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dialogue, mais aussi au lecteur, qu’il soit ancien ou contemporain. Les
interprétations philosophico-maïeutiques sont également identifiables au
sein d’autres lignes interprétatives, spécialement au sein des lectures
ésotériques, avec cependant des caractéristiques propres et différant sur
quelques points de la lecture de Gill. La proposition méthodologique de Gill
est, à mon avis, extrêmement intéressante à plusieurs titres. Elle permet en
effet de comprendre que le style choisi par Platon a une signification
philosophique et permet donc d’appréhender la philosophie en tant qu’«
activité de philosopher ». De plus elle permet de transposer la finalité
éducative de la méthode socratique à notre époque2. Toutefois, cette lecture
est, à mon avis, un peu anachronique. Il est nécessaire de considérer le
contexte historique dans lequel Platon opérait ; en Grèce en effet, c’est le
moment du passage de l’oralité à l’écriture. Il pouvait difficilement se
trouver un lecteur qui lût un livre seul. Les dialogues socratiques étaient
probablement lus en public dans un esprit de citoyenneté participative3.
Puisque ces dialogues étaient lus publiquement, l’auditoire jouait un rôle
dans la lecture des textes qu’un lecteur ne joue pas (sur ce point je renvoie
au quatrième élément). Je reprends donc la proposition de Gill en en
restreignant la portée et je propose une « lecture maïeutique limitée à
l’époque historique de Platon » : Socrate était conscient d’adresser
également ses questions aux auditeurs présents lors du dialogue et pas
seulement à l’interlocuteur direct ; Platon voulait que ce qui était exprimé
dans les dialogues influençât le public qui assisterait à la lecture.
3. Accorder beaucoup d’attention au style que Platon utilise pour
caractériser le dialogue entre Socrate et ses interlocuteurs, en considérant
avant tout Platon comme un écrivain. L’interprétation maïeutique permet de
2
Cf. A. Nehamas, The Art of Living: Socratic Reflections from Plato to Foucault,
Berkeley, University of California Press, 1998.
3
Cf, par exemple, le renvoi platonicien sur la question de la lecture publique à un
texte d’Anaxagore, dans le Phédon, (Platon, Phaed. 97 b8-c1) ou à ce que rapporte Diogène
Laërce sur la question de la lecture publique du Lysis (Diogène Laërce, Vie des
philosophes, livre 3, chap 35). Il n’est pas vraisemblable que Socrate ait participé à la
lecture de ce dialogue (le genre des logoi sokraikoi est en effet né immédiatement après la
mort de Socrate) ; cette allusion constitue une trace des lectures publiques des dialogues,
comme le fait de se référer, de la part de Diogène Laërce, au public et aux auditeurs.