Les Tyrannoctones fiche signalétique Nom de l`objet : Les

Les Tyrannoctones
fiche signalétique
Nom de l'objet : Les Tyrannoctones de Critios et Nésiotès
Matériau : Marbre
Dimensions : Hauteur = 1,83 mètres et 1,85 mètres (sans la plinthe)
Datation/Période : 477-476 av. J-C Période classique
Lieu de découverte : Villa Adriana
Lieu de conservation : Musée National Archéologique de Naples
N° Inventaire : 6009-6010
Documentation : Brunnsäker 1971 ; GAB 2004, p13-15, fig. 18 a-e, 19 a-f (P.C. Bol) ; Klassik
2002, p. 237-240 (R. Krumeich, fig. 9 p. 223).
Description :
Ces deux copies fabriquées au IIe siècle après J-C, visibles à Rome depuis 1535, fortement
restaurées et complétées, sont le témoignage le plus substantiel qui nous soit parvenu d'un groupe
très célèbre dans l'Antiquité. Réalisé en 477-476 par les bronziers Critios et Nèsiotès, il remplaçait,
sur l'Agora d'Athènes, un premier groupe réalisé par Antènor vers 505, que Xerxès venait
d'emporter comme butin à Persépolis, d'où il reviendra après la chute de l'Empire perse.
Ce second groupe représente Harmodios et Aristogiton en acte, sur le point d'assassiner le tyran
Hipparque, en 514 : Aristogiton, l'aîné, protège Harmodios qui s'apprête à asséner le coup fatal.
Cependant le rapport spatial exact entre les deux statues fait toujours l'objet de discussions, car ces
copies décoratives disjointes se faisaient pendant symétriquement.
L'enjambée et la gesticulation emphatiques, la musculature très développée montrent que
l'archaïsme est déjà complètement surmonté, du moins pour ces grands bronzes qui commencent à
primer dans la sculpture : le mouvement, jusque-là bridé, peut se déployer dans l'espace, les figures
acquièrent ainsi une intensité nouvelle. L'héritage archaïque reste néanmoins encore très prégnant,
notamment dans la façon de sculpter la toison pubienne, la coiffure en coquilles d'Harmodios et
surtout l'inexpressivité des visages totalement déconnectée de l'action tragique qui emporte les
corps. Un fragment d'un moulage antique en plâtre de la tête d'Aristogiton, trouvé à Baïes dans le
rebut d'un atelier de copistes, prouve que l'original présentait bien cette impersonnalité intense
héritée des couroï, qui ne s'effacera tout à fait qu'à partir du milieu du IVe siècle.
Sources littéraires :
Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, VI, 54, 2 :
Ce fut une aventure d'amour qui provoqua l'audacieuse tentative d'Arisiogitôn et d'Harmodios. Je la
raconterai tout au long[104] pour montrer que les Athéniens, tout comme les autres, ignorent tout de
leurs propres tyrans et de cet événement. Quand Pisistrate, qui détenait encore la tyrannie, mourut à
un âge avancé, ce ne fut pas Hipparque, comme on le croit généralement, mais Hippias, qui en
qualité d'aîné obtint le pouvoir. Harmodios était alors dans la fleur de l'âge ; Aristogitôn, un citoyen
de la classe moyenne, s'éprit de lui et l'obtint. Harmodios se vit l'objet des sollicitations
d'Hipparque, fils de Pisistrate, mais il repoussa ses avances et en avertit Aristogitôn. Celui-ci,
vivement blessé dans son amour et craignant qu'Hipparque ne profitât de sa puissance pour faire
violence à son amant, résolut d'user de tous ses moyens pour mettre fin à la tyrannie. Une nouvelle
tentative d'Hipparque n'eut pas plus de succès, mais comme il lui répugnait d'avoir recours à la
force, il chercha le moyen d'outrager Harmodios, sans qu'il pût imputer à la jalousie sa conduite.
Par ailleurs, l'autorité qu'il détenait n'avait rien d'oppressif pour la multitude et son gouvernement ne
suscitait pas de critiques. Pendant longtemps, ces tyrans montrèrent de la sagesse et de l'habileté ;
ils n'exigeaient des Athéniens que le vingtième des revenus[105] ils embellissaient la ville, ils
soutenaient les guerres et subvenaient aux sacrifices publics. Pour le reste, la cité gardait les lois
anciennes ; ils avaient seulement la précaution de faire occuper continuellement les magistratures
par un des leurs. Ce fut le cas pour plusieurs membres de la famille des Pisistratides qui détinrent la
charge annuelle d'archonte et en particulier pour Pisistrate, fils du tyran Hipparque et qui portait le
nom de son grand-père. C'est lui, qui au cours de son archontat, dédia l'autel des douze grands
dieux[106] sur l'agora et celui d'Apollon dans l'enceinte réservée à ce dieu[107]. Plus tard le peuple
agrandit l'autel du marché et fit disparaître l'inscription. Mais celle qui se trouvait dans le temple
d'Apollon Pythien est encore visible, quoique les lettres en soient peu lisibles. La voici :
En moire de son archontat Pisistrate fils d'Hipparque a élevé cet autel dans le temple d'Apollon
Pythien[108].
Aristote, Constitution d'Athènes, XVIII, 2 :
« Le pouvoir revint, par droit de naissance et d'aînesse, à Hipparque et à Hippias. Hippias, l'aîné,
ayant naturellement le goût des affaires publiques, et d'un caractère sérieux, prit en main le
gouvernement. Hipparque était d'un caractère jeune, amoureux, ami des muses ; ce fut lui qui
appela à Athènes Anacréon, Simonide, et les autres poètes; Thettalos, beaucoup plus jeune, avait
une conduite hardie et violente. C'est lui qui fut l'origine de tous leurs malheurs.
Il s'éprit d'Harmodios, et ne fut point pa de retour. Au lieu de contenir sa nature violente, il
laissa paraître son ressentiment, surtout dans cette dernière occasion. La sœur d'Harmodios devait
être canéphore aux Panathénées : il l'en empêcha, en traitant outrageusement Harmodios de
débauché. Exaspérés, Harmodios et Aristogiton s'unirent avec un grand nombre de citoyens pour
tenter ce que l'on sait. Le jour de la fête venu, ils épiaient, à l'Acropole, Hippias qui s'apprêtait à
recevoir la procession qu'Hipparque ordonnait dans la cité, quand ils virent un de leurs complices
s'entretenir familièrement avec Hippias : se croyant trahis, et voulant frapper au moins un coup
avant d'être pris, ils s'élancèrent seuls tous les deux, trop tôt, rencontrèrent Hipparque près du
Léocoreion, il organisait la procession, et le tuèrent. Ainsi, par leur faute, échoua toute
l'entreprise. Harmodios périt aussitôt, tué par les gardes ; Aristogiton, pris seulement plus tard,
subit avant de mourir une longue torture. Au milieu des tourments, il accusa beaucoup d'hommes
de naissance illustre, et amis des tyrans. Ceux-ci ne purent sur le moment saisir aucune trace du
complot ; et il est faux que - comme on l'a dit - Hippias ait fait enlever leurs armes aux gens de la
procession, et ainsi pris sur le fait ceux qui portaient des poignards, car alors la procession ne se
faisait pas en armes : c'est plus tard que cet usage fut établi par la mocratie. Pour Harmodios,
disent les partisans de la démocratie, s'il accusait ainsi les amis des tyrans, c'était à dessein, pour
faire commettre à ceux-ci une impiété et les affaiblir par l'exécution d'innocents qui étaient leurs
amis : selon d'autres, il n'inventait rien, et dénonçait réellement ses complices. A la fin, comme
tous ses efforts ne pouvaient lui procurer la mort, il annonça qu'il allait dénoncer encore beaucoup
d'autres complices, et persuada à Hippias de lui donner la main en signe de sa foi. Quand il la tint,
il insulta le tyran, qui donnait la main au meurtrier de son frère, et l'exaspéra au point que, de
colère, celui-ci ne se contint plus, tira son épée et le tua. »
Pline, Histoire Naturelle, Livre XXXIV, 2, 21, 23 :
[2] Quant à ceux qui avaient vaincu trois fois, on leur érigeait une statue qui était leur portrait : ce
genre de statues est appelé iconique. Je ne sais si ce ne sont pas les Athéniens qui les premiers ont
dressé des statues aux frais du public, et cela à l'occasion des tyrannicides Harmodius et
Aristogiton. Le meurtre d'Hipparque eut lieu l'année les rois furent chassés de Rome. Par une
émulation honorable, cet usage a été ensuite universellement adopté. Les places publiques de
toutes les villes municipales se sont ornées de statues; le souvenir des personnages s'est perpétué,
et l'on a inscrit le détail de leurs fonctions, que la postérité lira sur le socle de leurs statues, et non
plus seulement sur leurs tombeaux. Bientôt les maisons particulières et les atrium sont devenus
autant de places publiques, et les clients se sont mis à honorer ainsi leurs patrons.
[21] Il est encore l'auteur de la Stéphuse (femme tressant des couronnes), de la Spilumène (femme
malpropre), d'un esclave portant du vin, des tyrannicides Harmodius et Aristogiton (statues que
Xerxès avait enlevées, et qu'Alexandre le Grand, après la conquête de la Perse, renvoya aux
Athéniens), d'un jeune Apollon qui guette avec une flèche un lézard se glissant près de lui, et
qu'on appelle Sauroctone. On: admire de lui deux statues exprimant des sentiments opposés, une
matrone en pleurs et une courtisane dans la joie : on pense que cette dernière est Phryné; on
prétend voir dans la statue l'amour de l'artiste, et sur le visage de la courtisane la récompense.
[23] Alcamène (XXXVI, 1, 5), élève de Phidias, a fait des statues de marbre, et en airain un
pentathle nommé Encrinomenos (l'Approuvé); Aristide, élève de Polyclète, des quadriges et des
biges. On estime la Lionne d'Amphicrate (74): une courtisane appelée la lionne (VII, 23) (Laena),
que son habileté à jouer de la lyre avait mise dans l'intimité d'Harmodius et d'Aristogiton, souffrit
la torture jusqu'à la mort, sans révéler leur complot de tuer les tyrans. Les Athéniens, voulant
l'honorer sans cependant rendre un tel hommage à une courtisane, firent exécuter la figure de
l'animal dont elle portait le nom, et, pour signifier l'idée du monument, ils ordonnèrent que cette
lionne fût représentée sans langue.
Pausanias, Périégèse, Livre I, VIII, 5 :
Non loin de sont Harmodius et Aristogiton qui tuèrent Hipparque, on trouvera dans d'autres
livres des détails sur la cause de leur conspiration, et sur les moyens qu'ils prirent pour l'exécuter,
Anténor a fait les plus anciennes de ces statues d'hommes célèbres, et Critias les autres. Xerxès,
ayant pris Athènes, que ses habitants avaient abandonnée, emporta ces statues avec le reste du
butin, mais Antiochos les renvoya par la suite aux Athéniens.
ANALYSE :
Au VIe siècle av. J.-C., Athènes est sous la domination des Pisistratides. A la mort de
Pisistrate en -527, son fils et successeur Hippias tente une vaine réconciliation avec les familles
nobles exilées sous le règne de son père. Il rappelle alors la famille des Alcméonides et Clisthène est
élu premier archonte d'Athènes en -524. Seulement la paix ne dure pas. Hipparque, frère d'Hippias,
est assassiné par Aristogiton et Harmodios en 514. Profondément marqué par ce tyrannicide,
Hippias instaure une répression sanglante dès -512 tandis que les Alcméonides tentent de reprendre
le pouvoir. Sur recommandation de la Pythie de Delphes, ces derniers demandent alors l'appui de
Sparte qui réussit à chasser le tyran en -510.
Dès -505, un premier groupe statuaire est érigé par Anténor en l'honneur des deux assassins.
Il est aussitôt emporté par l'empereur perse Xerxès lors du sac d'Athènes en -480 et déposé à
Persépolis. Puis vers 477-476 av. J-C, les bronziers Critios et Nèsiotès le remplacent par un second
ensemble sur l'Agora d'Athènes. Dans l'Antiquité grecque, le tyrannicide apparaît comme
l'aboutissement ultime de la forme politique que constitue la cité, cette dernière étant caractérisée
par la participation de tous les citoyens au pouvoir (isonomie, isocratie). Le pouvoir personnel est
donc considéré comme le mal suprême. Pour ces différentes raisons, Aristogiton et Harmodios sont
héroïsés depuis lors par Athènes et considérés comme les libérateurs de la patrie. Pourtant, ce récit
célèbre et relaté dans de nombreuses sources littéraires, n'en reste pas moins dénoncé par Hérodote
et Thucydide.
Dès lors dans quelle mesure, cet ensemble statuaire traduit-il l'identité culturelle et politique
de la cité athénienne ? Pour le savoir, nous tenterons d'abord de déterminer en quoi ces deux statues
sont un symbole de la mémoire collective des Athéniens. Puis nous montrerons de quelle manière ce
groupe est à la fois le fer de lance et le produit de l'histoire attique chargé d'illustrer les fondements
séditieux du régime démocratique grec.
Les origines des Tyrannoctones ont fait l'objet de tant d'études que ces statues sont devenues
de véritables icônes de la démocratie athénienne. Elles incarnent en effet le combat pour la liberté.
Mais avant d'être une sculpture, elles forment au sens noble du terme un monument à part entière.
En premier lieu elles sont assurément un ensemble honorifique et constituent un lieu de mémoire.
Dès le VIIe siècle av. J-C, les Grecs les plus fortunés et les plus influents n'hésitent pas à installer
dans des sanctuaires des statues les représentant aux côtés de leur famille. Mais le développement
des concours panhelléniques tend à favoriser également l'apparition de sculptures individuelles
destinées à célébrer les victoires comme à Olympie. Ces traditions se poursuivent à l'époque
classique mais elles se heurtent à Athènes à des changements politiques liés à l'instauration du
système isonomique vers la fin du IVe siècle av. J-C. Ainsi une loi somptuaire interdit les
monuments funéraires figurés jugés trop fastueux. Néanmoins, le groupe des Tyrannoctones semble
faire exception puisque les deux personnages sont décédés depuis longtemps lorsque les sculpteurs
réalisent cette statuaire. De plus, leur mode de représentation est bien plus typologique que réaliste.
Ils incarnent davantage le citoyen athénien à deux étapes majeures de son existence : le jeune
homme en âge de devenir soldat et l'homme mûr capable d'assumer des magistratures. Mais avant
tout, cette idéalisation évite soigneusement la mise en avant des véritables protagonistes de la chute
des tyrans soit les Alcméonides et le roi de Sparte. De surcroît, les bronziers Critios et Nèsiotès
emploient une formule iconographique narrative en insistant davantage sur le moment le crime
est commis. Par conséquent, les artistes mettent volontairement en scène un événement historique
pour asseoir l'autorité de la cité athénienne et consolider son identité civique dans la mémoire
collective. En effet, sous la démocratie de Clisthène (-507 av. J-C) le serment des bouleutes
déclarait le tyran ennemi public (polemios). En d'autres termes, le meurtre d'un tel personnage était
un devoir civique si bien que le tyrannicide est considéré comme pur devant les dieux. A ce titre, la
loi prévoyait des récompenses solennelles pour les auteurs d'un tel acte ou pour leurs descendants.
C'est pourquoi, le groupe des Tyrannoctones est une illustration politique des valeurs promues par
Athènes.
Par ailleurs, si celui-ci a été édifié dans un but honorifique, il est aussi un monument
commémoratif. Il s'agit en ce sens de lébrer la mort de deux athéniens. Dans le cas des
Tyrannicides, l'héritage archaïque reste encore très prégnant, notamment dans la façon de sculpter la
toison pubienne, la coiffure en coquilles d'Harmodios et surtout dans l'inexpressivité des visages
totalement déconnectée de l'action tragique qui emporte les corps. La musculature est davantage
mise en exergue chez Aristogiton tandis qu'Harmodios représente la jeunesse, la beauté et la
spontanéité. En somme il devient l'Apollon de la démocratie athénienne d'autant plus que la nudité
des personnages les placent au même rang que les héros ou les dieux. On peut dès lors établir une
mise en parallèle avec le monument conçu en l'honneur de Léonidas lors de la bataille des
Thermopyles et daté de -480. Orné de bas-reliefs qui célèbrent cet événement, ce monument de
marbre blanc possède à son sommet une statue en bronze du roi de Sparte, casqué et armé. Une
inscription « Molon Labe » y figure et signifie « Viens les prendre ». Il s'agit de la fameuse réplique
de Léonidas face à Xerxès qui le sommait de se rendre. Cet acte héroïque a d'ailleurs été relaté par
Hérodote dans l'Enquête, livre VII, 28 : « Etranger, va dire à Sparte qu'ici nous gisons, dociles à
ses ordres. » En d'autres termes, si les Tyrannicides sont des figures glorifiées pour leur combat
pour la liberté, elles perpétuent pour l'éternité la mémoire de ces individus. Ils sont alors vénérés au
même titre que les divinités de la cité. Par conséquent, la sculpture les place directement au service
de l'histoire.
Du point de vue artistique, cet ensemble subit des variations iconographiques au fil des
époques. Les Tyrannoctones ont d'abord vécu plusieurs décennies sur l'Agora, une des places
centrales de la cité. Ils sont ainsi placées sous les yeux des citoyens dans un sanctuaire public et
politique. Leur indéniable popularité dès la seconde moitié du Ve siècle a ensuite incité les peintres
et les sculpteurs à transposer l'image de ces personnages à d'autres héros soit sur de la vaisselle de
banquet soit sur d'autres monuments de la cité. Ces reproductions peuvent parfois être le fruit
d'adaptations fort audacieuses voire résolument impertinentes. Dans le monde des banquets
athéniens, Aristogiton et Harmodios occupent à ce titre une place atypique. En effet sur la vaisselle
des figures inattendues adoptent les mêmes postures que les deux statues, notamment dans les
œuvres du peintre de Blenheim, d'Aison ou encore dans celles du peintres des Niobides. Ainsi ce
dernier a sciemment développé l'allusion au groupe statuaire sur un cratère à volutes monumental
découvert à Géla et daté de 475-450 av. J-C environ. Sur la panse, l'artiste a en effet représenté une
Amazonomachie au cours de laquelle l'une des combattantes est peinte en Harmodios. A cette
allusion étonnante mais délibérée est aussi associée une Centauromachie l'un des guerriers imite
Aristogiton. En dépit de quelques discordances, la similitude est d'une grande évidence. Pour
preuve, ces images peuvent être mises en parallèle avec une autre Amazonomachie représentée cette
fois sur un vase provenant de Ruvo et conservé à Naples. Ici le peintre des Niobides reprend
exactement le même schéma de composition mais associe la pose d'Harmodios à un hoplite grec.
Ainsi, le groupe statuaire figure sur le vase de Géla de façon détournée mais il confère la posture
masculine et conquérante des Tyrannicides à une amazone, femme, barbare et donc ennemie
absolue des Athéniens. En d'autres termes, cette option étrange résulterait sans doute de la volonté
de prendre ses distances avec la symbolique attribuée à cet ensemble statuaire, surtout dans un
contexte dionysiaque favorable à la parodie voire aux entorses. Mais par delà ces travestissements,
d'autres scènes figurées adoptent ces effets visuels même si l'allusion aux Tyrannicides reste
difficilement démontrable. Sur une coupe à figures rouges conservée à Florence et attribuée au
peintre de Sotadès (460-430 av. J-C), aucun des héros n'est identifiable. Le peintre a ainsi représenté
des personnages anonymes mais dont les poses évoquent bien de façon décalée les effigies des
Tyrannicides. L'allusion s'appuie sur un jeu très habile de dissonances et de ressemblances. On peut
ainsi noter que le Pseudo-Harmodios tient son épée de la même façon que le Tyrannicide, prêt à
frapper de taille. Quant au Pseudo-Aristogiton, il reprend l'allure de son double et, en particulier, le
tombé caractéristique de son manteau depuis son bras gauche tendu. Toutefois subsistent des
différences substantielles : le Pseudo-Harmodios est revêtu d'une tunique et au lieu d'avoir le bras
gauche le long du corps il le tient semi-fléchi avec une lance dans sa main. Quant au Pseudo-
Aristogiton il ne tient pas une épée au niveau du bassin, comme l'on pourrait s'y attendre mais une
lance au niveau de ses épaules. En d'autres termes, la reconnaissance s'opère à travers des
ajustements successifs dans un surprenant jeu de miroir. Le double d'Harmodios porte la barbe
tandis que celui d'Aristogiton est imberbe. Ils adoptent ainsi les traits physiques et identitaires des
deux Tyrannicides. Cela étant, les deux personnages s'opposent au lieu d'unir leurs efforts dans une
seule et même perspective de lutte. Bref, en usant de ces moyens détournés les artistes auraient-ils
critiqué l'instrumentalisation de ces statues à des fins propagandistes ? Le tyran n'apparaît pas en
effet sur les vases mais surtout, les peintres reprenaient non sans une pointe de malice les maintes
critiques soulevées par Hérodote dans ses œuvres. Pour autant, les images ne sont pas des
programmes politiques ou historiques. Elles ont surtout pour fins de divertir dans une atmosphère
festive. Néanmoins si leur rôle reste prioritairement bienveillant, certaines représentations peuvent
tour à tour se transformer en clins d'oeil politiques selon le contexte.
Bref, les Tyrannicides forment un symbole de la mémoire collective des Athéniens puisqu'ils
constituent une métaphore puissante de leur identité culturelle. D'une part, en sculptant ces
personnages sous la forme de deux pendants, ils incarnent le principe égalitaire de l'isonomie. Mais
surtout, grâce à leur transposition iconographique, ils font l'objet de rites et d'usages qui célèbrent
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