SE POSITIONNER DANS LE PAYSAGE ECONOMIQUE ET SOCIAL En 1995, l’économie sociale est repérée au sein du CESR (Conseil économique et social régional) par le seul président du GRCMA (bientôt CRES) qui en est le vice-président. Cette représentation se situe dans la commission qualité de la vie, il n’y a pas encore de représentant dans la commission économique. Il faut marteler la formule suivante : « Les entreprises de l’économie sociale ne sont pas des entreprises comme les autres, mais comme les autres, ce sont des entreprises ». L’attention portée par le CESR pour l’économie sociale n’évolue que très lentement, sous l’effet conjugué de la mise en place d’un Secrétariat d’Etat à l’économie solidaire, de la montée en puissance de la CRES et de l’élection d’un acteur de l’économie sociale (Mutualité) comme président. Il n’en demeure pas moins qu’en 2002 encore, un représentant du Medef parle des associations comme « contributeurs négatifs à l’économie bretonne ». La saisine du CESR par le nouveau président de la Région, demandant une étude sur l’économie sociale, dont les rapporteurs seront l’URIOPSS et la CFDT, change la donne : pendant plus d’un an, cette étude mobilise fortement le CESR et donne à voir le vrai visage de l’économie sociale dans cette Bretagne terre de coopération. Les conclusions de cette étude, reprises avec attention par la Région, aboutissent à une politique régionale d’appui au développement de l’ESS. En 2012, il ne vient à l’esprit d’aucun membre du CESR, devenu CESER1, d’attaquer l’ESS. Signe de cette évolution, l’avis du CESER critiquant la Région sur sa politique de l’innovation ne faisant aucun cas de l’innovation sociale… Alain Even : « L’ESS, un volet important de la dynamique économique » Alain Even, vous avez été président pendant six ans de l'association des présidents de CESR et avez donc été l'interlocuteur du ministère pour la représentation des nouvelles assemblées. Comment était alors perçue l’ESS ? Je suis arrivé au CESR comme représentant de la Mutualité française. Une des questions qui se posait alors était celle de la représentation de l'économie sociale dans ces assemblées. Elle était perçue à l'extérieur comme un mouvement associatif et c'était d'ailleurs quelque peu la volonté des représentants des milieux économiques, voire des organisations syndicales. Il y avait donc cette difficulté à reconnaître qu’elle était aussi du champ économique. Ce sentiment était renforcé par certains acteurs qui avaient du mal à se positionner comme par exemple les banques coopératives et mutualistes, membres de la CRES, qui votaient toujours comme le patronat et pas franchement du côté de l'économie sociale et solidaire. Il y avait donc cette difficulté à ce que le champ de l'économie sociale et solidaire soit bien repéré dans sa double dimension : son engagement sur l'économique et dans sa dimension militante. Quelle position avez-vous défendue ? J'ai toujours essayé d'évoquer cette double appartenance pour que l'économie sociale et solidaire soit présente dans le collège 1, celui des milieux économiques -ce qui est le cas aujourd'hui pour quelques représentants- et dans le collège 3, celui des milieux associatifs, militants, ce qui est toujours le cas aujourd'hui également. Mais il faut se souvenir que l'économie sociale et solidaire avait elle-même des difficultés à se positionner clairement et à se faire reconnaître dans ses différentes identités. 1 Conseil économique, social et environnemental régional Se positionner dans le paysage économique et social 20 ans d’ESS en Bretagne – avril 2015 Vous étiez président lorsque paraît cette étude sur l’économie sociale. Qu’apporte-t-elle de nouveau ? J’étais en connivence avec le président de la Région pour que ce travail s'engage sur l’ESS. C’était une première en France…. Cette étude a permis de faire prendre conscience aux différents acteurs présents dans le CESR que l'économie sociale, de fait, participait à la vie économique et en était un volet important à la fois en termes d'emplois et aussi en termes de dynamique économique… Qu’elle ne vivait pas pour l'essentiel de la redistribution comme certains le laissaient trop souvent penser. Le rapport qui a été produit est devenu une référence permettant aux acteurs de mieux se positionner et se définir. Il faut préciser que le gouvernement poussait à ce que l’ESS soit mieux représentée et entre dans le collège 1, faire en sorte que le champ des activités économiques n'apparaisse pas exclusivement comme du ressort du patronat. Le concept d'innovation sociale est-il aujourd’hui intégré à la politique du CESR ? C'est effectivement un volet très intéressant mais c'est un concept qui a beaucoup de mal à être reconnu, sans doute parce que notre vision de l'innovation sociale est restrictive. L'innovation sociale ne se résume pas à l'innovation dans le champ des rapports sociaux, en particulier des rapports sociaux en entreprise. Il y a donc beaucoup de difficultés à ouvrir le champ de l'innovation sociale, la percevoir comme étant un champ où on trouve de nouvelles solutions pour le vivre ensemble, pour améliorer l'action sociale d'une façon générale, faire reculer la pauvreté, les inégalités, mieux assurer les services… Il y a aussi des innovations en matière de produits, des initiatives sociales conduites par des mouvements citoyens à la base qui ne sont pas considérées comme innovantes. Peut-être faut-il à l’avenir innover encore plus socialement qu'économiquement ? L'économie sociale et solidaire est souvent porteuse de tout un ensemble d'innovations sociales sur le terrain, qui sont connues des milieux spécialisés mais qui ne sont pas prises en compte dans les analyses générales. La loi ESS a été votée. Quelles sont désormais les prochaines marches à gravir ? L’ESS a connu d’importantes avancées et est aujourd’hui dans une ligne d'évolution positive mais il y a encore un grand effort à faire en matière de visibilité. C’est vrai que le champ de l’ESS est fortement divers : entre le réseau bancaire mutualiste ou coopératif, la Mutualité qui agit en matière de solidarité et remplit des fonctions économiques, tous ces acteurs qui interviennent directement dans des logiques marchandes et tous les autres, ancrés dans une économie sociale et solidaire de terrain liée au milieu associatif, avec un mélange entre bénévolat et salariat… il y a une grande difficulté à repérer, pour un acteur extérieur, ce qu’est vraiment l’économie sociale et solidaire ! Ce qui nécessite que les acteurs qui revendiquent d'appartenir à ce champ soient un minimum… solidaires ! Durant les 20 dernières années, le CESR a sûrement été un des lieux qui a permis de faire avancer en Bretagne la représentation que l'on avait de l'économie sociale et solidaire à la fois par les différents acteurs socioéconomiques et aussi par les pouvoirs publics, y compris par les représentants de l'État en région. Il a été le lieu de la prise de conscience et du développement de l'idée. Les invendus, ça se récupère et valorise avec Les paniers de la mer – Arep St Malo Se positionner dans le paysage économique et social 20 ans d’ESS en Bretagne – avril 2015