et mutation de la culture coloniale en métropole, sur plus de deux siècles.
Ce travail débute avant la Révolution française et au moment de la
première abolition de l’esclavage6, soit les prémisses d’une culture
coloniale, et se prolonge avec les effets à long terme de la configuration
impériale, soit la période postcoloniale.
Aux origines de la culture coloniale
Au XIXe siècle, la France affirmait poursuivre son parcours vers le
« progrès », notamment par l’acte colonial, dans une perspective utopique
de création d’une nouvelle société, animée par une mystique républicaine
adossée aux valeurs universalistes issues de la Révolution. S’inscrivant
dans le continuum postrévolutionnaire de la campagne d’Égypte et dans le
mouvement des abolitions de 1848, acceptant l’héritage de la conquête de
l’Algérie de 1830 et des conquêtes du Second Empire (1852-1870), cette
dynamique coloniale se place sous le signe de la civilisation, de la
grandeur nationale, de la science et du progrès. La nation, issue de la
Révolution française, apporte la liberté et non l’oppression, le
développement et non l’exploitation aux peuples qu’elle « libère ».
Loin de cette idéologie coloniale en construction — qui ne se fixera
qu’avec la IIIe République —, les deux grandes vagues conquérantes du
XIXe siècle répondent d’abord à des enjeux politiques internes. La
conquête de l’Algérie en 1830, qui devient la partie la plus conséquente de
l’empire pré-républicain, est la fuite en avant d’un régime vers l’outre-mer
— celui de la Restauration, qui a échoué en matière de politique intérieure
—, alors que l’entreprise ultramarine du Second Empire se place dans une
vision géostratégique du monde où Napoléon III7, des conquêtes
« indochinoises » à l’échec de l’expédition au Mexique, du mythe du
« Royaume arabe » aux engagements en Syrie ou en Chine, tente de bâtir
un destin outre-mer à la France, en référence à la mythique époque
d’avant 1763 (Traité de Paris), soit celle du premier empire colonial
d’Ancien Régime. La nouvelle vague de conquêtes de la IIIe République à
partir de 18798 (en Indochine et en Afrique noire, à Madagascar et au
Maghreb) résulte jusqu’en 18859 de la construction volontaire du nouveau
régime des républicains opportunistes — même si les débats furent
Idea. Propaganda and Visions of Empire in France, Palgrave, 2002 et de Martin Evans (dir.), Empire
and Culture. The French Experience, 1830-1940, Palgrave, 2004.
6 Voir sur ce point la première contribution, dans le présent ouvrage, de Marcel Dorigny.
7 Voir sur ce point l’article de Sandrine Lemaire, Pascal Blanchard et Nicolas Bancel, « Émergence
d’une culture coloniale sous le Second Empire » dans le présent ouvrage.
8 À la veille de la défaite de Sedan, le domaine colonial français s’étend sur un peu moins d’un
million de km2. L’Algérie en est la partie la plus importante, outre les colonies héritées de l’Ancien
Régime, comme dans les caraïbes les Antilles, la Guyane ; dans l’océan Indien, La Réunion et les
cinq comptoirs des Indes, et dans le Pacifique, Tahiti, Tuamotu, les Marquises et la Nouvelle-
Calédonie. Les places d’Afrique noire sont modestes, avec le Sénégal et les postes de Conakry,
d’Assinie, Grand-Bassam, Cotonou et Libreville. Enfin, en Asie, la France commence sa colonisation
de la future Indochine, avec la Cochinchine et le Cambodge.
9 Cette première vague coloniale prend fin avec la chute de Jules Ferry, le changement de majorité
aux élections législatives d’octobre (à la suite desquelles la droite monarchiste passe de 90 à 220
élus et les opportunistes s’écroulent) et le congrès de Berlin, premier partage officieux de l’Afrique
entre les grandes puissances occidentales.