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ue le yuan soit sous-évalué semble faire la quasi-unanimité
dans les milieux académiques et économiques, comme en
témoigne l’omniprésence des termes « sous-évaluation » ou
« réévaluation » apposés à la Chine dans les journaux économiques
(graphique 1). De nombreux travaux ont cherché à évaluer l’ampleur
de la sous-évaluation en utilisant différents modèles 1; la plupart
concluent à une sous-évaluation de l’ordre de 15 à 30 %. Pourtant, la
Chine ne semble guère souffrir de ce désajustement: sa croissance est
vigoureuse, son solde extérieur excédentaire, son inflation reste
modérée.
Il est donc nécessaire d’approfondir la notion de sous-évaluation et
de définir précisément le taux de change d’équilibre par rapport auquel
on la mesure. Certains auteurs font référence à une norme (la parité
des pouvoirs d’achat), mais celle-ci ne s’applique pas à des pays de
niveaux de développement différents. D’autres voient la preuve de la
sous-évaluation du yuan dans le déficit courant américain ou dans la
persistance du chômage de masse en Europe continentale. Ces déséqui-
libres mondiaux seraient causés par la politique de la Banque Populaire
de Chine (BPC), qui maintiendrait artificiellement le taux de change du
renminbi à un trop bas niveau. Mais, dans un système monétaire inter-
national qui fonctionne sans règles de bonne conduite, la stratégie de
change de chaque pays ne peut être jugée que du point de vue de ses
propres intérêts. Qui peut soutenir que la Fed tient compte des intérêts
de l’Europe pour définir sa stratégie de change? La stratégie de change
de la Chine ne peut donc être jugée que du point de vue de sa stratégie
de croissance. Or, celle-ci apparaît comme un succès éclatant, de sorte
que l’observateur impartial est plutôt tenté de mettre en cause la
politique économique de la zone euro en ce qui concerne son chômage,
ou des États-Unis en ce qui concerne leur déficit courant.
Certains économistes (en particulier les économistes américains de
l’Institute for International Economics: Goldstein, 2004, 2005 ; Goldstein
et Lardy, 2003, 2005 ; Williamson, 2004 ; Bergsten, 2006 ; mais aussi
Frankel, 2004) demandent à la Chine de réévaluer son taux de change
de 15 à 40 %, ce qui permettrait de réévaluer l’ensemble des devises
asiatiques et donc de diminuer les déséquilibres mondiaux. Ils approuvent
le Parlement américain qui menace la Chine de sanctions commerciales
si elle ne réévalue pas significativement. D’autres (McKinnon, 2004,
2005; Bosworth, 2004; Dooley et alii, 2004; Aglietta, 2005) estiment
au contraire que la Chine ne doit pas céder aux pressions américaines
qui risqueraient de briser sa croissance et de l’entraîner dans une crise
similaire à celle qu’a connu le Japon après son Endaka.
Antoine Bouveret, Sana Mestiri et Henri Sterdyniak
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Revue de l’OFCE 9988
1. Voir par exemple: Jeong et Mazier (2003), Bénassy-Quéré et al. (2004), Wang (2004),
Frunke et Rahn (2004), Coudert et Couharde (2005), Dunaway et Li (2005) et Frankel (2005).