APPORT DE LA RADIOTHÉRAPIE DANS LE TRAITEMENT DES CANCERS DU SEIN A YAOUNDÉ APRÈS QUATRE ANNÉES DE RECUL J. YOMI, D. TAGNI, G. MONKAM, N. AKONO ZEH, A. DOH. RÉSUMÉ Nous nous sommes proposés grâce à une analyse rétrospective des dossiers, d’étudier l’apport de la radiothérapie dans 55 cas de lésions malignes de la glande mammaire histologiquement confirmées et traitées dans le service de Cancérologie-Radiothérapie de l’Hôpital Général de Yaoundé sur une période de 4 ans de 1991 à 1994 inclus. L’irradiation a été menée dans tous les cas, grâce aux rayons gamma d’une énergie moyenne de 1,25 Mev du Cobalt 60. Son effet curateur a été évalué au niveau de la tumeur primitive et des ganglions régionaux dans le contexte d’un traitement radical d’une part et conservateur d’autre part. Son rôle antalgique a été apprécié chez des patients présentant des métastases cancéreuses doulour e u s e s . Ses complications ainsi que les difficultés liées à son application dans nos milieux ont été recherchées puis précisées. Enfin, sur la base des différents résultats obtenus, nous avons tiré des conclusions et proposé des recommandations adaptées. Mots clés : Radiothérapie - Traitement Cancer Sein Yaoundé. 1 - INTRODUCTION Il y a quelques années, les maladies infectieuses et parasitaires occupaient la première place sur la liste des pathologies observées dans les pays en développement. A l’heure actuelle, les cancers font de plus en plus parler d’eux et constituent désormais un problème de santé majeur. Au Cameroun, on compte environ 10.000 nouveaux cas chaque année, soit un taux d’incidence de 1/1000 habitants et une prévalence de 25.000 cas par an environ (19). Le cancer du sein constitue l’un des cancers les plus rencontrés ; il occupe avec celui du col utérin la troisième place sur la liste de tous les cancers de l’homme après le foie et la peau. C’est le premier cancer de la femme camerounaise et malheureusement le plus meurtrier. Son incidence est d’environ 1.100 nouveaux cas par an et sa prévalence de 2.750 cas (19). L’impact aussi marqué de ce cancer sur la santé des populations de nos milieux a interpellé notre réflexion dans le but de rechercher les différents moyens efficaces de prévention, de diagnostic précoce et de traitement. La chirurgie radicale, longtemps la première, la plus ancienne et la seule utilisée n’a malheureusement pas réussi à combler tous les espoirs portés sur elle. En effet, elle est non conservatrice et constitue une source d’inquiétude pour les patients. La mutilation exigée par une exérèse loco-régionale carcinologiquement saine est souvent très importante accompagnée d’atteintes séquellaires, fonctionnelles et inesthétiques parfois d’autant plus difficilement acceptés qu’il existe une inadéquation entre le degré de sacrifices consentis et le taux de guérison espéré. Ailleurs, sous d’autres cieux, ces sacrifices sont limités grâce à une utilisation sur le plan loco-régional, quelque fois d’une manière isolée, conservatrice et de la chirurgie volontairement partielle et donc peu délabrante. Ce travail avait pour but de déterminer la place, d’évaluer l’efficacité de la radiothérapie ainsi que les difficultés liées à son application comme l’une des méthodes de traitement des cancers du sein dans nos milieux. II - MÉTHODOLOGIE Nous nous sommes proposés grâce à une analyse rétrospective des dossiers, d’étudier l’apport de la radiothérapie dans 55 cas de lésions malignes de la glande mammaire histologiquement confirmées et traitées dans le service de Cancérologie-Radiothérapie de l’Hôpital Général de Yaoundé sur une période de 4 ans de 1991 à 1994 inclus. Service de Cancérologie-Radiothérapie, Hôpital Général de Yaoundé B.P. 5408 Nlongkak - Yaoundé Cameroun. Médecine d'Afrique Noire : 1996, 43 (4) 221 1 - Description de la population Sur 55 cas étudiés, on note : 1.1 L’âge : . Age moyen : 43 ans . Age extrême : 18 à 65 ans . Age médian : 40 ans . 19 patients ont moins de 40 ans. 1.2 Le sexe : . Notre population est composée de 53 femmes et 2 hommes, . Le sex-ratio, femme/homme est de 26.5/1. 1.3 L’histologie Le diagnostic histologique a pu être obtenu 52 fois, soit 94.5% après cytologie confirmée par l’étude histologique d’une pièce tumorale prélevée chirurgicalement. Il s’agit pour 51 cas d’un adénocarcinome 92,7% ; et d’un lymphome de Burkitt chez une patiente de 18 ans. L’histologie n’a pas été précisée dans 3 cas soit 5,5%. 1.4 Bilan d’extension et stadification L’extension loco-régionale a été précisée dans tous les cas grâce à l’examen clinique, la mammographie parfois couplée à l’échographie mammaire. L’évolution de l’extension à distance a été très souvent approximative due au coût élevé du scanner cérébral et à l’inexistence de toute possibilité technique d’exploration scintigraphique des métastases osseuses quelquefois infracliniques et infra-radiologiques. Seule la radiographie du thorax et l’échographie hépatique ont été couramment demandées et exécutées. A la suite de ce bilan, 19 patients sur les 55 présentaient des métastases : osseuses 9 fois soit 47,4% ; hépatiques 4 fois soit 21,1% ; pleuropulmonaires 4 fois soit 21,1% et cérébrales 2 fois soit 1,05%. Les 55 malades ont été ainsi stadifiés : T1 10 cas (18,2%) ; T2 12 cas (21,8%) ; T3 16 cas (29,1%) et T4 17 cas (30,9%). J. YOMI, D. TAGNI, G. MONKAM, N. AKONO ZEH, A. DOH. mas-tectomie sans curage ganglionnaire 9 fois suivie d’une radiothérapie post-opératoire. Il s’agissait de tumeurs localement assez avancées T2 T3 sans métastases à distance. 2/ Traitement conservateur Il a été indiqué pour les tumeurs localement peu étendues T1 T2 ≤ 3 cm de diamètre. Une tumorectomie et une quadrantectomie avec curage ganglionnaire ont précédé la radiothérapie respectivement dans 9 et 6 cas. La radiothérapie a été utilisée d’une manière exclusive chez 12 patients. 3/ Traitement systémique Il a été essentiellement guidé par les facteurs pronostiques tels que : l’importance de la taille de la tumeur primitive, le degré de différenciation selon Scarff. Bloom et Richardson (SBR) et les atteintes ganglionnaires histologiquement confirmées. 3.1 La chimiothérapie Elle a été réalisée d’une manière adjuvante dans tous les cas à l’aide d’une polychimiothérapie associant 5 Fluorouracile, Adriblastine, Clophosphamide 33 fois soit 60% des cas et d’une monochimiothérapie à la cyclophosphamide 4 fois soit 7,3% des cas. 3.2 L’hormonothérapie En l’absence de toute possibilité technologique de dosage de récepteurs hormonaux, elle a été orientée par l’âge des malades : - 3 patientes ménopausées ont bénéficié d’une hormonothérapie additive et compétitive à l’antioestrogène du genre Tamoxifène à la dose de 20 mg/jour. - 7 malades encore réglées ont subi une hormonothérapie soustrative grâce à une radiothérapie des ovaires ayant abouti à la délivrance d’une dose de 12,00 Gy en 3 fractions de 4,00 Gy dans le plan frontal moyen du pelvis. - 2 autres malades toujours encore réglées ont subi une ovariectomie chirurgicale bilatérale. 1.5 Méthodes thérapeutiques 4/ Les Modalités de la radiothérapie 1/ Traitement radical : Il a été mené 15 fois soit 34% des cas grâce à l’association d’une chirurgie type HALSTED 1 fois, PATEY 18 fois et Médecine d'Afrique Noire : 1996, 43 (4) Dans le cadre du traitement radical, une dose de 45,00 Gy a été délivrée selon le fractionnement classique grâce aux APPORT DE LA RADIOTHERAPIE… rayonnements gamma d’une énergie moyenne de 1,25 Mev du Cobalt 60. 2 faisceaux tangentiels symétriques, un faisceau axillo-susclaviculaire antérieur et un faisceau direct antérieur ont été respectivement utilisés pour traiter la paroi thoracique et la cicatrice opératoire le creux axillaire et susclaviculaire et la chaîne mammaire interne. Dans le cadre du traitement conservateur et en l’absence de toute possibilité technique d’électronthérapie, un complément d’irradiation toujours aux photons gamma du C60/0 était mené dans le lit de tumorectomie ou de quadrantectomie ramenant la dose totale à ce niveau à 70,00 - 75,00 Gy. Dans le cadre de la radiothérapie exclusive conduite dans un but palliatif, une dose équivalente à 45,00 Gy a été délivrée dans les différents segments osseux douloureux chez 9 patientes ; 2 autres patientes avec métastases cérébrales ont subi une irradiation de l’encéphale en totalité à la dose 18,00 Gy/3 fractions /3 jours. III - RÉSULTATS 222 3- Traitement conservateur et résultats esthétiques Tableau n° 1 - Évaluation de l’esthétique (selon le score fonctionnel de TENON) Facteurs (Score) Patients Pourcentage Excellent (0 à -9) 8 32,0 Bon (-10 à -19) 10 40,0 Moyen (-20 à -39) 3 12,0 Médiocre (-40à -59) 2 8,0 Mauvais (> à -60) 2 8,0 Total 25 100,0 4- Action de la radiothérapie antalgique en fin de traitement 9 des 11 patientes, soit 81,3%, traitées pour métastases viscérales douloureuses ont toutes bénéficié d’une réponse antalgique complète. La récupération fonctionnelle n’a pas été évaluée et deux échecs ont été notés. 5- Survie globale des patientes (Méthode actuarielle) 1- Action de la radiothérapie rapide sur la tumeur primitive Tableau n°II : Survie globale Intervalles Elle a été évaluée chez 12 malades initialement classées T2 T3 dont 10 traitées exclusivement par radiothérapie et 2 ayant bénéficié de l’association radiothérapie première suivie d’une chirurgie type PAT E Y dans un deuxième temps. En fin de traitement on a constaté : une rémission complète de la tumeur primitive 6 fois soit 50% ; une réponse tumorale supérieure à 50% 3 fois soit 25% et une réponse tumorale inférieure à 50% 3 fois soit 25%. Aucun échec thérapeutique n’a été noté. Survivants Décès Total Nb % Nb % Nb 0 (Fin du traitement) 55 100,0 0 0,0 55 0 - 1 an 42 76,4 13 23,6 55 1 - 2 ans 30 54,5 12 21,8 42 2 - 3 ans 22 40,0 8 14,5 30 3 - 4 ans 16 29,1 6 10,9 22 4 - 5 ans 11 20,0 5 9,1 16 > 5 ans 0 0,0 0 0,0 0 2- Action de la radiothérapie sur les aires ganglionnaires Elle a été évaluée en fin de traitement chez 34 patientes au départ N2 N3. 22 rémissions complètes de la masse ganglionnaire soit 64,7% des cas ont été obtenues ainsi que 12 réponses tumorales ganglionnaires supérieures à 50% dans 35,3% des cas. Il n’y a pas eu d’échec thérapeutique. Médecine d'Afrique Noire : 1996, 43 (4) J. YOMI, D. TAGNI, G. MONKAM, N. AKONO ZEH, A. DOH. 223 Tableau n°III : Survie en fonction du stade IV - DISCUSSIONS 1- Le sexe Survie Intervalles Stade I et II Stade III et IV Survivants % Survivants % O (fin de traitement 22 40,0 33 60,0 0 - 1 an 17 30,9 25 45,5 1 - 2 ans 12 21,8 18 32,7 2 - 3 ans 11 20,0 11 20,0 3 - 4 ans 9 16,4 7 12,7 4 - 5 ans 8 14,5 3 5,5 > 5 ans 0 0,0 0 0,0 6- Évaluation des récidives après un recul de 6 mois Tableau n°IV Récidives Locales Type de chirurgie Patient % Conservatrice 2 3,64 Non conservatrice 1 1,82 Avec curage 1 1,82 Sans curage 1 1,82 Conservatrice 25 45,45 Non conservatrice 25 45,45 Conservatrice 28 50,91 Non conservatrice 27 49,09 La composition de notre population selon le critère sexe diffère totalement de celle des séries occidentales caractérisées par un taux d’incidence du cancer du sein plus faible chez l’homme, soit 1% (9, 16, 21). Notre taux d’incidence de 3,6% est donc nettement plus élevé et se superpose pratiquement à celui égal à 4% trouvé antérieurement par certains auteurs camerounais (1, 20). 2 - L’âge L’extrême jeune âge des malades de notre série contraste fortement avec les âges avancés des occidentaux. La différence entre l’âge moyen de nos patients et celui de WOODS et al (26) chez qui l’âge moyen est de 65 ans. Par ailleurs, étant donné que l’incidence des cancers en général et du sein en particulier augmente avec l’âge, l’incidence élevé des pays développés s’explique par le fait que leur population est beaucoup plus vieille (16). 3- Action de l’irradiation sur la tumeur primitive et les aires ganglionnaires Seules les complications cutanées ont été notées : 4 fois, soit 7,3% des cas et 23 fois, soit 41,8% des cas respectivement sous la forme d’érythème cutané et d’épidermite exsudative ou sèche. L’évaluation de l’action de la radiothérapie exclusive sur la tumeur primitive chez 10 malades et sur les ganglions régionaux chez 34 malades nous a permis d’obtenir des taux de réponse qui se rapprochent de ceux de la littérature (24). Certains auteurs ont noté en effet que 68% des tumeurs de moins de 5 cm disparaissent complètement sous l ’ e ffet de la radiothérapie et que 30% seulement des tumeurs de plus de 10 cm disparaissent. Ces résultats constituent une preuve de la réalité de l’efficacité de la radiothérapie sur la tumeur primitive et les aires ganglionnaires où son action est fonction de la dose administrée et de la masse tumorale à traiter (24). C’est ce qui explique les meilleurs taux de réponse observés au niveau des aires ganglionnaires où la masse tumorale a été souvent plus petite. 8- Évaluation du coût de traitement (En FCFA)* 4- La survie Ganglionnaires Absence de récidive Total 7- Évaluation des complications Les coûts de traitement individuel tels que pratiqués à l’Hôpital Général de Yaoundé sont en moyenne de 213.000 FCFA (but curatif) et 135.000 F CFA (but palliatif). * 1 FF = 100 FCFA Médecine d'Afrique Noire : 1996, 43 (4) Nos taux de survie sont très bas par rapport à ceux de la littérature et ne s’y rapprochent que parce qu’ils sont beaucoup plus élevés pour les patients porteurs des tumeurs T1 APPORT DE LA RADIOTHERAPIE… 224 et T2 que pour ceux avec tumeurs T3 et T4 (12). 6- Action palliative de la radiothérapie et ses complications : Les mauvaises conditions technologiques et économiques dans lesquelles exercent les médecins des pays pauvres sont à la base du niveau d’imperfection des prestations sanitaires dans ces milieux : Comment éviter, dans le cadre du bilan d’extension des cancers du sein, une sous-stadification et donc des erreurs et échecs thérapeutiques quand on ne peut réaliser la scintigraphie osseuse seule méthode exploratrice capable de mettre en évidence les métastases osseuses bien souvent infra-cliniques et infra-radiologiques. Comment orienter scientifiquement et efficacement l’hormonothérapie quand on ne peut techniquement doser les récepteurs hormonaux. L’âge des patients nous a souvent guidé en nous amenant à castrer grâce à la radiothérapie les malades encore réglées et à prescrire un antioestrogène genre tamoxifène à celles déjà ménopausées. Comment traiter avec succès des malades à l’aide de protocoles thérapeutiques tronqués et tout le temps modifiés non pas par le fait de leur intolérance mais souvent et surtout par défaut de leur prise en charge financière. 5- Le traitement conservateur Sur le plan esthétique, notre score obtenu à partir d’une série de 25 malades a été satisfaisant dans 84% des cas et médiocre dans 16% des cas. Le taux de récidive locale est de 4% après 4 années de recul. Ces résultats sont tout à fait comparables à ceux de la littérature où l’on note un score satisfaisant de 90% et un score médiocre de 10% avec un taux de récidive locale variant entre 5 et 10% après 10 ans de recul (5, 6, 12). Ces résultats encourageants devraient pouvoir amener les adeptes (encore très nombreux dans le contexte africain) de la chirurgie radicale à reconsidérer leur point de vue pour reconnaître avec G.H. FLETCHER, que la femme aujourd’hui, atteinte de cancer du sein, espère ne plus subir le martyr de Sainte Agathe (12). a) L’effet antalgique Sur 11 malades traités dans ce but, 9 soit 81,8% des cas ont bénéficié de cet effet à la fin du traitement. Ces résultats sont en conformité avec ceux de la littérature où l’effet antalgique a été obtenu dans 88% des cas d’une série de 167 patients, présentant des douleurs d’origine cancéreuse (15, 28). La radiothérapie pour ces auteurs constitue un antalgique incontestable, peu cher et devrait être prescrite en première intention comme “médicament” essentiel de la douleur cancéreuse dans les pays en développement (15, 28). b) Complications de la radiothérapie Seules ont été notées les complications entraînées dans une proportion compatible et en conformité avec celles retrouvées dans la littérature pour les auteurs ayant travaillé dans les mêmes conditions techniques que nous et qui connaissent parfaitement les inconvénients balistiques de la bombe au Cobalt 60 (8, 12, 14, 15, 24). V - CONCLUSIONS A la suite des résultats de cette étude, il nous est possible : 1) d’affirmer que la radiothérapie demeure aussi bien pour les pays occidentaux qu’africains : a - le meilleur moyen d’obtenir le contrôle local b- elle peut intervenir à tous les stades dévolution de la maladie. c - seule ou associée à d’autres moyens thérapeutiques, elle permet une limitation des sacrifices, favorise la guérison, autorise parfois la conservation de l’organe traité et de l’esthétique. 2) de faire les recommandations ci-après : a - améliorer le taux de diagnostic précoce par un meilleur dépistage. b - développer les traitements conservateurs. c - revoir par tous les moyens nationaux et internationaux, dans le sens de la perfection, nos conditions socio-économico-technologiques de travail. BIBLIOGRAPHIE 1 - A. ABONDO, O.J.L. ESSAMA, R. ESSOMBA, A. MBAKOP, M. AGBANGAKO. La pathologie cancéreuse au Cameroun : Aperçu sur les aspects épidémiologiques. 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