Mai 2007 14
Une sociologie très catholique?
À propos de Bruno Latour*
Nathalie Heinich**
ENTENDONS-nous : « catholique » n’est pas à prendre ici au sens litté-
ral, car Bruno Latour ne s’est jamais réclamé du catholicisme dans sa
pratique de la sociologie, laquelle n’en utilise d’ailleurs jamais le
vocabulaire ni les concepts. Le terme n’est pas non plus à prendre au
sens institutionnel : l’Église chrétienne n’a jamais fait – et, probable-
ment, ne fera jamais – de cette pensée sa sociologie, qui ne repré-
sente en aucun cas une traduction de son corpus dogmatique en lan-
gage sociologique. Le terme « catholique » est à prendre ici au sens
interprétatif : nous allons voir que, à travers les positions proprement
sociologiques explicitées par Latour, s’exprime un rapport à la vérité
scientifique, à la métaphysique, et à la représentation, qui possède de
profondes affinités avec la sensibilité catholique – et pas seulement,
insistons-y, religieuse ou même chrétienne.
Une dernière précaution, avant d’entrer dans le sujet : contraire-
ment aux habitudes de lecture spontanément mises en jeu dans le
débat d’idées, l’usage du terme « catholique » n’est pas à entendre en
un sens normatif, qu’il soit laudatif ou critique. La seule critique que
je m’autoriserai – et elle laisse ouvert le débat entre sociologues –
concerne la relation entretenue par cette sociologie avec une visée
métaphysique. Cela étant posé, à chacun de faire de mon interpréta-
tion ce qu’il voudra : une confirmation de la puissance des thèses la-
touriennes, une invitation à en réduire la portée, ou encore une porte
ouverte à la discussion sur la spécificité de la discipline sociologique.
* À propos de Bruno Latour, Changer de société. Refaire de la sociologie, Paris, La Décou-
verte, 2006, 400 p.
** Sociologue, a publié récemment l’Élite artiste. Excellence et singularité en régime démo-
cratique, Paris, Gallimard, 2005.