Les Nouveaux Pays Industrialisés d’Asie : Introduction

Les Nouveaux Pays Industrialisés d’Asie :
Quels enseignements pour le Sénégal ?
Par
Professeur Moustapha Kassé
www.mkasse.com
Introduction
La multiplication des références à l’Asie du Président de la République en termes de valeurs
et éthiques de développement ou de performances économiques et financières, ses
déplacements dans cette région du monde appellent une interpellation : Que va-t-il chercher
en Asie ? L’interrogation prend d’autant plus de relief que selon G. SORMAN, « ces
expériences semblent susciter en Occident et dans le Tiers Monde, plus de condescendance
que d’intérêt véritable. On les caricature volontiers comme des ateliers inhumains des
ouvriers robotisés seraient exploités au profit du capitalisme américain ou japonais. A
l’inverse, les apôtres de l’économie de marché les rangent dans un même fourre-
tout idéologique en vantant les succès trop flatteurs d’une stratégie capitaliste »
Constatons que le voyage en Asie est devenu, pour beaucoup de cideurs du monde
entier, d’entrepreneurs et de scientifiques, une mode dévorante depuis la déclaration de la
Banque mondiale faisant de « L’Asie la dernière frontière du monde ». La forte croissance
économique de l’Asie de l’Est, surtout dans les années 80, avait dérouté par sa rapidité et son
ampleur à telle enseigne que les NPI ont alors été invoqué, tour à tour comme modèle de
« sociétés innovantes » reconstruites autour de « valeurs et éthiques asiatiques » ou encore la
région des « miracles et mirages économiques » contemporains.
La Chine, (dans ses deux composantes non encore politiquement réunifiées) s’éveille
économiquement et exerce des effets de polarisation et d’attraction sur l’ensemble de
l’économie mondialisée. Elle fait exploser positivement ou gativement tous les marchés
financiers, des biens et services, des matières premières, des technologies. Aujourd’hui,
Singapour a un revenu per capita supérieur à celui de la France. Dans l’intervalle d’une
génération, des pays (grands et petits) de culture non occidentale et de peuplement non blanc
complètement dépourvus de matières premières ont construit des systèmes économiques
performants qui les ont fait accéder, en quelques années, au rang de puissance économique,
technologique et financière mondiale.
Ces économies ont accumulé des expériences mais aussi des résultats impressionnants
par une croissance régulière, harmonieuse et à des taux élevés (9.2% entre 1987 et 96). En
trente ans (1965-1995) le revenu moyen par habitant a quadruplé en Thaïlande et en Malaisie,
presque décuplé à Singapour et plus que triplé à Hong Kong. Ces indicateurs montrent que
désormais l’Asie fait partie de « l’avenir du monde ». Elle abrite plus des ¾ de l’humanité et
produit déjà plus de la moitié du surcroît de la production mondiale.
L’Afrique traverse (1960-1991) une crise grave qui s’approfondit chaque jour et
pendant ce temps, les Nouveaux Pays industriels (NPI) et notamment les « 4 dragons
(Taiwan, Corée du Sud, Singapour et Hong Kong) » ont atteint une performance qu’aucune
Nation n’a réussi durant cette deuxième moitié du 20
ème
siècle : sortir de la pauvreté de masse
en 25 ans. Aujourd’hui, à la veille de la Réunion du G8, le Président de la Banque mondiale et
récemment le ministre britannique de l’économie proclament sans nuance que les Objectifs du
Millénaire pour le Développement visant à réduire la pauvreté africaine de moitié ne seront
pas atteints.
Depuis les années 1990, les pays d’Asie qui étaient très pauvres au départ ont
quasiment rattrapé le niveau de vie des pays riches alors que l’Afrique continue toujours
d’être confrontée à la dégradation des fondamentaux de l’économie, au surendettement qui
n’a pas servi au financement de l’industrialisation, à la stagnation de la production, à
l'enfoncement dans la pauvreté. Sous-développement, misère et famine continuent d’y peser
comme une fatalité. Pour relancer les enjeux du développement africain, les décideurs avaient
privilégié, depuis les années 80, les politiques de stabilisation et d’ajustement au détriment
des politiques de développement à long terme. La comparaison dans le domaine des politiques
agricoles conduit à observer que les greniers sont vides en : Afrique et pleins en Asie. Depuis
les années 70, l’Afrique a progressivement remplacé l’Asie et l’Amérique Latine dans le
recours de l’assistance alimentaire internationale. En prenant l’indicateur du revenu réel par
habitant en Asie, mesuré en parité de pouvoir d’achat (c’est-à-dire en tenant compte du
niveau inférieur des prix pour un panier de bien donné), il représentait en moyenne plus des
2/3 de celui des pays riches en 1996, contre moins de 20% en 1965. En prenant le même
indicateur, on observe qu’à l’inverse la situation africaine se détériore. En effet, ce revenu
moyen n’a point progressé, son niveau représentait 7% de celui des pays développés en 1996
contre 13% trente ans plus tôt.
Tout au long de l’année 1997, ces pays ont été traversés par un véritable cyclone
monétaire et financier qui les a conduits à accueillir des Plans de Restructuration des
Institutions Financières Internationales (notamment du FMI) sur beaucoup de points
semblables aux Programmes d’Ajustement Structurels (PAS) que les économies africaines,
pour faire face à leurs échéances extérieures, ont appliqué trois décennies durant sans résultats
probants. Une foule de questions se posent et qui peuvent nous concerner dans la recherche de
voies pour un développement durable.
Comment ont-ils fait ? Que reste t-il, aujourd’hui du modèle asiatique après la crise?
Les « tigres asiatiques », comme l’on dit, peuvent-ils encore rugir ? Le miracle va-t-il se
transformer en mirage, comme en Côte d’Ivoire dans les années 70, avec les plans d’austérité
du FMI et la montée de la grogne sociale ?
I.
Comment ont-ils fait pour sortir du sous-
développement.
Sans nul doute l’histoire, la géographie et la mographie expliquent pour une part
importante la trajectoire des NPI. Le Japon en offre une parfaite illustration. En effet, la
difficulté de l’existence des hommes explique l’impérieuse cessité de trouver des solutions
ou de périr. Le pays possède beaucoup de montagnes : à peu prés de 80% de la superficie
totale est montagneuse, donc économiquement inutile. La population de plus de 120 millions
d’hommes vit sur un espace restreint soit en termes de densité de population sur la superficie
utile, de l’ordre de plus de 1 500 par km2. Comparativement à la France qui compte
actuellement une population de 55 millions sur une superficie totale de 550 000km2. Mais
étant donné le fait que la superficie française est économiquement utile, donc la densité de
population est 1/15 de la France. Comme l’observe Yoshimori, « Si on transposait cette
densité de population en France sur la surface utile au Japon, le Japon compterait une
population de seulement 7 millions au lieu de 116 millions ». Ensuite pour échapper à une
colonisation rampante et au défi occidental, les japonais ont opté de concurrencer les
Occidentaux sur leur propre terrain, c’est- à –dire en empruntant, en assimilant
systématiquement les technologies occidentales et leur savoir faire. Voilà pour quoi les
japonais se sont mis à se développer, à s’industrialiser et pourquoi ils ont réussi sur le plan
économique. Les autres pays asiatiques sont dans une situation pas trop éloignée de celle du
Japon. Toutefois, au plan strictement technique et schématiquement, toute croissance
économique est le produit des politiques publiques qui doivent réaliser une combinaison
optimale des déterminants que sont le travail, le capital, la technologie et les ressources
naturelles. De l’Ecole classique anglaise (A. Smith, Ricardo) jusqu’aux théoriciens
contemporains de la croissance endogène (Romer, Lucas, Barro) en passant par les keynésiens
(Keynes, Harrod-Domar, Kalecki, Hicks) et les néo-classiques (Solow, Von Mises et Hayek),
ces différentes théories enseignent que la réalisation des taux de croissance les plus élevés est
fonction du dosage des différents déterminants et du niveau de productivité des facteurs
(compétitivité). De nos jours, les variables de cette équation se modifient. Le capital et les
technologies circulent plus librement et les différences vont se jouer principalement sur les
avantages comparatifs des coûts de main-d’œuvre et la qualité des infrastructures. Cette
opinion est quotidiennement rappelée par le Président Abdoulaye Wade.
A ces déterminants s’ajoutent d’autres pour constituer les bases des modèles de
développement économique et social. Si les variables quantitatives et mêmes qualitatives sont
bien connues, ce qui l’est moins, c’est la compréhension de leurs enchaînements, de leur mise
en œuvre, dans les politiques économiques appropriées. Dans le cas de l’Asie, le modèle de
développement asiatique et ses performances se fondent sur quatre préalables : philosophiques
et culturels, économiques, institutionnels et sociaux.
1)
Les préalables philosophiques et culturels
Ces préalables sont au nombre de deux : d’une part le mode d’organisation sociale
inspirée de CONFUCIUS où l’individu acquiert son identité par son appartenance à la famille,
d’autre part et par extension à la société entière le respect de la hiérarchie dans l’activité
productive de même que le développement de l’esprit de solidarité et de groupe. A y regardes
de prés, ces valeurs ne sont pas étrangères aux africains. Les tentatives de théorisation sur le
communautarisme caractéristique du fonctionnement des sociétés africaines le montrent assez
largement. Les années 60 ont vu la production de plusieurs recherches sur ces
thème :le « Consciencism » de K. NKrumah, le « communaucratisme » de L. Senghor et le
« communalisme » de J. Nyerere. Pourquoi ces décideurs de premier plan n’ont-ils pas pu
traduire leurs idées en actions concrètes au service du progrès économique comme cela a été
fait en Asie ? Pourquoi n’ont-ils pas réussi à traduire le travail de la communauté, par la
communauté, pour la communauté en actions qui combineraient salariat et bénévolat pour
effectuer des tâches de développement comme : organiser le travail productif collectif, aider
et former la jeunesse, assister les personnes dépendantes, embellir les cités et les rues,
organiser les fêtes, grâce à un tiers secteur qui se développe déjà dans les milieux associatifs,
coopératifs et alternatifs.
Le second aspect du préalable concerne les relations sociales ramenées à une relation
hiérarchique : liens sociaux verticaux de supérieur à inférieur, plutôt qu’horizontaux entre
égaux. Cette relation fonctionne en Afrique mais avec une organisation sociale à tendance
égalitariste qui se matérialise par la destruction systématique de toute velléité de formation de
surplus pour empêcher la formation de différenciation sociale par enrichissement matériel.
Cela explique la persistance de ces formes contemporaines de liquidation des surplus par son
utilisation improductive dans les multiples cérémonies familiales (naissance, mariage et mort,
autres manifestations sociales d’obédience religieuses).
2)
Les préalables économiques
Ces préalables se réduisent à la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie de
développement fondée sur des options macroéconomiques et macro financières qui ont
tourné autour de réformes agraires pertinentes faisant du secteur agricole le moteur du
développement et de politiques commerciales et fiscales favorisant les exportations et
amplifiant les incitations à l’investissement productif. La révolution verte avec ses semences
sélectionnées à haut rendement, l’utilisation optimale des deltas par irrigation et l'emploi
intense des facteurs modernes de production ont permis de haut niveau de production et une
croissance de la production alimentaire plus rapide que celle de la population liquidant du
coup les pénuries alimentaires. Une population mieux nourrie et qui dispose de revenus plus
Importants finit par se fixer dans les zones rurales. Cette agriculture a relancé, en amont
comme en aval, l’industrialisation, ce qui donne une industrialisation amorcée à partir de
l’agriculture pour s’étendre aux exportations.
La politique financière, commerciale et fiscale appropriée vient en complément des
politiques agricoles et industrielle. La politique commerciale est agressive et vise le marché le
mondial par une offre de biens diversifiés et aux meilleurs prix. Quant à la politique fiscale,
elle a multiplié les incitations pour rendre les plus attractifs et les produits plus compétitifs.
3)
Les préalables institutionnels
Les préalables institutionnels sont ceux qui permettent de réduire les coûts des
transactions et sont de trois ordres : la mise en place d’arrangements institutionnels
compatibles avec les objectifs fixés ; les investissements importants dans le capital humain :
éducation et santé et un bon Etat géré par un bon gouvernement comme le préconisait déjà au
18
ème
siècle J. Struart Mill. Ces institutions sont accompagnées par des règles et
comportements éthiques compatibles avec les objectifs de développement. Ils doivent être
socialement bien acceptés et appliqués par les principaux acteurs de la vie économique et
sociale. Les règles appliquées dans la pratique sont au nombre de quatre : s’appuyer sur ses
propres forces, concentrer ses ressources on a un avantage concurrentiel, choisir le
domaine le plus étroit possible et avoir la détermination. Quant aux acteurs, ils se subdivisent
en trois catégories : les entrepreneurs qui sont des hommes de talents exceptionnels
caractérisés par leur souplesse et leur agilité ; les élites intellectuelles et techniques issues des
politiques de valorisation des ressources humaines permettant d’élever le niveau de
qualification de la main-d’œuvre et l’Etat qui est le principal architecte du développement et
des transformations.
L Etat est « pro » c’est-à-dire producteur, promoteur, programmeur et prospecteur (P.
Hugon). Michel Camdessus notait que « l’Etat a joué un rôle essentiel en Asie en renonçant
à faire ce qu’il fait le moins bien, se substituer à l’entreprise pour faire davantage et mieux ce
qu’il est seul à pouvoir faire : faire prévaloir le droit et réprimer les abus, assurer les services
sociaux ou collectifs que les signaux de la demande solvable sur le marché ne suffisent pas à
assurer ; offrir aux agents économiques des perspectives universelles et de long terme et
garantir la stabilide la monnaie et du cadre macro économique global sans laquelle on ne
peut pas optimiser la croissance à long terme d l’économie ».
Organisateur, il mobilise et oriente tous les investissements, prend en charge les
secteurs stratégiques de l’économie, des infrastructures de base aux industries lourdes et
l’éducation. L’industrialisation s’est déroulée à partir d’une étroite articulation entre l’Etat
chargé de la conduite de la politique économique et le secteur privé dynamique et engagé.
Les lourdes charges de régulation du système économique et social par l’Etat a permis à
certains auteurs de qualifier le modèle de veloppement asiatique de nouvelle variante du
capitalisme d’Etat pourtant très fortement décrié en Afrique par les Institutions Financières
Internationales de Bretton Woods et les tenants de la nouvelle orthodoxie néo-libérale (L.von
Mises, F. Hayek, P. Salin et P.Simmonot) qui préconisent de disqualifier l’Etat et de l’exclure
de toute responsabilité économique et sociale.
4)
Les préalables sociaux
Les pays asiatiques ont mis en place un pacte social nouveau différent du taylorisme pratiqué
en Occident qui spire des traditions culturelles de travail, d’hiérarchie, de discipline et
d’obéissance. Le Président du Patronat japonais Kanusuka Matsushita déclarait devant ses
collègues industriels : « Dans la nouvelle compétition, nous allons gagner et l’Occident va
perdre… Vos organisations sont tayloriennes, mais le pire, c’est que vos têtes le sont. Vous
distinguer d’un côté ceux qui pensent et de l’autre ceux qui exécutent…. Nous pensons que
tous les membres de l’entreprise sont impliqués et nos entreprises donnent trois fois plus de
formation à tout leur personnel que ne le font vos entreprises ? Réalistes nous pensons qu’il
faut faire défendre l’entreprise par l’homme et que celle-ci leur rendra au centuple ce qu’ils
auront donné. Ce faisant nous finissons par être plus sociaux ». Pour Paul Krugman du MIT,
la clé du succès en Asie c’est le travail parfois au-delà des normes sociales. En conséquence,
selon lui, l’Asie « croit par transpiration, mais pas par innovation ». La plupart des NPI sont
devenus de véritables « sweat shop » c'est-à-dire des ateliers de sueur.
Ces expériences positives de forte croissance qui ont de l’Asie un pôle émergent et
dynamique de l’économie mondiale vont être entraînées dans un cyclone monétaire et
financière en 1997 avec les banques qui ont fait faillite, des bourses qui s’effondrent. Tout
cela rappelle étrangement la crise de 1929. Peuvent-elles encore servir de référence pour les
pays africains auxquels la Communauté internationale demandent, dans le cadre des Objectifs
du Millénaire pour le Développement (OMD), d’accélérer la croissance au taux d’au moins
7% pour réduire la pauvreté seulement de moitié d’ici 2015.
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