Avec accord de reproduction de L’AGEFI (www.agefi.com) 18 MERCREDI 23 JANVIER 2008 ÉCONOMIE AMÉRICAINE «La probabilité d’une récession reste malgré tout au-dessus du seuil des 50%» Entretien avec Martin Feldstein, directeur et CEO du National Bureau of Economic Research. Il est l’homme par qui le terme «récession» sera officiellement annoncé. portance, l’équivalent d’environ 1% du PIB américain. Il reste néanmoins à savoir sous quelle forme les fonds vont être alloués. Quel sera le poids en faveur des ménages les plus défavorisés? Seront-ils versés en cash ou sous forme de bons alimentaires? L’administration Bush planifie-t-elle également des incitatives pour les sociétés afin de stimuler l’économie? Les questions sont sans fin et les réponses ne se limitent pas aux seuls besoins monétaires. Il va être crucial de jauger l’effet psychologique d’un tel plan sur le moral des Américains. PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVAIN FROCHAUX À LAUSANNE L’annonce surprise, hier, d’une réduction des taux directeurs de 75 points de base n’aura rien changé. Contacté par téléphone lundi soir, puis à nouveau après la décision de la Fed, Martin Feldstein maintient son opinion: «La probabilité d’une récession aux Etats-Unis reste supérieure à 50%.» Une déclaration de premier rang pour un homme d’exception (lire ci-contre). Depuis 1978, il est président et CEO du National Bureau of Economic Research (NBER), le plus important centre mondial de recherche en économie. A ce poste, il est responsable auprès du gouvernement de publier les dates des différents cycles économiques, et donc d’annoncer officiellement le début d’une récession. Entretien. Si vous deviez annoncer une récession avant les élections présidentielles de novembre, vous attendez-vous à ce que l’administration Bush vous suive? Quelle est votre réaction suite à la décision hier de la Fed? Martin Feldstein: La réduction Des taux à 3,50% suffiront-ils à réduire la probabilité d’une récession aux Etats-Unis? Cela réduit le risque d’une contraction prolongée, mais n’abaisse pas encore la probabilité d’une récession au-dessous des 50%. En tant que responsable auprès du gouvernement américain pour les cycles économiques, dans quels termes qualifiezvous une «récession»? Une récession est définie comme une baisse significative et soutenue de l’activité économique sur l’ensemble du pays. Une chute seulement dans l’immobilier, par exemple, ne suffirait pas. Elle doit frapper divers secteurs, sur une période plus longue que simplement quelques mois. Nous ne nous basons pas sur un seul chiffre précis, mais sur de nombreuses données, comme le PIB, les salaires réels, l’emploi, la production industrielle et les ventes de détail. Le terme «récession» ne devrait donc pas être défini comme une contraction du produit intérieur brut au cours de deux trimestres consécutifs? Non. Une telle définition n’est pas assez précise. Le PIB ne paraît que quatre fois l’an et il est important, pour le gouvernement et les entreprises, de pouvoir mesurer les cycles sur une base mensuelle. Les révisions des chiffres économiques sont, en outre, nombreuses et peuvent modifier de manière substantielle les résultats finaux. Raison pour laquelle, nous préférons attendre en général six mois après les premiers signes CRÉDIT PHOTOGRAPHIQUE: BLOOMBERG de 75 points de base était une très bonne décision. Elle aurait, en revanche, déjà dû être prise le 11 janvier lorsque Ben Bernanke avait laissé entendre le besoin d’une coupe drastique. Une nouvelle baisse la semaine prochaine serait d’ailleurs souhaitable, sans parler de la nécessité d’un paquet fiscal pour stimuler l’économie. Biographie de Martin Feldstein Professeur d’économie à l’Université d’Harvard depuis plus de quarante ans, Martin Feldstein a reçu, en 1977, la John Bates Clark Medal récompensant tous les deux ans l’économiste de moins de 40 ans le plus prometteur. Plus de 60% des récipiendaires d’avant 1985 ont remporté à ce jour le Prix Nobel. Entre 1982 et 1984, de récession avant de l’annoncer publiquement. Si les Etats-Unis devaient tomber en récession en janvier, vous ne feriez alors aucune annonce officielle avant l’été... Nous préférons être sûr de nos conclusions avant de faire de telles déclarations. Les académiciens n’aiment pas trop devoir changer d’avis… Dans le cas d’une récession, pensez-vous qu’elle sera de courte durée? Au cours du siècle dernier, les récessions se sont étendues en moyenne sur 13 mois. Si la Fed réduit drastiquement ses taux et que les paquets fiscaux interviennent rapidement, il est possible qu’elle dure moins longtemps. Mais sans politiques proactives, elle pourrait bien s’allonger. Ce d’autant que le secteur financier est instable et que le crédit ne circule pas normalement. il a été président du Council of Economic Advisers, puis conseiller économique en chef auprès du président Ronald Reagan. En 2005, il était largement pressenti pour succéder à Alan Greenspan au poste de président de la Réserve fédérale, avant qu’un scandale chez l’assureur AIG, dont il était membre du conseil directeurs de la Fed. Deux tendances que nous avons également pu relever ces dernières années: le cours du baril de brut a triplé en l’espace de trois ans et les taux sont passés de 1% à 5,25%. Reste que la crise actuelle est différente sur deux points distincts. Premièrement, l’énorme contraction du secteur immobilier et la chute des prix sur l’ensemble du territoire américain auront un impact négatif sur la richesse des ménages et sur leur consommation. Deuxièmement, il y a actuellement d’administration, l’ait mis sur la touche. Spécialiste en macroéconomie et en finance publique – avec plus de 300 publications à son actif –, il va se retirer de son poste de président et CEO du National Bureau of Economic Research (NBER) en juin de cette année, à l’âge de 68 ans. – (SF) une perte totale de confiance sur les marchés financiers, notamment des établissements bancaires et des instruments de crédits. La dernière récession n’a duré que dix mois, de mars à novembre 2001, alors que les marchés ont baissé jusqu’en mars 2003. Quel lien percevez-vous entre l’économie réelle et la bourse? Aucun. Les bourses sont tirées en avant par davantage de données et peuvent suivre des tendances de survalorisation. L’écart entre la fin de la période dite de récession et celle des marchés n’est pas vraiment surprenant. Les EtatsUnis s’inquiétaient alors des risques de déflation et, avec des taux si bas, craignaient de se retrouver dans une situation similaire à celle du Japon. Que pensez-vous du plan de relance économique du président Bush? Les 150 milliards de dollars avancés représentent sans aucun doute un montant d’im- LE RISQUE DE TOMBER EN PLEINE RÉCESSION ATTEINT DES SOMMETS Prob. d’une récession En % 90 Période de récession 80 70 60 50 40 30 Quelles sont les principales différences entre la situation actuelle et les récessions précédentes? Normalement, les récessions sont précédées d’une augmentation prononcée des prix de l’énergie et des taux 20 10 0 1985 1988 1991 1994 1997 2000 2003 2006 La courbe ci-dessus calcule la probabilité d’une récession en utilisant un modèle statistique (probit) qui se base sur les prévisions à 12 mois des conditions financières des sociétés et des courbes de rendement. La dernière observation s’arrête à la première quinzaine de janvier. Source: NBER, Citi La Maison-Blanche peut bien sûr faire ce qu’elle veut. Traditionnellement, la pratique veut que le Département du commerce attende notre décision avant de l’annoncer publiquement. Mais, comme nous sommes en pleine année électorale, il est évident que l’administration Bush préférerait éviter de devoir prononcer un tel mot... Pensez-vous que le NBER puisse jouer un rôle dans les élections? Non. Nous venons toujours des mois après que le public ressente les effets d’une récession. L’annonce de sa fin est en revanche moins évidente. Les gens sont encore en pleine déprime et seuls les économistes peuvent apprécier les prémisses d’un redressement. A la différence de l’Américain lambda, nous regardons non seulement le niveau mais également l’évolution de la tendance de l’économie. Le Vieux-Continent pourrait-il aussi tomber en récession? Il semble que l’économie européenne est également en train de baisser. Le secteur immobilier n’est certes pas dans une situation aussi critique qu’aux Etats-Unis, mais la réduction du déficit commercial américain grâce à la faiblesse du dollar pourrait avoir un certain impact sur l’Europe. La Banque centrale européenne a maintenu ses taux directeurs à 4%, justifiant que l’inflation menace encore. La hausse des prix est toutefois moins marquée qu’aux Etats-Unis. Vous attendez-vous à ce que la BCE change de rhétorique? La BCE a comme premier mandat de combattre les risques inflationnistes, alors que la Fed n’est pas officiellement liée à un ciblage précis. Cette dernière a d’ailleurs clairement indiqué avoir mis la priorité sur la croissance, et non pas sur l’inflation. Audelà des outils monétaires classiques, je m’attends à ce que l’Europe procède à des changements d’imposition pour stimuler l’économie. [[email protected]]