Promotio Justitiae, n° 109, 2012/2 5
crédibilité. Kim, quant à lui a lutté contre le
dictateur Park avec lequel Lee partage un
style et une philosophie politique. Lee lui-
même, dans son autobiographie, admire Park
en tant que le modernisateur de la Corée du
sud. La différence entre Lee et Kim est donc
naturelle. Ayant réussi avec succès à se
présenter comme l’avocat de la démocratie,
Kim a finalement obtenu le prix Nobel de la
paix suite à une conférence au sommet entre
les deux Corée. En ce sens, les débats sur
les « valeurs asiatiques » sont davantage des
constructions politiques présentées par des
politiciens puisant dans les riches traditions
culturelles et religieuses asiatiques. Les
différences internes à l’Asie ainsi que leur
développement dialectique et dialogique au
sein du Confucianisme, du Bouddhisme ou
de l’Islam ont été ignorés ou tout simplement
mis de l’avant de manière sélective.
Les débats sur les valeurs asiatiques
démontrent une certaine fierté pour ce que les
pays asiatiques ont réussi à accomplir, mais
ils révèlent également une revendication de
supériorité, non seulement culturelle et
morale mais aussi économique par rapport à
l’Occident, l’ancien colonisateur. Leurs
partisans font communément remarquer les
ombres qui révèlent les limites de la
modernité occidentales, telles le racisme,
l’individualisme excessif, les taux croissants
de crimes et de divorces. Toutefois, il est
trompeur d’interpréter ce débat sur les
valeurs asiatiques à l’intérieur du cadre
binaire de la démocratie « asiatique » versus
« occidentale ». Samuel Huntington, un
ancien scientifique politique de Harvard,
tombe dans ce piège lorsqu’il développe son
argumentation dans « Clash of civilisations »
(choc des civilisations). Sa thèse met en valeur
l’Orient comme l’opposé symbolique de
l’Occident et néglige la structure politico-
économique qui sous-tend ces différences et
ces difficultés. Ce faisant, tant les partisans
des valeurs asiatiques que Huntington
orientalisent les traditions asiatiques comme
étant hors du temps et incarnées
irréfutablement dans tous les Asiatiques.
Plutôt que de s’appuyer sur les différences de
civilisations, le débat sur les valeurs
asiatiques serait plus facile à comprendre,
selon Aihwa Ong, une anthropologue de
Berkeley, comme la ‘légitimation des
stratégies étatiques visant à renforcer les
contrôles internes et à assumer des positions
plus dures lors des négociations dans
l’économie mondiale. » 9 En d’autres mots, la
différence entre l’Est et l’Ouest peut être
mieux comprise dans le contexte de la
mondialisation néolibérale. Alors que le
néolibéralisme américain sape les principes
démocratiques de l’égalité sociale en
privilégiant de manière excessive les droits
des individus, la stratégie dominante
asiatique sur le marché mondial sape la
démocratie en limitant l’expression politique
individuelle en privilégiant de manière
excessive la sécurité collective. La nostalgie
récente à l’égard des dirigeants autoritaires
illustre bien le fait que la classe moyenne
émergente, la principale bénéficiaire du
développement économique dans les pays
Tigres, exige de meilleurs gouvernements
non pas tant pour avoir une meilleure
représentation démocratique mais bien pour
bénéficier de l’efficacité étatique propre à
assurer la sécurité sociale et la prospérité de
l’ensemble.
Nation-État et immigration
Le développement mené par l’État et son
succès ont façonné le mouvement des
populations. Après des décennies de
développement économique, les puissances
économiques les plus grandes en Asie de l’est
et du sud-est, comme le Japon, la Corée,
Taïwan, Singapour, la Malaisie, sont devenus
des pays de choix pour les immigrants et
l’immigration internationale a rapidement
augmenté dans cette région. Évidemment, les
causes typiques d’immigration internationale
entre le Nord et le Sud, telles les structures
économiques, l’espérance de vie, la
démographie, les conditions sociales et la
stabilité politique peuvent aussi expliquer en
partie l’immigration régionale.