Il y a toujours quelque chose de troublant à voir les jeunes
acteurs des écoles jouer leur (s) spectacles(s) de sortie. Ils
viennent de passer trois ans dans le cocon d’une école, les
voilà éjectés, les voici dans le monde du travail. Cela fait
chaud et froid au cœur à la fois, c’est tonique, angoissant,
vertigineux.
Merci monsieur Rancillac, vous êtes remercié
On a ressenti cela encore plus fortement à la Cartoucherie
de Vincennes, la semaine dernière. Un jour où l’on
assistait à la présentation de deux spectacles du « Festival
des écoles du théâtre public » au Théâtre de l’aquarium
(qui vient de s’achever), on apprenait que François
Rancillac, l’initiateur de cette manifestation qu’il a mis en
place en arrivant il y a six ans, venait d’être sèchement
remercié par le ministère de la Culture. Au bout de six
ans d’exercice, soit deux mandat de trois ans, alors qu’il
pensait, légitimement, pouvoir en assumer un troisième
et dernier (comme c’est l’usage), developper son projet et
passer tranquillement le relais.
Une fois encore les services du ministère de la culture (que
le gouvernement aille de droite à gauche ou inversement)
ne brillent ni par leur élégance, ni par leur savoir vivre, ni
par leur sens de l’écoute et de la concertation. Les jeunes
acteurs ont pu mesurer la fragilité des choses théâtrales,
les rapports souvent semés d’incompréhension avec
les décideurs. L’équipe de l’Aquarium a réagi avec force
et humour (lire ici), une pétition circule. Au-delà du cas
de la situation de François Rancillac, c’est le théâtre de
l’Aquarium qui est en danger (les projets du ministère
pour le lieu sont, pour le moins, flous). Ce n’est, hélas,
pas le seul établissement attentif au travail des jeunes
compagnies à être en danger. Le théâtre de la Cité
internationale (trois salles) en est un autre, d’une tout au
manière non moins inquiétante. A suivre.
Six écoles nationales étaient présentes au festival de
l’Aquarium : l’école du Nord (liée au théâtre du Nord à
Lille), l’Académie du Limousin (liée au théâtre de l’Union
à Limoges), le CNSAD (conservatoire national supérieur
d’art dramatique de Paris), l’ESAD (école supérieure d’art
dramatique de Paris), et la Manufacture (haute école du
théâtre de Suisse romande, à Lausanne). Chaque école
avait pris en charge ses élèves. L’accompagnement
professionnel des ex élèves se poursuivra quelques années,
via les dispositifs du JTN (Jeune théâtre national, réservé
à certaines écoles) ou d’autres dispositifs particuliers mis
en place par tel ou tel établissement.
En route pour la diversité
Ces écoles à la direction récemment renouvelée, sont à
l’aube d’un possible renouveau. Avec l’arrivée de Claire
Lasne-Darcueil au Conservatoire de Paris, Gildas Milin
à l’école de Montpellier, Christophe Rauck à Lille et
Stanislas Nordey à Strasbourg, pour ne citer que quelques
exemples. L’enjeu est de taille: que les écoles nationales
de théâtre soient, chaque nouvelle promotion un peu plus,
le reflet de la diversité. Y a du boulot.
Comme il semble d’un autre siècle (et, de fait, il l’est), ce
temps où il n’y avait en France qu’une seule école nationale,
celle du Conservatoire de Paris, à l’individualisme
exacerbé, auquel préparaient des cours privés (alors
qu’aujourd’hui certains conservatoires d’arrondissement
à Paris et de région sont très réputés). La création d’une
école au sein du théâtre National de Strasbourg, il y aura
bientôt un demi-siècle, allait inventer un contre-exemple
salvateur et pionnier. Aujourd’hui le nombre d’écoles
nationales dépasse la dizaine, la diversité est là, dans les
structures. C’est un début.
Il serait absurde de vouloir dresser un palmarès ou d’établir
des comparatifs entre les écoles ou les spectacles. Et
puis, je n’ai pas tout vu. L’école de Limoges présentait un
spectacle autour de Sophocle avec des élèves de seconde
année, moins aguerris que les troisièmes années des
autres écoles.
De Sophocle à Leslie Kaplan
Pour Magali Léris qui mettait en scène ce spectacle
comme pour tous les autres spectacles d’école signés par
des metteurs en scène dont c’est le métier, l’os à ronger
est le même pour tous : le groupe, la promotion dans
son ensemble, primant sur l’individu. La difficulté est de
trouver des pièces ou des projets qui mettent en scène
l’ensemble de la promo tout en permettant à chacun de
s’exprimer à travers un ou plusieurs personnages. Tout
le théâtre de Sophocle considéré comme une vaste pièce
constitue en la matière un bon client. Le montage que
met en scène Magali oscille bien entre le chœur et les
protagonistes.
Deux auteurs ont relevé le gant de ce casse-tête, Leslie
Kaplan et Pascal Rambert. Elise Vigier et Frédérique Loliée,
deux membres très actifs du collectif Les lucioles ont
signé et joué ensemble plusieurs spectacles jubilatoires à
partir de textes de Leslie Kaplan. Cette dernière travaille
à un roman sur la révolution (à paraître comme les autres
aux éditions POL) et c’est tout naturellement que ces trois
femmes complices se sont retrouvées autour de ce thème
pour mettre en scène la promotion sortante de l’école de
Lille.
C’est comme un jeu de société. La matrice de Révolution
française apparaît comme un sac où l’on puise des
mots et des noms clefs qu’il faut mettre en mouvement
autour d’une vague trame induite par le titre « Mathias
et la révolution ». En basse continue : l’envie, le rêve de
changement. De régime, d’attitude, d’horizon. De mots
aussi. Dans ses pièces Leslie Kaplan excelle dans les duos.
La polyphonie c’est comme la peinture à l’huile, c’est plus
difficile. Leslie, Elise et Frédérique e font l’expérience, le
spectacle part joyeusement dans tous les sens et il a le
charme du fourre-tout et du chantier d’un texte en train
de se faire. Les jeunes acteurs ont pu ainsi approcher le
processus d’écriture. Le spectacle a été présenté cinq soirs
au Théâtre du nord mais c’est l’autre spectacle de sortie,
avec les mêmes acteurs, qui est venu à la Cartoucherie.
De Leslie Kaplan à Cyril Teste
C’est une tout autre expérience qui les attendait avec
Cyril Teste et ses caméras. En suivant une chartre très
précise dont ils ont édicté les règles, Cyril et les membres
du collectif MxM font du cinéma en direct. Le temps du
film est celui du filmage, ce qui crée une tension toute
particulière. Le spectateur suit le film sur un écran, tout
en le voyant en train de se faire sur le plateau. Il y a deux
ans, intense souvenir, il avait ainsi créé « Nobody » sur des
textes de Falk Richter avec les élèves sortant de l’école
de Montpellier. Ce spectacle repris et développé cette
année au Printemps des comédiens de Montpellier avec
les mêmes acteurs a provoqué une onde de choc et a été
joliment salué. Le spectacle sera en tournée la saison
prochaine.
C’est à partir de « Punk rock », un texte de l’auteur anglais
Simon Stephens inspiré par un fait divers (un élève fait
une tuerie dans une école, tuant des élèves de sa classe)
que Cyril Teste a travaillé selon les mêmes principes
avec les seize élèves sortants de l’école du Nord. Le
spectacle n’atteint pas la force de « Nobody » mais c’est
une aventure qui marquera le groupe qui va se défaire.
Certains d’entre eux ont déjà créé leur compagnie. C’est
le cas de plusieurs acteurs et actrices très prometteurs
du groupe. Baptiste Dezerces à la tête de la compagnie
« Juste avant la compagnie », de leur côté Arnaud Vrech
et Jeanne Lazar ont fondé cette année la compagnie « Il
faut toujours finir ce qu’on a commencé ». Quant à Haini
Wang (née et formée en Chine), elle s’apprête à signer sa
première mise en scène.
De Rambert à Mishima
A peine sortis de scène, plusieurs jeunes acteurs de l’école
de Lille se sont empressés d’avoir le spectacle suivant venu
de Suisse. Pascal Rambert est allé à Lausanne au bord
du lac voir les élèves de l’école de la Manufacture. Il les
a écoutés, il les a regardés. Parler, bouger, vivre. Et il est
reparti avec les photos de chacun d’entre eux. C’est pour
eux et en pensant à chacun d’entre eux qu’il écrit « Lac ».
Habitude maison : chaque personnage porte le prénom de
l’acteur ou de l’actrice qui l’interprète. Comme on pouvait
s’en douter la pièce célèbre qui se passe au bord d’un lac,
« La mouette » de Tchekhov, s’invite au parloir. Et comme
la pièce de l’auteur russe, celle de Rambert parle souvent
de théâtre. Et pour cause puisque le sujet, c’est groupe
même que forme une promotion de quinze jeunes acteurs
d’une école à l’heure de sa dislocation, de sa clôture.
Le seizième acteur, le plus charismatique d’entre eux,
manque à l’appel. Il a disparu, mort.
Rambert reprend le principe d’écriture de « Clôture
de l’amour » -un affrontement entre des êtres, pas de
dialogues mais une succession de monologues- en
l’amplifiant, passant de 2 à 15. Chacun des quinze va
prendre tout à tour la parole. Un parti pris formel impératif
qui a ses vertus (il met chacun des quinze au pied du mur
et sur un même plan d’égalité) mais tourne aussi au
système. On s’y laisse entraîner malgré tout, toutefois
on sent poindre, dans l’écriture ici un procédé cent fois
remis sur le métier, là une certaine complaisance dans
la volubilité. Dit autrement, il se peut que chacun des
quinze ait inégalement inspiré l’auteur Rambert servi
humblement par le metteur en scène Denis Maillefer.
Cependant dans certains monologues comme celui qu’il
offre à Lola Giouse, Rambert trouve des accents dignes de
« Clôture de l’amour ».
Le CNSAD était la seule école à présenter un spectacle mis
en scène par un jeune élève metteur en scène, Raphaël
Trano de Angelis. Pas si novice que cela puisqu’il signe des
mises en scène depuis 2007. C’est en 2013 qu’il est entré
au Conservatoire en 2e cycle. Le Japon le fascine. Il s’y
rend régulièrement depuis 2005, a travaillé là-bas auprès
de différents maîtres et Zeami est pour lui une bible. Un
cheminement qui devait le conduire à se pencher sur les
« Cinq Nô modernes » de Yukio Mishima. Son choix s’est
porté sur « Aoi no ue » (Dame Aoi) traduit et adapté par
Dominique Palmé, joué essentiellement par des acteurs
professionnels et soutenu par un ensemble musical dirigé
par le compositeur Hacène Labri. Un spectacle présenté
comme un work in progress très prometteur avec en
particulier un impressionnant travail gestuel.
Une telle manifestation où la rencontre prime sur le
palmarès et l’échange sur la rivalité est très précieuse.
François Rancillac est un metteur en scène mais aussi un
directeur ouvert, qui partage sn lieu, et part vaillamment
à la recherche du public (qui a repris le chemin de
l’Aquarium). Et c’est cela qu’on lui reproche !Il ne fait pas
le remercier mais lui dire merci d’avoir mis sur pied ce«
festival des écoles de théâtre public ».
Jean-Pierre Thibaudat
le 30 juin 2015
A l’Aquarium, François Rancillac organise un festival des écoles du théâtre public. Viré !?