
À NANCY, UN SUCCULENT COQ D’OR
Le 14 mars 2017 par Michel Thomé
La Scène, Opéra
Nancy. Opéra national de Lorraine. 12-III-2017. Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) : Zolotoï Piètouchok (Le Coq d’Or), opéra en trois actes sur un livret de Vladimir Bielski, d’après
le conte d’Alexandre Pouchkine. Mise en scène : Laurent Pelly. Décors : Barbara de Limburg. Costumes : Laurent Pelly. Lumières : Joël Adam. Chorégraphie : Lionel Hoche. Avec :
Vladimir  Samsonov,  Tsar  Dodon  ;  Roman  Shulakov,  Tsarévitch  Gvidon  ;  Jaroslaw  Kitala,  Tsarévitch  Afron  ;  Mischa  Schelomianski,  Général  Polkan  ;  Marina  Pinchuk,  Amelfa  ;
Yaroslav  Abaimov,  l’Astrologue  ;  Svetlana  Moskalenko,  la  Reine  de  Chemakha  ;  Inna  Jeskova,  le  Coq  d’Or  ;  Ronald  Lyndaker,  Premier  Seigneur  ;  Christophe  Sagnier,  Deuxième
Seigneur ; Taesong Lee, un Homme du Peuple. Chœur de l’Opéra national de Lorraine (chef de chœur : Merion Powell), Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, direction : Rani
Calderon.
France
Grand Est
Nancy
 
Après  Bruxelles,  Nancy  accueille  Le  Coq  d’Or de Rimski-
Korsakov dans la mise en scène optimale de Laurent Pelly. De
la nouvelle distribution émerge surtout la remarquable Reine
de Chemakha de Svetlana Moskalenko.
Quelle heureuse idée a eue l’Opéra national de Lorraine de programmer
ce  Coq  d’Or,  en  coproduction  avec  le  Théâtre  Royal  de  La  Monnaie  de
Bruxelles et le Teatro Real de Madrid ! Car le  dernier opéra de Rimski-
Korsakov, inspiré par le dernier des Contes en vers de Pouchkine, est une
œuvre  absolument  délectable,  musicalement  somptueuse  dans  son
invention  mélodique  et  la  richesse  de  son  orchestration,  où  le  comique
côtoie  le  tragique  et  où  la  satire  du  régime  tsariste  agonisant  est  si
transparente  que  l’œuvre  fut  aussitôt  interdite  par  la  censure  et  ne  fut
créée que deux ans plus tard en 1909. Le compositeur était alors décédé
depuis plus d’un an.
La  mise  en  scène  de  Laurent  Pelly  assume  avec  brio  les  différentes
facettes de l’ouvrage. Le merveilleux, propre au genre du conte, est bien
présent,  notamment  à  travers  les  apparitions  et  disparitions  de
l’Astrologue ou la tente lumineuse en forme de corne d’abondance de la
Reine  de  Chemakha,  dont  la  queue  se  tortille  tel  un  reptile  menaçant.
Pour  le comique,  genre  dans  lequel  il a  connu  ses plus  belles  réussites,
Laurent  Pelly  invente  des  effets  visuels  (dans  les  costumes  qu’il  a  lui-
même  dessinés  comme  dans  les  accessoires  du  décor  de  Barbara
Limburg) ainsi que des jeux de scène (avec une direction d’acteurs d’une
extrême  précision)  du  meilleur  effet,  auxquels  les  déplacements
chorégraphiés  par  Lionel  Hoche  apportent  une  contribution  essentielle.
Le premier acte est à ce titre un pur régal, du grotesque Tsar Dodon en
pyjama  qui  n’aspire  qu’à  dormir  dans  son  gigantesque  lit,  sommet
d’oisiveté  et  de  couardise,  à  ses  deux  fils  transformés  en  Riquets  à  la
Houppe  aussi  stupides  et  bellâtres  l’un  que  l’autre,  du  bougon  Général
Polkan (pourtant le seul a conserver une once de bon sens et à oser dire
la vérité, ce qui lui coûtera la vie) au chœur des boyards tous clonés sur
un  modèle  de  viking  à  l’encombrante  pelisse  et  à  la  coupe  en  brosse
réglementaire, sans oublier la callipyge intendante Amelfa.
Mais  au  fur  et  à  mesure  que  le  spectacle  avance,  la  noirceur  des
caractères,  le  tragique  des  conséquences  et  la  critique  politique  se
révèlent.  Si  le  Tsar  Dodon  s’enfonce  dans  le  ridicule  en  se  laissant
prendre aux filets de la Reine de Chemakha, au troisième acte le doute n’est plus permis. Sur fond de Place Rouge, c’est sur un char d’assaut que son
lit est désormais juché et qu’il impose sa tyrannie à son peuple, le chœur étant traité comme une masse uniforme sans individualité et d’une servilité
totale. Et à la toute fin de l’épilogue, alors que l’Astrologue vient d’édulcorer la violence de la scène finale en rappelant que tout cela n’était qu’une
fable, le rideau remonte pour découvrir un tableau d’apocalypse où tous, peuple compris, gisent morts. En 1907, alors que Rimski-Korsakov termine
son opéra, les massacres de 1905 sont encore dans toutes les mémoires.