Essais de définitions
Dans la pratique quotidienne, il arrive que des situations
cliniques aientune allure simple : revenir d’Afrique avec un
parasite intestinal ou être victime d’un accident fait peu
intervenir la génétique ou la psychologie personnelle.
L’origine du problème de santé est relativement claire
dans les deux cas : il s’agit d’agressions de l’environne-
ment, donc de causes extérieures aux individus.
Au contraire, et c’est souvent le cas, nous sommes
confrontés à des tableaux complexes. Devant certaines
douleurs au long cours sans support évident, certaines
colopathies tenaces sans cause précise, etc., etc., nous
pouvons nous sentir « scientifiquement désarmés ».
Notre formation médicale nous a incités à faire des
examens pour vérifier qu’il n’y a pas de cause précise
accessible à un traitement connu, et il s’agit bien là, en
effet, d’une démarche logique. Ensuite, si nous ne
trouvons « rien », c’est la plongée dans l’inconnu...
Le fait d’appeler certaines de ces pathologies, par
exemple « fonctionnelles », ne nous apporte qu’une
aide modérée, aussi bien pour la compréhension de ce qui
se passe, que pour la conduite thérapeutique à proposer
[2].
Et les choses sont parfois encore plus complexes. Devant
différents tableaux cliniques, par exemple certaines
allergies, certaines polyarthrites, certaines hyperthyroï-
dies, certains ulcères digestifs, etc., il nous arrive de
penser que ces maladies « authentiques », c’est-à-dire
vérifiables par le laboratoire et/ou par l’anatomopatho-
logiste, peuvent être en relation avec des troubles du
psychisme. Même si d’autres facteurs, génétiques, envi-
ronnementaux, biologiques variés..., peuvent être, chez
le même sujet, également en cause, le facteur psycho-
logique nous paraît parfois important, voire déterminant.
Le fait de nommer ces pathologies psychosomatiques,
même s’il peut ressembler à un progrès, ne nous apporte,
là aussi, qu’une aide modeste, dans la mesure où le saut
du psychique dans l’organique conserve une grande
partie de son mystère.
Chaque fois qu’une participation psychologique, partielle
ou déterminante, est soupçonnée dans l’origine d’une
pathologie, un vocabulaire particulier apparaît donc.
Les expressions : pathologie fonctionnelle, pathologie
psychosomatique, somatisation, hypochondrie, plus rare-
ment hystérie, sont largement utilisées. Il est frappant de
constater que certains auteurs font appel à ces diffé-
rentes étiquettes comme si la signification de chaque mot
ou expression était clairement déterminée. Il arrive même
que l’une ou l’autre des expressions ci-dessus semble
utilisée un peu au hasard, comme s’il s’agissait de
synonymes. Un seul point semble mettre tout le monde
d’accord : toutes ces pathologies ne sont pas volontaires,
ce ne sont pas des simulations.
Pour essayer d’y voir plus clair, autant s’adresser à des
dictionnaires. C’est d’ailleurs ce que font les patients eux-
mêmes, par exemple sur Google et Wikipedia. La rigueur
scientifique de ces documents est parfois limitée, mais le
public y a souvent recours, ce qui en fait une référence
importante dans la pratique.
Comment des sources différentes définissent-elles des
termes comme « hypocondrie », « somatisation » ... ? Il
est possible de se référer, par exemple, aux trois
documents suivants :
–L’Encyclopaedia Universalis. Version 2006.
–Le Dictionnaire international de la psychanalyse. Alain
de Mijolla (dir.). Calmann-Lévy. 2002.
–L’encyclopédie Wikipedia.
Pathologie fonctionnelle
Les trois sources ci-dessus ne définissent pas « pathologies
fonctionnelles » en tant que telles. Toutefois, Google
propose de nombreux articles sur les pathologies
fonctionnelles digestives, gynécologiques, etc.
En réalité, le plus souvent, la définition de « fonctionnel »
est négative : une pathologie fonctionnelle est une
pathologie qui n’est pas organique. Il est vrai que cette
définition négative traduit assez bien la démarche
médicale habituelle. Devant un trouble fonctionnel
quelconque, digestif ou urinaire par exemple, il est
logique de s’assurer de l’existence ou de l’absence d’une
lésion à l’origine de ce trouble fonctionnel. Ce n’est qu’en
l’absence de lésion décelable que l’on va parler de
pathologie fonctionnelle. Or, cette classification binaire
organique/vs/fonctionnel, a deux inconvénients majeurs :
–d’une part, puisqu’il n’y a pas de lésion visible, la
pathologie en cause est donc moins sérieuse, voire moins
« intéressante ». Le risque est grand de rejeter ces
pathologies en périphérie de la médecine. C’est dans
ces cas que l’on peut entendre les expressions : « vous
n’avez rien », voire « c’est dans la tête ».
–d’autre part, « absence de lésion » veut seulement
dire : absence de lésion « décelable ». Or, comment
imaginer qu’un patient colopathe depuis trente ans, par
exemple, ne présente aucune lésion, ne serait-ce qu’au
niveau de certaines cellules, voire de certains canaux
ioniques, voire de certaines molécules ? C’est peut-être
parce que nous avons des difficultés à authentifier ces
mini-lésions que nous opposons « organique » à « fonc-
tionnel ». Scientifiquement parlant, cette opposition n’a
guère de sens. Elle conserve toutefois un intérêt pratique,
puisque nous n’avons pas la même attitude, le même
sentiment d’urgence, devant un colopathe chronique et
devant un cancer du côlon.
Hypochondrie
–Dans l’Encyclopedia Universalis :«En médecine, ten-
dance maladive à se préoccuper de sa santé et de
maladies, souvent imaginaires ».
–Dans le Dictionnaire international de la psychanalyse :
«L’hypochondrie peut être considérée comme une
formation psychopathologique dont le site, lieu de
souffrance, d’angoisse, voire d’effacement (fantasma-
tique), est le corps ou une de ses parties, ou une de ses
fonctions, alors que les symptômes évoqués apparaissent
dans la majorité des cas sine materia ».
Formation médicale Peut-on enseigner des données médicales que nous comprenons mal ?
32 MÉDECINE Janvier 2016
VIE PROFESSIONNELLE
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