Un cas de dyslexie développementale avec trouble isolé de l`empan

doi:10.1684/nrp.2012.0199
REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
24
Article original
Rev Neuropsychol
2012 ; 4 (1) : 24-35 Un cas de dyslexie développementale
avec trouble isolé de l’empan
visuo-attentionnel
A case study of developmental dyslexia
with a selective visual attention span
disorder
Marjorie Bouvier-Chaverot1,
Elsa Peiffer1, Marie-Ange
N’Guyen-Morel1, Sylviane Valdois2
1Centre diagnostic des troubles du langage
et des apprentissages,
CHU Grenoble,
pôle couple-enfant,
B.P. 217- 38043 Grenoble cedex 09
2Laboratoire de Psychologie et
Neurocognition (UMR 5105 CNRS),
Université Pierre Mendès France,
BP 47,
38040 Grenoble Cedex 09
<Sylviane.Valdois@upmf-grenoble.fr>
Pour citer cet article : Bouvier-Chaverot M,
Peiffer E, N’Guyen-Morel MA, Valdois S.
Un cas de dyslexie développementale avec
trouble isolé de l’empan visuo-attentionnel.
Rev Neuropsychol 2012 ; 4 (1) : 24-35
doi:10.1684/nrp.2012.0199
Résumé Bien que les troubles dyslexiques soient classiquement attri-
bués à un déficit phonologique, l’hypothèse d’un trouble
d’origine visuo-attentionnelle a été formulée dans le cadre du modèle de lecture «Multi-
Trace »[1]. Le déficit touche alors une composante, l’empan visuo-attentionnel (VA), qui
serait notamment impliquée dans l’acquisition des connaissances lexicales orthographiques.
Gustave est un jeune garc¸on dyslexique qui présente un profil s’apparentant à une dys-
lexie/dysorthographie de surface. Nous l’avons soumis à des épreuves phonologiques et
d’empan visuo-attentionnel qui montrent des compétences phonologiques préservées et un
déficit isolé de l’empan VA. En accord avec ses excellentes aptitudes en conscience pho-
némique, Gustave présente de bonnes aptitudes langagières, une lecture préservée (score)
des pseudo-mots et des stratégies phonologiques tant en lecture qu’en dictée. Le trouble de
l’empan VA s’observe dans le contexte d’un déficit de traitement des mots irréguliers tant en
lecture qu’en orthographe et une lenteur de lecture des pseudo-mots avec préservation de
l’orthographe. Cette étude de cas témoigne de l’existence d’un trouble isolé de l’empan VA
chez certains enfants dyslexiques qui montrent des difficultés majeures en lecture et écriture
de mots irréguliers. Un lien biunivoque entre dyslexie/dysorthographie de surface et trouble
de l’empan VA ne peut cependant être établi.
Mots clés : dyslexie développementale ·empan visuo-attentionnel ·étude de cas
Abstract Although developmental dyslexia is typically viewed as
resulting from a phonological disorder, the multitrace
memory model of reading [1] postulates that a visual attention (VA) span disorder inde-
pendently contributes to the poor reading outcome of dyslexic readers. This component is
expected to be mainly involved in the acquisition of specific orthographic knowledge. We
report the case of a young dyslexic child, Gustave, who shows a reading pattern close to
that of surface dyslexia/dysgraphia. We explored his oral language, phoneme awareness
and VA span, and found that he exhibited poor VA span abilities but preserved phoneme
awareness skills. In line with his good phonological skills, Gustave exhibits good oral
language and good pseudo-word reading accuracy, and mainly produces phonologically
motivated errors in both reading and spelling. His poor VA span is associated with poor
irregular word reading and spelling. Reading speed is slowed on all types of items (inclu-
ding pseudo-words) as expected if reading relied on a decoding process based on units
of limited size. A dissociation is further observed between abnormally slow pseudo-word
reading but mainly preserved pseudo-word spelling. Overall, the reported case study
illustrates the expected relationship between poor VA span and a reading/spelling pattern
Correspondance :
S. Valdois
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
25
Article original
of surface dyslexia/dysgraphia. However, no one-to-one mapping can be established bet-
ween poor VA span abilities and a surface dyslexia pattern since VA span abilities can
further affect pseudo-word reading performance, then leading to a mixed dyslexia pattern.
Key words: developmental dyslexia ·visual attention span ·case study
De nombreuses recherches défendent une vision
unitaire du trouble dyslexique, qui serait sous-
tendu par un déficit phonologique, lui-même
secondaire à un dysfonctionnement cérébral touchant spé-
cifiquement les régions corticales impliquées dans les
traitements phonologiques [29]. Ces recherches ont conduit
à développer des outils d’évaluation des troubles phono-
logiques utilisables en clinique, et ont permis de valider
des exercices d’entraînement aptes à remédier aux difficul-
tés de conscience phonémique décrites chez les enfants
dyslexiques [22]. D’autres auteurs considèrent cependant
que divers types de troubles cognitifs sont à l’origine des
troubles dyslexiques. L’implication de la dimension visuo-
attentionnelle a notamment été mise en évidence, et un
trouble de l’empan visuo-attentionnel (VA) décrit comme
sous-jacent aux difficultés d’apprentissage de la lecture
que présentent certains enfants dyslexiques [3]. Cependant,
l’existence de dyslexies sans trouble phonologique asso-
cié est encore largement contestée [21]. L’étude de cas
que nous décrirons dans cet article illustre l’existence de
troubles dyslexiques non associés à un déficit phonolo-
gique.
Introduction
Un déficit phonologique à l’origine des dyslexies
développementales
Au cours des vingt-cinq dernières années, la théorie pho-
nologique s’est imposée comme la théorie «classique »de
la dyslexie. Elle sous-entend que des représentations pho-
nologiques sous-spécifiées ou des difficultés d’accès à des
représentations phonologiques intègres seraient à l’origine
des dyslexies développementales [2, 29, 31].
Cette théorie s’appuie sur un très grand nombre de
recherches qui ont porté essentiellement sur des études de
groupes d’enfants dyslexiques. Les performances du groupe
sont généralement inférieures à celles des enfants normo-
lecteurs de même âge réel dans les tâches impliquant des
traitements phonologiques. Ainsi, ces enfants éprouvent des
difficultés lors de la répétition de formes nouvelles encore
jamais entendues, lors de la dénomination d’images et lors
d’épreuves de fluence verbale. Leur mémoire phonologique
verbale à court terme est généralement réduite et leur lec-
ture de pseudo-mots déficitaire. Ces études de groupes ont
également permis de démontrer que les enfants dyslexiques
présentaient un déficit sur les épreuves de «conscience
phonémique », qui testent la capacité du sujet à identifier
les phonèmes au sein des mots parlés et à les manipuler
consciemment [21, 29].
Parallèlement, un grand nombre d’études portant sur les
troubles dyslexiques ou l’apprentissage normal de la lec-
ture ont apporté des arguments à l’appui de l’hypothèse
phonologique. Certaines soulignent l’existence de fortes
corrélations entre les compétences en conscience phoné-
mique et les capacités de lecture chez les normo-lecteurs
[10] ; d’autres montrent que les compétences métaphono-
logiques sont un bon indicateur du niveau de lecture de
l’enfant (pour une revue de questions : [6]) ; d’autres encore
soulignent l’effet positif de l’entraînement et de la rééduca-
tion de la conscience phonologique sur l’identification des
mots et les capacités de lecture en général [10]. Tous ces
résultats démontrent l’importance majeure des traitements
phonologiques dans l’acquisition de la lecture.
Cette hypothèse est également fortement étayée par les
études neurobiologiques, dont les résultats montrent que le
déficit phonologique chez les dyslexiques est secondaire
à une atypie du fonctionnement d’un réseau frontoparié-
tal incluant l’aire de Broca et le lobule pariétal inférieur
au sein de l’hémisphère gauche [9]. Par ailleurs les tra-
vaux menés en génétique sur des familles de dyslexiques
ont permis d’isoler des gènes susceptibles de doter la
personne qui en est porteuse d’une sensibilité particu-
lière au trouble dyslexique, et plusieurs études confirment
l’héritabilité du trouble phonologique. Le trouble phono-
logique serait donc central dans la dyslexie développe-
mentale.
Toutefois, l’hypothèse phonologique s’accommode dif-
ficilement de la diversité des profils de lecture décrits en
contexte dyslexique. Les profils de lecture qui sont définis
par le modèle double voie dissocient, en termes d’atteinte
mais également de profil d’erreurs, la dyslexie phonolo-
gique, la dyslexie de surface et la dyslexie mixte. À ce
jour, les troubles de conscience phonémique et de mémoire
phonologique à court terme, classiquement décrits dans
les études de cas de dyslexie phonologique, ne semblent
pas caractériser les études de cas de dyslexies de sur-
face (pour une revue : [7]). De plus, plusieurs études
[14, 28] montrent que certains enfants peuvent présenter
un trouble dyslexique sévère en l’absence de trouble pho-
nologique. Un trouble de l’empan visuo-attentionnel a été
récemment décrit en contexte dyslexique qui semble fré-
quemment dissocié des troubles phonologiques, et pourrait
notamment se rencontrer dans le contexte des dyslexies
de surface.
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
26
Article original
L’hypothèse d’un trouble de l’empan
visuo-attentionnel
L’hypothèse d’un trouble de l’empan visuo-attentionnel
(VA) en contexte dyslexique s’inscrit dans le cadre du
modèle connexionniste de lecture «Multi-Trace »(modèle
MTM [1], voir [26] pour une revue de question). Ce modèle
postule l’existence de deux procédures de lecture, l’une
globale et l’autre analytique, qui interviendraient succes-
sivement lors du traitement.
Une originalité du modèle est de proposer l’existence
d’un mécanisme visuo-attentionnel qui joue un rôle
majeur en lecture experte puisqu’il détermine la quantité
d’information visuelle sur laquelle porte le traitement à
chaque étape du processus de lecture. Ainsi, la procédure
globale de lecture nécessite que l’attention visuelle se dis-
tribue sur l’ensemble des lettres de la séquence du mot,
de fac¸on à ce que chaque lettre soit maximalement acti-
vée et puisse être correctement identifiée. Au contraire, le
traitement analytique se caractérise par une focalisation de
l’attention sur des unités orthographiques plus petites que
le mot, telles que les syllabes ou les graphèmes. L’attention
se distribue alors également sur les lettres qui composent
ces unités de fac¸on à les traiter en parallèle, puis se déplace
de gauche à droite pour assurer le traitement successif de
l’ensemble des unités orthographiques de la séquence à lire.
L’empan VA est défini par le nombre d’éléments
visuels distincts qui peuvent être traités simultanément
dans une configuration de plusieurs éléments. L’évaluation
de l’empan VA se réalise classiquement à partir de deux
épreuves, l’une de report global et l’autre partiel de
lettres (figure 2). Ces épreuves consistent à présenter des
séquences de cinq consonnes pendant un temps bref de
sorte que l’information extraite sur la nature des lettres
présentées dérive nécessairement d’un traitement parallèle.
Plusieurs études ont décrit un trouble de l’empan VA en
contexte dyslexique [3, 14, 20, 28]. Elles ont notamment
permis de montrer que ce trouble est bien spécifique au trai-
tement parallèle de l’information puisque les performances
des enfants dyslexiques sont préservées lorsque la tâche
requiert de dénommer cinq lettres présentées successive-
ment et non simultanément [14]. L’étude des mouvements
oculaires en situation de lecture de texte a par ailleurs
montré que l’empan VA est prédictif du nombre de fixa-
tions vers la droite suggérant bien un rôle dans l’extraction
de l’information visuelle lors de la lecture [20]. Enfin, une
proportion non négligeable d’enfants dyslexiques présente
un trouble de l’empan VA, et celui-ci est le plus souvent
observé indépendamment des troubles de la conscience
phonémique [3].
Cette dernière étude a montré qu’un trouble de l’empan
VA rend compte du faible niveau de lecture des enfants
dyslexiques, non seulement pour les mots irréguliers mais
également pour les pseudo-mots. Une analyse effectuée
sur un grand groupe d’enfants «tout venant »a permis de
vérifier ces relations. Elle a de plus établi un lien fort et par-
ticulièrement stable, au cours du primaire, entre empan VA
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
Série1 72
COMPREHENSION
VERBALE
RAISONNEMENT
PERCEPTIF
MEMOIRE
DE TRAVAIL
VITESSE DE
TRAITEMENT
sim voc com cub IDC Mat MDT SLC cod sym
12 10 9 7 13 10 11
6
Figure 1. Distribution des notes standards (sur 19) sur l’échelle du
WISC IV.
Sim : similitudes, voc : vocabulaire, com : compréhension, cub : cube,
IDC : identification de concepts ; Mat : mathématiques, MDT : mémoire
de travail, SLC : séquences lettres chiffres ; cod : code ; sym : symboles.
et lecture de mots irréguliers [4]. Ainsi, bien que l’empan VA
soit impliqué dans la mise en place des deux procédures,
globale et analytique, de lecture, il semble notamment
déterminant dans l’acquisition des connaissances orthogra-
phiques spécifiques.
Le jeune garc¸on que nous présentons ici a été choisi
car il présentait un profil de dyslexie/dysorthographie
de surface. Nous avons évalué ses capacités de traite-
ment phonologique et d’empan visuo-attentionnel, dans
l’hypothèse qu’il devrait présenter un déficit au niveau de
cette deuxième composante uniquement. Cet exposé sera
l’occasion de discuter plus spécifiquement du lien entre
déficit cognitif sous jacent et profil de performance en lec-
ture et orthographe.
Étude de cas
Gustave est un jeune garc¸on de 9 ans et 3 mois scolarisé
en CE2. Il est droitier et présente des antécédents de dyslexie
familiale. Le développement de la motricité et du langage
oral s’est effectué tout à fait normalement. Il présente une
acuité visuelle et auditive normale. Aucun trouble n’a été
signalé en maternelle ; c’est à 6 ans, lors de son entrée au
CP, que des difficultés massives d’apprentissage de la lec-
ture se sont manifestées. Son niveau de lecture, estimé par
le biais du test de l’Alouette au moment de l’examen, est
extrêmement faible, puisqu’il est comparable à celui d’un
enfant de 6 ans et 10 mois. Gustave accuse donc un retard
d’apprentissage de la lecture de vingt-neuf mois. Au niveau
cognitif, l’efficience intellectuelle de Gustave, évaluée à
partir de l’échelle du WISC IV (figure 1), le situe dans la
norme des enfants de son âge.
Toutefois, son profil est hétérogène, avec une disso-
ciation marquée entre l’indice de vitesse de traitement
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
27
Article original
(IVT 71), qui situe Gustave dans les 6 % d’enfants les plus
faibles, et les trois autres indices – compréhension verbale
(ICV = 101), raisonnement perceptif (IRP=99) et mémoire
de travail auditivoverbale (IMT = 91) –, qui sont dans la
norme.
Gustave a également été soumis à des épreuves
d’évaluation des capacités visuospatiales, visuoconstruc-
tives et sensorimotrices. Ses performances au test des
cloches (35e-40epercentile ; [32]) suggèrent des capacités
d’exploration visuospatiale linéaires et organisées, excluant
une héminégligence. L’évaluation des fonctions visuospa-
tiales et visuoconstructives ne corrobore pas l’existence
d’une dyspraxie. L’orientation visuospatiale (Nepsy Flèche :
7/19) est faible, en accord avec le score de raisonnement
spatial du WISC. Au niveau visuoconstructif, les scores sur
la copie de figures sont inférieurs à la moyenne (Nepsy :
7/19), mais qualitativement on note une mauvaise préhen-
sion du crayon qui interfère sur la production. La copie
du losange est acquise et l’accès à la troisième dimension
est possible si Gustave est étayé dans sa programmation.
Par ailleurs, Gustave se normalise pour la réalisation des
modèles de construction sur le test des cubes de la Nepsy
(9/19). Sur le plan sensorimoteur, les capacités sont effi-
cientes. La programmation et le contrôle moteur (praxies
réflexives : 13/19, précision motrice : 8/19), la dextérité dis-
tale (tapping : 11/19) et la sensibilité digitale (distinction
de doigts : 16-75p) demeurent dans les normes attendues
pour son âge. Concernant l’attention, aucun point d’appel
n’est observé, ni sur le questionnaire de Conners proposé
aux parents, ni lors de l’examen, où Gustave ne manifeste
aucune labilité ou impulsivité.
Méthode d’analyse
Les performances de Gustave en langage écrit, langage
oral et conscience phonémique ont été comparées à celles
de groupes témoins appariés en âge chronologique. Un
premier groupe témoin est issu de la batterie analytique
du langage écrit (BALE) [12] pour les épreuves de lec-
ture, de dictée, de langage oral et trois des épreuves de
conscience phonologique (jugement de rimes, suppression
syllabique et acronymes). Il comprend 116 enfants dont
la moyenne d’âge est de 9 ans et 4 mois (ET = 1,04). Le
groupe contrôle apparié en âge chronologique sur les autres
épreuves de conscience phonémique est issu de l’étude
de Bosse et Valdois [4], et est composé de 104 enfants.
Les groupes appariés en âge réel et en niveau de lecture
sur les épreuves d’empan VA sont issus de cette même
étude [4] et comprennent respectivement 96 et 118 enfants.
Le test tmodifié (one-tailed) de Crawford [8] a été uti-
lisé pour tester la significativité des différences observées.
Aucun groupe témoin apparié en niveau de lecture n’a
été utilisé lors de l’évaluation des aptitudes phonologiques
dans la mesure où les performances de Gustave se situent
parmi les meilleurs scores des témoins appariés en âge
réel.
Évaluation du langage écrit
Lecture
Méthode
Gustave a été soumis à diverses épreuves de lecture,
issues de la BALE [12], comprenant :
la lecture à haute voix d’un texte porteur de sens (Petit
Monsieur),
la lecture de listes de mots (réguliers et irréguliers) et
de pseudo-mots visant à établir le niveau d’efficience des
procédures globale et analytique de lecture,
une épreuve de conversion graphème-phonème où des
graphèmes isolés (e.g., «ch »,«oin ») devaient être asso-
ciés aux phonèmes correspondants.
La lecture du texte était limitée à 3 min, et le nombre de
mots lus était comptabilisé, ainsi que le nombre d’erreurs.
Les items à lire comprenaient quarante mots de haute fré-
quence et quarante mots de basse fréquence, vingt réguliers
et vingt irréguliers appariés en fréquence et longueur sylla-
bique, ainsi que quarante pseudo-mots appariés aux mots
en nombre de syllabes. La performance était mesurée en
termes de score et de temps de lecture (en secondes sur
chaque liste de vingt items).
Résultats
Analyse quantitative
Les performances de Gustave sont présentées dans
le tableau 1. En lecture de texte, Gustave ne parvient
à lire qu’un nombre de mots très inférieur à celui des
témoins (t(49) = -2,317, p = 0,012) en 3 min. Ce ralentisse-
ment s’accompagne de peu d’erreurs. Concernant la lecture
des mots isolés, les performances sont significativement plus
faibles que la norme pour les mots, qu’ils soient :
réguliers,
de haute fréquence : t(115) = -3,593, p <0,0001,
de basse fréquence : t(115) = -3,206, p <0,01,
ou irréguliers,
de haute fréquence : t(115) = -7,274, p = <0,0001,
ou de basse fréquence : t(115) = -1,853, p = 0,033).
En revanche, le score en lecture de pseudo-mots
(t(115) = -0,217, p = 0,414) ne diffère pas significativement
des scores attendus. On note un temps de lecture exagéré-
ment long sur tous les types d’items :
mots réguliers,
de haute fréquence : t(115) = 2,666, p = 0,004
de basse fréquence : t(115) = 5,827, p <0,0001
mots irréguliers
de haute fréquence : t(115) = 13,046, p <0,001,
de basse fréquence : t(115) = 4,967, p <0,0001,
pseudo-mots : t(115) = 4,163, p <0,001).
La connaissance des règles de conversion graphème-
phonème est tout à fait dans la norme : t(115) = -1,250,
p = 0,11.
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
28
Article original
Tableau 1. Performances en lecture de Gustave comparées
à celles d’un groupe contrôle de même âge réel.
Lecture Gustave Contrôles
âge réel
Lecture de texte (mots/min) 22 ** 69 (32,4)
Mots réguliers HF
Score /20 17 *** 19,67 (0,74)
Temps (secondes) 34 ** 18,66 (5,73)
Mots réguliers BF
Score /20 12 *** 18,44 (2,00)
Temps (secondes) 74 *** 26,48 (8,12)
Mots Irréguliers HF
Score /20 7 *** 18,25 (1,54)
Temps (secondes) 106 *** 20,31 (6,54)
Mots Irréguliers BF
Score /20 6 * 13,22 (3,88)
Temps (secondes) 82 *** 30,22 (10,38)
Pseudo-mots
Score /40 33 ns 33,86 (3,95)
Temps (secondes) 138 *** 60,62 (16,84)
Conversion GP 39 ns 42,59 (2,86)
Dictée
Mots
Consistants /10 8 * 9,43 (0,85)
Inconsistants /10 2 *** 8,95 (1,11)
Exceptions /10 1 *** 7,90 (1,69)
Pseudo-mots
Bisyllabiques /10 9 ns 9,20 (1,06)
Trisyllabiques /10 6 * 8,84 (1,54)
HF : haute fréquence ; ns : non significatif ; * p <0,05 ; ** p <0,01 ;
*** p <0,001
Analyse qualitative
L’analyse qualitative des erreurs (voir liste des réponses
en annexe) montre que les erreurs de régularisations sont
majoritaires (84,6 %) en lecture de mots irréguliers. La
plupart des erreurs observées sur les pseudo-mots corres-
pondent à la mise en relation correcte d’un graphème avec
le phonème correspondant, mais sans prise en compte du
contexte orthographique. Ainsi, le «er »de bertale est pro-
duit /e/ (comme dans tomber)etle«s»de pisal /s/ (comme
dans pinson). La non-prise en compte du contexte s’observe
également dans les mots (e.g., envoyé produit en-vo-yé).
En revanche, aucune des erreurs produites en lecture ne
correspond à la confusion entre un phonème voisé et son
équivalent non voisé (e.g., p/b, t/d, f/v) attribuable sans équi-
voque à un déficit phonologique.
Évaluation des performances orthographiques
Méthode
Étant donné la dysgraphie de Gustave, un nombre mini-
mum d’items lui ont été proposés en écriture sous dictée,
correspondant aux trois listes de dix mots (réguliers, incon-
sistants et exceptions) et aux deux listes de dix non-mots
bi- et trisyllabiques de la BALE. Les mots réguliers étaient
composés des graphèmes les plus fréquemment associés en
franc¸ais au phonème correspondant (e.g., couleur). Les mots
inconsistants renfermaient un ou des graphèmes autres que
ceux les plus fréquemment associés au phonème correspon-
dant (e.g., le /s/ de garc¸on). Les mots «exception »sont des
mots qui incluent un graphème très inhabituel en franc¸ais
pour le phonème correspondant (e.g., femme). L’analyse
qualitative a consisté à comptabiliser les erreurs phonologi-
quement plausibles qui correspondent phonologiquement
au mot dicté mais n’en respectent pas l’orthographe (e.g.,
«oute »pour août).
Résultats
Analyse quantitative
Comme le montre le tableau 1, les performances de
Gustave en orthographe sont sélectivement chutées lors
de la transcription des mots inconsistants (t(115) = -6,234,
p<0,0001) et exception (t(115) = -4,065, p <0,0001), et se
différencient également des témoins en dictée de mots régu-
liers (t = -1,675, p = 0,048). Gustave obtient des scores dans
la norme en transcription de pseudo-mots bisyllabiques
(t(115) = -0,188, p = 0,43) mais inférieurs à la moyenne pour
les pseudo-mots les plus longs (t(115) = -1,836, p = 0,034).
Il faut noter cependant que trois des quatre erreurs produites
sur les pseudo-mots trisyllabiques résultent de l’attribution
d’un graphème qui correspond bien au phonème énoncé
mais sans prise en compte des conventions orthographiques
du franc¸ais. Ainsi, l’absence de «e»lors de la production
écrite «tergilon »au lieu de tergilone dénote l’attribution
correcte du graphème «n»pour le phonème /n/ mais sans
ajout du «e»final, indispensable en franc¸ais pour éviter un
regroupement «on »en fin de mot. Les quelques erreurs
observées sur les pseudo-mots résultent donc d’un non-
respect des conventions orthographiques du franc¸ais mais
témoignent de bonnes capacités de segmentation phoné-
mique du mot oral dicté et d’une mise en correspondance
phonème-graphème correcte.
Analyse qualitative
L’analyse qualitative des transcriptions orthographiques
lexicales (mots inconsistants et exceptions) montre que
68 % des productions sont phonologiquement plausibles
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
1 / 12 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !