qui relève de ces schémas n'est pas du sport et
ne le devient que lorsqu'il est saisi par une culture. Le phénomène acquiert sa dynamique
propre et se détache de la vie instinctive qui l'aurait créé.
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Ainsi par exemple, la vision biologique prédominante dans le début du 20eme siècle et
les années 40, a donné lieu à des théories évolutionnistes, à l'eugénisme et parfois au
racisme.
En revanche dès 1945 et dans les années 60 le caractère culturel sera réaffirmé et orientera
les recherches vers la sociologie de l'éducation et de la culture.
Le choix proprement scientifique entre une approche biologisante et une autre plutôt
culturaliste a toujours été marqué par les luttes politiques et intellectuelles.
Pour échapper à ce cadre de pensée trop prégnant les sciences sociales dans les années
50 insistent sur la dimension culturelle et la variabilité historique du sport, privilégiant
la sociologie historique. Ils insistent aussi sur les traits originaux du sport par rapport
aux jeux physiques et aux exercices de civilisations antérieures ou différentes (Elias
1986)
Avec des définitions variables, naissent les difficultés de mesure de l'activité sportive.
Quoi qu’il en soit, définir c'est inclure et exclure. La définition du sport se présente
souvent comme une question pratique lorsqu'il s'agit de borner des regroupements : par
exemple quels types d'associations relèvent d'un service des sports et peuvent prétendre à
des subventions ? Quelles limites se donner ? Faut il inclure l'histoire du tir à la carabine
dans un travail d’histoire des sports ? La reconnaissance Olympique fait pencher pour le oui,
mais faut il y inclure aussi le tir des fêtes foraines ? Le billard est-il un sport, et les fléchettes
? En France la réponse est non, en Angleterre, c'est oui.
Le sociologue ne peut évidemment s'abstraire des définitions sociales et la littérature savante
montre qu'il n'existe aucune définition qui se soit imposée.
La puissance de l'institution sportive se mesure habituellement par les effectifs mobilisés.
Par ex en 1990, on dénombre plus de 160 000 associations sportives. L'administration évalue
le nombre de licences à environ 12,5 millions, ce qui correspondrait à environ 10 millions
d'individus (rapport individu/ activité = 1,26 d'après INSEP). Si on le rapporte aux individus
en âge de pratiquer (12-74 ans) c'est environ 19% de la population qui aurait au moins une
licence. En 1998 on dénombre 14,5 millions de licenciés
Quant aux taux de pratique avec ou sans licence ils atteignent des proportions variables
selon les enquêtes de 30% à 74% (dans l'enquête INSEP).
Le problème du dénombrement de sportifs se pose donc avec acuité à chaque enquête
sociologique. Comment définir les critères d'appartenance au sport ? Une solution a
longtemps été utilisée, consistant à dénombrer les licenciés et les membres de clubs. L'outil
est peu fiable et sociologiquement pauvre en information.
On tente aussi par voie d’enquête, d'en référer aux déclarations des individus eux mêmes, à
ceci près que la façon de formuler la question contient en elle une définition plus ou moins
explicite, exerçant des effets majeurs sur la nature des réponses. Mais ….
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Exemple :
Pratiquez vous de façon assez régulière un ou plusieurs sports à l'exclusion de la natation si
vous ne la pratiquez que pendant les vacances"
Pratiquez vous une activité physique ou sportive, ne serait ce que de temps en temps ?
Sur ce plan les enquêtes sont instables et les sociologues adoptent souvent une position
radicale qui consiste à laisser à chaque individu le soin de définir si ce qu'il fait est du sport.
"Le sport c'est ce que font les gens quand ils pensent qu'ils font du sport" (INSEP)
L'enquête INSEP a eu le mérite d'identifier des pratiques se déroulant dans l'espace
domestique ou de repérer de nouvelles formes de pratique physique.
Il n'y a donc pas un, mais des sports, et à la limite autant de sports que de groupes concrets
ou d'agents singuliers. Cette définition permet d'étudier des pratiques physiques qui ne
s'apparentent pas au modèle compétitif. Un effet de cette définition large est le taux élevé de
pratique générale observé dans la population française (73,8% des 12-74 ans) alors que le
Ministère de la Culture donnait un taux de 45,1% en 81
Autre perspective :
L'institution sportive se définit elle-même. Le sport est défini par ceux qui l'instituent et se
trouve ainsi constamment redéfini. L’histoire des sports nous le montre très bien.
Par exemple, vers 1850, alors que plusieurs sports sont en voie de codification autour des
écoles d'élite en Angleterre (public schools), la notion de sport fait son apparition en France.
La notion fédère des activités dont la caractéristique première est d'être des amusements,
avant même que soit relevée cette dimension d'un exercice avec son propre corps.
Le Larousse de l’époque précise que le mot sport renvoie à une série d'activités sur
lesquelles sont engagés des paris. Le tableau principal comprend les chevaux, la boxe, etc ,
juste avant que les jeux sportifs d'adolescents, le football, le rugby, l'athlétisme s'imposent et
viennent constituer une nouvelle définition des sports qualifiés de sports athlétiques.
Le mot sera de plus en plus utilisé pour désigner des activités supposant une dépense
d'énergie musculaire, et un engagement compétitif.
L'ensemble des gymnastiques a quant à lui, une image beaucoup plus scientifique et
rationnelle, présentée sous forme de leçons et d'exercices. Les exercices du corps sont déjà
installés sous forme de gymnastiques dans l'armée quand les sports s'installent en France
vers 1880.
Le sport à cette époque, en position défavorable est contraint sans cesse de se référer à la
gymnastique pour se définir. P de Coubertin, pour ces raisons cherchera à développer des
programmes éducatifs pour adolescents. Il cherchera à développer les associations sportives
dans les collèges et lycées.
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Historiquement on observe, dès la fin du 18eme siècle et au 19eme, une première
interrogation devant le remplacement progressif des jeux et des arts (la soule, les joutes, etc,)
par la gymnastique et les sports. Les éducateurs et autorités morales participent à
l'élaboration des politiques sportives (enseignants, clergés, notables). Au 19eme certaines
municipalités accordent des soutiens dès 1885-90 à des sociétés de gymnastique (ARNAUD,
1991) et vers 1930 à des sociétés sportives. Le patronat des grandes entreprises soutiendra
des clubs sportifs dès 1920. En Angleterre des entreprises créent des clubs de football
professionnel dès 1890.
C'est après la guerre de 14-18 que l'institution sportive va prendre son essor, portée par
l'effervescence sociale. Il s'agit alors de trouver des lieux de rapprochement des groupes
sociaux qui se dressent les uns contre les autres. Le sport affirmera des objectifs propres et
s'écartera de la gymnastique.
En 1922, Coubertin donne une définition des sports (Pédagogie sportive) "Le sport est le
culte volontaire et habituel de l'effort musculaire intensif appuyé sur le désir de
progrès et pouvant aller jusqu'au risque". ... "Il doit être pratiqué avec ardeur, je dirai
même avec violence."
Le sport n'est donc pas l'exercice physique bon pour tous, mais le plaisir des forts ou de
ceux qui veulent le devenir. L'énoncé a évidemment une fonction polémique de prise de
distance avec la notion de modération de la gymnastique. Les règlements sportifs émergent,
s'imposeront aux adhérents et souligneront ainsi le cadre compétitif et les groupements
établis.
Les sociologues ont montré l'existence de modèles concurrents jusqu'au milieu du 20e
siècle :
. le modèle des sports joués issus d'Angleterre (football, athlétisme, tennis,)
. le modèle des gymnastiques enseignées issues d'Europe occidentale (Allemagne,
Suède Danemark , France, etc).
C'est pour finir, le modèle sportif compétitif qui s'imposera au plan international aux dépens
des gymnastiques (nettement dès les années cinquante.)
Au plan politique le sport sera un enjeu dès les années trente. Rappelons
l'organisation des JO de Berlin en 36 et la mise en scène nazie avec Leni Riefenstahl. Sous la
forme des compétitions sportives ou de la gymnastique, l'activité physique intéresse de
nombreuses institutions, armée école médecine. Mais Yonnet (2004) le souligne, la politique
utilise le sport, se sert du sport, va parfois jusqu’à « le transformer en accessoire de la
diplomatie ». Le sport dit-il n’est qu’un « écho du monde, non un instrument ni une matrice
de changement du monde ».
La production sportive deviendra un secteur économique non négligeable (en 1990, 1 à 2%
du PIB selon les pays, et 30 000 emplois d'animation, gestion, entretien des équipements en
France en 94 (estimation Jeunesse et Sports).
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Enfin l'Etat va définir les règles, les programmes d'équipement, des plans de soutien aux
associations au delà de la politique d'éducation et d'éducation physique dès les années trente.
Reposant sur une catégorie d'activité originale, le monde des sports recrée, à usage interne
toutes les formes d'organisation existant au dehors : associations avec statuts, fédérations,
écoles avec enseignements, profs, diplômes, techniques et matériels, affaires avec industriels
organisateurs de spectacles, sponsors.
Il reste cependant que l'institution sportive lorsqu'elle se stabilise et se rationalise ne
produit pas une meilleure définition du sport recevant l'accord de tous. Bien au
contraire, on voit apparaître des diversifications de pratiques et de nouvelles formes de
pratiques se parent de caractéristiques opposées à celles qui sont établies. (On voit
arriver des sports nouveaux, des modalités nouvelles pour un même domaine de sport
etc. Il devient alors, à un certain point du développement de la pratique, nécessaire
pour l'institution de tenter de l'englober et de revoir ses définitions et règlements.
1.2. Quelques questions sociologiques à propos du sport :
+ Comprendre la genèse de la diffusion des sports est une des grandes questions.
Comment expliquer que les principales formes de sport du 19eme apparaissent en Angleterre
? Pourquoi en Europe s'oriente t-on vers l'élaboration de gymnastiques non compétitives ?
Comment se fait-il que les sports à l'anglaise se développent très vite dans le monde entier et
s'imposent comme modèles de pratique, trouvent un terrain favorable dans des contextes très
différents ?
La diffusion des sports selon des aires culturelles soulève d'autres questions. Comment se
fait-il que les sports fortement mondialisés restent différenciés entre Amérique du Nord et
Europe avec d'un coté le Base-ball, le foot américain, le hockey et un basket professionnel
original et de l'autre le football, le rugby, le cyclisme.
En France pourquoi accueille t-on favorablement le rugby réservé longtemps aux
britanniques et aux colonies anglaises ? Pourquoi le trouve t-on fortement développé au Sud
et pas au Nord ? (Pociello 1983), (Sansot, 2002)
+ La différenciation sociale des pratiques est un deuxième ordre de questions.
Les processus de différenciation sociale ne s'accomplissent pas de façon identique dans
toutes les sociétés. Cette remarque ouvre aussi de nombreuses perspectives d'analyse.
Ainsi le clivage sport de riches/sport de pauvres est très marqué dès l'origine mais il ne
prend pas les mêmes contours selon les pays. On remarque que le caractère élitiste d'un sport
renvoie aux conditions matérielles pour y accéder. Mais ces conditions peuvent être
largement modulées par une organisation adéquate et entraîner des modifications des coûts.
Cette variabilité provient de ce que la pratique sportive est établie à l'intersection de
l'économie de marché, du monde associatif et de l'économie publique.
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Par ex dans l'aire urbaine de Chicago on trouve 200 terrains de golf doublés de clubs fermés
à l'accès réservé à l'élite, au coût très élevé.
Le football qui nécessite une très grande emprise foncière en zone urbaine n'a pu devenir
populaire que soutenu par les municipalités et les entreprises. C'est un champ de recherche
important pour l'histoire économique et sociale qui peut nous apprendre comment chaque
sport se développe dans chaque pays.
La place occupée par les associations, les pratiques sportives dans la sphère municipale,
dans l'univers des enfants scolarisés et le rôle des valeurs originales qu'elles introduisent ou
maintiennent dans la vie sociale forment autant de thèmes que la sociologie des sports
partage avec celle de l'éducation et de la culture.
L'analyse de la ségrégation sociale constitue un fil conducteur de l'analyse des sports. Aux
Etats unis, l'inégalité des chances d'accès au sport selon la race et l'affectation des Noirs aux
postes moins valorisés du jeu ou plus risqués, a fait l'objet d'études nombreuses.
Enfin les luttes pour changer le statut des femmes, présentent un monde sportif souvent
décrit comme une poche de résistance des cultures masculines.
Enfin, le mouvement de diffusion des sports est très inégalement accompli selon les classes
sociales, les nations, les groupes, si bien que les sociologues se sont attachés à en montrer
les inégalités. Segmenté, et hiérarchisé le monde des sports sécrète à la fois une culture
sportive à peu près commune et des traits culturels spécifiques.
Ainsi Pociello proposera (1979) une perspective structuraliste (utilisant les structures
sociales pour expliquer le fonctionnement social et les conduites individuelles) pour
déterminer ce qu’il appelle les « rapports d’affinité qui s’établissent entre certains types de
sports et certains groupes sociaux ». Dans cette perspective distinction et hiérarchisation
« ne sont pas uniquement assurées par l’argent (capital économique) mais aussi par le capital
culturel et le capital social » et Bourdieu a proposé une synthèse en termes d’espace des
positions sociales. Pociello parlera d’espace des sports organisé par une double opposition
entre pratiques à dominantes énergétiques dans le bas de l’espace social et pratiques
informationnelles et motorisées. Déjà critiqué par les tenants de l’individualisme
méthodologique (pour qui la démarche part de l’individu et cherche à expliquer le social,
comme Parlebas) cherchant à prouver le caractère de liberté de choix et de rationalité des
choix chez les individus libres, le modèle de Pociello se trouve aujourd’hui en difficulté à la
suite d’autres études (Mignon et Truchet) qui font apparaître que l’informationnel ne
s’oppose pas systématiquement à l’énergétique. C’est avec la profession et le niveau de
revenu, plus« la palette des activités qui croit qu’une répulsion … à l’égard de pratiques ».
Ce qui semble aujourd’hui marquer les différences est davantage la quantité de pluriactivités et l’émergence du «zapping» sportif et l’émergence du goût pour la diversité au
détriment des cultures sportives «monothématiques»; il semble aussi que les activités dans et
hors club puissent se mener de front dans un même temps biographique.
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+ Les sports sont des lieux de métaphores sociales
Les groupes de sportifs se sont donnés des règles du jeu, souvent par des règlements écrits.
En leur absence on parle d'éthique, par ex en alpinisme. La dimension morale à laquelle
renvoie cette notion a été prépondérante dès les origines des sports. Thomas Arnold qui
autorise dans son établissement scolaire, les sports collectifs permet leur légitimation par un
discours sur leurs vertus pédagogiques. T Arnold est aussi un prédicateur qui a laissé de
multiples sermons sur des thèmes moraux, mais très peu sur le sport lui même. Par la suite,
le sport va s'autonomiser par rapport aux institutions religieuses et éducatives du 19e qui
l'ont codifié. L'éthique des sportifs deviendra plus flottante. L'acceptation des règles
sportives a toujours été l'objet de disputes, acceptation toujours partielle et infractions
constantes, tricheries, violences exacerbées par les enjeux monétaires. Excitation chauvine
ou nationaliste, dopage, sont présents dès les années vingt et prennent des proportions
inquiétantes dès les années 70. Dès les années 20, la presse dénonce des dirigeants de clubs
qui sous couvert d'amateurisme débauchent des joueurs concurrents avec des fonds occultes
ou encore encouragent le jeu violent et le chauvinisme pour arracher la victoire à tout prix.
Derrière l'amour du sport se profile le carriérisme politique, l'affairisme, le prosélytisme.
La violation de la règle transforme la situation de jeu en confrontation morale, le plaisir en
tension dramatique. Le sentiment d'injustice guide des réactions dignes d'enjeux vitaux,
déclenche des violences collectives. (Dunning in Elias 1986). Une partie de la sociologie
critique dès les années 60 reprend ces débats éthiques (BROHM, en France et HOBERMAN
sur l'ex RDA (1992). JP. Rioux un historien dira des institutions sportives, à propos de leur
relation au gouvernement de Vichy qu'elles ne cultivent plus que des valeurs minimales.
Le sport comme pratique culturelle
Présente dans la plupart des travaux sur le sport, l'analyse culturelle rencontre des difficultés
à s'établir comme genre particulier.
Les obstacles sont ceux de la sociologie de la culture qui doit trouver ses limites de
définition (qu'est ce que la culture), et penser ses rapports à l'économie et au politique,
articuler la culture sportive à une culture globale et des cultures spécifiques, de sexe, de
classe, de régions, de groupes professionnels, ou de registres comme la culture scientifique,
littéraire ou technique.
En matière de sports, l'analyse culturelle rencontre des réticences spécifiques. Le sport a
longtemps été perçu comme la marque d'une inculture, surtout dans les pays comme la
France qui ont développé une culture littéraire forte. Le sport est souvent frappé d'indignité
culturelle.
Les sociologues, anthropologues (Elias, Bourdieu notamment), l'école de Francfort, etc ont
contribué à sa réhabilitation. Quelques courants dérivés du marxisme ont posé la question de
l'articulation du sport avec l'économie. D'autres se sont centrés sur les rapports de sexe
développant des thèses féministes surtout en Angleterre et Amérique du Nord.
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L'athlète a le sport en lui, et le supporter parfois respire et organise sa vie autour du club
qu’il soutient, bref une véritable culture sportive. Bien que le choix d’une pratique sportive
comme pratiquant ou comme spectateur laisse souvent une marque profonde sur les corps et
le psychisme, la difficulté de penser une culture sportive tient aussi au fait que tous les
pratiquants n'ont pas la même façon de s'engager dans l'activité. Ils participent pourtant à un
monde des sports qui a des traits communs.
Le registre culturel est avant tout un registre symbolique reposant sur des relations de sens.
Les milieux sportifs fournissent l'essentiel des points de départ aux descriptions culturelles.
Un Exemple de culture sportive : Le football :
Les questions sont souvent posées sur les formes de sociabilité, leurs origines et les
valeurs célébrées. Ainsi, l’exemple du football.
L'exemple du football permet de mieux cerner ces différences de styles. Lorsqu'on approche
un sport pour en cerner l'esprit et les valeurs, les rites, on tente de saturer l'analyse
d'informations de toute nature. Sur le football on dispose d'études sur le jeu, les supporters et
les joueurs et les résonances culturelles dans divers pays (Angleterre, Italie, Brésil, France,)
(Actes de la Recherche en sciences sociales 1994). Une étude parmi les dizaines effectuées
sur le sujet suffit à comprendre l'objet traité. (Bromberger 1987). Il explore la logique du
comportement des supporters de Marseille et Turin. Le témoignage de l'organisateur d'un
club montre bien la dimension passionnelle de la relation au jeu, et les tâches banales
qu'exige l'orchestration de ce soutien public à une équipe entière engagée sur le terrain. La
biographie du personnage est marquée par la présence du club et l'enthousiasme pour le foot
succède à une éducation religieuse. Lorsque les responsables s'installent dans la vie
(mariage, enfants) les auteurs notent les changements dans le club de supporters. Ils
montrent comment les étapes de l'intégration sociale se traduisent dans l'espace du stade,
chaque tribune symbolisant un statut social particulier. Il a fallu pour cela dégager la
structure des espaces du stade en observant les tribunes. Il en va de même à Turin et les
ethnologues sont en face d'un univers saturé de sens magico-religieux.
Depuis sa diffusion mondiale le foot a connu une diversification sociale large et ses
spectateurs se recrutent aujourd’hui dans toutes les couches sociales.
Pourquoi un tel succès mondial ? Les auteurs répondent à cette question par les propriétés
spécifiques du jeu. Il symbolise les traits saillants d'une culture industrielle, division des
tâches et travail d'équipe, relégation, statut incertain des remplaçants.
La dimension du terrain permet des regroupements de masse et la simplicité de l'organisation
matérielle qui permet de jouer sur des terrains très divers, la simplicité des règles, sauf le
hors jeu qui donne lieu à toute une dramaturgie. Le foot a des atouts de spectacle théâtral et
une incertitude de résultat. Le choix du pied comme instrument augmente encore cette
incertitude car le joueur doit combiner adresse et puissance.
Plus généralement sur les significations du sport on peut dire que les auteurs montrent la
richesse des significations d'un sport, comme Mauss rappelait qu'un chasseur ne va pas à la
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chasse mais à la chasse au lièvre. Le projet d'une analyse d'ensemble des significations du
sport est donc écarté. On cherche surtout à comprendre comment un sport et un match en
particulier sont le théâtre d'identifications, de symbolisations, de ritualisations. Le foot est le
foyer virtuel d'une gamme de possibilités d'identification qui se modulent selon les
spectateurs.
Plus largement, deux exemples d'analyses culturelles peuvent encore être présentés ici :
. le rapport au corps et l'expérience du sport chez le sportif de compétition
. les manières de pratiquer et leurs significations sociales
2 Rapport au corps et expérience du sport :
Au début du siècle, les modèles de masculinité se durcissent, avec le lancement du
mouvement scout, une éducation des jeunes hommes entre eux. Dans le même temps, le
sport scolaire se diffuse comme mode d'affirmation d'une masculinité anti-intellectuelle.
Dans ce processus d'institutionnalisation, le sport se voit attribuer un caractère sexué. Faire
du sport dans le sens commun sera masculin comme lire un livre sera féminin.
Progressivement de nouveaux signes de masculinité s'établissent détachant les hommes des
formes de présentation de soi assez précieuses qui prévalaient à la Cour d'Angleterre. La
croyance en une gymnastique virile façonnant les corps et les âmes masculines se renforce
jusque dans les années 1960.
La question pour nous est de savoir si un engagement intensif dans la compétition et de
façon durable engage dans un rapport particulier au corps. Yonnet propose un modèle de
rapport à la compétition qui laisse entrevoir à quel point le rapport au corps se trouve
modifié par le rapport au sport.
Les sportifs font l'expérience d'un ensemble de préparations de précautions, ils vivent une
gamme de sensations partagées par tous ceux qui tirent le maximum de leurs muscles, sont
au contact physique avec les autres. Des symboles sont largement partagés (le club, le
maillot, les vestiaires, l'équipe, le lieu de compétition. Des valeurs et des expériences
communes sont vécues, comme l'entraînement, la préparation psychologique, la tactique, le
sens du jeu, l'agressivité, le plaisir de la victoire, etc.
Une étude de Michael Messner aux Etats Unis interroge trente hommes sportifs de haut
niveau en foot américain, basket baseball et athlétisme. (1992).
Il analyse comment se construit le rapport au corps et l'identification au genre masculin dans
la société américaine. Dans un moment d'insécurité pour les hommes blancs hétérosexuels,
(montée du féminisme, des minorités ethniques, du mouvement homosexuel aux états unis).
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C'est ainsi qu'en 1971, le sport universitaire masculin des Etats unis compte douze garçons
pour une fille, écart nettement supérieur au monde européen où le rapport est de deux
garçons pour une fille.
C'est dans un contexte de tradition du sport viril que l'entrée des femmes se fera par les luttes
féministes. Messner dans ce contexte de lutte montre comment le climat de compétition et la
hiérarchie des sélections, ajoutées à l'intolérance extrême du monde sportif à l'homosexualité
incitent à refouler toute forme de manifestation émotionnelle envers les coéquipiers tout en
restant éloigné des filles.
Duret (2004) montre en quoi le corps est engagé dans la construction du genre. Devenir un
homme ou une femme ne s’envisage pas seulement sous l’angle biologique. C’est une
construction sociale. Des modèles univoques ont longtemps été des repères incontournables
de la construction des identités de genre. Ces modèles ont aujourd’hui perdu de leur force et
ont conduit à des troubles identitaires dans la mesure ou des normes nombreuses et
contradictoires sont en vigueur. La culture moderne laisse cohabiter des modèles célébrant
l’androgynie et l’effémination ou la virilité triomphante et rend l’identification difficile. Sur
ce constat Duret a réalisé une étude sur les représentations de la virilité tant chez les garçons
que chez les filles. Il est apparu que les repères des filles sont plus diversifiés (10 premiers
critères cités représentent 68% de leurs réponses contre 98% de celles des garçons). Pour
eux, le muscle, la masse et la force représentent 44% des réponses. Des nuances de classe
sociale sont également, pour les plus défavorisés se muscler étant destiné à faire peur, pour
les plus favorisés il s’agit de charmer et séduire.
La pratique du sport est alors perçue comme un moyen de s'affirmer auprès de ses pairs
durant l'adolescence. L'attrait du succès est irrésistible, même s'il est fortement improbable.
Les jeunes qui entrent dans ce système de compétition y connaissent l'insécurité structurelle
due à la sélection permanente.
Cette ambiance conduit à valoriser un rapport instrumental au corps.
Un rapport instrumental au corps sportif
Placé en position d'instrument, le corps doit rendre, il doit répondre aux sollicitations, contre
les douleurs physiques et les émotions ressenties comme des nuisances. Certains voient dans
leur corps une entité capable de les trahir comme d'accomplir des prodiges. Il peut aussi être
assimilé à une arme dans les sports d'affrontement. Tant que la violence reste dans les
limites des règles et non induite par la haine, elle n'est pas assimilée à une violence. Il existe
une moralité contextuelle des sportifs (Bredemeier et Shields)
La réification de la règle libère alors les joueurs de la responsabilité d'accomplir des choix
moraux tant qu'ils se maintiennent dans les règles.
Dans ces conditions, les athlètes de haut niveau passent leur temps à souffrir de blessures et
douleurs en tous genres, alors qu'ils passent pour des modèles d'excellence. Jouer même en
cas de douleur, entraîne vers le recours aux calmants et autres rituels pour calmer la douleur,
aux frontières du dopage.
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Au terme d'une carrière sportive, les sportifs sont souvent dans un rapport trouble avec leur
corps et se retrouvent parfois abîmés, plus souvent les hommes que les femmes.
Certains auteurs comme Jacques Personne vont jusqu'à mettre en cause le sport compétitif
comme menant nécessairement à une forme d'exploitation du corps.
Aussi l'ethnographie des relations des sportifs à leur corps travaille sur la mise en évidence
de modèles culturels dans les situations d'inculcation de schèmes moteurs et posturaux. On
voit ainsi des travaux mettant en évidence des modèles de classe de cultures corporelles,
modelées par l'entraînement (Wacquant, 1989, la boxe, Pociello ou Sansot sur le Rugby,
Bruant sur l'athlétisme).
Les manières de pratiquer et leur signification sociale
Il s'agit dans ce domaine de montrer comment dans un même sport coexistent différentes
manières de pratiquer qui s'accompagnent de façons d'apprécier la pratique et d'interpréter sa
signification. On est alors dans la sociologie différentielle (Le Pogam, Bourdieu, etc)
L'espace des sports présente ainsi une grande variété d'activités, de styles de pratique et de
significations. Mais chaque sport en soi est aussi objet de clivages et comprend divers
microcosmes entre des modalités de pratique. Par ex le Canoe-kayak divise ses pratiquants
entre compétiteurs (aller vite et franchir des obstacles) et touristes (qui privilégient le
parcours). Les premiers ont une vision plus sportive que les seconds qui sont pourtant les
créateurs de la discipline. On peut aussi parler des pratiques en eau vive et celles sur plan
d'eau. (Lapierre 1981)
On peut citer bien d'autres exemples en équitation, etc. Chaque modalité sollicite des
capacités ou des dispositions particulières et demande davantage d'engagement face au
risque, plus d'énergie ou d'équilibre, d'endurance ou de sens tactique, etc... Les pratiquants
se côtoient se comparent et se distinguent au sein d'un même club, par des oppositions de
style. La culture sportive sert alors de loupe pour constituer en signes distinctifs les plus
petites différences de pratiques.
Bibliographie d’appui du cours :
Arnaud P, Le militaire, l'écolier, le gymnaste. Naissance de l'éducation physique en France.
1869-1889, Presses universitaires de Lyon, 1986.
Bouet, M., La signification du sport, Ed Universitaires, Paris, 1968.
Caillois R., Les jeux et les hommes, Paris, Gallimard, 1958.
CREDOC. Betbeze JP, Maffre J., Lahou S., Matériaux pour une analyse du phénomène
sportif", collection des rapports du Crédoc n° 21,Paris, 1987.
Defrance J, Sociologie du sport, Repères, Ed La découverte, n° 164, 1995.
Duret, sociologie du sport, N° 506, petite bibliothèque Payot, 2004.
13
Elias N., Dunning E., Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Ed Fayard, 1995.
Gay Lescot J.L., Sport et éducation sous Vichy (1940-44) Presses universitaires de Lyon,
Lyon, 1991.
Magnane, Sociologie du sport, Gallimard, NRF, Paris, 1964.
Parlebas P. Eléments de sociologie du sport, PUF, Paris, 1986,
Pociello C., Le rugby ou la guerre des styles, Métaillié, Paris, 1983.
Yonnet P., Huit leçons sur le sport, Bibliothèque des sciences humaines, NRF, Ed.
Gallimard, Paris, 2004
Sansot P., Le rugby est une fête, le tennis non plus, Petite bibliothèque Payot, n° 420, Paris,
2002.
Documents travaillés en TD
Duret, sociologie du sport, N° 506, petite bibliothèque Payot, 2004, Pages 16 à 20 et 27 à
34.
Yonnet P., Huit leçons sur le sport, Bibliothèque des sciences humaines, NRF, Ed.
Gallimard, Paris, 2004, Pages 152 à 159.
Yonnet P., Huit leçons sur le sport, Bibliothèque des sciences humaines, NRF, Ed.
Gallimard, Paris, 2004, pages 62 à 78.
Duret, sociologie du sport, N° 506, petite bibliothèque Payot, 2004, pages 257 à 266.
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