Spectrométrie de masse à transformée de Fourier : notions de base et
quelques applications.
Ecole de Printemps SFSM – CJSM Mars 2003.
Guillaume van der Rest
Laboratoire des Mécanismes Réactionnels, CNRS UMR 7651
Ecole Polytechnique, Palaiseau.
1. Introduction
2. Bases de FT-ICR
2.1. Un peu de physique.
Une particule chargée animée d’une vitesse v
r
se déplaçant dans un champ magnétique uniforme
subit une force de Lorentz (Eq. 1). Cette force ne dépend que de la composante du vecteur vitesse
orthogonale au champ magnétique. Si on définit l’axe z parallèle au champ magnétique et vxy
r
la
projection du vecteur vitesse dans le plan xy, on obtient que quelle que soit la vitesse, la force
résultante est dans le plan xy et perpendiculaire à vxy
r
. En se restreignant à la projection dans le plan
xy, la résolution des équations du mouvement en considérant uniquement l’action du champ
magnétique conduit à déduire que la trajectoire de la charge est circulaire, autour d’un axe parallèle à
z. Un premier résultat important est que la vitesse angulaire ω de rotation autour de cet axe est
indépendante de la vitesse initiale (Eq. 2 et 3).
BvqF
r
r
r
= (1)
)/ z
eB
(mm
qB ==
ω
(2)
zm
B
c
/
10535611 7
×.1
2==
π
ω
ν
Hz (m/z en u.m.a.) (3)
Ce mouvement de rotation est appelé mouvement cyclotronique et sa fréquence ne dépend que du
champ magnétique et du rapport masse sur charge. On conçoit dès lors qu’une mesure de cette
fréquence de rotation permet une détermination du rapport m/z de l’espèce considérée. Pour donner
un ordre de grandeur, dans un champ magnétique de 7 T, cette fréquence vaut 1,1 MHz pour un ion
de m/z 100, 215 kHz pour un ion de m/z 500 et 54 kHz pour un ion de m/z 2000.
Bien que la fréquence soit indépendante de la vitesse initiale, le rayon de la trajectoire circulaire en
dépend. Les équations 4 et 5 permettent de relier rayon, vitesse et énergie cinétique.
qB
mv
rxy
= (4)
m
rBq
Ecin 2
222
= (5)
2.2. Piège de Penning.
Jusqu’ici seul le mouvement dans le plan xy a été considéré. En l’absence d’autres champs, la vitesse
suivant l’axe z reste constante et la trajectoire résultante est un mouvement hélicoïdal autour d’un
axe parallèle à z, qui se poursuivra indéfiniment. Pour construire un piège, une possibilité est de
« fermer » le mouvement suivant z par deux plaques de piégeage perpendiculaires à l’axe z portées à
un potentiel répulsif. La cellule ICR (que les physiciens appellent piège de Penning) est née et le
premier modèle est la cellule cubique (Figure 1).
Figure 1 : Cellule cubique simple.
S’il était possible d’appliquer un champ électrique homogène parallèle au champ magnétique avec
des plaques de longueurs infinies, le mouvement d’un ion serait hélicoïdal avec des oscillations
périodiques suivant l’axe z dans le puits de potentiel électrique. On obtient alors une seconde
fréquence, dite fréquence de piégeage νt (Eq. 6). On peut encore noter ici aussi que cette fréquence
ne dépend pas de l’énergie cinétique initiale des ions. Dans des conditions typiques (Vtrap 1 V ; B
7 T ; a : 6 cm), νT vaut 1650 Hz pour un ion de m/z 1000.
2
2
2
1
ma
qVtrap
T
α
π
ν
= (6)
(a : distance entre les plaques ; Vtrap : potentiel de piégeage ;
α : facteur géométrique [2.0 dans le cas harmonique infini])
Comme on ne peut pas être dans le cas idéal avec des plaques infinies, le champ électrique ne peut
pas être parallèle au champ magnétique et il y a donc également une composante radiale à ce champ
électrique. Cette composante radiale tend à entraîner les ions vers l’extérieur du piège, car au centre
du piège le champ électrique est minimal suivant l’axe z mais maximal dans le plan xy. Cette force
s’oppose donc à la force de Lorentz créée par le champ magnétique.
En conséquence il se superpose aux deux mouvements précédents un troisième mouvement de
déplacement des charges piégées lequel se traduit par un abaissement de la fréquence cyclotronique
et l’apparition d’une troisième fréquence propre des ions piégés, qui elle aussi est indépendante de la
vitesse initiale des ions (Equations 7 et 8, Figure 2).
222
2
2
T
cc
ν
νν
ν
+=
+ (Fréquence cyclotron réduite) (7)
222
2
2
T
cc
ν
νν
ν
=
(Fréquence magnétron) (8)
Aux basses masses ν+ νc, mais pour des masses plus élevées (ou des fréquences plus basses), il
existe une région pour laquelle cette approximation n’est plus valable. Ce point sera atteint d’autant
plus rapidement que le potentiel de piégeage est élevé, d’où l’intérêt d’utiliser un potentiel le plus
faible possible (typiquement 0.5 à 2 V) même si l’efficacité de piégeage en est amoindrie.
Figure 2 : Mouvement des ions piégés dans un piège de Penning cubique.
2.3. Mesure de la fréquence cyclotronique.
Une fois générés, la mesure directe de la fréquence cyclotronique des ions n’est pas possible. Ceux-
ci ont en effet été produits à des temps différents et avec des énergies cinétiques variables, ce qui se
traduit par une phase (position initiale sur l’orbite) et un rayon variables. Il sera donc nécessaire de
faire passer la population d’ions de même m/z d’un mouvement d’ensemble incohérent à un
mouvement d’ensemble cohérent i.e. sur une même orbite et avec une même phase. Comme nous le
verrons, une procédure d’excitation-détection permet de résoudre ce problème.
Figure 3 : Les différentes étapes menant à la mesure de masse.
2.3.1. Etat initial
Nous supposerons ici que les ions ont pu être produits et piégés dans une région située à proximité de
l’axe central de la cellule. Une méthode pour y arriver serait par exemple d’avoir introduit un gaz
dans la cellule puis d’avoir envoyé un faisceau d’électrons de 70 eV d’énergie suivant l’axe de la
cellule. L’ionisation des molécules neutres aura alors lieu à proximité de l’axe et les ions posséderont
une énergie cinétique initiale égale à l’énergie thermique. En considérant une distribution thermique
des vitesses (Equation 9) et en la combinant avec l’équation 4, on trouve (Equation 10) :
kT
vm xy
2
2
(9)
qB
mkT
r2
= (10)
Cette formule permet de voir qu’à température ambiante, pour un champ magnétique de 7 T, on
trouve pour un ion monochargé de 100 u.m.a. un rayon de 0.03 mm ; pour un ion monochargé de
1000 u.m.a : 0.1 mm ; pour un monochargé de 100 000 u.m.a. : 1.0 mm. Les ions multichargés seront
encore mieux confinés.
2.3.2. Excitation des ions
Cette phase utilise deux plaques opposées de la cellule dites plaques d’excitation pour créer un
champ électrique sinusoïdal dipolaire. Lorsque l’irradiation a lieu à la fréquence cyclotronique de
l’ion (excitation résonante), le rayon de l’orbite atteinte est donné par l’équation 11.
dB
tV
rexcppdipole
2
=
β
(11)
(βdipole : facteur géométrique [1.0 dans le cas idéal] ; Vp-p tension d’excitation ;
texc : durée de l’irradiation ; d : distance entre les plaques d’excitation.)
On constate que le rayon de l’orbite ne dépend que de la tension d’excitation et de la durée de
l’excitation, et que le rapport m/z n’intervient pas non plus dans cette étape. Idéalement, pour obtenir
un signal le plus intense possible, il conviendrait d’exciter les ions sur une orbite de rayon le plus
élevé possible. Cependant, cette orbite ne doit pas être trop grande, car l’inhomogénéité radiale du
champ électrique peut conduire à l’éjection des ions. En pratique, on travaille avec r < 0.4 d.
L’utilisateur contrôle donc deux paramètres importants pour l’acquisition du spectre de masse :
l’intensité d’excitation (de l’ordre de 300 V peak-to-peak) et la durée d’irradiation de l’ordre de
60 µs. L’utilisation de durées d’irradiation plus importantes permet d’amener les ions sur une orbite
de rayon supérieur à celui de la cellule et donc à une éjection des ions par neutralisation sur les
parois de la cellule.
1.0
0.5
0.0
-0.5
-1.0
302520151050
x103
12
10
8
6
4
2
0
x103
280260240220200180160140
1200
1000
800
600
400
200
0
4003002001000
1.0
0.5
0.0
-0.5
-1.0
302520151050
x103
1.0
0.8
0.6
0.4
0.2
0.0
4003002001000
1.0
0.5
0.0
-0.5
-1.0
x10-3
6050403020100
ks
(a)
(b)
(c)
Figure 4 : Quelques types d’excitation classiques (à gauche, échelle en temps) et leurs composantes
en fréquence obtenues par transformée de Fourier (à droite, échelle en fréquence). (a) sinusoïde
monofréquence tronquée (b) balayage de fréquence (chirp) (c) balayage par SWIFT.
L’excitation à une seule fréquence est peu utile lorsque l’on souhaite détecter l’ensemble des ions
piégés dans la cellule. Pour cela il faudrait exciter successivement chacune des fréquences des ions
présents. A cela, on préfère utiliser une seule impulsion d’excitation qui balaye la gamme de
fréquence d’intérêt (Figure 4-b). Lorsque l’électronique permet la génération de fonction arbitraire,
une autre méthode d’excitation est le SWIFT (stored-waveform inverse Fourier transform) où le
domaine de fréquence d’excitation est défini a priori et l’onde d’excitation calculée en conséquence.
2.3.4. Détection du courant induit.
La rotation cohérente des ions sur une orbite large crée un courant induit sur les deux plaques de
détection. Le changement de la tension sur les plaques de détection peut être mesuré par une
électronique adaptée.
Le courant induit est proportionnel au rayon cyclotron post-excitation et à la charge totale du paquet
d’ions ayant un mouvement cohérent. Ce courant induit ne dépend ni de l’intensité du champ
magnétique, ni de la fréquence cyclotron des ions. Ceci a des conséquences analytiques
importantes : si tous les ions sont excités à la même intensité, leurs orbites auront le même rayon
d’après l’équation 11, donc l’intensité du courant induit sera proportionnelle au nombre de charges.
Il est donc possible, en théorie, de relier l’intensité du signal mesuré et le nombre de charges (égales
au nombre d’ions multiplié par leur état de charge) présentes dans le paquet d’ions, donc d’obtenir
une mesure quantitative. Cependant, comme l’intensité d’excitation est difficilement constante sur
toute la gamme de fréquences (voir Figure 4), cet aspect quantitatif est difficile à mettre en œuvre et
on considère généralement que la FT-ICR est peu adaptée à des méthodes où l’on souhaite faire de la
quantification.
2.3.5. Forme du signal mesuré
La collision des ions avec des molécules de gaz neutre pendant le temps de mesure a pour
conséquence de déplacer les ions de leur orbite. Comme ces collisions sont aléatoires, il se produit
une perte de la cohérence du paquet d’ion, qui s’étale et finit par ne plus induire de courant dans les
plaques de détection.
Il existe plusieurs modélisations de ce phénomène mais toutes ont pour résultat que le signal mesuré
correspond à une sinusoïde amortie exponentiellement (Figure 5). Cette composante exponentielle
mène à un élargissement des pics et à une limitation de la durée d’acquisition pendant laquelle un
signal est détectable. Ceci concoure à limiter la résolution de l’instrument. Voilà pourquoi il convient
d’avoir une pression aussi faible que possible dans la cellule de mesure.
4000
3000
2000
1000
0
4035302520
1.0
0.5
0.0
-0.5
302520151050
x103
Figure 5 : Signal sinusoïdal amorti exponentiellement (à gauche, échelle en temps) et le résultat
après transformation de Fourier (à droite, échelle en fréquence).
2.3.6. Digitalisation et transformation de Fourier
Il est possible d’exciter simultanément l’ensemble des ions présents dans la cellule. Il est également
possible de mesurer en une seule expérience l’ensemble des fréquences de rotation de ces ions. C’est
l’apport de la transformée de Fourier à la FT-ICR. Le courant induit mesuré sur les plaques de
détection est digitalisé, ce qui conduit à un interférogramme où les sinusoïdes amorties de
l’ensemble des ions présents dans la cellule sont additionnées les unes aux autres.
La transformée de Fourier permet de transformer cet interférogramme en un spectre de magnitude
des fréquences présentes dans celui-ci, qui représente l’intensité du signal mesuré aux différentes
fréquences. Elle permet aussi d’utiliser sur le signal avant transformation toutes les méthodes de
traitement du signal : apodisation pour affiner les pics, zero-filling pour augmenter le nombre de
points (et donc diminuer l’intervalle de fréquence) et également la possibilité d’accumuler plusieurs
spectres successifs (le signal croit en n = nombre d’accumulations alors que le bruit croit en n.)
La conversion de ce spectre de fréquence en spectre de masse peut alors se faire facilement en se
basant sur l’équation 7. On utilise en général une équation à deux paramètres (A et B) :
2
)/(
/zm
B
zm
A+=
ν
(12)
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