MERCREDI 23 JANVIER 2008
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PROPOS RECUEILLIS PAR
SYLVAIN FROCHAUX
À LAUSANNE
L’annonce surprise, hier, d’une
réduction des taux directeurs de
75 points de base n’aura rien
changé. Contacté par téléphone
lundi soir, puis à nouveau après
la décision de la Fed, Martin Feld-
stein maintient son opinion: «La
probabilité d’une récession aux
Etats-Unis reste supérieure à
50%.» Une déclaration de pre-
mier rang pour un homme d’ex-
ception (lire ci-contre). Depuis
1978, il est président et CEO du
National Bureau of Economic Re-
search (NBER), le plus important
centre mondial de recherche en
économie. A ce poste, il est res-
ponsable auprès du gouverne-
ment de publier les dates des dif-
férents cycles économiques, et
donc d’annoncer officiellement
le début d’une récession. Entre-
tien.
Quelle est votre réaction suite à
la décision hier de la Fed?
Martin Feldstein: La réduction
de 75 points de base était une
très bonne décision. Elle
aurait, en revanche, déjà
être prise le 11 janvier lorsque
Ben Bernanke avait laissé en-
tendre le besoin d’une coupe
drastique. Une nouvelle baisse
la semaine prochaine serait
d’ailleurs souhaitable, sans
parler de la nécessité d’un pa-
quet fiscal pour stimuler l’éco-
nomie.
Des taux à 3,50% suffiront-ils à
réduire la probabilité d’une
récession aux Etats-Unis?
Cela réduit le risque d’une
contraction prolongée, mais
n’abaisse pas encore la proba-
bilité d’une récession au-des-
sous des 50%.
En tant que responsable auprès
du gouvernement américain
pour les cycles économiques,
dans quels termes qualifiez-
vous une «récession»?
Une récession est définie
comme une baisse significa-
tive et soutenue de l’activité
économique sur l’ensemble du
pays. Une chute seulement
dans l’immobilier, par exem-
ple, ne suffirait pas. Elle doit
frapper divers secteurs, sur
une période plus longue que
simplement quelques mois.
Nous ne nous basons pas sur
un seul chiffre précis, mais sur
de nombreuses données,
comme le PIB, les salaires
réels, l’emploi, la production
industrielle et les ventes de dé-
tail.
Le terme «récession» ne
devrait donc pas être défini
comme une contraction du pro-
duit intérieur brut au cours de
deux trimestres consécutifs?
Non. Une telle définition n’est
pas assez précise. Le PIB ne pa-
raît que quatre fois l’an et il est
important, pour le gouverne-
ment et les entreprises, de pou-
voir mesurer les cycles sur une
base mensuelle. Les révisions
des chiffres économiques sont,
en outre, nombreuses et peu-
vent modifier de manière subs-
tantielle les résultats finaux.
Raison pour laquelle, nous pré-
férons attendre en général six
mois après les premiers signes
de récession avant de l’annon-
cer publiquement.
Si les Etats-Unis devaient tom-
ber en récession en janvier,
vous ne feriez alors aucune
annonce officielle avant l’été...
Nous préférons être sûr de nos
conclusions avant de faire de
telles déclarations. Les acadé-
miciens n’aiment pas trop de-
voir changer d’avis…
Dans le cas d’une récession,
pensez-vous qu’elle sera de
courte durée?
Au cours du siècle dernier, les
récessions se sont étendues en
moyenne sur 13 mois. Si la Fed
réduit drastiquement ses taux
et que les paquets fiscaux in-
terviennent rapidement, il est
possible qu’elle dure moins
longtemps. Mais sans
politiques proactives, elle
pourrait bien s’allonger. Ce
d’autant que le secteur finan-
cier est instable et que le crédit
ne circule pas normalement.
Quelles sont les principales dif-
férences entre la situation
actuelle et les récessions précé-
dentes?
Normalement, les récessions
sont précédées d’une augmen-
tation prononcée des prix de
l’énergie et des taux
directeurs de la Fed. Deux ten-
dances que nous avons égale-
ment pu relever ces dernières
années: le cours du baril de
brut a triplé en l’espace de
trois ans et les taux sont pas-
sés de 1% à 5,25%. Reste que la
crise actuelle est différente sur
deux points distincts. Premiè-
rement, l’énorme contraction
du secteur immobilier et la
chute des prix sur l’ensemble
du territoire américain auront
un impact négatif sur la
richesse des ménages et sur
leur consommation. Deuxiè-
mement, il y a actuellement
une perte totale de confiance
sur les marchés financiers, no-
tamment des établissements
bancaires et des instruments
de crédits.
La dernière récession n’a duré
que dix mois, de mars à novem-
bre 2001, alors que les mar-
chés ont baissé jusqu’en mars
2003. Quel lien percevez-vous
entre l’économie réelle et la
bourse?
Aucun. Les bourses sont tirées
en avant par davantage de don-
nées et peuvent suivre des ten-
dances de survalorisation.
L’écart entre la fin de la
période dite de récession et
celle des marchés n’est pas
vraiment surprenant. Les Etats-
Unis s’inquiétaient alors des
risques de déflation et, avec
des taux si bas, craignaient de
se retrouver dans une
situation similaire à celle du
Japon.
Que pensez-vous du plan de
relance économique du prési-
dent Bush?
Les 150 milliards de dollars
avancés représentent sans au-
cun doute un montant d’im-
portance, l’équivalent d’envi-
ron 1% du PIB américain. Il
reste néanmoins à savoir sous
quelle forme les fonds vont
être alloués. Quel sera le poids
en faveur des ménages les plus
défavorisés? Seront-ils versés
en cash ou sous forme de bons
alimentaires?
L’administration Bush plani-
fie-t-elle également des incita-
tives pour les sociétés afin de
stimuler l’économie? Les ques-
tions sont sans fin et les répon-
ses ne se limitent pas aux seuls
besoins monétaires. Il va être
crucial de jauger l’effet
psychologique d’un tel plan
sur le moral des Américains.
Si vous deviez annoncer une
récession avant les élections
présidentielles de novembre,
vous attendez-vous à ce que
l’administration Bush vous
suive?
La Maison-Blanche peut bien
sûr faire ce qu’elle veut. Tradi-
tionnellement, la pratique
veut que le Département du
commerce attende notre déci-
sion avant de l’annoncer publi-
quement. Mais, comme nous
sommes en pleine année élec-
torale, il est évident que l’ad-
ministration Bush préférerait
éviter de devoir prononcer un
tel mot...
Pensez-vous que le NBER
puisse jouer un rôle dans les
élections?
Non. Nous venons toujours des
mois après que le public res-
sente les effets d’une
récession. L’annonce de sa fin
est en revanche moins
évidente. Les gens sont encore
en pleine déprime et seuls les
économistes peuvent
apprécier les prémisses d’un
redressement. A la différence
de l’Américain lambda, nous
regardons non seulement le
niveau mais également l’évo-
lution de la tendance de l’éco-
nomie.
Le Vieux-Continent pourrait-il
aussi tomber en récession?
Il semble que l’économie euro-
péenne est également en train
de baisser. Le secteur immobi-
lier n’est certes pas dans une
situation aussi critique qu’aux
Etats-Unis, mais la réduction
du déficit commercial améri-
cain grâce à la faiblesse du dol-
lar pourrait avoir un certain
impact sur l’Europe.
La Banque centrale européenne
a maintenu ses taux directeurs
à 4%, justifiant que l’inflation
menace encore. La hausse des
prix est toutefois moins mar-
quée qu’aux Etats-Unis. Vous
attendez-vous à ce que la BCE
change de rhétorique?
La BCE a comme premier man-
dat de combattre les risques
inflationnistes, alors que la
Fed n’est pas officiellement
liée à un ciblage précis. Cette
dernière a d’ailleurs
clairement indiqué avoir mis
la priorité sur la croissance, et
non pas sur l’inflation. Au-
delà des outils monétaires
classiques, je m’attends à ce
que l’Europe procède à des
changements d’imposition
pour stimuler l’économie.
ÉCONOMIE AMÉRICAINE
«La probabilité d’une récession reste
malgré tout au-dessus du seuil des 50%»
Entretien avec Martin Feldstein, directeur et CEO du National Bureau of Economic Research. Il est l’homme par qui le terme «récession» sera officiellement annoncé.
Source: NBER, Citi
La courbe ci-dessus calcule la probabilité d’une récession en utilisant un modèle statistique (probit) qui se base sur les prévisions à 12 mois
des conditions financières des sociétés et des courbes de rendement. La dernière observation s’arrête à la première quinzaine de janvier.
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1985 1988 1991 1994 1997 2000 2003 2006
LE RISQUE DE TOMBER EN PLEINE RÉCESSION ATTEINT DES SOMMETS
Période de récession
Prob. d’une récession En %
Professeur d’économie à l’Université d’Harvard
depuis plus de quarante ans, Martin Feldstein
a reçu, en 1977, la John Bates Clark Medal
récompensant tous les deux ans l’économiste
de moins de 40 ans le plus prometteur. Plus de
60% des récipiendaires d’avant 1985 ont rem-
porté à ce jour le Prix Nobel. Entre 1982 et 1984,
il a été président du Council of Economic
Advisers, puis conseiller économique en chef
auprès du président Ronald Reagan. En 2005,
il était largement pressenti pour succéder à
Alan Greenspan au poste de président de la
Réserve fédérale, avant qu’un scandale chez
l’assureur AIG, dont il était membre du conseil
d’administration, l’ait mis sur la touche.
Spécialiste en macroéconomie et en finance
publique avec plus de 300 publications à son
actif –, il va se retirer de son poste de président
et CEO du National Bureau of Economic
Research (NBER) en juin de cette année, à l’âge
de 68 ans. – (SF)
Biographie de Martin Feldstein
CRÉDIT PHOTOGRAPHIQUE: BLOOMBERG
Avec accord de reproduction
de L’AGEFI (www.agefi.com)
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