Peut-on enseigner des données médicales que nous comprenons mal

Peut-on enseigner
des données médicales
que nous comprenons
mal ?*
Pourquoi cette question ?
Les Facultés de Médecine ne sont pas tout à fait comme les autres. Les
étudiants sortent de certaines Facultés (Lettres, Sciences, etc.) avec une
culture en histoire, ou en physique, ou en psychologie, ou etc. Mais ils
sortent de la Faculté de Médecine avec un métier, ce qui est très différent.
Du jour au lendemain, de jeunes professionnels vont se trouver
responsables, parfois seuls, de la santé et de la maladie de leurs
contemporains.
Les enjeux de la formation médicale sont si importants que la tendance
naturelle des enseignants est de former des médecins capables daffronter
toutes les situations, ce qui est la logique même. Dunecertainefaçon,la
Faculté veut former des médecins qui auraient « réponse à tout ». Or, cest
plusieurs fois par jour que notre réponse risque dêtre incomplète, aussi
bien sur le plan biologique que sur le plan psychologique. Simplement
parce que nous ne comprenons pas toujours « tout ». Bernard Charlin [1]
précise que, dans la majorité des cas, nous avons à faire à des « ...
problèmes complexes, ou encore mal structurés... ». Il rappelle que dans
ces cas « ...les données constitutives ne sont pas toutes disponibles
demblée... », et que « ... de tels problèmes ne peuvent pas être résolus
avec un haut degré de certitude et, dailleurs, les professionnels experts du
domaine concerné sont souvent en désaccord quant à la meilleure solution
à mettre en œuvre, y compris a posteriori quand le problème peut être
considéré comme ayant été résolu ». Ces situations sont courantes en
médecine générale, en particulier dans certaines pathologies au long
cours. À lui tout seul, le vocabulaire médical quotidien laisse planer des
incertitudes : les médecins (et les patients) comprennent-ils tous exacte-
ment la même chose quand on utilise des expressions comme :
«pathologie fonctionnelle », des mots comme : « somatisation », « psy-
chosomatique »?
Il est évidemment nécessaire de former des professionnels capables de
fonctionner efcacement devant tous les problèmes médicaux qui leur sont
présentés. « Efcacement » voulant dire quils sont capables de faire le tri
entre ce qui nécessite dagir rapidement et ce qui permet de prendre un
peu de temps. Il est permis de se demander, là aussi pour une raison
defcacité, sil ne faudrait pas permettre aux futurs médecins daccepter
lidée de ne pas avoir réponse à tout, tout le temps et tout de suite. Il est
vrai que devant le traitement par les médias de certaines prouesses
techniques médicales, il devient difcile daccepter lidée que lon ne
comprend pas « tout ».
Pour y voir plus clair, il faudrait essayer de se mettre daccord, si cest possible,
sur le contenu des notions courantes comme « pathologie fonctionnelle »,
« somatisation », etc.
Formation médicale
Résumé
Le rôle des Facultés de Médecine est de
former des professionnels capables de
faire face à toutes sortes de situations
médicales. Certaines pathologies sem-
blent bien cadrées, depuis leurs étio-
logies jusquaux thérapeutiques
proposables. Dautres sont plus
complexes, et les démarches possibles,
diagnostiques et thérapeutiques, ne
recueillent pas toujours lunanimité.
Ce nest pas surprenant, puisque des
notions comme « pathologie fonction-
nelle », « somatisation », « pathologie
psychosomatique » font lobjet de dé-
nitions parfois variées, souvent oues.
Il paraît pourtant indispensable
daborder ces problèmes pathologi-
ques au cours des études médicales. La
question est cependant posée de savoir
si les méthodes et moyens pédagogi-
ques habituels sont bien adaptés pour
enseigner ces pathologies.
Mots clés : enseignement médical.
Abstract. May we teach medical data
that we misunderstand?
The role of medical schools is to train
professionals who will be able to face all
kinds of medical situations. Some items
of pathology seem sufciently included
in the curriculum, from their etiologies
to the offer of therapeutic. Others are
more complex, and some possible
approaches, diagnosis and treatment,
do not always meet unanimous agree-
ment. This is not surprising, since
concepts like functional pathology,-
somatization,psychosomatic disease
are subjects to denitions which are
sometimes varied, often blurred.
Yet it seems essential to deal with these
pathological problems during medical
studies. However the question is whe-
ther the usual methods and teaching
materials are really adapted for
teaching these pathologies.
Key words: medical education; health
information exchange.
DOI: 10.1684/med.2016.11
ÉDECINE
Jean-Loup Rouy
Ancien maître de conférence libre de méde-
cine générale, UFR de Bobigny
559 rue Pipe Souris, 77350 Le Mée-sur-Seine
Tirés à part : J.L. Rouy
*Cet article est précédemment paru dans le Bulletin de la Société Médicale Balint : Le
Bulletin, n°79, été 2014. Nous remercions sa rédaction de nous autoriser à le publier.
VIE PROFESSIONNELLE
ÉDECINE
MÉDECINE Janvier 2016 31
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Essais de dénitions
Dans la pratique quotidienne, il arrive que des situations
cliniques aientune allure simple : revenir dAfrique avec un
parasite intestinal ou être victime dun accident fait peu
intervenir la génétique ou la psychologie personnelle.
Lorigine du problème de santé est relativement claire
dans les deux cas : il sagit dagressions de lenvironne-
ment, donc de causes extérieures aux individus.
Au contraire, et cest souvent le cas, nous sommes
confrontés à des tableaux complexes. Devant certaines
douleurs au long cours sans support évident, certaines
colopathies tenaces sans cause précise, etc., etc., nous
pouvons nous sentir « scientiquement désarmés ».
Notre formation médicale nous a incités à faire des
examens pour vérier quil ny a pas de cause précise
accessible à un traitement connu, et il sagit bien là, en
effet, dune démarche logique. Ensuite, si nous ne
trouvons « rien », cest la plongée dans linconnu...
Le fait dappeler certaines de ces pathologies, par
exemple « fonctionnelles », ne nous apporte quune
aide modérée, aussi bien pour la compréhension de ce qui
se passe, que pour la conduite thérapeutique à proposer
[2].
Et les choses sont parfois encore plus complexes. Devant
différents tableaux cliniques, par exemple certaines
allergies, certaines polyarthrites, certaines hyperthyroï-
dies, certains ulcères digestifs, etc., il nous arrive de
penser que ces maladies « authentiques », cest-à-dire
vériables par le laboratoire et/ou par lanatomopatho-
logiste, peuvent être en relation avec des troubles du
psychisme. Même si dautres facteurs, génétiques, envi-
ronnementaux, biologiques variés..., peuvent être, chez
le même sujet, également en cause, le facteur psycho-
logique nous paraît parfois important, voire déterminant.
Le fait de nommer ces pathologies psychosomatiques,
même sil peut ressembler à un progrès, ne nous apporte,
là aussi, quune aide modeste, dans la mesure où le saut
du psychique dans lorganique conserve une grande
partie de son mystère.
Chaque fois quune participation psychologique, partielle
ou déterminante, est soupçonnée dans lorigine dune
pathologie, un vocabulaire particulier apparaît donc.
Les expressions : pathologie fonctionnelle, pathologie
psychosomatique, somatisation, hypochondrie, plus rare-
ment hystérie, sont largement utilisées. Il est frappant de
constater que certains auteurs font appel à ces diffé-
rentes étiquettes comme si la signication de chaque mot
ou expression était clairement déterminée. Il arrive même
que lune ou lautre des expressions ci-dessus semble
utilisée un peu au hasard, comme sil sagissait de
synonymes. Un seul point semble mettre tout le monde
daccord : toutes ces pathologies ne sont pas volontaires,
ce ne sont pas des simulations.
Pour essayer dy voir plus clair, autant sadresser à des
dictionnaires. Cest dailleurs ce que font les patients eux-
mêmes, par exemple sur Google et Wikipedia. La rigueur
scientique de ces documents est parfois limitée, mais le
public y a souvent recours, ce qui en fait une référence
importante dans la pratique.
Comment des sources différentes dénissent-elles des
termes comme « hypocondrie », « somatisation » ... ? Il
est possible de se référer, par exemple, aux trois
documents suivants :
LEncyclopaedia Universalis. Version 2006.
Le Dictionnaire international de la psychanalyse. Alain
de Mijolla (dir.). Calmann-Lévy. 2002.
Lencyclopédie Wikipedia.
Pathologie fonctionnelle
Les trois sources ci-dessus ne dénissent pas « pathologies
fonctionnelles » en tant que telles. Toutefois, Google
propose de nombreux articles sur les pathologies
fonctionnelles digestives, gynécologiques, etc.
En réalité, le plus souvent, la dénition de « fonctionnel »
est négative : une pathologie fonctionnelle est une
pathologie qui nest pas organique. Il est vrai que cette
nition négative traduit assez bien la démarche
médicale habituelle. Devant un trouble fonctionnel
quelconque, digestif ou urinaire par exemple, il est
logique de sassurer de lexistence ou de labsence dune
lésion à lorigine de ce trouble fonctionnel. Ce nest quen
labsence de lésion décelable que lon va parler de
pathologie fonctionnelle. Or, cette classication binaire
organique/vs/fonctionnel, a deux inconvénients majeurs :
dune part, puisquil ny a pas de lésion visible, la
pathologie en cause est donc moins sérieuse, voire moins
« intéressante ». Le risque est grand de rejeter ces
pathologies en périphérie de la médecine. Cest dans
ces cas que lon peut entendre les expressions : « vous
navez rien », voire « cest dans la tête ».
dautre part, « absence de lésion » veut seulement
dire : absence de lésion « décelable ». Or, comment
imaginer quun patient colopathe depuis trente ans, par
exemple, ne présente aucune lésion, ne serait-ce quau
niveau de certaines cellules, voire de certains canaux
ioniques, voire de certaines molécules ? Cest peut-être
parce que nous avons des difcultés à authentier ces
mini-lésions que nous opposons « organique » à « fonc-
tionnel ». Scientiquement parlant, cette opposition na
guère de sens. Elle conserve toutefois un intérêt pratique,
puisque nous navons pas la même attitude, le même
sentiment durgence, devant un colopathe chronique et
devant un cancer du côlon.
Hypochondrie
Dans lEncyclopedia Universalis En médecine, ten-
dance maladive à se préoccuper de sa santé et de
maladies, souvent imaginaires ».
Dans le Dictionnaire international de la psychanalyse :
«Lhypochondrie peut être considérée comme une
formation psychopathologique dont le site, lieu de
souffrance, dangoisse, voire deffacement (fantasma-
tique), est le corps ou une de ses parties, ou une de ses
fonctions, alors que les symptômes évoqués apparaissent
dans la majorité des cas sine materia ».
Formation médicale Peut-on enseigner des données médicales que nous comprenons mal ?
32 MÉDECINE Janvier 2016
VIE PROFESSIONNELLE
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Dans Wikipedia Lhypocondrie est le syndrome
caractérisé par une inquiétude excessive et bouleversante
concernant la santé et le bon fonctionnement des
organes. Une écoute obsessionnelle de son corps amène
lhypochondriaque à interpréter la moindre observation
comme le signe dun mal grave ».
Ces trois dénitions sont assez voisines. À noter quaucune
des trois nutilise le mot « délire », alors que nous avons
parfois limpression que certains patients hypochondria-
ques ne sont pas loin dêtre délirants. À noter également
que la dénition de Wikipedia, source de connaissances
pour nos patients, est plutôt satisfaisante.
Somatisation
Dans lEncyclopedia Universalis En psychologie,
action de traduire un conit psychique en affection
somatique ».
Dans le Dictionnaire international de la psychanalyse :
le mot « somatisation » nest pas déni en tant que tel. Il
est par contre utilisé, comme si cela allait de soi, dans le
chapitre « psychosomatique ».
Dans Wikipedia En médecine, la somatisation est
généralement vue comme la traduction physique dun
conit psychique ».
En fait, on retient trois grandes acceptions du terme
« somatisation » :
La première appelle somatisation la manifestation
masquée de troubles psychiatriques.
La deuxième assimile la somatisation à un groupe de
désordres psychiatriques spéciques : les troubles soma-
toformes.
La troisième considère la somatisation, au-delà des
nosologies psychiatriques, comme une conduite de
maladie déviante, résultant de linteraction complexe
de symptômes, de détresse psychologique, de mécanis-
mes cognitifs en particulier interprétatifs, et du recours
au système de soins.
Des difcultés de dénitions apparaissent. LEncyclopae-
dia Universalis décrit un phénomène sans ébauche
dexplication. De plus, il est précisé : « en psychologie »,
alors que les manifestations de somatisation seraient
plutôt du domaine de la médecine. Le psychanalyste ne
nit pas le mot « somatisation », mais il lutilise. Quant
àWikipedia, nous assistons à une tentative de synthèse
entre les données du DSM-IV et celles de la psychanalyse,
ce qui nest pas une entreprise facile...
Psychosomatique
Dans lEncyclopedia Universalis :1Qui concerne à la
fois lesprit et le corps » ; 2. « Désigne un trouble
organique provoqué par un désordre psychique ».
Dans le Dictionnaire international de la psychanalyse :
«Il est difcile de donner une dénition exacte de la
notion de psychosomatique ; déjà, ce terme sans trait
dunion est un parti pris théorique ». (La dénition prend,
ensuite, deux pages).
Dans Wikipedia Le terme psychosomatique désigne
une relation de lesprit au corps, un trouble psychique
pouvant se répercuter sur la santé physique ».
Les difcultés continuent, ce qui nest pas surprenant. Le
psychanalyste a des difcultés à cerner le phénomène
psychosomatique, difcultés qui commencent en se
demandant sil est pertinent ou pas de mettre un trait
dunion entre « psycho » et « somatique ». Dans sa
concision et ses nuances, la nition donnée par
Wikipedia peut permettre une réexion assez large.
Quant au mot « hystérie », les dénitions en sont, comme
cétait prévisible, difciles à exploiter. Seuls certains
psychanalystes ont une approche structurée, en relation
avec les notions de névrose, dinconscient, de sexualité.
À noter que dautres psychanalystes estiment que
personne narrivera à décrire précisément ce que signie
ce terme.
Que peut-on en retenir ?
Peut-on utiliser ces dénitions pour construire des
enseignements dune médecine claire, précise, bien
cadrée ? Ce nest pas certain, puisque de nombreuses
zones oues les entourent. Ces imprécisions sont le reet
de notre ignorance dun certain nombre de mécanismes
pathogéniques. En particulier, chaque fois que des écrits
médicaux parlent de pathologies organiques, fonction-
nelles, psychosomatiques, nous avons le sentiment que les
auteurs font référence à des concepts clairs, cadrés, aux
limites précises. Or ces limites sont moins claires quil ny
paraît : le fonctionnement du psychisme ne fait-il pas
appel, tout comme lensemble de lorganisme, aux cellules,
aux canaux ioniques, aux ions qui traversent les mem-
branes cellulaires ? Quant au passage, chez un patient
donné, dun dysfonctionnement psychique supposé à une
lésion organique bien réelle, nous pouvons simplement
constater que ce mécanisme nous est bien mal connu, au
point que certains auraient tendance à le nier.
À propos des objectifs
Aborder les (nombreux) cas « complexes ou mal structu-
rés » nécessite davoir des compétences particulières. Les
Facultés de Médecine donnent une formation assez bien
adaptée en cas de pathologies aux contours précis, bien
répertoriées. Les étudiants apprennent à intervenir en cas
durgences et à débrouiller les cas qui peuvent nécessiter
une thérapeutique rapide et adaptée. Il sagit-là dune
formation « de base », dune certaine façon, dune
formation « de sécurité ». Cet enseignement est perti-
nent et souvent efcace. Malheureusement, les situations
cliniques, urgentes ou pas, mais clairement identiées, ne
sont quune partie des demandes de santé faites à un
médecin.
Mettre sous forme dobjectifs les compétences particu-
lières pour aborder les pathologies que nous comprenons
mal nest pas chose facile. Ne serait-ce que parce que,
après plusieurs années de pratique, nous constatons
chaque jour que ces objectifs sont difciles à atteindre, du
Formation médicale Peut-on enseigner des données médicales que nous comprenons mal ?
MÉDECINE Janvier 2016 33
VIE PROFESSIONNELLE
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
fait même quil sagit de situations médicales mal
structurées. Acquérir la capacité à raisonner avec rigueur
dans des situations médicales complexes devient un
objectif aussi pertinent que difcile à atteindre et à
évaluer.
De plus, au moment où ils sortent de la Faculté, les jeunes
médecins ont une expérience limitée de laccompagne-
ment au long cours de patients difciles à comprendre, à
classer précisément, et donc à traiter. Ils nauront pas trop
de toute leur vie professionnelle pour améliorer leur
pratique dans ce domaine. Les objectifs que lon souhaite
atteindre ne sont donc pas liés à un moment précis du
cursus, mais à lensemble de la vie professionnelle,
formations initiale et continue confondues. La notion
même dobjectif denseignement devrait, dans ces cas
complexes, être périodiquement revue et corrigée. Par
exemple, à propos des patients qui se plaignent au long
cours, est-il vraiment réaliste de proposer lobjectif
suivant : « Maintenir, tout au long de la maladie, une
qualité de relation qui permette au malade de mieux
supporter la chronicité de son mal et au médecin son
impuissance à en changer le cours » ?
1
.
Limpression est quil sagirait plutôt dun « souhait » que
dun « objectif », souhait qui sadresse à toutes les
situations de soin, ce qui est dailleurs cohérent avec la
pratique. Mais les méthodes envisageables pour atteindre
cet « objectif » ne sont pas évidentes à mettre en œuvre.
De plus, lune des qualités dun objectif est dêtre
évaluable, et, dans ce cas, lévaluation est particulièrement
délicate. Toutefois, il nest peut-être pas inutile quun
étudiant ait lu, au moins une fois, ces phrases en forme
dobjectifs, ne serait-ce que pour lui montrer, une fois de
plus, que les choses quotidiennes sont rarement simples...
Dans ces conditions, que peut-on raisonnablement
attendre dun médecin qui commence son exercice
professionnel ?
Quil ait commencé à mesurer limportance pratique,
quotidienne, des situations pathologiques difciles à
comprendre, et donc à traiter,
Que, devant des situations complexes, il évite aussi bien
de tout attribuer au « psychologique » que de refuser,
par principe, cette origine possible,
Quil accepte lidée quil sagit là de « vrais » malades,
ayant de « vraies » maladies.
Quil accepte lidée que le passage du psychique au
somatique est un mécanisme à peu près totalement
mystérieux, et quil y a donc là un objet de respect et de
recherche,
Quil admette que certaines pathologies semblent bien
liées à des difcultés existentielles difciles à exprimer
avec des mots.
Quil se fasse à lidée que si lon ne peut pas tout
comprendre, on doit cependant accepter de tout soigner.
Quil organise sa vie professionnelle de façon à pouvoir
approfondir personnellement cette partie difcile de
lexercice.
Les amateurs dobjectifs rigoureux, pertinents, évalua-
bles, ne peuvent se satisfaire de ces « souhaits ». Pour-
tant, les Facultés de Médecine doivent former des
professionnels capables de raisonner avec rigueur dans
des situations complexes. Tout en sachant que la rigueur
ne devient efcace quà travers une relation humaine de
bonne qualité. Mais ceci est une autre histoire... [3]
Méthodes denseignement
et dévaluation
Autant les modalités habituelles denseignement sont
efcaces pour enseigner par exemple la grossesse extra-
utérine ou les fractures du radius, autant elles sont moins
performantes pour aborder efcacement des pathologies
complexes, comme certaines pathologies fonctionnelles
ou psychosomatiques au long cours. Ces difcultés sont
liées à la nature même de ces pathologies. Il est pourtant
nécessaire daborder ces problèmes dès la Faculté, sans
attendre la Formation Médicale Continue.
En effet, les problèmes médicaux imprécis, ous, sujets à
discussions sans n quant à leur origine et leurstraitements
sont souvent rejetés dans les « formes cliniques », voire
presque ignorés, en tout cas considérés comme peu
intéressants, ce qui est, en soi, un vrai problème. Le fait
que ces formes cliniques soient, en réalité, fréquentes est
sous-estimé. La tentation existe de laisser ces sujets à la
FMC, où ils ont dailleurs également leur place.
Pour essayer délaborer des outils pédagogiques adaptés,
il paraît utile de tenir compte de trois éléments :
En temps normal, les enseignements de médecine
portent sur des données de préférence précises, si
possible chiffrées, avec des limites repérables. Si lon
souhaite enseigner spéciquement des pathologies qui
seraient fonctionnelles, des maladies dites psychosoma-
tiques, des tableaux évoquant des processus de somatisa-
tion, deux préalables simposent : rigueur et modestie :
Rigueur : nous ne comprenons pas bien, voire pas du
tout, les mécanismes intimes à lorigine de certaines
pathologies et, dailleurs, pas uniquement les pathologies
fonctionnelles et psychosomatiques. Lattitude rigou-
reuse et scientique est de dire que lon ne comprend
pas, et non pas de laisser entendre que lon peut
comprendre tout ;
Modestie : dans ces conditions, les objectifs, pour être
réalistes, doivent être mesurés. Toute une vie profession-
nelle ne suft pas pour arriver à tout comprendre et à tout
maîtriser. Mais il est certainement utile que le jeune
médecin soit capable de rester en éveil et en recherche en
face des pathologies quotidiennes difciles à comprendre.
Létude de cas cliniques est bien adaptée à lensei-
gnement de ces pathologies, mais sans doute pas
nimporte lesquels. Fabriquer des cas articiels en
pensant être plus démonstratif et/ou plus complet risque
de savérer, justement, trop articiel, et donc peu
efcace. Rien ne remplace vraiment les cas concrets
proposés par les étudiants ou, si nécessaire, par les
enseignants.
1
Cahier dobjectifs. UFR de Bobigny. Octobre 1980
Formation médicale Peut-on enseigner des données médicales que nous comprenons mal ?
34 MÉDECINE Janvier 2016
VIE PROFESSIONNELLE
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Les pathologies fonctionnelles sont le plus souvent au
long cours. À ce titre, elles sollicitent, plus que dautres, la
qualité de la relation médecin-malade. Les modalités
pédagogiques devraient donc tenir compte de ce facteur.
À partir du moment où les remarques précédentes sont
appliquées, toute méthode denseignement peut abor-
der les pathologies complexes de toutes natures. Les
stages hospitaliers le peuvent, ceux chez le praticien
encore mieux, puisque le recrutement des services
spécialisés sélectionne, en principe, les pathologies
organiques répertoriées.
À la Faculté, certaines modalités denseignement sont
plus adaptées que dautres pour aborder ces pathologies
difciles à analyser scientiquement :
Tables rondes sur un sujet clinique donné, travaillant
essentiellement à partir de cas cliniques réels. Selon le
prol personnel de lenseignant, une référence à des
données psychanalytiques peut être présente ou pas.
Jeux de rôles, avec ou sans utilisation de la vidéo, là
aussi avec des cas réels.
Groupes Balint. Axés sur la relation médecin-malade en
général, avec une référence claire à la psychanalyse, il se
trouve que le travail porte, le plus souvent, justement sur
ces pathologies difciles à comprendre. Certains ensei-
gnants estiment que tout étudiant doit participer à un
groupe Balint. Dautres, non,
Quand cest techniquement possible, la supervision
dune consultation réelle derrière un miroir est une façon
efcace daborder les questions des situations médicales
complexes
Évaluation par miroir sans tain, jeu de rôle, ou patient
simulé,ilsagit plus, en fait, de mesurer les
capacités relationnelles dun étudiant plutôt que des
connaissances particulières, ou, les deux ensembles.
Enseignement et évaluation sont à programmer tout
au long du cursus, et non pas sur une année déterminée
uniquement.
C
onclusion
À la question posée en titre, la réponse est évidemment
négative. Nous ne pouvons pas enseigner des éléments
médicaux que nous comprenons incomplètement ou pas
du tout. Nous devons par contre enseigner aux futurs
médecins que nous en voyons tous les jours, que ce sont
de vrais malades, que nous devons les aider, éventuel-
lement sans les comprendre, et que ce sont des patients
intéressants.
Puisque nous ne pouvons pas enseigner une médecine qui
serait totalement « mathématique », nous devons
apprendre aux étudiants à gérer les éléments médicaux
imprécis, difciles à comprendre. En fait, leur apprendre
comment rester, si possible, rigoureux dans lincertitude.
Ceci est dautant plus nécessaire que ces situations sont
fréquentes. Mais cet enseignement nécessite une remise
en cause permanente de nos certitudes, et, du même
coup, des modalités denseignement-apprentissage par-
ticulières.
~Liens dintérêts : lauteur déclare navoir aucun lien
dintérêt en rapport avec larticle.
RÉFÉRENCES
1. Charlin B. Evaluer la dimension dincertitude du raisonnement clinique. Pedagogie
Medicale 2006 ; 7 : 5-6.
2. Moreau A, Girier P, Figon S, Le Goaziou M-F. Symptômes biomédicalement
inexpliqués. Intérêt de lapproche globale en médecine générale. Rev Prat Med Gen
2004 ; 18 : 292-5.
3. Balint M. Le médecin son malade et la maladie. Payot, 1972.
Formation médicale Peut-on enseigner des données médicales que nous comprenons mal ?
MÉDECINE Janvier 2016 35
VIE PROFESSIONNELLE
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
1 / 5 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !