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Bulletin Infirmier du Cancer Vol.2-n°2-avril-mai-juin 2002
Témoignage
chologique dans leur proposition de soins faite aux
patients. L’idée est de proposer au patient un «service» offert
par l’hôpital. Il peut rencontrer un psychologue, comme
il a la possibilité de rencontrer une assistante sociale pour
ses problèmes financiers, une diététicienne pour son amai-
grissement, etc. Nous caricaturons volontairement le
tableau, bien conscients du fait que la profession de « psy »
est fortement connotée dans notre culture.
Le psychologue est là avant tout pour écouter. C’est sa
toute première fonction. Il prend le temps de s’asseoir et
offre un espace et un temps de parole au malade. Même
si, derrière cette écoute, il place une intention d’évalua-
tion, de compréhension, le malade perçoit rapidement
que c’est une occasion pour lui de parler. Combien de
patients nous disent : « C’est la première fois que je raconte
ça », ou « ça m’a fait du bien de parler avec vous ». On ne
reviendra pas ici sur le pouvoir libérateur, voire curatif de
la parole. Les patients nous parlent : de leur maladie, dont
ils retracent chaque étape, de leur famille, de leurs dou-
leurs physiques et morales, et de leur vie. Nombre d’entre
eux d’ailleurs nous racontent leur histoire, les événements
dramatiques qui ont jalonné leur vie, leurs soucis actuels,
sans aborder le chapitre du cancer. Certains cherchent à
mettre du sens sur leur maladie, à inscrire cette épreuve
dans le continuum de leur vie. Nous sommes là pour per-
mettre ce travail d’élaboration psychique, indispensable
pour accepter l’impensable de sa propre mort. Le rôle du
psychologue est d’aider les malades à vivre au mieux avec
leur maladie en leur permettant d’exprimer leurs angoisses,
leurs interrogations existentielles, leurs doutes. Il semble
également important de les aider à mettre en œuvre des
stratégies d’adaptation à la maladie en les incitant à mobi-
liser les ressources physiques et psychiques souvent incon-
nues et insoupçonnées qu’ils ont en eux.
Cependant, le psychologue ne doit pas être utilisé par
les soignants pour assumer à lui seul les dimensions psy-
chologiques et relationnelles, la fonction d’écoute, le souci
pour la qualité de vie, qui font partie intégrante de leurs
missions. Tout en préservant la confidentialité des propos
du patient, le psychologue apporte l’éclairage nécessaire
pour favoriser une prise en charge globale et la qualité des
communications. Il peut également attirer l’attention des
intervenants sur les besoins fondamentaux des malades :
besoin d’écoute, d’informations personnalisées, de respect
de la dignité, de participation aux décisions et de conti-
nuité de la relation engagée avec les soignants-référents.
Les patients expriment peu leurs besoins ou ils les
manifestent sous une forme déplacée, voire bruyante et
agressive. Le psychologue peut alors avoir une fonction
de médiation en étant le porte-parole du patient mais aussi
celui des soignants : aider le patient à mieux accepter les
soignants tels qu’ils sont, avec leurs qualités et leurs défauts,
leur propre affectivité et leurs maladresses.
La communication et les relations soignants-soigné
sont souvent empreintes de difficultés, de conflits, de qui-
proquos. La confrontation au milieu médical peut raviver
chez le patient, inconsciemment, ses toutes premières rela-
tions familiales marquées par l’impuissance, les frustra-
tions, la dépendance, la soumission, l’agressivité. Certains
patients revivent ce type de problématique à l’hôpital, alors
qu’ils sont «sous» le pouvoir et le savoir d’autres. Ces élé-
ments inconscients viennent perturber leurs relations avec
les soignants et leur manière de s’adapter à la maladie. Le
psy doit permettre au patient de prendre conscience des
différents éléments de sa vie psychique. Il doit aussi pou-
voir les restituer à l’équipe de soins pour qu’elle ne se fasse
pas «piéger» par ce type de fonctionnement. Dans le même
ordre d’idée, la prise de conscience et la compréhension
des mécanismes de défense du patient peuvent aplanir
certaines situations difficiles. De même la reconnaissance
de leurs propres mécanismes de défense et des processus
d’identification par les soignants eux-mêmes améliore la
communication soignant-soigné. Ces éléments se travaillent
surtout en groupe de parole mais peuvent émerger aussi
lors d’échanges cliniques plus informels.
A la lumière de ces explications, le rôle du psychologue
apparaît évident dans les moments de crise, alors que la
vie du patient est complètement bouleversée par la mala-
die et ses traitements. Sa présence semble d’autant plus
logique auprès des malades en fin de vie et de leurs
proches. L’intervention « psy » pendant la période de rémis-
sion, quand les traitements s’achèvent, ne s’impose pas
d’emblée dans l’esprit des soignants. Notre pratique cli-
nique, et des études de plus en plus nombreuses, démon-
trent cependant la nécessité d’un soutien psychologique
post-traitement, tant les difficultés de réhabilitation sont
importantes. Une prise en charge psychologique, dans le
cadre d’entretiens individuels ou de séances de groupe,
s’avère nécessaire pour permettre aux patients de se recons-
truire psychiquement et de retrouver un certain équilibre
afin de pouvoir mener à nouveau une vie normale.
En guise de conclusion, nous reprendrons une phrase
de Nicole Alby, pionnière de la psycho-oncologie en
France, qui soulignait avec humour mais non sans convic-
tion : « Si la psycho-oncologie n’existait pas, il faudrait l’in-
venter ». ■