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Dissident, il va sans dire nous présente avec
bienveillance deux personnages qui évoluent dans leur
environnement, sans porter aucun jugement sur eux.
Rien n'est stigmatisé. Hélène et Philippe, une mère et
son fils, parlent de tout et de rien, du père absent, des
disques qui traînent sur le tapis, ou de la mort de la
grand-mère. Ils vivent simplement dans leur apparte-
ment, et c'est à l'intérieur de cet ordinaire que naît la
complicité, mais aussi les malaises et l'incompréhen-
sion.
Michel Vinaver est souvent considéré comme un
auteur difficile, réservé à un public d'universitaires,
parce que son écriture est inhabituelle. Sa particularité
réside dans le montage et l'assemblage apparemment
illogique des répliques, qui permettent l'apparition de
ce que Vinaver appelle des " fragments de sens ", inat-
tendus et essentiels. Il n'utilise pas son théâtre pour
parler, exposer ses points de vue sur la politique ou les
rapports humains. Ses pièces parlent d'elles-mêmes.
Elles agissent presque à son insu. Il ne dicte rien, il
produit simplement un matériau prêt à agir sur l'imagi-
naire et la réflexion du spectateur, dans une démarche
d'humilité et de simplicité.
Le passage au plateau de Dissident, il va sans
dire poursuit ce principe. Nous présentons cette histoire
avec notre subjectivité, mais sans jamais la juger.
L'espace de jeu représente un lieu facilement identifiable
comme étant la cuisine de l'appartement d'Hélène et
Philippe, sans pour autant reproduire un intérieur de
classe sociale moyenne des années 70. Un lieu exigu
rapprochant à l'extrême la pièce du spectateur autour
des quelques éléments constituant le lieu de vie des
personnages : les disques de Philippe, la porte de sa
chambre, les sabots d'Hélène. A l'intérieur des courts
extraits de leur quotidien apparemment banal, chaque
dissonance, chaque frottement doit être capté. Il s'agit
de créer une tension fragile, à fleur de peau, afin que
le spectateur entende la cuillère tremper dans le bol de
soupe, soit témoin de chaque faille. A partir de là, le
spectacle maintient cet équilibre fragile entre le fait de
montrer et celui de pointer du doigt.
Nous voulons offrir au spectateur la plus grande
liberté quant à sa perception et sa réception de la
pièce. Bien sûr la particularité de l'écriture qui induit
une particularité dans le jeu n'empêche en rien la
cohérence, mais permet d'ouvrir le champ des sens.
Le travail des comédiens consiste à investir chaque
réplique, indépendamment les unes des autres.
L'acteur ne peut donc pas s'appuyer sur une évolution
de la tension dramatique puisqu'elle est rompue régu-
lièrement. Rupture renforcée par une exploration de ce
qui se joue entre les scènes (les "morceaux"), où la
frontière comédien/personnage devient ambiguë.
Comme Michel Vinaver, nous tenons à restituer
cette parole à la fois simple et déroutante, drôle et
effrayante, pour créer chez le spectateur des chocs
microscopiques.
“Un but dans
la vie il reste
encore un peu
de ce
saucisson?2”
NOTE DU METTEUR EN SCÈNE
2. Dissident, il va sans dire ,
morceau onze
Photos : Morceau 12 (haut)
Morceau 4 (bas)