I. L’arithmétique (très) élémentaire I. L’arithmétique (très) élémentaire Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 1 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Les nombres de l’arithmétique élémentaire I. Les nombres de l’arithmétique élémentaire N : l’ensemble des nombres entiers naturels. Deux opérations fondamentales (+, ×), partout définies mais dont les opérations réciproques (−, ÷) ne le sont que partiellement. Z : l’ensemble des nombres entiers, ou nombres entiers rationnels. Trois ( !) opérations fondamentales (+, −, ×), partout définies mais l’opération réciproque de la multiplication ne l’est que partiellement. (Z; +, ×) est un anneau commutatif (noté aussi (Z; +, ·)). En particulier, toutes les équations du premier degré à cœfficients dans Z, et dont le cœfficient du terme de plus haut degré égale 1, c’est-à-dire du type : x +b =0 (b ∈ Z) sont résolubles dans Z. Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 2 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Les nombres de l’arithmétique élémentaire Q : l’ensemble des nombres rationnels. Les quatre ( !) opérations fondamentales sont partout définies (en dehors de la division par 0 . . . ) (Q; +, ×) est un corps commutatif (noté aussi (Q; +, ·)). En particulier, toutes les équations du premier degré à cœfficients dans Q, c’est-à-dire du type : a·x +b =0 (a, b ∈ Q) sont résolubles dans Q. On a (N; +, ·) ⊂ (Z; +, ·) ⊂ (Q; +, ·) De plus, il y a une relation d’ordre, notée <, compatible avec les opérations en question. Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 3 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire La division euclidienne II. La division euclidienne Dans l’anneau Z des nombres entiers, il n’y a plus que la division qui soit partiellement définie. Définition. Si a, d et q ∈ Z sont tels que a = q · d , on dit que a est un multiple de d . Si d 6= 0, on dit aussi que d divise a (ce qu’on note parfois d |a), ou que d est un diviseur de a. Par exemple, 8 divise 120 parce que 120 = 15 · 8. On sait aussi que 8 n’est pas un diviseur de 123 et que 20 ne divise pas −3. Mais on a aussi : 123 = 15 · 8 + 3 −3 = (−1) · 20 + 17 Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 4 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire La division euclidienne Idée ! La division euclidienne, c’est faire plus, et mieux, que la division exacte, en introduisant la notion de reste d’une division ! Théorème Soient a et d ∈ Z avec d > 0, alors il existe un et un seul nombre q ∈ Z et un et un seul nombre r ∈ Z tels que : 1˚ 2˚ 0 6 r < d, a = q · d + r. Démonstration. Le nombre r — appelé reste de la division euclidienne de a par d — est défini ici comme le plus petit nombre naturel dans l’ensemble {a − z · d }z∈Z ∩ Z>0 Etc. Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 5 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Le (bon) P.G.C.D. III. Le (bon) P.G.C.D. Idée ! Introduire le P.G.C.D. à partir de combinaisons linéaires (à cœfficients dans Z). Théorème Soient a, b, c, . . . un nombre fini d’éléments de Z6=0 ; on définit I(a, b, c, . . .) := {x · a + y · b + z · c + · · · }x,y ,z,...∈Z ⊂ Z alors il existe un et un seul nombre naturel d strictement positif tel que I(a, b, c, . . .) est exactement l’ensemble des multiples de d . Démonstration. Le nombre d est défini comme le plus petit nombre naturel dans l’ensemble I(a, b, c, . . .) ∩ Z>0 Etc. Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 6 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Le (bon) P.G.C.D. De plus, d0 divise a, b, c, . . . et I(a, b, c, . . .) = M · d ⇓ d0 divise d Définition. L’élément d obtenu dans le théorème précédent s’appelle le plus grand commun diviseur des éléments a, b, c, . . . ∈ Z, et on le note P.G.C.D.(a, b, c, . . .). N.B. On décrit plus loin l’algorithme d’Euclide pour le calcul du P.G.C.D. de deux nombres, ainsi que l’application de ce qui précède à la résolution d’équations diophantiennes linéaires (l’« analyse indéterminée »). Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 7 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Les nombres premiers entre eux IV. Les nombres premiers entre eux Définition. Des entiers rationnels a, b, c, . . . en nombre fini sont appelés premiers entre eux si leur P.G.C.D. égale 1 ou, de manière équivalente, si l’équation (de Bézout) a · x + b · y + c · z + ··· = 1 admet (au moins) une solution en nombres entiers rationnels. Question Est-il vrai que, si a, b et c sont des entiers rationnels tels que a et b sont premiers entre eux et a divise b · c, alors a divise nécessairement c ? Solution. Comme a et b sont premiers entre eux, l’équation a · x + b · y = 1 possède au moins une solution (x0 , y0 ) ∈ Z2 , d’où a · x0 + b · y0 = 1 et donc a · c · x0 + b · c · y0 = c mais a divise b · c . . . Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 8 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Les nombres premiers entre eux Question Est-il vrai que, si a, b et c sont des entiers rationnels tels que a et b sont premiers entre eux et a et c sont aussi premiers entre eux, alors a est premier avec b · c ? Solution. Comme a et b sont premiers entre eux, il existe (x0 , y0 ) ∈ Z2 tels que a · x0 + b · y0 = 1 Pareillement, puisque a et c sont premiers entre eux, il existe (u0 , v0 ) ∈ Z2 tels que a · u0 + c · v0 = 1 En multipliant membre-à-membre ces deux relations, on obtient a2 · x0 u0 + ac · x0 v0 + ab · y0 u0 + bc · y0 v0 = 1 d’où a · (a · x0 u0 + c · x0 v0 + b · y0 u0 ) + bc · y0 v0 = 1 et donc . . . Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 9 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Les nombres premiers entre eux Question Est-il vrai que, si a, b et c sont des entiers rationnels tels que a et b sont premiers entre eux et a et b divisent c, alors a · b divise aussi c ? Solution. Il existe des nombres entiers q1 et q2 tels que c = a · q1 = b · q2 Comme a et b sont premiers entre eux, il existe aussi (x0 , y0 ) ∈ Z2 tels que 1 = a · x0 + b · y0 , d’où c = a · c · x0 + b · c · y0 = a · b · q2 · x0 + b · a · q1 · y0 = a · b · (q2 · x0 + q1 · y0 ) Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 10 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Les nombres premiers V. Les nombres premiers Définition. Un nombre entier naturel est appelé un nombre premier s’il possède exactement deux diviseurs (positifs). De manière équivalente, un nombre entier naturel est appelé un nombre premier s’il est strictement plus grand que 1 et qu’il n’est divisible que par 1 et lui-même. Question Si p est un nombre premier et a est un nombre entier rationnel (non nul) quelconque, déterminez toutes les valeurs possibles de P.G.C.D.(p, a). Solution. P.G.C.D.(p, a) = 1 ou p puisque ce sont les seuls diviseurs possibles de p, et P.G.C.D.(p, a) = p si et seulement si a est un multiple de p. N.B. : si P.G.C.D.(p, a) = p, alors ∀y ∈ Z : a · 1 + p · y est un multiple de p. Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 11 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Les nombres premiers Question Est-il vrai que, si p est un nombre premier qui divise un produit de nombres entiers rationnels, alors il divise au moins l’un des facteurs ? Solution. Supposons que p divise le produit a · b de nombres entiers rationnels, et considérons les divisions euclidiennes par p : a = p · q1 + r1 avec 0 6 r1 < p b = p · q2 + r2 avec 0 6 r2 < p On raisonne par l’absurde. Si r1 et r2 6= 0, alors P.G.C.D.(p, r1 ) = P.G.C.D.(p, r2 ) = 1 d’où P.G.C.D.(p, r1 · r2 ) = 1 Mais alors p ne peut pas diviser a · b . . . Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 12 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Les nombres premiers Théorème (fondamental) Tout nombre entier (strictement plus grand que 1) s’écrit d’une et d’une seule manière — à l’ordre des facteurs près — comme produit de nombres premiers. Démonstration. L’existence se règle par récurrence. L’unicité résulte de la solution de la question précédente. N.B. : C’est un des deux théorèmes fondamentaux de l’arithmétique élémentaire, suivant H. Hasse. . . Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 13 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Il y a beaucoup de nombres premiers . . . VI. Il y a beaucoup de nombres premiers . . . Théorème Il y a une infinité de nombres premiers. Ça se démontre par l’absurde : on suppose qu’il n’y a qu’un nombre fini de nombres premiers, notés p1 , p2 , p3 , . . . , p` . Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 14 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Il y a beaucoup de nombres premiers . . . Preuve 1. On définit : N := p1 · p2 · p3 · · · p` + 1 Suivant le théorème fondamental, N est premier puisqu’aucun des pi (1 6 i 6 `) ne divise N. A cause de la finitude, il existe un plus grand nombre premier — disons p` — d’où N 6 p` Par construction : N > p` Contradiction ! Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 15 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Il y a beaucoup de nombres premiers . . . Question On considère les ` premiers nombres premiers rangés par ordre croissant : p1 = 2, p2 = 3, p3 = 5, . . . , p` . Est-il vrai que, quelle que soit la valeur de `, le nombre N := p1 · p2 · p3 · · · p` + 1 est un nombre premier ? Solution. Au début, oui . . . : 2+1=3 2·3+1=7 2 · 3 · 5 + 1 = 31 2 · 3 · 5 · 7 + 1 = 211 2 · 3 · 5 · 7 · 11 + 1 = 2311 mais 2 · 3 · 5 · 7 · 11 · 13 + 1 = 30031 = 59 · 509 Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 16 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Il y a beaucoup de nombres premiers . . . Preuve 2. On considère : Y 1 1 1 1 = · ··· E := 1 1 1 1 1− 1− 1− 16i6` 1 − pi p1 p2 p` A cause de la finitude, E est un nombre rationnel (fini). On calcule E autrement : Y 16i 6` 1 1− 1 pi = = 1 1 1 1 1 1 + 2 + ··· · 1 + + 2 + ··· ··· 1 + + 2 + ··· 1+ p1 p1 p2 p2 p` p` X ki >0 16i 6` X1 1 1 1 · k2 · · · k = k1 ` n p1 p2 p` n>0 suivant le théorème fondamental. Cette dernière somme diverge ! Contradiction ! Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 17 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Il y a beaucoup de nombres premiers . . . N.B. Dans les calculs de la deuxième preuve, les séries sont des séries géométriques à termes strictement plus petits que 1 en valeur absolue, ce sont donc des séries absolument convergentes, etc . . . (tout est premis !) L’intérêt de la preuve 2 est de mettre en scène un avatar de la célébrissime fonction ζ (s) := X 1 ns n∈Z >0 de Riemann (s := σ + i · τ ∈ C et σ > 1), pour laquelle on démontre pareillement : ζ (s) = 1 Y p∈P 1− 1 ps où P est l’ensemble des nombres premiers. La conjecture de Riemann peut rapporter (très) gros ! Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 18 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire . . . Mais ils sont bizarrement répartis VII. . . . Mais ils sont bizarrement répartis On s’intéresse à la distribution des nombres premiers. La première chose à faire est certainement de manipuler des tables de nombres premiers ; on y revient plus loin. Quand on étudie ce genre de question, la conclusion qui s’impose assez vite est que la distribution des nombres premiers est à la fois très régulière, et aussi très irrégulière. Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 19 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire . . . Mais ils sont bizarrement répartis 1. Les nombres premiers dans une progression arithmétique Question Est-il vrai que, dans toute progression arithmétique 1˚ de terme initial a = 3 et de raison r = 4, ou 2˚ de terme initial a = 5 et de raison r = 6 il existe une infinité de nombre premier ? Solution. Décalquer la première preuve du cas (connu) où le terme initial a = 1 et la raison r = 1, en utilisant respectivement : N := 4 · p1 · p2 · p3 · · · p` + 3 ou N := 6 · p1 · p2 · p3 · · · p` + 5 Etc. Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 20 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire . . . Mais ils sont bizarrement répartis Il n’y a pas de preuve (raisonnablement) élémentaire du résultat général suivant, conjecturé par A.-M. Legendre (1752-1833) et dont la première démonstration remonte à G. P. Lejeune-Dirichlet (1805-1859). Théorème Si a et r sont deux nombres entiers naturels premiers entre eux, il y a toujours une infinité de nombres premiers dans la progression arithmétique de raison r et de terme initial a. Ce résultat plaide plutôt en faveur d’une certaine régularité . . . Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 21 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire . . . Mais ils sont bizarrement répartis 2. Les nombres premiers jumeaux Définition. Deux nombres premiers p < q sont appelés nombres premiers jumeaux si q − p = 2. A première vue, il y en a beaucoup : 3 et 5, 5 et 7, 11 et 13, 17 et 19, 29 et 31, etc. On en trouve 35 parmi les 168 nombres premiers inférieurs à 1000. Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 22 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire . . . Mais ils sont bizarrement répartis On note P l’ensemble (infini) des nombres premiers, et PJ l’ensemble des nombres premiers jumeaux. C’est un problème ouvert que de savoir s’il y a une infinité de nombres premiers jumeaux. Théorème 1 p∈P p 1˚ La somme P 2˚ La somme P 1 p∈PJ p diverge. converge. Le 1˚ se démontre en utilisant grosso modo les idées de la deuxième preuve de l’infinité d’éléments dans P. Le 2˚ est dû à V. Brun (1885-1978). Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 23 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire . . . Mais ils sont bizarrement répartis Le théorème de Brun suggère que si l’ensemble des nombres premiers jumeaux est infini — ce qui est la croyance générale — c’est un « petit » infini ! Depuis mai 2013, quelques progrès spectaculaires sur une question très proche ont été obtenus. Théorème 1˚ Il existe une infinité de paires de nombres premiers de la forme (p, p + h) avec h 6 70000000. 2˚ Il existe une infinité de paires de nombres premiers de la forme (p, p + h) avec h 6 600. Le 1˚ est dû à Y. Zhang (1955 - ), le 2˚ à J. Maynard ( ? - ). N.B. Ce qui est remarquable, c’est surtout le fait de disposer de méthodes nouvelles pour attaquer des questions qui semblaient totalement hors de portée jusqu’il y a un peu plus d’un an ! Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 24 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire . . . Mais ils sont bizarrement répartis 3. Les petits trous et les grands trous dans la distribution des nombres premiers Définitions. 1˚ Un nombre premier p > 2 est appelé un nombre premier isolé si p − 2 et p + 2 ne sont pas premiers. 2˚ Deux nombres premiers sont appelés des nombres premiers consécutifs si tout nombre entier strictement compris entre eux n’est jamais premier ; par extension (ou convention), on admet souvent que 2 et 3 sont consécutifs. Par exemple, 23 est un nombre premier isolé, puisque 21 et 25 ne sont pas premiers ; c’est même le premier nombre premier isolé. Les nombres premiers 1637 et 1657 sont des nombres premiers consécutifs : 1639 = 11 · 149, 1641 = 3 · 547, 1643 = 31 · 53, 1647 = 9 · 183, 1649 = 17 · 97, 1651 = 13 · 127 et 1653 = 3 · 19 · 29. N.B. Deux nombres premiers jumeaux sont consécutifs. La réciproque est fausse ! Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 25 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire . . . Mais ils sont bizarrement répartis Théorème Il existe une infinité de nombres premiers isolés. Preuve. Le nombre premier 23 est isolé. On prend un diviseur de 23 − 2 = 21 — par exemple 3 — et un diviseur de 23 + 2 = 25 — par exemple 5 — et on forme leur produit, c’est-à-dire 15. Suivant le théorème de Dirichlet, l’ensemble {23 + 15 · k}k∈Z contient une infinité de nombres premiers, et ils sont tous isolés par construction. N.B. On peut multiplier (sic !) les constructions de ce genre. Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 26 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire . . . Mais ils sont bizarrement répartis Théorème Il existe des nombres premiers consécutifs arbitrairement éloignés l’un de l’autre. Preuve. Il faut montrer que, quel que soit l’entier N > 1, il existe des nombres premiers p < q consécutifs tels que q − p > N. Si N > 3, on considère : q 0 := (N + 1)! − 1 p 0 := (N + 1)! − (N + 2) On a q 0 − p 0 = N + 1 > N, et tous les nombres entiers strictement compris entre p 0 et q 0 sont non premiers par construction. N.B. Les nombres ainsi construits ne sont pas les plus petits possibles, loin de là : cfr. pour N = 19 le cas de 1637 et 1657. Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 27 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Un exemple, étrange et . . . utile, mais plus tard VIII. Un exemple, étrange et . . . utile, mais plus tard La meilleure manière de comprendre une théorie, c’est souvent d’essayer de la refaire . . . autrement. Question On considère l’ensemble H := {. . . , −27, −23, −19, −15, −11, −7, −3, 1, 5, 9, 13, 17, 21, 25, 29, 33, 37, 41, 45, 49, 53, . . .} de tous les nombres dont le reste dans la division par 4 égale 1. C’est manifestement un sous-ensemble de l’ensemble Z des nombres entiers. 1˚ Cet ensemble est-il fermé pour les opérations fondamentales, c’est-à-dire la somme, ou la différence, ou le produit de deux éléments de cet ensemble est-il toujours encore un élément de cet ensemble ? 2˚ Les notions et les théorèmes de l’arithmétique élémentaire — restreints à cet ensemble — sont-ils encore vrais ? Jusqu’à quel(s) point(s) ? Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 28 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Un exemple, étrange et . . . utile, mais plus tard Solution. On utilise sur H la structure induite de H ⊂ Z. Il n’y a pas d’addition (ou de soustraction) dans H, puisque (4k + 1) + (4` + 1) = 4(k + `) + 2 Il y a une multiplication dans H, puisque (4k + 1) · (4` + 1) = 4(4k` + k + `) + 1 Il y a donc une notion de diviseur. Il n’y a pas de division euclidienne dans H, puisqu’il n’y a pas d’addition dans H. De manière équivalente 4a + 1 = (4d + 1) · (4q + 1) + 4r + 1 est impossible. Il n’y a pas de notion de P.G.C.D. De manière équivalente I(4a + 1, 4b + 1) n’est pas défini, puisqu’il n’y a pas d’addition dans H. Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 29 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Un exemple, étrange et . . . utile, mais plus tard Il y a une notion de nombre premier dans H puisqu’il y a une notion de diviseur. On trouve P (H) = {5, 9, 13, 17, 21, 29, 33, . . .} Le théorème de Dirichlet implique qu’il y a une infinité de nombres premiers dans H. La décomposition en facteurs (éventuellement premiers) est . . . bizarre. Par exemple 9 = (−3) · (−3) mais 9 ∈ P (H). Et on a même 693 = 21 · 33 = 9 · 77 alors que 9, 21, 33 et 77 ∈ P (H). Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 30 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Un exemple, étrange et . . . utile, mais plus tard N.B. L’unicité de la décomposition en facteurs premiers peut être restaurée de la manière suivante. Si α et β ∈ H, on pose I0 (α, β) := {x · α + y · β}x,y ∈Z ∩ H Quels que soient α et β ∈ H, I0 (α, β) est un sous-ensemble (infini) explicite de H. Par exemple : I0 (9, 21) = {. . . , −27, −15, −3, 9, 21, 33, . . .} ≡ 3 · Z ∩ H I0 (9, 33) = {. . . , −27, −15, −3, 9, 21, 33, . . .} ≡ 3 · Z ∩ H 0 I (21, 77) = {. . . , −35, −7, 21, 49, 77, 105, . . .} ≡ 7 · Z ∩ H I0 (33, 77) = {. . . , −55, −11, 33, 77, 121, 165, . . .} ≡ 11 · Z ∩ H On définit encore une « multiplication » : I0 (α, β) · I0 (γ, δ) := I0 (α · γ, α · δ, β · γ, β · δ) On peut alors vérifier que I0 (693) = I0 (9, 21) · I0 (9, 33) · I0 (21, 77) · I0 (33, 77) ce qui correspond, dans Z à 693 = 3 · 3 · 7 · 11 Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 31 / 32 I. L’arithmétique (très) élémentaire Un exemple, étrange et . . . utile, mais plus tard N.B. (suite et fin). On a ainsi restauré la décomposition en « facteurs premiers idéaux » en restant dans H (pourvu qu’on vérifie encore que les différents ensembles I0 (α, β) introduits soient irréductibles en un sens à préciser . . . ) Cet exemple est dû à D. Hilbert (1862 - 1943). La notion de nombres premiers idéaux est due à E. E. Kummer (1810 1893) et la conception d’un idéal comme ensemble de nombres est dû à R. Dedekind (1831 - 1916). Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 32 / 32