Introduction
Pertinence de l’approche en termes de chaîne de valeur
L’ouverture à la concurrence et la privatisation des entreprises énergétiques
représentent pour elles une véritable révolution. En effet, elles se sont jusqu’à présent
contentées de « bien faire leur métier » : pilotées directement ou indirectement par les
gouvernements, leur objectif était de pourvoir aux besoins des populations, c’est-à-
dire de fournir une énergie abondante et, dans le cas de la France, de contribuer à
l’indépendance énergétique et à la satisfaction sans discrimination des besoins des
citoyens, dans le cadre des missions de service public. Les mutations actuelles
touchent donc à la fois à la propriété des firmes, à leur structure interne, à leurs
fonctions, à la réglementation à laquelle elles sont soumises, aux relations
commerciales, aux modes de management, etc. Désormais, l’objectif est d’être
rentable : les revenus ne sont plus assurés, les positions concurrentielles sont remises
en question. Un ensemble de marchés peuvent apparaître le long des filières sur
lesquels les firmes se doivent d’être compétitives : c’est une question de survie à long
terme. Ainsi, pour les entreprises, ce sont à la fois les métiers, les structures
organisationnelles et les relations avec l’extérieur qui sont remis en cause.
Rendre compte de manière synthétique de ces phénomènes croisés demande donc
l’utilisation d’un concept opérationnel à la fois général et précis. Les entreprises ont
aujourd’hui une approche multisectorielle des marchés, afin de profiter d’éventuelles
synergies entre secteurs d’activité connexes, et les évolutions qui touchent à leur
organisation doivent être prises en compte. C’est pourquoi nos travaux s’appuient
sur le concept de chaîne de valeur. Avant tout utilisée par les gestionnaires, la chaîne
de valeur est pratiquement absente de la science économique, peut-être en raison des
difficultés conceptuelles soulevées (le débat sur la valeur a en effet mobilisé des
générations d’économistes), et de son application privilégiée : l’analyse
opérationnelle de la position concurrentielle des firmes.
M. Porter (1986, p.49) définit la chaîne de valeur comme la décomposition de « la
firme en activité pertinentes au plan de la stratégie ». Il s’agit donc d’un concept centré
sur la firme, qui s’insère dans ce que Porter appelle le système de la valeur qui
comprend l’ensemble des chaînes de valeur des entreprises situées en amont et en
aval le long de la filière de production d’un bien ou d’un service (fournisseurs,
distributeurs, etc.). Selon les activités de la firme, la chaîne de valeur globale peut
être décomposée en chaînes de valeur des unités de production. Le concept est donc
à géométrie variable au sein des entreprises. Cette approche est utilisée notamment
pour étudier les performances des firmes par l’évaluation de la « valeur totale ».
Porter (1986, p.54) mesure la valeur par « les recettes totales qui reflètent le prix qu’une
firme peut obtenir pour son produit et le nombre d’unités qu’elle peut vendre ». Pour un
bien, la valeur créée correspond donc au prix de vente ; elle se distingue de la valeur
ajoutée qui correspond à la différence entre le prix de vente et le coût d’achat des
matières premières.
La chaîne de valeur est un concept de plus en plus repris en économie industrielle.
J.-M. Chevalier (2000), la définit « comme une séquence organisationnelle qui, en partant
de la valeur initiale des matières premières (ou de produits immatériels comme le savoir),
ajoute de la valeur au cours de différentes étapes de transformation, fabrication, transport,
stockage, mise à disposition pour aboutir finalement à la vente d’un produit ». Comme le
souligne P.-J. Benghozi (2001), ce concept se situe au confluent de l’économie
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