1 Prise en charge extra-hospitalière des douleurs provoquées

1
Prise en charge extra-hospitalière des douleurs provoquées :
Prévention de la douleur provoquée à domicile
Marie-Claude Daydé
Infirmière libérale et réseau douleur - soins palliatifs Haute-Garonne
En 2005, une enquête menée dans le cadre des Etats Généraux de la douleur, auprès de
professionnels de santé libéraux(1) révélait qu’à domicile, si les prescriptions d’antalgiques
de palier 3 semblaient progresser, les outils standardisés d’évaluation étaient faiblement
utilisés. De plus, la prévention de la douleur induite ne constituait pas une pratique
habituelle pour 57% de médecins et 47% d’infirmiers. Pourtant, l’équité d’accès à des
soins de qualité visant à soulager la douleur, et les principes de bienfaisance et de non
malfaisance, devraient faire partie du souci éthique de tout professionnel de santé. Quel
que soit le lieu de soin, la loi du 4 mars 2002 précise que « Toute personne a le droit de
recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance
prévenue, évaluée, prise en compte et traitée. »
Prise en charge de la douleur et spécificités des soins à domicile en exercice libéral.
* La maison tout d’abord, est conçue comme un espace protecteur qui répond au besoin de
sécurité d’un individu ou d’un groupe, mais aussi d’intimité, où s’élaborent et se
transmettent l’histoire et la culture familiales, qui ont souvent une influence sur la prise en
charge de la douleur. Cet espace de vie, avec son environnement est par nature
idéalement propice à la restauration de la santé. Ainsi ce « chez soi », que les
professionnels de santé qualifient de « domicile », peut faire office de lieu de soins. C’est
dans cet espace de vie quotidien, rencontre avec la singularité de la personne, que
l’infirmière libérale est invitée à entrer. Que devient alors ce « domus » protecteur lorsque,
provoquée par les soins, la douleur y fait irruption ?
* Les notions de respect du libre choix du patient et du secret professionnel, corollaire à
la relation de confiance établie, ainsi que le paiement à l’acte font partie des attributs qui
fondent initialement l’exercice libéral, spécificité du système de santé français. Cette
relation de confiance peut être « mise à mal » lorsque la douleur provoquée est occultée
voire niée. Par ailleurs, le libre choix, induit le fait que travailler en équipe signifie souvent
à domicile, non pas une équipe mais des équipes différentes d’un patient à un autre.
Construire ensemble une culture de prévention de la douleur fait ainsi appel à une capacité
2
d’adaptation permanente, et si au sein d’une équipe, la prévention de la douleur va de soi,
dans une autre il faudra tenter de surmonter un certain nombre de freins. Cette équipe est
parfois réduite au binôme médecininfirmières et le médecin bien que joignable par
téléphone, n’est pas toujours disponible rapidement au domicile, d’où l’intérêt de
l’anticipation de la prise en charge des douleurs qu’elles soient provoquées ou non.
* Enfin, les soins à domicile s’adressent à une population variée, et impliquent des prises
en compte spécifiques de la douleur provoquée (exemple d’un cabinet de soins en milieu
urbain en Haute-Garonne : 5% : moins de 16 ans ; 42% : 16 à 59 ans ; 12% : 60 à 69 ans ;
40%: 70 ans et plus - sources Système National Inter Régimes 2007).
Bien que nos pratiques cliniques s’adressent tant aux enfants, aux adolescents, aux adultes
qu’aux personnes âgées dans des proportions différentes, selon les cabinets et les lieux
géographiques, les propos qui suivent concernent principalement la douleur provoquée
auprès d’adultes et de personnes âgées.
Prévenir la douleur induite, une démarche soignante qui vise à prendre soin
Lors de soins répétés, le cumul des douleurs provoquées peut induire chez la personne
soignée, de l’anxiété, de la lassitude, un repli sur soi, des insomnies s’accumulant en une
dette de sommeil, de l’agressivité pouvant conduire à un refus de soin…Des mécanismes
de défense se mettent en place, altérant la relation soignant - soigné. S’ajoutent à ce
contexte la mémoire de la douleur, parfois la chronicisation de celle-ci et
l’appréhension de nouveaux gestes de soins, susceptibles de conduire pour le malade, au
déni de la nécessité de ceux-ci. Cette appréhension vaut aussi pour le soignant qui peut
parfois se réfugier dans des conduites d’évitement de la réalisation des soins (prétexte que
le malade est trop fatigué, acceptation hâtive d’un refus de soins sans en explorer les
raisons…). Il peut aussi procéder à la réalisation partielle de soins, parfois source de non
qualité (soins d’hygiène incomplets par crainte des mobilisations, soins de bouche
inefficaces alors que le patient en soins palliatifs souffre déjà de bouche sèche et de
difficultés à communiquer avec les siens, retard de cicatrisation d’une plaie…)
La douleur induite, le plus souvent aigue et de courte durée, peut être prévenue par
des thérapeutiques mais aussi par des attitudes soignantes compétentes et adaptées.
L’article 4311-2 du C.S.P. fixe les objectifs des soins infirmiers « préventifs, curatifs ou
palliatifs », il précise que ceux-ci « intègrent qualité technique et qualité des relations
3
avec le malade » et qu’ils tiennent compte « de l’évolution des sciences et des
techniques ».
Prendre soin d’une personne ne se réduit pas à un acte technique, même s’il doit être
parfaitement maîtrisé, et la relation inter personnelle qui s’instaure à domicile, dans la
relation soignant-soigné a une incidence sur le ressenti du patient quant à la douleur
induite. Pour les infirmières libérales, cette relation s’instaure dès l’accueil téléphonique de
la demande de soins, où certaines personnes évoquent leurs craintes de soins douloureux.
Des paroles sécurisantes vont permettre que s’instaure un climat de confiance sur lequel
le malade prendra appui pour parler ensuite de sa douleur. Le sens donné au soin par la
personne malade a aussi une importance. Parfois un même acte effectué dans un but
curatif : « c’est tout de même pour mon bien » s’entend dire l’infirmière libérale, générera
une douleur moins importante que si la visée est palliative : « à quoi ça sert que je
supporte encore tout ça… ». Il faut toutefois retenir que cette signification est propre à
chaque personne, en fonction de sa culture et de ses croyances.
Expliquer les objectifs de soins et informer sur la douleur induite
L’écoute et la dimension relationnelle, font donc partie intégrante du soin et revêtent un
intérêt particulier dans le cadre de soins potentiellement douloureux. En s’appuyant sur le
recueil de données relatif à la connaissance du patient et de sa situation, réalisé dans le
cadre de son rôle propre, l’infirmière va en tout premier lieu expliquer les objectifs du
soin tant au patient qu’à la famille, sans taire la douleur que celui-ci peut engendrer mais
en proposant de la prévenir avant, pendant et après le soin. Ne pas informer les patients
sur la façon dont va se dérouler le soin c’est exposer le plus souvent la personne malade à
une anxiété accrue. Elle a alors tendance à élaborer sa perception de la douleur dans une
dimension émotionnelle et cognitive qui peut rendre le soin plus difficile tant pour le
soigné que pour le soignant.
Ne pas informer, c’est aussi faillir au devoir fait à tout professionnel de santé d’éclairer la
personne afin qu’elle puisse donner son consentement avant le soin.
L’information : son contenu, la manière et le moment où elle est délivrée sont toutefois à
adapter à chaque personne, dans le respect de ce qu’elle peut entendre et en étant attentif
aux paroles prononcées, car certaines peuvent être délétères.
4
Penser en équipe l’organisation et les objectifs des soins
Prévenir la douleur induite à domicile, invite souvent les infirmières à questionner
l’organisation des soins, ce qui n’est pas toujours simple dans le cadre de l’exercice à
l’acte qui implique la gestion du temps. L’horaire de la réalisation d’un acte
potentiellement douloureux devra donc être validé, parfois « négocié » avec la personne
concernée, en fonction de son rythme de vie et en ayant pris soin de prévoir en
collaboration avec le médecin, un traitement antalgique adapté avant le soin. Dans les
situations de douleur provoquée, l’infirmière libérale est attentive au respect des horaires
convenus avec le patient afin d’éviter de majorer un vécu anxiogène ou encore de rendre
inopérante l’antalgie préventive. Ces données sont consignées dans le dossier de soins afin
que la démarche d’antalgie soit assurée dans la continuité des soins.
Le rythme des soins doit faire l’objet d’une discussion médecin traitant - infirmière
libérale patient. Quel intérêt par exemple d’une réfection biquotidienne d’un pansement
non saturé et douloureux ? Quel intérêt de mobiliser 4 à 5 fois/jour un patient âgé en fin de
vie, douloureux aux mobilisations, qui ne présente pas d’effraction cutanée et bénéficie de
supports adaptés ? L’objectif est-il celui du confort du patient ou s’agit-il d’une réponse
inadaptée de l’équipe de soins à la famille qui n’a pas intégré la dimension palliative ?
La démarche éthique invite à repenser ensemble la solution la plus adaptée à la personne
soignée, en évaluant la notion de bénéfice (thérapeutique) - risque (douleur majorée par
des pansements répétés) en regard de l’objectif de soin (curatif ou palliatif), ainsi qu’en
témoigne l’exemple suivant.
Mme L., atteinte d’un cancer de l’utérus est âgée de 73 ans et vit à domicile. La maladie
est à un stade évolué et l’état général de la patiente se dégrade rapidement. Malgré des
supports adaptés, des escarres sacrées multifactorielles se sont développées et sont
douloureuses. Les traitements antalgiques la soulagent au repos, mais les mobilisations et
les soins restent douloureux. Des injections sous cutanées de morphine avant le soin lui
sont bénéfiques mais ne la soulagent pas complètement et la patiente redoute les soins que
le médecin a prescrit à un rythme quotidien. La famille est inquiète à chaque réfection de
pansement. Après une discussion en équipe (médecin, infirmière) incluant la malade et sa
famille, les objectifs de soins seront réajustés et privilégieront le confort et la qualité de fin
de vie de la patiente plutôt que l’objectif « zéro escarre » qui dans cette situation n’a plus
guère de sens. Ainsi, les pansements seront réalisés tous les 2 à 3 jours en fonction de la
situation, décision qui apaisera la patiente et sa fille. Par ailleurs, le dosage et le
5
changement de la voie d’administration des antalgiques seront rediscutés en équipe. Dans
ce type de situation, des co-analgésiques voire des anxiolytiques peuvent aussi avoir un
effet bénéfique.(2)
Choix du matériel et installation du patient
Le choix du matériel utilisé est important, et doit intégrer le critère douleur induite afin
de la réduire (calibre des aiguilles, choix du pansement et des instruments adéquats…). A
domicile, il est important aussi d’avoir l’ensemble du matériel nécessaire à proximité afin
de limiter le temps du soin lorsqu’il est potentiellement douloureux.
Une attention particulière doit être portée à l’installation et au confort du patient avant,
pendant et après le soin., ce qui n’est pas si simple à domicile, en fonction des lieux de vie
parfois peu adaptés aux soins complexes ou à l’installation de matériel médicalisé
(logements exigus, caravanes des gens du voyage, refus du patient, ou de la famille de
modifier son lieu de vie…). Le confort du patient prime, celui de l’infirmière pendant la
réalisation du soin n’est pas toujours optimal.
Anticiper et évaluer la douleur provoquée
A domicile, comme dans les autres lieux de soins, il est utile de repérer les soins
potentiellement douloureux, comme les injections, notamment les surveillances
glycémiques répétées chez les patients diabétiques, les prélèvements sanguins, les
ponctions de chambres à cathéters implantables, certains pansements, notamment
d’ulcères (3), d’escarres ou encore de brûlures, la mise en place d’une sonde urinaire ou
encore les soins d’hygiène, les mobilisations et les soins de bouche en particulier en soins
palliatifs. Ce repérage a fonction d’alerte pour l’infirmière afin de pouvoir anticiper une
prise en charge de la douleur provoquée, mais ne l’exonère pas dans la singularité de
chaque situation d’évaluer régulièrement la douleur car la tolérance est variable d’un
individu à l’autre ou même d’un moment à un autre chez une même personne. Cette
évaluation va permettre en collaboration avec le médecin, d’adapter l’antalgie au
patient. L’utilisation d’un outil validé permet de réduire la subjectivité des soignants mais
aussi des familles, qui, à domicile, prennent parfois la parole à la place du malade. Dans le
cadre de son rôle propre (art R 4311-2 et R4311-5 du C.S.P.), l’infirmière est attentive à
1 / 15 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !