liberté, il y a une sorte de scandale, mais aussi d’excitation réactionnaire à les voir payer de leur
vie leur désir d’émancipation. Certes, dans Les Puritains, Elvira survit, mais elle fait tout de
même l’expérience de la folie. Et comme elle vit dans un univers guerrier, très masculin, au sein
duquel elle tente de vivre ses désirs, je trouve que rêver la pièce à travers ses yeux a du sens.
Parallèlement à la carrière prolifique que vous menez à l’opéra, vous travaillez très
régulièrement au théâtre. Que vous apporte ce va-et-vient entre l’art dramatique et l’art
lyrique ?
Laurent Pelly : Même si les deux sont liés, même si j’ai l’impression de faire le même métier,
travailler à l’opéra a beaucoup apporté à l’homme de théâtre que j’étais. Ce qui m’intéresse
beaucoup dans l’art lyrique, c’est la « convention absolue » : dès lors qu’un personnage chante,
il faut trouver, inventer des solutions pour pouvoir continuer à rêver. Et comme j’aime justement
construire des dramaturgies oniriques, cette « contrainte » me convient parfaitement. L’opéra
m’a également appris les grands espaces : c’est très rare que l’on travaille sur d’aussi grands
plateaux au théâtre. Et puis, les hasards des programmations ont fait que j’ai beaucoup travaillé
sur le répertoire du XIXe à l’opéra et qu’au théâtre, j’ai monté dernièrement deux pièces de
Victor Hugo. Alors forcément, les univers se mettent à dialoguer - les époques, les styles, les
façons d’envisager le spectacle…
Vous faites souvent référence à Victor Hugo que, de fait, vous avez beaucoup mis en
scène. vous me disiez tout à l’heure, en plaisantant, qu’au théâtre, vous pourriez très
bien vivre en ne montant que Shakespeare et Hugo. En quoi ces deux auteurs
nourrissent-ils particulièrement votre théâtre ?
Laurent Pelly : Hugo et Shakespeare - qui l’inspirait beaucoup - sont pour moi deux grands
maîtres parce que leur théâtre mêle intimement tragédie et comédie humaines. Récemment, j’ai
mis en scène Macbeth : il s’agit d’une pièce terrible, violente, sanglante, mais dans laquelle je
ne peux m’empêcher de voir une dimension farcesque – qu’a très bien perçue Jarry dans
«Ubu» - : assassiner tout le monde pour s’approprier et conserver le pouvoir, se murer dans sa
propre folie… Cette façon qu’ont Shakespeare et Hugo d’osciller constamment entre profondeur
et légèreté m’aide beaucoup à appréhender les œuvres que je mets en scène, jusqu’à cette
production des Puritains : ce château-prison gigantesque et transparent, cette guerre meurtrière
et dérisoire…
Comparées à celles d’autres metteurs en scène dont les esthétiques sont immédiatement
identifiables, vos mises en scène se suivent mais ne se ressemblent pas – alors même
que vous collaborez sou vent avec la même scénographe. Est-ce un souci permanent
que vous avez de vous renouveler, d’inventer sans reproduire ?
Laurent Pelly : Je ne me pose pas tout à fait le problème en ces termes. Disons que j’ai la
conviction que c’est l’oeuvre qui doit m’imposer son esthétique. C’est pour cette raison que ma
mise en scène des Puritains ne ressemblera ni à Giulio Cesare, ni à L’Elixir d’amour, ni
à Platée. Avec ma scénographe Chantal Thomas, nous n’avons aucune recette. Nous aimons
toujours repartir à zéro. Bien sûr, j’ai des obsessions, et ma façon de raconter les histoires s’en
ressent : je suis fasciné par l’illusion théâtrale, et cette fascination peut se retrouver d’un
spectacle à l’autre. Mais ce qui m’intéresse avant tout, c’est de me laisser complètement
imprégner par l’oeuvre. Il arrive que j’éprouve le besoin de transposer, de changer l’époque, de
déstructurer une œuvre, parce que nous n’avons plus les références culturelles pour la
comprendre. Mais pour d’autres, je m’y refuse absolument. Je viens par exemple de remonter
au Japon L’Enfant et les sortilèges. Quand je mets en scène un chef-d’œuvre si complexe
dramaturgiquement et scénographiquement, mon rôle est d’abord de tout faire pour qu’il «
fonctionne ». Si je commence à le déstructurer, je risque de le tuer… Simon Hatab
© En Scène !
12 novembre 2013