2 EGE c. TURQUIE – EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS
« Mon frère était attaché à son lit par les poignets. D’après le personnel médical, il
s’agissait d’une précaution pour éviter qu’il n’enlève les sondes. D’après ce que j’ai
compris, dans la nuit du 9 mars 2001, la sonde de ventilation s’était déplacée.
L’appareil avait émis un signal d’alarme mais le personnel médical ne l’a entendu que
tardivement. Lorsque les médecins sont intervenus, ils ont constaté que Sedat était
déjà mort. Les conclusions de l’autopsie, selon lesquelles mon frère est mort en raison
d’une insuffisance respiratoire, confirment mes dires. Il y a bien eu un homicide
involontaire du fait de cette négligence et je souhaite que les responsables soient
pénalement punis. »
L’infirmière F.D. se défendit en ces termes :
« M. Ege souffrait de sclérose latérale amyotrophique. J’étais de garde le soir du
9 mars 2001. Je devais m’occuper des salles 1201 et 1210. Alors que j’étais occupée
dans la salle 1201, j’ai entendu l’alarme sonner à la salle 1210. Je me suis aussitôt
rendue au chevet de M. Ege. Puis j’ai appelé le médecin D.T. qui a constaté que la
sonde respiratoire était sortie de son emplacement. Au moment où il essayait de la
remettre en place, le patient a fait un arrêt cardiaque. Malheureusement, nous n’avons
pas pu le sauver malgré notre intervention. »
Le docteur D.T. déposa en ces termes :
« Le 8 mars 2001, un des patients qui était dans la salle de réanimation est décédé.
M. Sedat Ege a été très affecté par cet événement. Il nous a assuré qu’il respirait bien
et il a voulu quitter l’unité de soins intensifs. Comme en réalité il n’arrivait pas à
respirer suffisamment sans l’assistance de la ventilation artificielle, nous avons refusé
sa demande. Nous avons essayé de le calmer, mais il était agité. Il a demandé à voir sa
famille. Nous avons accepté. Nous avons renforcé les attaches de la sonde
respiratoire. Par la suite, par précaution, pour éviter tout risque d’auto-extubation,
nous avons attaché le malade à son lit au niveau des poignets. Le 9 mars 2001, vers
3 h 50 du matin, j’ai entendu l’alarme du respirateur des soins intensifs. J’ai aussitôt
couru vers la salle des soins intensifs et j’ai constaté que le patient Sedat Ege était
pâle. Il avait les yeux fermés et ne répondait pas. La sonde endotrachéale et le fixateur
de sonde endotrachéale étaient toujours en place. Lors de mon intervention, j’ai
remarqué que le ventre du patient gonflait. J’ai tout de suite compris que la sonde
respiratoire avait changé de place et qu’elle s’était déplacée vers l’œsophage. Dès lors,
j’ai fait en sorte que la ventilation assistée soit assurée, mais le patient a fait un arrêt
cardiaque. Nous avons appliqué le protocole de réanimation cardio-pulmonaire avec
un autre médecin urgentiste mais, malgré tous nos efforts, le patient est décédé à
5 h 5. »
Une infirmière témoin des événements fut également entendue et
confirma les dires de F.D. et D.T.
Les juges décidèrent de saisir le Conseil supérieur de la santé pour
expertise. A la suite de deux réunions, le 7 et le 8 septembre 2006, le
Conseil supérieur de la santé rendit son rapport et conclut que le médecin
D.T. et l’infirmière F.D. n’avaient commis aucune faute professionnelle. Il
ajouta néanmoins que les conditions de l’unité des soins intensifs de
neurologie au centre hospitalier universitaire d’Ankara n’étaient pas
adaptées et qu’il y avait eu un certain nombre de dysfonctionnements dans
le service, qui avaient joué un rôle dans le décès du patient Sedat Ege.
Trois médecins du Conseil supérieur de la santé rédigèrent une opinion
dissidente, dont la partie pertinente en l’espèce se lit comme suit :
« Le diagnostic posé et le traitement médical proposé étaient conformes aux règles
médicales. En revanche, il ressort du dossier que le patient était particulièrement agité.
Il voulait enlever la sonde respiratoire. Par exemple, le 2 mars 2001, il l’a enlevée
deux fois. Les médecins sont intervenus pour la remettre en place. Le comportement
du patient mettait sa vie en danger, car il avait besoin de la ventilation assistée pour
pouvoir respirer. Avec ce type de patients, il ne suffit pas de les attacher au lit par les