Politique monétaire de la BRH et croissance économique d’Haïti Par Joseph Harold Pierre1 A part les ajustements structurels et les stabilisateurs automatiques, les Etats disposent de deux instruments pour intervenir dans l’économie : la politique fiscale, qui se centre sur les impôts, et la politique monétaire qui se fonde sur la liquidité, l’inflation et le taux de change. Il est à noter que les politiques fiscale et monétaire sont les plus utilisées et, d’une certaine manière, les plus efficaces et opérationnelles, puisque les autres nécessitent des circonstances particulières. Par ailleurs, à la différence de la politique fiscale qui doit être ratifiée par les parlementaires – ce qui peut conduire à l’ « effet Olivera-Tanzi » ou une diminution réelle des impôts, la politique monétaire peut s’avérer beaucoup plus efficace, puisque la Banque Centrale est pratiquement « indépendante » du parlement dans l’exécution de ses politiques. Cet instrument – la politique monétaire - est à la fois puissant et dangereux. Puissant, puisqu’en Amérique Latine, les crises inflationnistes se sont soldées non seulement par une décroissance économique, mais aussi par le renversement des présidents en place et la destitution des gouverneurs des banques centrales. Dangereux, puisque l’union monétaire européenne matérialisée dans l’existence de l’euro a rendu de plus en plus difficile la sortie de crise des PIIGS, frappés par la crise de dettes, du fait que leur pouvoir monétaire a été relégué à la communauté européenne. Je viens de souligner brièvement l’importance capitale que revêt la politique monétaire dans une économie. Je m’attache maintenant à analyser la politique monétaire appliquée par la Banque Centrale d’Haïti (Banque de la République d’Haïti, BRH), en vue de voir à quel niveau cette politique peut contribuer au décollage de l’économie haïtienne. Agrégats monétaire et dépôts en gourdes Les agrégats monétaires, les dépôts à vue, les taux d’intérêts, l’inflation et les taux de change sont les variables à analyser au moment d’étudier une politique monétaire, laquelle peut être expansionniste, restrictive ou neutre. Dans le cas d’Haïti, les variables étudiées montrent que la Banque Centrale a appliqué une politique monétaire expansionniste au cours du premier semestre de 2010. En effet, contrairement au second semestre de l’année dernière au cours de laquelle la Base Monétaire au sens large (M3) a augmenté de 11.15%, cette dernière a eu une croissance 1 Joseph Harold Pierre, M.A., économiste et philosophe Consultant économique Grant Thorton, Ltd. Prof. à la Pontificia Universidad Católica Madre y Maestra, République Dominicaine [email protected] Joseph Harold Pierre de 23.89% au cours du premier semestre de l’année en cours. En ce qui concerne la monnaie en circulation (M1), la variable a eu une croissance de 20.08% et de 10.89% au cours du second semestre de 2009 et du premier semestre de 2010, respectivement. Une analyse superficielle inclinerait à voir une décroissance si l’on compare les niveaux des deux périodes étudiées. Cependant, tel n’est pas le cas, puisque la noël, période stationnaire, est reconnue pour ses grandes dépenses. C’est ce qui explique que 18.24% de la croissance juillet-décembre 2009 est dû au décaissement coutumier du mois de décembre. Ainsi donc, si l’on compare le niveau de 1.85% de juillet-novembre 2009 et le 10.89% de janvier-juillet 2010, l’on se rendra compte du niveau considérablement élevé de la croissance de la M1. Monnaie: M3 et M1 75000 70000 65000 60000 53027 55000 50000 45000 40000 35000 30000 25000 20000 13172 15000 10000 5000 0 73458 73842 64366 56590 13790 15851 15097 16368 Juin Juil Aout Sept. Oct. Nov. Dec. Janv. Fev. Mars Avr. Mai Juin 14 09 09 09 09 09 09 09 10 10 10 10 10 10 juil. 10 Base monetaire sens large (M3) Monnaie en circulation (M1) De plus, les dépôts à vue en gourdes confirment l’hypothèse de la politique expansionniste. Alors que la variable est passée de 18 044 millions à 18 363 millions de gourdes de juillet à décembre, accusant une croissance de 1.79% ; au premier semestre de 2010, elle est passée de 18 314 millions à 20 577 millions de gourdes entre janvier et juillet 2010, soit une croissance de 11.86%. Il est à noter qu’alors que la monnaie en circulation (M1) donne le niveau de liquidité du système financier, les dépôts à vue sont symptomatiques de la vitesse de récupération d’une économie. Joseph Harold Pierre Depots à vue en Millions Gdes 21000 20500 20000 19500 19000 18500 18044 17865 18000 17500 17000 16500 16000 20612 20577 20301 20017 18119 18367 18323 Juil Aout Sept. Oct. Nov. Dec. Janv. Fev. Mars Avr. Mai Juin 14 09 09 09 09 09 09 10 10 10 10 10 10 juil. 10 Taux d’intérêt et crédits Quant au niveau des taux d’intérêt des Bons BRH, ce dernier constitue la plus grande preuve de la politique accommodante de la banque centrale. En effet, depuis mars 2009, on assiste à un fléchissement de ces taux, jusqu’à leur « niveau plancher » depuis juillet 2009 où les bons de 7, 28 et 91 jours sont vendus aux taux de 2%, 3.5%, 5%, respectivement, alors que s’annule le taux des bons de 182 jours. Joseph Harold Pierre Taux d'intérêt Bon BRH (%) 5 7 jours 28 jours 91 jours 182 jours Les variables que je viens d’analyser montre clairement que la BRH a opté pour une politique monétaire expansionniste au cours du premier semestre de 2010 – politique qu’elle doit consolider vu les circonstances actuelles de reconstruction -. Cependant, les taux d’intérêts des banques commerciales invitent à nuancer notre analyse. Etant donné que le secteur informel joue un rôle important dans l’économie du pays et que ce secteur est plutôt emprunteur que prêteur, il convient d’analyser les taux d’intérêt actifs des banques commerciales. A la différence des banques de la République Dominicaine qui ont pratiqué une politique largement expansionniste par la baisse considérable des taux d’intérêt, en passant de 25.17% en janvier 2009 à 11.72% en juin 2010, soit une diminution de 13.45%, celles d’Haïti ont eu une politique neutre au cours de la même période, accusant une baisse de 1.5%. Comme le montre le graphique, les banques fonctionnant à Nicaragua se sont appliquées à une politique semblable à Haïti. Cependant, les différences des taux d’intérêts entre Haïti et le Nicaragua sont très élevées, 10% environ. Deux conclusions sont à tirer de cette comparaison. D’une part, la restriction aux prêts causée par les taux d’intérêt élevés chez nous aura comme conséquence directe la diminution des investissements notablement du secteur informel, 14 juil. 10 Juin 10 Mai 10 Avr. 10 Mars 10 Fév. 10 Jan. 10 Déc. 09 Nov. 09 Oct. 09 Sept. 09 Aout 09 Juil 09 Juin 09 Mai 09 Avr. 09 Mars 09 3.5 2 Fev. 09 Jan. 09 16 14 14 12 10 8 8 6 6.5 4 5 2 0 Joseph Harold Pierre alors que tout le contraire passera dans les deux autres économies. Vu la relation positive existant entre la consommation et l’investissement, une diminution de celui-ci provoquera un effet du même genre sur celle-là. D’autre part, le niveau du chômage déjà trop élevé suivra sa pente ascendante, puisque les emplois (sous-emplois) du secteur informel tendent à se réduire. Il s’en suit un cercle vicieux dont l’axe est la décroissance de l’économie. Taux d'intérêt actif des banques comerciales (%) 30 25.17 25 20 20 23 13 15 10 21.5 13.7 5 0 Haiti Repúblique Dominicaine Nicaragua Par ailleurs, suivant les données de la BRH, l’allocation des crédits accordés par le système financier haïtien est fort surprenante. De juillet de 2009 à juillet 2010, les crédits alloués au secteur public ont pratiquement doublé les emprunts du secteur privé. Si tel est le cas, la situation est bien alarmante, puisque dans une économie capitaliste , le secteur privé demeure le plus important, alors que le rôle de l’Etat ne se résume qu’au pourvoi des biens publics, au controle des externalités et au surveil du bon fonctionnement du marché, bien que, malheureusement, en Haiti, ce dernier réponde à une structure hautement monopolistique et oligopolistique. 11.72 Joseph Harold Pierre Crédit en Millions Gdes 22648 25000 21773 20436 19894 20000 14419 15000 1140410775 9910 8590 10000 5000 0 Juil Aout Sept. Oct. Nov. Dec. Janv. Fev. Mars Avr. Mai Juin 14 09 09 09 09 09 09 10 10 10 10 10 10 juil. 10 Crédit au secteur public Crédits au secteur privé Inflation et taux de change Il est intéressant de noter que la croissance des agrégats monétaires n’a pas eu un impact sur les prix, puisque l’inflation mensuelle est voisine de zéro. La figure correspondant à l’inflation de l’alimentation et des loyers montre une baisse en chute libre du prix des aliments, alors que les prix des maisons ne cessent de se renchérir. A notre avis, la flexion des prix des aliments résulte de l’affaiblissement du secteur informel, lequel joue un rôle considérable dans la consommation, tandis que l’envolée des loyers est due, d’une part, à l’absence d’une politique de logement avant le 12-janvier, aggravée par la surpopulation de Port-au-Prince, et, d’autre part, aux dégâts causés par le séisme dans ce secteur. La banque Centrale devrait profiter de cette stabilité des prix pour accroître le niveau de la monnaie en circulation, de manière que diminuent les taux d’intérêt des banques commerciales et que se dynamise l’économie au moyen de l’augmentation des investissements. Cette proposition faite à la BRH de mener une politique expansionniste beaucoup plus marquée, est corroborée par la projection du FMI, selon laquelle l’inflation annuelle de 2010 et de 2011 sera respectivement 5.6% et 7.8%, niveau considérablement moindre par rapports aux années antérieures, à part 2009. Joseph Harold Pierre Inflation mensuelle, Alimentation et Loyer 8% 6% 4% 2% 0% -2% -4% -6% -8% -10% -12% 6,30% 4,6% mai 09 juin 09 juil. 09 aout sept. oct. 09 09 09 Alimentation nov. dec. janv. 09 09 10 fev. mars avril 10 10 10 Loyer, Energie et Eau 0,5% 1,50% mai 10 -10,0% Juin Joseph Harold Pierre Cette stabilité du niveau général des prix est due, pour une large part, à l’augmentation des réserves internationales et des dépôts en dollars. Comme le montrent les graphiques, à la différence des réserves et des dépôts, les transferts ont une tendance descendante depuis mars. A notre avis, cette diminution résulte de ce que les transferts provenant des aides humanitaires après le 12-janvier avaient le comportement d’une bulle et que, par conséquent, n’allaient pas durer. Réserves internationales et Transferts, en M US$ 750 656 671 671 700 593 650 527 600 476 550 500 417 410 410 403 422 450 400 350 273 277 300 250 200 150 65 69 74 74 64 97 75 102 97 77 71 65 100 50 0 Juil Aout Sept. Oct. Nov. Dec. Janv. Fev. Mars Avr. Mai Juin 14 09 09 09 09 09 09 10 10 10 10 10 10 juil. 10 Réserve internationale en US$ Transferts privés nets en US$ Joseph Harold Pierre Depots à vue en MUS 1000 900 800 700 600 500 400 300 200 100 0 872 813 841 851 772 800 691 686 470 495 535 546 554 Juil Aout Sept. Oct. Nov. Dec. Janv. Fev. Mars Avr. Mai Juin 14 09 09 09 09 09 09 10 10 10 10 10 10 juil. 10 Je pronostique que cette croissance des devises amortira la vitesse de dévaluation de la gourde, bien que l’augmentation des prix du pétrole provoquera l’effet contraire. Au cours des premiers mois de l’année, les dons en carburant de Venezuela à Haïti, ont permis de réduire l’effet du choc qu’aurait pu provoquer la hausse des prix du pétrole. Comme on n’a reçu aucune promesse pour le reste de l’année, il faudra s’attendre aux effets négatifs des prix des carburants, bien que ces derniers seront amoindris par l’augmentation des devises. A partir de cette analyse, je prévois que le dollar se changera au taux de 40 gourdes pour l’annee 2010 et de 38-39 gourdes pour l’année 2011. Il faut toutefois souligner que la gourde pourra s’apprécier si les dons promis par la communauté internationale pour la reconstruction ne sont pas versés, d’autant plus que la lente récupération de l’économie américaine a un effet adverse sur les transferts familiaux. Joseph Harold Pierre Prix du pétrole en US$ 84 82 80 78 76 74 72 70 68 66 64 62 64.59 60 82.33 77.20 76.29 72.89 71.88 Taux de change (Gdes/US$) 42,5 42,0 41,45 41,5 41,0 40,5 40,0 39,5 39,0 38,5 38,0 42,28 39,62 39,79 39,88 38,64 Juil Aout Sept. Oct. Nov. Dec. Janv. Fev. Mars Avr. Mai Juin 14 09 09 09 09 09 09 10 10 10 10 10 10 juil. 10 Joseph Harold Pierre Conclusion et recommandations 1 - Le niveau de toutes les variables analysées invitent la banque centrale à appliquer une politique monétaire expansionniste, c est-à-dire d’augmenter la quantité de monnaie en circulation. Il en résultera une diminution des taux d’intérêts des banques commerciales et un effet multiplicateur traduit par l’augmentation des crédits et des investissements et, par voie de conséquence, de la consommation et de la croissance économique. 2 – Les banques commerciales doivent concéder beaucoup plus de crédits au secteur privé, puisque sur ce dernier repose, malgré lui, la croissance économique du pays. En conclusion, l’annulation des dettes d’Haïti constitue une occasion favorable pour la relance de l’économie, puisque cette mesure facilitera au pays la contraction de nouvelles dettes, lesquelles pourront s’investir dans des travaux d’infrastructure, générateurs d’emplois pour contrebalancer le 65% de chômage.