92 | MM09, 29.2.2016 | AU QUOTIDIEN Le saviez-vous? I Jurez, c’est bon pour la santé Il y avait déjà le yoga ou la méditation de pleine conscience pour apprendre à observer notre humeur avec bienveillance. Bien. Si ce calme dégoulinant vous colle aux dents, il y a l’extrême inverse aussi. Tout envoyer balader! C’est du sérieux: la «Fuck it therapy», ou thérapie du «rien à foutre», a été inventée par un Anglais pas flegmatique, John Parkin. Il a mis au point une philosophie à déguster en livre, en stages, en retraites: vivez davantage, inquiétez-vous moins, selon le slogan. Le principe est simple: au lieu de vous répéter «je dois», «il faut», «lâcher prise», hurlez du fond du cœur à tout ce qui vous angoisse «Fuck it!» Montée d’adrénaline et transgression des interdits assurent un retour au calme. On le savait déjà: jurer, insulter les autres conducteurs, tout seul, bien sagement protégé par l’habitacle de sa voiture, ça fait du bien. La «Fuck it therapy» en reprend les vertus pour proposer des séances collectives. Rien de nouveau en fait: une équipe de chercheurs à l’Université de Keele, en Angleterre, dont fait partie le psychologue Richard Stevens, a démontré le bienfait des jurons pour soulager la douleur. Avec une expérience où des volontaires plongeaient la main dans un seau d’eau glacée. Ceux qui sortaient les plus gros mots tenaient le plus longtemps! L’effet anesthésiant est toutefois moindre pour ceux qui abusent déjà des insanités au quotidien. Isabelle Kottelat L’effet nocebo ou quand l’excès d’informations provoque des pathologies. AU QUOTIDIEN | MM09, 29.2.2016 | 93 Psychologie Le nocebo, c’est pas beau Ce phénomène, peu connu, se situe à l’opposé du fameux effet placebo. Il consiste en une aggravation de symptômes qui serait due à un excès d’informations, voire à une attitude alarmiste du corps médical. Texte: Laurent Nicolet Photo: Getty Images/Henrik Sorensen L ’effet nocebo, ce n’est pas le titre d’un mauvais polar. Juste un drôle de phénomène. L’effet placebo inversé. Le placebo, tout le monde connaît: un cachet ne contenant que de l’eau et du sucre sera capable de soulager et d’atténuer la douleur si l’on croit qu’il s’agit d’un véritable médicament. C’est l’illusion qui sauve. Avec le nocebo, au contraire, c’est le savoir qui tue. Différents tests ont montré que plus on en savait sur une maladie dont on est atteint, plus on en souffrait. Apprendre, ainsi, que l’on vient de manger une nourriture avariée pourra vous faire aussitôt vous sentir mal. Tout cela évidemment est la faute du cerveau. Toute information transmise influe sur sa façon de gérer les fonctions du corps. Un exemple souvent cité est celui des habitants de Hong Kong: tant qu’ils n’en avaient jamais entendu parler, ils ne souffraient pas d’anorexie, une maladie d’Occidentaux. Dès que le phénomène est devenu bien connu chez eux, via les médias, les anorexiques se sont mis à pulluler. Il a été également observé que les patients devant se soumettre à des chimiothérapies et redoutant les nausées subissaient cet effet secondaire plus souvent que ceux qui ne le craignaient pas. C’est au point que, selon certains chercheurs, mieux vaudrait ne pas lire la liste des effets indésirables sur la notice d’un médicament: en avoir connaissance serait le meilleur moyen de les développer chez soi. Comme poser des questions à son médecin sur les complications éventuelles d’un traitement serait un bon moyen de les faire advenir. De la même manière que se croire cardiaque augmenterait les risques d’infarctus. Et que les pensées négatives seraient à cet égard un risque aussi aggravant que l’hypertension. Le psychiatre Patrick Lemoine, auteur d’un livre aussi bien sur l’un que sur l’autre, a montré que l’effet nocebo, comme son contraire placebo, n’était pas qu’une création du patient, mais que le médecin pouvait également jouer un rôle dans le processus. «On observe des effets nocebo quand les rapports avec le patient sont mauvais, si le médecin n’a pas d’attente ou qu’il ne croit pas au médicament prescrit.» L’effet nocebo comme l’effet placebo ne découlent pourtant pas que du fantasme et de l’autosuggestion, comme l’ont montré en 2012 les travaux de chercheurs allemands. De la même façon que la sécrétion de dopamine et d’endorphines augmente par effet placebo, elle diminue par effet nocebo, provoquant dans un cas une diminution de la sensation de douleur et son augmentation dans l’autre. Les conclusions de ces mêmes chercheurs ont été de suggérer que le corps médical soit mieux formé à communiquer avec les patients, notamment dans l’emploi de formulations positives plutôt qu’alarmantes. «La conviction du médecin de l’intérêt d’un traitement va emporter celle du patient et l’on estime qu’elle compte pour un tiers du résultat thérapeutique», confirme Patrick Lemoine. La neurologue Ulrike Bingel propose, elle, d’améliorer les notices d’instruction pour les médicaments et notamment «d’équilibrer la présentation des effets secondaires et des effets positifs attendus». C’est ainsi, selon un autre thérapeute, le professeur Jean-François Bergman, que «l’information dédramatisante au patient, l’accompagnement, l’empathie» vont diminuer l’effet potentiellement nuisible d’un médicament ou d’un traitement. A l’inverse, «l’inquiétude des soignants ou du malade et l’absence d’information augmentent les effets indésirables». MM Les médias, un poison? Dans son livre («Le mystère du nocebo», Ed. Odile Jacob) consa- cré au phénomène, Patrick Lemoine applique également le principe du nocebo au surcroît d’informations négatives distillées dans les médias. Au sens très large – presse écrite, télévision, internet, radio, cinéma, mais aussi «le curé en chaire, le professeur en classe, le juge au prétoire, le politique en campagne électorale». De la même manière que le discours négatif d’un médecin pourra avoir des influences négatives sur un traitement ou un médicament administré, les discours anxiogènes dont on nous rebat les oreilles agiraient comme un poison lent. Se pourrait-il qu’à force d’être informé, désinformé, martelé, baladé, inquiété, stressé, affolé, découragé, désespéré, l’homme moderne se prépare à sombrer dans une sorte de marasme anxieux propice à l’éclosion d’une kyrielle de maladies modernes? Comme le stress, les insomnies et la dépression ne seraient pourtant que la pointe de l’iceberg. «Il ne faut pas imaginer que l’effet nocebo se cantonne à ces seuls symptômes psychologiques, on peut observer son empreinte sur les maladies psychosomatiques telles que l’ulcère à l’estomac, l’eczéma, le psoriasis, l’asthme. Ou même organiques, comme les cancers et les infections.»