Introduction La psychologie différentielle à la croisée des chemins… Alain Vom Hofe, Heidi Charvin, Jean-Luc Bernaud et Dominique Guédon Ce volume, qui rassemble soixante-quatre contributions issues d’une sélection des conférences et communications proposées lors des 15e Journées de Psychologie Différentielle, constitue un reflet fidèle de l’activité scientifique dans notre discipline. Mais, à l’image des parutions résultant des précédentes Journées, il est aussi davantage qu’une simple compilation de textes. On y retrouve la « respiration » d’une psychologie différentielle francophone qui, dans le sillage de M. Reuchlin, a su sortir des « sentiers battus » et se remettre en question de façon permanente. Les trois conférences invitées, bien que leur fonction dans le cadre du colloque soit parfaitement différenciée, participent à la réflexion sur le statut de la psychologie différentielle, sur son identité au sein de la psychologie, elle-même traversée par de profondes dynamiques évolutives. La conférence inaugurale de Jacques Lautrey nous plonge dans une analyse très pénétrante des conséquences du changement de statut épistémologique de la variabilité intra-individuelle. Après avoir « ciselé » une synthèse des évolutions théoriques qui ont contribué à modifier ce statut, l’auteur propose un plaidoyer pour l’étude des articulations entre variabilités intra et interindividuelle et forme le vœu de l’avènement d’une authentique psychologie de la différenciation. Mais en élargissant ainsi son domaine la psychologie différentielle ne risque-t-elle pas de perdre son identité ? L’auteur défend le point de vue inverse, selon lequel l’ouverture à l’étude de la variabilité intra-individuelle est propre à replacer le centre de gravité de la discipline sur ces deux options fondamentales : d’une part, la centration sur l’individu, et d’autre part, l’approche « écologique ». L’identité profonde de la discipline ne devrait-elle pas, alors, se traduire sous l’appellation de psychologie individuelle ? Dans un contexte marqué par la volonté du Comité Scientifique des 15e Journées de promouvoir les recherches affiliées à des domaines émergents ou à des domaines qui restent des « terres de mission », il s’avère parfois difficile de statuer sur la « signature » différentielle des travaux. La conférence d’Anik de Ribaupierre répond d’abord à cet objectif, en signalant notamment l’originalité des productions francophones. Mais l’auteur, qui articule savamment dans ses propres travaux, les approches différentielle et développementale, va au delà en proposant un état de la question qui constitue une véritable réflexion épistémologique, propre à inspirer une introduction très didactique à la discipline. I Alain Vom Hofe, Heidi Charvin, Jean-Luc Bernaud et Dominique Guédon La conférence de Pierre Roubertoux questionne l’implication du génome dans le phénotype et, indirectement, l’implication du génome dans l’origine des différences individuelles. Au terme d’une revue très éclairante, l’auteur, auquel s’est associée Michèle Carlier pour la rédaction du chapitre, rappelle d’abord que le séquençage du génome a permis de rompre avec l’hypothèse classique selon laquelle « à un gène correspond un comportement » et de discerner la polyvalence des gènes (à un gène, plusieurs comportements et à plusieurs gènes, un comportement…). Il est également avancé que les travaux conjoints sur le criblage exhaustif du génome et sur l’identification de gènes candidats à un comportement remettent en question les liens postulés entre plusieurs formes d’une même pathologie ainsi que la véracité du facteur général de fonctionnement cognitif, confortant ainsi l’intérêt dune approche syndromique. Ce faisant, les auteurs interrogent les pratiques du psychologue et invitent à prendre des distances avec les catégories nosographiques traditionnelles et les construits psychologiques trop génériques. S’agissant des communications, nous ferons trois constats. Le premier a trait à la forte présence de la psychologie différentielle francophone sur le terrain de l’étude des processus de contrôle. Bien qu’affiliables à une même (large) catégorie, les travaux relatifs à la Mémoire de Travail, au vieillissement cognitif, aux fonctions exécutives, ont constitué lors de ce colloque une matière suffisamment consistante pour qu’il soit consenti à chacun d’entre eux un chapitre propre. On notera également que l’investissement récent des différentialistes sur l’étude des processus exécutifs, bien visible au niveau international (par ex. Salthouse, Miyake), n’est pas sans rappeler la contribution importante de notre discipline à l’étude la MDT, au cours de la décennie 1980-1990. Le second constat porte sur la plus grande « contextualisation thématique » de la recherche en psychométrie. Alors que celle-ci est restée assez longtemps l’apanage de généralistes de haut niveau qui diffusaient leur expertise dans des domaines extrêmement variés, on voit de plus en plus émerger aujourd’hui, dans de nombreux domaines, des propositions novatrices (et susceptibles de généralisation) en matière de méthodologie de la mesure. C’est pourquoi dans la présentation de cet ouvrage, bon nombre de propos méthodologiques et psychométriques ont été rattachés aux thématiques qui les ont suscités. La troisième observation concerne le peu d’écho rencontré par nos Journées auprès des spécialistes de psychologie sociale et de psychologie du travail. Ce fait est paradoxal aussi bien pour la psychologie sociale, dont on perçoit pourtant au niveau international (cf. les sommaires de l’excellent Journal of Personality and Social Psychology) le vif intérêt pour l’approche différentielle, que pour la psychologie du travail (et ergonomique), dont l’objet même est très sensible aux différences individuelles. Parmi les différentes raisons susceptibles d’être invoquées pour expliquer cette désaffection, comment ne pas voir l’effet propre de notre appel à communications : le thème de la conation et celui de la relation conation-cognition sont-ils suffisamment explicites pour induire une représentation pertinente de nos attentes ? Faut-il aller plus loin encore dans l’amorçage en proposant, à l’image de ce qu’avait fait M. Reuchlin dans L’Année Psychologique en 1984, une tribune sur le thème de la relation entre psychologie différentielle et psychologie sociale (expérimentale) ? C’est donc dans le contexte que nous venons d’esquisser, en quelques lignes, que se sont inscrites les communications proposées dans cet ouvrage. Leur contribu- II Introduction tion, dont nous remercions sincèrement les auteurs, devrait apparaître au lecteur – néophyte ou expert – comme étant substantielle tant au plan de l’originalité, de la diversité que celui de la qualité. Gageons que les prochaines Journées, au Luxembourg en 2004, connaîtront un franc succès et participeront au rayonnement de la psychologie différentielle. III