épisode 4 – Des canyons aux étoiles de Messiaen Orchestre Poitou

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Chroniques par bertrand bolognesi
épisode 4 – Des canyons aux étoiles de Messiaen
Orchestre Poitou-Charente, Jean-François Heisser
Festival Berlioz / Château Louis XI, La Côte-Saint-André
- 24 août 2014

concert
© francois lochon
Quarante ans… C’est l’âge de cette vaste fresque pour piano solo, cor, xylorimba, glockenspiel et
orchestre d’Olivier Messiaen, créée à l’automne 1974 à New York. Berlioz en Amérique se poursuit donc
brillamment via cet autre compositeur du pays, Festival Berlioz et Festival Messiaenfaisant bon ménage
à quelques virages l’un de l’autre. C’est l’occasion de féliciter l’Agence Iséroise de Diffusion Artistique
(AIDA), présidée par Pascal Payen (Vice-président du Conseil général, en charge de la culture et du
patrimoine) et dirigée par Bruno Messina (ethnomusicologue et « patron » du festival de La-Côte-SaintAndré), à laquelle vient d’être confiée la responsabilité artistique de la Maison Messiaen.
Après un séjour dans le grand Ouest nord-américain dont il visite les impressionnants déserts
colorés de l’Utah, Messiaen se lance dans l’écriture de douze mouvements – dont certains ne convoquent
que le piano, l’un de ses deux instruments fétiche (l’autre étant l’orgue, bien sûr) –, regroupés en trois
parties qui, à la manière particulière de l’ornithologue éclairé mais fort imaginatif qu’il fut, constituentDes
canyons aux étoiles.
Contrairement à son accompagnement assez pénible du récital de Nicolas Dautricourt (violon),
avant-hier, qui accusait une brutalité plus que mal venue dans les opus romantiques de Chausson,
Canteloube, Franck et Ysaÿe, Jean-Frédéric Neuburger s’avère plutôt dans son élément avec cette
œuvre de grand espace, déployant des forces percussives et des masses orchestrales généreuses, de
surcroit donnée en plein air. Plus encore, on apprécie la fermeté de sa frappe comme le lyrisme avec
lequel il en porte certains moments des plus nuancés, bien que le travail de la couleur, si cher au
compositeur dauphinois, ne soit guère sa préoccupation majeure. Dès l’abord Takenori Nemoto brille
dans des parties de cor solo à l’élan olympien par le soin extrême apporté à la dynamique, plus tard par
la fiabilité de son rendu des effets et d’un bout à l’autre par l’autorité de l’impact, somptueux.
Depuis longtemps nous n’avions entendu l’Orchestre Poitou-Charentes. Ce concert en révèle le
progrès considérable, magnifié par Jean-François Heisser, d’une rigoureuse précision – avec la profusion
rythmique de l’œuvre, il en faut plus qu’ailleurs. Excellent musicien, le chef (et pianiste) engage une
interprétation prudente qui ne fait point hurler inconsidérément ses pupitres et ménage les moires de
timbres requises, comme cette secrète gelure de cordes tellement propre à Messiaen. On goute les
appels célestes en caresses de flûtes et de violoncelles, la succession de séquences méditatives et de
passages vivement tendus, mais encore le chant des cuivres, irréprochables. On retrouve Daniel
Ciampolini, soliste de l’Ensemble Intercontemporain, dans la partie de xylorimba, et Florent Jodelet,
percussionniste solo de l’Orchestre national de France, dans celle de glockenspiel.
Sous les étoiles côtoises, ses canyons-là plus que jamais annoncent les grandes pages de la fin ;
on pense naturellement à Éclairs sur l’au-delà… Un seul regret : que le public soit venu moins nombreux
qu’aux soirées précédentes. La musique de Messiaen lui ferait-elle encore un peu peur ? Ne soyez pas
timides, mélomanes, voyons !
BB
Chroniques par bertrand bolognesi
épisode 5 – Berlioz, Guarnieri et Villa-Lobos
Cláudio Cruz dirige l’Orquestra Jovem do Estado de São Paulo
Festival Berlioz / Château Louis XI, La Côte-Saint-André
- 26 août 2014

concert
© delphine warin | festival berlioz
Depuis son ouverture jeudi dernier, le Festival Berlioz n’a pas encore donné intégralement une seule
œuvre du compositeur de La-Côte-Saint-André. C’est donc à une sorte de mini réouverture, en quelques
sortes, que nous assistons, puisqu’en la cour du Château Louis XI retentiront ce soir les cinq
mouvements de la Symphonique fantastique, composée en février-mars 1830, en pleine bataille
d’Hernani.
Pour ce faire, Bruno Messina a imaginé d’inviter l’Orquestra Jovem do Estado de São Paulo dont ce
sera la troisième présence sur le sol européen. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une phalange de
jeunes instrumentistes brésiliens qui, par l’exercice du concert, sont en voie de professionnalisation.
Nous les entendrons, pour commencer, dans Abertura concertante, écrite en 1942 par Mozart Camargo
Guarnieri (1907-1993), musicien brésilien qui fut élève de notre Charles Koechlin. Si l’on connaît encore
mal sa musique par chez nous, Guarnieri est considéré ailleurs comme l’autre grand compositeur du
pays, après Villa-Lobos, son aîné de vingt ans. Dans la lignée d’un Ginastera, son contemporain argentin,
il nous plonge d’emblée dans un tonique jazz latino rehaussé par les flûtes de son pays, avec cette
Ouverture que nous entendions il y a quelques années sous la battue de John Neschling [lire notre
chronique du 29 mars 2007], idéale pour laisser goûter la qualité des vents de cet orchestre. Sur la
section médiane, la suavité des cordes convainc, ni sucrée ni sensuelle, mais exquisément fruitée.
Notons également la prégnance d’un solo de basson fort joliment ciselé. Le très impulsif motif de départ
revient en conclusion, selon le modèle de la sinfonia baroque, au fond. Déjà l’on sait être en présence
d’une équipe de jeunes gens à l’enthousiasme compétent.
Dédié au politicien Gustavo Capanema, alors ministre de l’éducation, Bachianas Brasileiras n°7, fut
également écrit en 1942, par Heitor Villa-Lobos. À la fois fluide et secrète, l’exécution soignée de
son Prelúdio séduit dans les premiers pas, puis transmet bientôt une mélancolie intense, sculptée dans
la masse orchestrale par Cláudio Cruz. Après un départ fugato, la remarquable effervescence de
la Giga superpose avec une étonnante virtuosité les principes de l’ostinato et de la fugue, pourtant
estimés contraires. À une Tocata dont les riches alliages timbriques surprennent, la Fuga proprement
dite brille par la dynamique générale, malgré des unissons de violoncelles parfois précaires. Avec son
fou déploiement de caisses, la résolution finale emporte les gradins !
Saluerons-nous
jamais
assez
la
belle
cohérence
de
la
programmation
?
Outre de tisser sa thématique au fil de chaque concert, du soir comme de l’après-midi, le festival fait
halte ici et là, sous le balcon, selon sa formule consacrée, avec des musiques du Nouveau Monde. Et
n’est-il pas fantastique, enfin, de pouvoir entendre la Fantastique par ces musiciens de demain, venus
de si loin pour nous la jouer ?
Le premier mouvement impose des cordes nettement plus « enveloppées » qu’on en a pris
l’habitude, et c’est fort bien ainsi : un relief nouveau dessine soudain une interprétation formidablement
généreuse. La lecture en est leste, avec fort peu de rubato. Enlevé, Le bal est traversé d’une verve
virevoltante à souhait qui ne déroge pas à l’intensité constatée plus avant. La fraîcheur du fameux
dialogue de cor anglais et de hautbois aus der Ferne intrigue juste ce qu’il faut la pastorale suivante,
avant une Marche au supplice souterrainement effrayante, inexorable, dont les cuivres brillent «
méchamment » de beaucoup de détails que pourtant bien des interprétations se contentent de glisser
sous le tapis – bravo ! Que supplicié se disputent avec tant de géniale irrévérence les sorcières de
l’ultime épisode ? Sombre et presque « sale », ce Songe d’une nuit de sabbat ricane âprement son Dies
Irae, peut-être dérisoire. L’an dernier, l’on fondit ici-même deux cloches spécialement destinées à jouer
l’œuvre phare de Berlioz : nous en mesurons alors l’impact extraordinaire. Cette aura campanaire
invente un ciel virtuel au-dessus de l’orchestre, au-dessus du public, par-delà la ville elle-même.
BB
Chroniques par bertrand bolognesi épisode 6 – récital Hervé Billaut
œuvres de Castérède, Crumb, Gershwin et MacDowell
Festival Berlioz / Église, La Côte-Saint-André
- 27 août 2014
Après son interprétation magistrale du Concerto pour piano et orchestre en ré mineur Op.23
n°2 d’Edward MacDowell [lire notre chronique du 23 août 2014], nous retrouvons avec grand plaisir
Hervé Billaut dans un récital nord-américain, à l’heure du goûter. Et plutôt que d’enchaîner les quatre
œuvres qu’il a inscrites à son programme, l’artiste prend la peine d’en présenter succinctement le
contenu au public, avec autant de clarté que d’enthousiasme.
Ce moment privilégié est ouvert par Fireside tales Op.61 (Contes au coin du feu, 1902) du
romantique étatsunien, six pièces brèves traversées d’ambiances diverses. Nous entendons d’abord une
gentille romance sentimentale, à situer quelque part entre Schumann et Grieg, pour laquelle Billaut
ménage une charmante onctuosité. Succède à cette Old love story le facétieux lapin d’Of Br’er Rabbit –
selon le pianiste, il faut comprendre Frère Lapin (br’er pour brother), personnage bien connu des enfants
anglo-saxons. Moins illustratif et plus poétique, From a german forest marie un choral central
mendelssohnien à des couleurs nettement symbolistes, proche de Debussy. D’une autre étrangeté
s’avère Of salamanders, sorte de molle virevolte inquiétante qui elle aussi fleure son Grieg. On cherchera
dans les dernières pages du vieux Liszt la gravité introductive d’A haunted house, sans toutefois la
même audace harmonique ni de comparable profondeur de ton ; en revanche, comme dans le concerto
de samedi, les effets campanaires de Rachmaninov sont bien là. Plus anecdotique se révèle pour finir By
smouldering embers, sorte de song « inoffensive », pour ainsi dire.
Après Des canyons aux étoiles [lire notre chronique du 24 août 2014], il ne semble certes pas
incongru de jouer la musique d’aujourd’hui au Festival Berlioz. Avançons donc vers cet «univers
galactique plutôt que religieux » (selon Hervé Billaut, toujours) de George Crumb, avecA little suite for
Christmas, A.D. 1979 (1980). Avant de l’interpréter, le pianiste fait entendre quelques exemples des
effets particuliers qu’elle convoque – harmoniques, pizz’, sons « matifiés », glissando harpistique, etc.
–, faisant même sonner un choral du XVIe siècle, Coventry Carol, cité par le compositeur dans le sixième
mouvement de cette suite. Un curieux oiseau lorgne vers Messiaen dans The Visitation, suivi du
mystérieux chantonnement bouche fermée, quasiment incantatoire, de la tendre Berceuse for the Infant
Jesus. Les bergers de The shepherd's Noëlsont assurément dans les étoiles, avec ces différents jeux sur
les cordes, proprement célestes ! Une scansion héritée d’Antheil domine Adoration of the Magi, quand
des sonorités d’épinette, de luth, mais encore de Glaßharmonica magnifient la superbe Nativity Dance.
Après l’apaisantCanticle of the Holy Nights, le musicien conclut par Carol of the bells qui, dans une aura
presque asiatique soutenue de déflagrations sourdant des très-fonds (volcaniques ?...), reprend le chant
d’oiseau des premiers pas.
Sans en surenchérir jamais le côté un brin « racoleur », Hervé Billaut livre une interprétation
fièrement orchestrale de Rhapsody in blue de George Gershwin, ornant l’austère pierre de l’église de
La-Côte-Saint-André de rythmes qu’on n’y aurait sans doute point attendus. Ce récital s’achève avec
une œuvre de l’iconoclaste Jacques Castérède, disparu ce printemps.
BB
Chroniques par bertrand bolognesi
épisode 7 – Orchestre des Pays de Savoie
Nicolas Chalvin joue Bernstein, Copland, Milhaud et Ravel
Festival Berlioz / Château Louis XI, La Côte-Saint-André
- 27 août 2014

concert
Convié dès le concert d’ouverture de ceFestival Berlioz 2014, l’Orchestre des Pays de Savoie
retrouve la cour du Château Louis XI où servir un programme américain, sous la battue de son chef
titulaire Nicolas Chalvin et en compagnie de deux solistes – voilà qui poursuit en parfaite cohérence
l’illustration de la présente édition et s’inscrit assez idéalement en résonnance avec le récital d’Hervé
Billaut [lire notre chronique du jour].
La soirée débute par Quiet City, une page d’une dizaine de minutes composée par Aaron Copland
en 1940 pour la pièce éponyme du dramaturge Irwin Shaw (1913-1984), créée un an plus tôt à New
York. À partir de l’original pour trompette, saxophone alto, clarinette, clarinette basse et piano, Copland
conçut ensuite cette méditation pour trompette, cor anglais et cordes, créée sous la direction de Daniel
Saidenberg en janvier 1941. Nous en goûtons une exécution soignée qui ne se départit jamais de
l’énigmatique douceur initiale, dont séduit l’amble évident de Christian Léger à la trompette, dans
un MP de grande délicatesse, et fascine le jeu de relais avec le cor anglais d’Hugues Lachaize. Le
raffinement de la couleur instrumentale solistique convainc aisément, sur des cordes savoyardes au
souffle altier.
C’est durant les années cinquante que Leonard Bernstein semble avoir été sinon le plus
heureusement inspiré du moins le plus productif. Ainsi composa-t-il sa Serenade pour violon, harpe,
percussion et cordes quelques mois après Trouble in Tahiti [lire notre critique du CD] etWonderful
town [lire notre critique du DVD]. Il l’articule selon Le banquet de Platon et la dédie à son maître Sergueï
Koussevitski, disparu en juin 1951. Passons vite sur ce moment assez faible du concert, tant par l’œuvre
présentée que par la piètre prestation solistique ici livrée. On tirera nettement plus de plaisir à écouter
le fameux Bœuf sur le toit Op.58 de Darius Milhaud (1920) dont Nicolas Chalvin ne force pas le trait
tout en entrant vaillamment dans sa fantaisie. Voilà qui avive le souvenir de la soirée brésilienne d’avanthier [lire notre chronique du 26 août 2014] ! Saluons la fort gracieuse intervention de Camille Joutard,
hautbois solo… et déplorons qu’un imbécile endimanché se croit malin à taper du talon comme un lapin
en rut sur le gradin métallique – ô campagne, chère campagne !
Pour les cinquante ans de son Boston Symphony Orchestra, Koussevitski passait commande à trois
musiciens ; Paul Hindemith livre Konzertmusik pour cuivres et cordes Op.50, Igor Stravinski
sa Symphonie de psaumes dont Bruxelles aurait finalement la primeur, quand Paris aura celle
du Concerto pour piano en sol majeur de Maurice Ravel (1932). L’excellent Roger Muraro en cisèle
l’Allegramente dans l’opposition savante de fragmentations relativement sèches et d’une caressante
opulence du son. Dans une dynamique raffinée, le phrasé est proprement somptueux ! Après ce
véritable arrêt sur image du trait de harpe, le grand solo très orchestral oscille entre une percussivité
impitoyablement efficace, quoique jamais brutale, et un dessin souverainement lyrique. Sans aléas
de tempo, le pianiste distille l’Adagio médian avec une tendresse discrète qui absorbe l’écoute – grâce
absolue de cet « étrangissime » objet musical dont le geste, rehaussé de traits de clarinette et de flûte
impeccable, hésite entre valse et pavane. Le Presto conclusif s’orne d’une pédalisation choisie et d’un
superbe travail de répons où Roger Muraro imite comme aucun les timbres qu’on vient d’entendre (flûte,
basson, entre autre), en parfaite connivence. Simplement magistral !
Saluant le bel enthousiasme de l’auditoire, Nicolas Chalvin et l’Orchestre des Pays de Savoie offrent
un Now I lay me down to weepde velours (Glenn Miller, 1935) élevé par Nathalie Geoffray-Canavesio
(premier violon) dans un chant idéalement glamour. Une très belle soirée !
BB
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