Une sociologie très catholique ? À propos de Bruno Latour* Nathalie Heinich** ENTENDONS-nous : « catholique » n’est pas à prendre ici au sens littéral, car Bruno Latour ne s’est jamais réclamé du catholicisme dans sa pratique de la sociologie, laquelle n’en utilise d’ailleurs jamais le vocabulaire ni les concepts. Le terme n’est pas non plus à prendre au sens institutionnel : l’Église chrétienne n’a jamais fait – et, probablement, ne fera jamais – de cette pensée sa sociologie, qui ne représente en aucun cas une traduction de son corpus dogmatique en langage sociologique. Le terme « catholique » est à prendre ici au sens interprétatif : nous allons voir que, à travers les positions proprement sociologiques explicitées par Latour, s’exprime un rapport à la vérité scientifique, à la métaphysique, et à la représentation, qui possède de profondes affinités avec la sensibilité catholique – et pas seulement, insistons-y, religieuse ou même chrétienne. Une dernière précaution, avant d’entrer dans le sujet : contrairement aux habitudes de lecture spontanément mises en jeu dans le débat d’idées, l’usage du terme « catholique » n’est pas à entendre en un sens normatif, qu’il soit laudatif ou critique. La seule critique que je m’autoriserai – et elle laisse ouvert le débat entre sociologues – concerne la relation entretenue par cette sociologie avec une visée métaphysique. Cela étant posé, à chacun de faire de mon interprétation ce qu’il voudra : une confirmation de la puissance des thèses latouriennes, une invitation à en réduire la portée, ou encore une porte ouverte à la discussion sur la spécificité de la discipline sociologique. * À propos de Bruno Latour, Changer de société. Refaire de la sociologie, Paris, La Découverte, 2006, 400 p. ** Sociologue, a publié récemment l’Élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Paris, Gallimard, 2005. Mai 2007 14