
Le corps
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© Groupe Eyrolles
Comment comprendre que Socrate soit «plein de confiance et
d’espoir» à l’approche de la mort? Quels sont ces grands biens
auxquels aspirent Socrate et tous les philosophes à sa suite? Cela
engage le cœur de la philosophie de Platon et, plus particulière-
ment, sa conception de l’âme et du corps.
La primauté de l’intelligible sur le sensible
Le fondement de l’attitude socrato-platonicienne par rapport à la
mort est la séparation effectuée par Platon entre âme et corps, et la
primauté accordée à la première sur le second. En effet, le monde
platonicien est divisé en deux: il y a d’une part le monde sensible,
visible, le monde du corps, qui est aussi le monde du mouvant, du
devenir, et d’autre part le monde intelligible, le monde des Idées,
le monde de l’être, avec lequel seule l’âme peut être en relation.
Or, à de nombreuses reprises, Platon affirme la primauté et la
supériorité du monde des Idées, le monde de ce qui est éternelle-
ment, sur le monde sensible, le monde de ce qui devient, dispa-
raît, évolue. Le corps, objet sensible, corruptible et mortel appar-
tient au monde sensible, tandis que l’âme appartient au monde
intelligible. Car pour Platon, l’âme est immortelle, et sa vie est
faite d’une succession de périodes d’incarnation et de périodes
de « désincarnation », c’est-à-dire de séparation du corps, le
cycle commençant nécessairement par un séjour de l’âme dans
le ciel des Idées, première et cruciale occasion pour l’homme de
les contempler1. À cet égard, l’incarnation de l’âme dans le corps
apparaît dans certains textes platoniciens comme un enterre-
ment, l’âme étant condamnée à vivre dans un monde corruptible,
au lieu de pouvoir circuler parmi les Idées, comme elle y aspire
naturellement. Voici d’ailleurs ce que dit Socrate à Gorgias:
« Tu sais, en réalité, nous sommes morts. Je l’ai déjà
entendu dire par des hommes qui s’y connaissent : ils
1. Notons que cette vie antérieure dans le ciel des Idées est la condition de la célèbre
réminiscence platonicienne: quand l’homme, lors de sa vie incarnée, pense à des Idées,
c’est qu’il s’en souvient et, s’il s’en souvient, c’est qu’il a eu l’occasion de les contempler
avant son incarnation.