Psychologie
Le nocebo,
c’est pasbeau
Ce phénomène, peu connu, se situe à l’opposé du fameux eet
placebo. Il consiste en une aggravation de symptômes qui
serait due à un excès d’informations, voire à une attitude
alarmiste du corps médical.
Texte: Laurent Nicolet
L’eet nocebo, ce n’est pas le titre d’un
mauvais polar. Juste un drôle de phé-
nomène. L’eet placebo inversé. Le
placebo, tout le monde connaît: un
cachet ne contenant que de l’eau et du sucre
sera capable de soulager et d’atténuer la dou-
leur si l’on croit qu’il s’agit d’un véritable mé-
dicament. C’est l’illusion qui sauve.
Avec le nocebo, au contraire, c’est le
savoir qui tue. Diérents tests ont montré
que plus on en savait sur une maladie dont
on est atteint, plus on en sourait.
Apprendre, ainsi, que l’on vient de manger
une nourriture avariée pourra vous faire
aussitôt vous sentir mal.
Tout cela évidemment est la faute du
cerveau. Toute information transmise inue
sur sa façon de gérer les fonctions du corps.
Un exemple souvent cité est celui des
habitants de Hong Kong: tant qu’ils n’en
avaient jamais entendu parler, ils ne
souraient pas d’anorexie, une maladie
d’Occidentaux. Dès que le phénomène est
devenu bien connu chez eux, via les médias,
les anorexiques se sont mis à pulluler.
Il a été également observé que les patients
devant se soumettre à des chimiothérapies
et redoutant les nausées subissaient cet eet
secondaire plus souvent que ceux qui ne le
craignaient pas.
C’est au point que, selon certains cher-
cheurs, mieux vaudrait ne pas lire la liste des
eets indésirables sur la notice d’un médica-
ment: en avoir connaissance serait le meil-
leur moyen de les développer chez soi.
Comme poser des questions à son médecin
sur les complications éventuelles d’un trai-
tement serait un bon moyen de les faire ad-
venir. De la même manière que se croire car-
diaque augmenterait les risques d’infarctus.
Et que les pensées négatives seraient à cet
égard un risque aussi aggravant que l’hy-
pertension. Le psychiatre Patrick Lemoine,
auteur d’un livre aussi bien sur l’un que sur
l’autre, a montré que l’eet nocebo, comme
son contraire placebo, n’était pas qu’une
création du patient, mais que le médecin
pouvait également jouer un rôle dans le pro-
cessus. «On observe des eets nocebo quand
les rapports avec le patient sont mauvais, si
le médecin n’a pas d’attente ou qu’il ne croit
pas au médicament prescrit.»
L’eet nocebo comme l’eet placebo ne
découlent pourtant pas que du fantasme et
de l’autosuggestion, comme l’ont montré en
2012 les travaux de chercheurs allemands.
De la même façon que la sécrétion de
dopamine et d’endorphines augmente par
eetplacebo, elle diminue par eet nocebo,
provoquant dans un cas une diminution de
la sensation de douleur et son augmentation
dans l’autre.
Les conclusions de ces mêmes chercheurs
ont été de suggérer que le corps médical soit
mieux formé à communiquer avec les
patients, notamment dans l’emploi de
formulations positives plutôt qu’alarmantes.
«La conviction du médecin de l’intérêt
d’un traitement va emporter celle du
patient et l’on estime qu’elle compte pour
un tiers du résultat thérapeutique»,
conrme Patrick Lemoine.
La neurologue Ulrike Bingel propose, elle,
d’améliorer les notices d’instruction pour les
médicaments et notamment «d’équilibrer la
présentation des eets secondaires et des
eets positifs attendus».
C’est ainsi, selon un autre thérapeute, le
professeur Jean-François Bergman, que
«l’information dédramatisante au patient,
l’accompagnement, l’empathie» vont dimi-
nuer l’eet potentiellement nuisible d’un
médicament ou d’un traitement. A l’inverse,
«l’inquiétude des soignants ou du malade et
l’absence d’information augmentent les
eets indésirables». MM
Les médias,un
poison?
Dans sonlivre(«Le
mystère du nocebo»,
Ed. Odile Jacob) consa-
cré au phénomène, Pa-
trick Lemoine applique
également le principe du
nocebo au surcroît d’in-
formations négatives
distillées dans les mé-
dias. Au sens très large –
presse écrite, télévision,
internet, radio, cinéma,
mais aussi «le curé en
chaire, le professeur en
classe, le juge au pré-
toire, le politique en
campagne électorale».
De la même manière
que le discoursnégatif
d’un médecin pourra
avoir des inuences
négatives sur un
traitement ou un
médicament administré,
les discours anxiogènes
dont on nous rebat les
oreilles agiraient comme
un poison lent.
Se pourrait-il qu’à
forced’être informé,
désinformé, martelé,
baladé, inquiété, stressé,
aolé, découragé,
désespéré, l’homme
moderne se prépare à
sombrer dans une sorte
de marasme anxieux
propice à l’éclosion
d’une kyrielle de
maladies modernes?
Commele stress,les
insomnies et la
dépressionne seraient
pourtant que la pointe
de l’iceberg. «Il ne faut
pas imaginer que l’eet
nocebo se cantonne à
ces seuls symptômes
psychologiques, on peut
observer son empreinte
sur les maladies
psychosomatiques
telles que l’ulcère à
l’estomac, l’eczéma, le
psoriasis, l’asthme. Ou
même organiques,
comme les cancers et
les infections.»
Photo: Getty Images/Henrik Sorensen
AU QUOTIDIEN |MM09,29.2.2016 | 93