1 Prise en charge extra-hospitalière des douleurs provoquées

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Prise en charge extra-hospitalière des douleurs provoquées :
Prévention de la douleur provoquée à domicile
Marie-Claude Daydé
Infirmière libérale et réseau douleur - soins palliatifs Haute-Garonne
En 2005, une enquête menée dans le cadre des Etats Généraux de la douleur, auprès de
professionnels de santé libéraux(1) révélait qu’à domicile, si les prescriptions d’antalgiques
de palier 3 semblaient progresser, les outils standardisés d’évaluation étaient faiblement
utilisés. De plus, la prévention de la douleur induite ne constituait pas une pratique
habituelle pour 57% de médecins et 47% d’infirmiers. Pourtant, l’équité d’accès à des
soins de qualité visant à soulager la douleur, et les principes de bienfaisance et de non
malfaisance, devraient faire partie du souci éthique de tout professionnel de santé. Quel
que soit le lieu de soin, la loi du 4 mars 2002 précise que « Toute personne a le droit de
recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance
prévenue, évaluée, prise en compte et traitée. »
Prise en charge de la douleur et spécificités des soins à domicile en exercice libéral.
* La maison tout d’abord, est conçue comme un espace protecteur qui répond au besoin de
sécurité d’un individu ou d’un groupe, mais aussi d’intimité, où s’élaborent et se
transmettent l’histoire et la culture familiales, qui ont souvent une influence sur la prise en
charge de la douleur. Cet espace de vie, avec son environnement est par nature
idéalement propice à la restauration de la santé. Ainsi ce « chez soi », que les
professionnels de santé qualifient de « domicile », peut faire office de lieu de soins. C’est
dans cet espace de vie quotidien, rencontre avec la singularité de la personne, que
l’infirmière libérale est invitée à entrer. Que devient alors ce « domus » protecteur lorsque,
provoquée par les soins, la douleur y fait irruption ?
* Les notions de respect du libre choix du patient et du secret professionnel, corollaire à
la relation de confiance établie, ainsi que le paiement à l’acte font partie des attributs qui
fondent initialement l’exercice libéral, spécificité du système de santé français. Cette
relation de confiance peut être « mise à mal » lorsque la douleur provoquée est occultée
voire niée. Par ailleurs, le libre choix, induit le fait que travailler en équipe signifie souvent
à domicile, non pas une équipe mais des équipes différentes d’un patient à un autre.
Construire ensemble une culture de prévention de la douleur fait ainsi appel à une capacité
1
d’adaptation permanente, et si au sein d’une équipe, la prévention de la douleur va de soi,
dans une autre il faudra tenter de surmonter un certain nombre de freins. Cette équipe est
parfois réduite au binôme médecin–infirmières et le médecin bien que joignable par
téléphone, n’est pas toujours disponible rapidement au domicile, d’où l’intérêt de
l’anticipation de la prise en charge des douleurs qu’elles soient provoquées ou non.
* Enfin, les soins à domicile s’adressent à une population variée, et impliquent des prises
en compte spécifiques de la douleur provoquée (exemple d’un cabinet de soins en milieu
urbain en Haute-Garonne : 5% : moins de 16 ans ; 42% : 16 à 59 ans ; 12% : 60 à 69 ans ;
40%: 70 ans et plus - sources Système National Inter Régimes 2007).
Bien que nos pratiques cliniques s’adressent tant aux enfants, aux adolescents, aux adultes
qu’aux personnes âgées dans des proportions différentes, selon les cabinets et les lieux
géographiques, les propos qui suivent concernent principalement la douleur provoquée
auprès d’adultes et de personnes âgées.
Prévenir la douleur induite, une démarche soignante qui vise à prendre soin
Lors de soins répétés, le cumul des douleurs provoquées peut induire chez la personne
soignée, de l’anxiété, de la lassitude, un repli sur soi, des insomnies s’accumulant en une
dette de sommeil, de l’agressivité pouvant conduire à un refus de soin…Des mécanismes
de défense se mettent en place, altérant la relation soignant - soigné. S’ajoutent à ce
contexte
la mémoire de la douleur, parfois la chronicisation de celle-ci et
l’appréhension de nouveaux gestes de soins, susceptibles de conduire pour le malade, au
déni de la nécessité de ceux-ci. Cette appréhension vaut aussi pour le soignant qui peut
parfois se réfugier dans des conduites d’évitement de la réalisation des soins (prétexte que
le malade est trop fatigué, acceptation hâtive d’un refus de soins sans en explorer les
raisons…). Il peut aussi procéder à la réalisation partielle de soins, parfois source de non
qualité (soins d’hygiène incomplets par crainte des mobilisations, soins de bouche
inefficaces alors que le patient en soins palliatifs souffre déjà de bouche sèche et de
difficultés à communiquer avec les siens, retard de cicatrisation d’une plaie…)
La douleur induite, le plus souvent aigue et de courte durée, peut être prévenue par
des thérapeutiques mais aussi par des attitudes soignantes compétentes et adaptées.
L’article 4311-2 du C.S.P. fixe les objectifs des soins infirmiers « préventifs, curatifs ou
palliatifs », il précise que ceux-ci « intègrent qualité technique et qualité des relations
2
avec le malade » et qu’ils tiennent compte « de l’évolution des sciences et des
techniques ».
Prendre soin d’une personne ne se réduit pas à un acte technique, même s’il doit être
parfaitement maîtrisé, et la relation inter personnelle qui s’instaure à domicile, dans la
relation soignant-soigné a une incidence sur le ressenti du patient quant à la douleur
induite. Pour les infirmières libérales, cette relation s’instaure dès l’accueil téléphonique de
la demande de soins, où certaines personnes évoquent leurs craintes de soins douloureux.
Des paroles sécurisantes vont permettre que s’instaure un climat de confiance sur lequel
le malade prendra appui pour parler ensuite de sa douleur. Le sens donné au soin par la
personne malade a aussi une importance. Parfois un même acte effectué dans un but
curatif : « c’est tout de même pour mon bien » s’entend dire l’infirmière libérale, générera
une douleur moins importante que si la visée est palliative : « à quoi ça sert que je
supporte encore tout ça… ». Il faut toutefois retenir que cette signification est propre à
chaque personne , en fonction de sa culture et de ses croyances.
Expliquer les objectifs de soins et informer sur la douleur induite
L’écoute et la dimension relationnelle, font donc partie intégrante du soin et revêtent un
intérêt particulier dans le cadre de soins potentiellement douloureux. En s’appuyant sur le
recueil de données relatif à la connaissance du patient et de sa situation, réalisé dans le
cadre de son rôle propre, l’infirmière va en tout premier lieu expliquer les objectifs du
soin tant au patient qu’à la famille, sans taire la douleur que celui-ci peut engendrer mais
en proposant de la prévenir avant, pendant et après le soin. Ne pas informer les patients
sur la façon dont va se dérouler le soin c’est exposer le plus souvent la personne malade à
une anxiété accrue. Elle a alors tendance à élaborer sa perception de la douleur dans une
dimension émotionnelle et cognitive qui peut rendre le soin plus difficile tant pour le
soigné que pour le soignant.
Ne pas informer, c’est aussi faillir au devoir fait à tout professionnel de santé d’éclairer la
personne afin qu’elle puisse donner son consentement avant le soin.
L’information : son contenu, la manière et le moment où elle est délivrée sont toutefois à
adapter à chaque personne, dans le respect de ce qu’elle peut entendre et en étant attentif
aux paroles prononcées, car certaines peuvent être délétères.
3
Penser en équipe l’organisation et les objectifs des soins
Prévenir la douleur induite à domicile, invite souvent les infirmières à questionner
l’organisation des soins , ce qui n’est pas toujours simple dans le cadre de l’exercice à
l’acte qui
implique la gestion du temps . L’horaire de la réalisation d’un acte
potentiellement douloureux devra donc être validé, parfois « négocié » avec la personne
concernée, en fonction de son rythme de vie et en ayant pris soin de prévoir en
collaboration avec le médecin, un traitement antalgique adapté avant le soin. Dans les
situations de douleur provoquée, l’infirmière libérale est attentive au respect des horaires
convenus avec le patient afin d’éviter de majorer un vécu anxiogène ou encore de rendre
inopérante l’antalgie préventive. Ces données sont consignées dans le dossier de soins afin
que la démarche d’antalgie soit assurée dans la continuité des soins.
Le rythme des soins doit faire l’objet d’une discussion médecin traitant - infirmière
libérale – patient. Quel intérêt par exemple d’une réfection biquotidienne d’un pansement
non saturé et douloureux ? Quel intérêt de mobiliser 4 à 5 fois/jour un patient âgé en fin de
vie, douloureux aux mobilisations, qui ne présente pas d’effraction cutanée et bénéficie de
supports adaptés ? L’objectif est-il celui du confort du patient ou s’agit-il d’une réponse
inadaptée de l’équipe de soins à la famille qui n’a pas intégré la dimension palliative ?
La démarche éthique invite à repenser ensemble la solution la plus adaptée à la personne
soignée, en évaluant la notion de bénéfice (thérapeutique) - risque (douleur majorée par
des pansements répétés) en regard de l’objectif de soin (curatif ou palliatif), ainsi qu’en
témoigne l’exemple suivant.
Mme L., atteinte d’un cancer de l’utérus est âgée de 73 ans et vit à domicile. La maladie
est à un stade évolué et l’état général de la patiente se dégrade rapidement. Malgré des
supports adaptés, des escarres sacrées multifactorielles se sont développées et sont
douloureuses. Les traitements antalgiques la soulagent au repos, mais les mobilisations et
les soins restent douloureux. Des injections sous cutanées de morphine avant le soin lui
sont bénéfiques mais ne la soulagent pas complètement et la patiente redoute les soins que
le médecin a prescrit à un rythme quotidien. La famille est inquiète à chaque réfection de
pansement. Après une discussion en équipe (médecin, infirmière) incluant la malade et sa
famille, les objectifs de soins seront réajustés et privilégieront le confort et la qualité de fin
de vie de la patiente plutôt que l’objectif « zéro escarre » qui dans cette situation n’a plus
guère de sens. Ainsi, les pansements seront réalisés tous les 2 à 3 jours en fonction de la
situation, décision qui apaisera la patiente et sa fille. Par ailleurs, le dosage et le
4
changement de la voie d’administration des antalgiques seront rediscutés en équipe. Dans
ce type de situation, des co-analgésiques voire des anxiolytiques peuvent aussi avoir un
effet bénéfique.(2)
Choix du matériel et installation du patient
Le choix du matériel utilisé est important, et doit intégrer le critère douleur induite afin
de la réduire (calibre des aiguilles, choix du pansement et des instruments adéquats…). A
domicile, il est important aussi d’avoir l’ensemble du matériel nécessaire à proximité afin
de limiter le temps du soin lorsqu’il est potentiellement douloureux.
Une attention particulière doit être portée à l’installation et au confort du patient avant,
pendant et après le soin., ce qui n’est pas si simple à domicile, en fonction des lieux de vie
parfois peu adaptés aux soins complexes ou à l’installation de matériel médicalisé
(logements exigus, caravanes des gens du voyage, refus du patient, ou de la famille de
modifier son lieu de vie…). Le confort du patient prime, celui de l’infirmière pendant la
réalisation du soin n’est pas toujours optimal.
Anticiper et évaluer la douleur provoquée
A domicile, comme dans les autres lieux de soins, il est utile de repérer les soins
potentiellement
douloureux,
comme
les
injections,
notamment
les
surveillances
glycémiques répétées chez les patients diabétiques, les prélèvements sanguins, les
ponctions de chambres à cathéters implantables, certains pansements, notamment
d’ulcères (3), d’escarres ou encore de brûlures, la mise en place d’une sonde urinaire ou
encore les soins d’hygiène, les mobilisations et les soins de bouche en particulier en soins
palliatifs. Ce repérage a fonction d’alerte pour l’infirmière afin de pouvoir anticiper une
prise en charge de la douleur provoquée, mais ne l’exonère pas dans la singularité de
chaque situation d’évaluer régulièrement la douleur car la tolérance est variable d’un
individu à l’autre ou même d’un moment à un autre chez une même personne. Cette
évaluation va permettre en collaboration avec le médecin, d’adapter l’antalgie au
patient. L’utilisation d’un outil validé permet de réduire la subjectivité des soignants mais
aussi des familles, qui, à domicile, prennent parfois la parole à la place du malade. Dans le
cadre de son rôle propre (art R 4311-2 et R4311-5 du C.S.P.), l’infirmière est attentive à
5
l’évaluation de la douleur avant, pendant et après le soin, au suivi du traitement mis en
place et à son réajustement.
Valider en équipe des outils communs d’évaluation de la douleur, reste une difficulté
A domicile, des outils communs d’évaluation de la douleur ne sont pas toujours validés en
équipe et les échelles unidimensionnelles telles que l’échelle visuelle analogique (EVA)
et l’échelle numérique simple (E.N.S.) restent les plus utilisées pour quantifier la douleur
des adultes et des personnes âgées communicantes. Pour les infirmières libérales, l’EVA
reste une référence car préconisée par les textes de la nomenclature dans le cadre de
l’élaboration de la DSI (démarche de soins infirmiers) réalisée avant la mise en œuvre de
séances de soins infirmiers pour les personnes en perte d’autonomie. Les médecins du
domicile, s’appuient plus volontiers essentiellement sur le colloque singulier, ainsi qu’ils
en témoignent : « Certains d’entre nous utilisent une méthode simple, qui humanise
l’évaluation de la douleur, consistant à dresser les index des mains droite et gauche et à
demander au patient de situer la douleur entre ces deux doigts » (4).
Les échelles qualificatives multidimensionnelles (vécu de la douleur) ou l’échelle de
probabilité d’une douleur neuropathique (DN4) par exemple, sont plus rarement utilisées.
L’évaluation de la douleur chez les personnes âgées à domicile, n’est pas toujours
facile, en effet, certaines sont peu ou non communicantes, d’autres n’évoquent aucune
plainte de façon spontanée. Les raisons de cette attitude peuvent être diverses : une culture
qui valorise le fait de supporter la douleur, une appréhension (idée de dépendance) à l’idée
de se voir prescrire un traitement morphinique, un certain fatalisme lié à l’âge, ou encore la
crainte d’une perte d’autonomie liée aux effets secondaires des traitements antalgiques.
Pour ces personnes âgées, la perte d’autonomie est un problème majeur car elle renvoie à
l’idée et surtout à la crainte de devoir quitter leur domicile, la douleur reste parfois dans
leur esprit « un moindre mal » dont elles minimisent l’évaluation. Les observations
cliniques des soignants sont d’autant plus importantes (grimaces, dents serrées, gestes
protecteurs…) et permettent dans ces cas de repérer une inadéquation entre les dires et les
comportements de la personne. Certaines personnes ont aussi du mal à décrire ou qualifier
leur douleur, notamment lorsqu’elles souffrent de douleurs d’origines diverses (arthrose,
ulcère de jambe…).Une étude de la Drees (5) précise en outre que pour certaines personnes
âgées, la douleur peut parfois être ressentie comme preuve de vie.
6
Evaluer la douleur chez les personnes âgées non communicantes
En ce qui concerne les personnes âgées non ou peu communicantes, « tout changement de
comportement spontané ou survenant pendant un soin…doit faire évoquer la possibilité
d’un état douloureux et le faire rechercher »(6).
Ainsi, en témoigne l’exemple de cette patiente, «… âgée de 79 ans, et atteinte de démence de
type Alzheimer qui vit au domicile de sa fille. Elle communique peu, essentiellement de
façon non verbale, mais est assez compliante aux soins et aux traitements. Depuis deux
jours sa fille décrit à l’infirmière un comportement de « résistance » et observe des
gémissements inhabituels…Une observation clinique détaillée de l’infirmière libérale
permettra, face au comportement inhabituel de cette personne âgée, de penser à une
éventuelle douleur. Celle-ci s’avérera être en lien avec une plaie sous l’orteil du pied
droit . »(2)
Cette
évaluation
clinique
doit
s’appuyer
sur
des
outils
validés. Les
échelles
comportementales d’hétéroévaluation telles DOLOPLUS et l’ECPA, laquelle présente
l’intérêt d’une évaluation avant et pendant les soins ainsi que les répercussions sur
l’activité, sont les plus souvent utilisées à domicile, bien que leur usage reste encore
discret. L’échelle ALGOPLUS permet également de valider la présence d’une douleur à
partir de l’observation de l’expression du visage, du regard, des plaintes émises, des
attitudes corporelles et du comportement général. Son utilisation simple et rapide paraît
adaptée au domicile.
L’ensemble des données recueillies relatives à cette évaluation sont consignées dans le
dossier de soins laissé au domicile du patient afin de permettre le réajustement de
l’antalgie avec le médecin traitant.
Mettre en place des moyens médicamenteux et non médicamenteux
Les traitements antalgiques
Dans le traitement de la douleur induite, les médicaments à délai et durée d’action
brève (formes à libération immédiate) sont ceux qui présentent le plus d’intérêt. Chaque
fois que cela est possible, les traitements par voie orale sont privilégiés, favorisant
l’autonomie du patient.
7
Dans la pratique clinique, la classification à laquelle se réfère les médecins est celle des 3
paliers de l’OMS, préconisée dans le traitement des douleurs cancéreuses.
Ainsi, les douleurs induites faibles à modérées, sont souvent traitées à domicile par le
paracétamol : il faut alors prévoir une prise au moins 30 mn avant le soin, en sachant que
l’antalgie dure de 4 à 6H.
Pour les douleurs d’intensité modérée à forte un opioïde faible est souvent associé au
paracétamol, tel le dextropropoxyphène fréquemment utilisé à domicile (pris 1 h avant le
soin avec une durée d’action identique au paracétamol).
Les douleurs de fortes intensité, sont traitées par des antalgiques opioïdes forts.
Il est important d’être attentif aux douleurs induites qui surviennent sur un fond de
douleur chronique qui devra alors être prise en charge par un traitement spécifique.
Lorsque les patients ont déjà un traitement morphinique à libération prolongée par voie
orale par exemple pour les douleurs de fond (Moscontin®, Skénan®…1 prise toutes les 12
H), les douleurs induites peuvent être prévenues par une morphine à libération immédiate
(Actiskénan®, Sévrédol®…) à raison d’1/6 à 1/10ème de la dose LP. Le délai d’action est
d’environ 45 mn à 1 H et la durée d’action de 4 H. A domicile, la douleur de fond est
fréquemment traitée par du Fentanyl® transdermique changé toutes les 72 H (Durogésic®)
et la douleur induite est alors prise en charge par la voie la plus adaptée au patient (orale,
S/C, IV).
-
Le patch d’EMLA® (1 g = 50 mg soit 25 mg de lidocaïne + 25 mg de prilocaïne)
appliqué sur une peau saine permet une anesthésie locale cutanée complète sur une
profondeur de 3 ou 5 mm après une application de respectivement 1 ou 2 heures. Il peut
être utilisé avant une ponction de chambre à cathéter implantable par exemple. Pour les 9
derniers patients rencontrés ayant eu recours à ces soins infirmiers, 4 seulement avaient
une telle prescription, 3 ont accueilli favorablement la proposition du patch faite par
l’infirmière libérale en lien avec le médecin traitant (prescription) et 2 autres n’ont pas
souhaité ce recours, 1 par échec antérieur de ce mode d’antalgie (mais visiblement le temps
de pose avant le soin n’avait pas été respecté) et le dernier qui avait eu recours à l’EMLA®
durant le traitement de chimiothérapie (désormais terminé) a estimé que la ponction avec
l’aiguille de Huber pour « un simple entretien du site » (alors que le calibre de l’aiguille
était identique) « faisait beaucoup moins souffrir que la chimiothérapie » nous renvoyant
ainsi aux dimensions cognitive et émotionnelle de la douleur.
Certains moyens de soulagement de la douleur induite sont difficilement utilisables à
domicile c’est le cas de l’utilisation du mélange équimolaire d’oxygène et du protoxyde
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d’azote (MEOPA) ou de la sédation.(7). Le recours au MEOPA peut parfois relever à
domicile de l’intervention d’un service d’Hospitalisation A Domicile et n’est pas prévu à
la nomenclature des infirmiers.
Protocoles et prescriptions anticipées en questions…
L’article R 4311-8 du Code de Santé Publique habilite les infirmières en matière de prise
en charge de la douleur, à la mise en oeuvre de protocoles (8) dont les conditions sont
précisées :
« L’infirmier est habilité à entreprendre et à adapter les traitements antalgiques, dans le
cadre des protocoles préétablis, écrits, datés et signés par un médecin. Le protocole est
intégré dans le dossier de soins infirmiers. » A domicile, la notion de prescription
anticipée personnalisée est davantage privilégiée, car elle s’adresse à une personne
singulière et non à une population de patients. Toutefois, certains médecins y restent
réticents, (traitement de palier 3 notamment) souhaitant évaluer eux-mêmes la situation
clinique du patient. Des questions telle que la relation de confiance établie ou non entre
médecin et infirmière ou celle de la culture de la collaboration ne sont pas étrangères à ces
freins.
Les moyens non médicamenteux
Dans la prévention de la douleur induite à domicile, il est important de ne pas occulter les
différents moyens que l’infirmière libérale peut proposer ou mettre en oeuvre en
collaboration avec les autres professionnels de santé ou avec les proches du malade :
- faire en sorte que la présence rassurante d’un proche soit possible (adapter parfois les
horaires pour cela),
- lorsque c’est possible, aider le patient à repérer ce qui soulage ou aggrave sa douleur
afin de lui permettre de participer à l’antalgie et d’adopter des attitudes visant à améliorer
son confort,
- pouvoir effectuer les soins en binôme pour réduire les douleurs liées aux mobilisations,
ce qui n’est pas toujours aisé, notamment chez des patients isolés (famille pas toujours
présente, horaires des aides à domicile ne chevauchant pas ceux des professionnels de
santé afin d’assurer une présence la plus large possible sur la journée).
- favoriser des méthodes de détournement de l’attention pendant le soin potentiellement
9
douloureux (discussions autour d’un sujet privilégié par la personne, recours à la
musique, à la relaxation…),
- certains infirmiers libéraux sont formés à la sophrologie ou au toucher- massage et y
ont recours auprès de ces patients,
- voir avec le médecin et le pharmacien si le patient peut bénéficier de coussins de
positionnement par exemple pour améliorer son confort pendant le soin, (notamment en
soins palliatifs),
- proposer au médecin la modification de la voie d’administration d’un traitement
lorsqu’elle est douloureuse et qu’il existe d’autres alternatives (préférer par exemple la
voie IM plutôt que S/C, douloureuse dans l’administration de calcitonine humaine de
synthèse prescrite en prévention de la perte osseuse aigue liée à une immobilisation
soudaine),
- prévoir une solution antiadhésive (non remboursée par la CPAM) pour le retrait d’un
pansement, 1ère étape du soin,
- privilégier le tamponneme nt d’une plaie chirurgicale avec agrafes plutôt que le
frottement avec la compresse pour nettoyer la plaie,
- ou encore faire une prescription infirmière1 de bande de crêpe et de maintien en
remplacement d’un pansement adhérent à la peau que le patient supporte mal…
L’éducation des proches et des aidants, impliqués dans cette démarche
Dans certaines situations, comme celles des personnes âgées non ou peu communicantes,
les proches, les aides-soignantes (9) du SSIAD2 ou encore les aides à domicile ont un
rôle non négligeable dans l’évaluation de la douleur, et la prévention de la douleur
induite, d’autant que les personnes douloureuses n’ont pas systématiquement d’actes
infirmiers prescrits au quotidien. L’infirmière libérale a un rôle d’éducation et de
sensibilisation de l’entourage aux éléments à repérer : à quel(s) moment(s) de la journée ?
Comment ? Quelles manifestations verbales ou/et physiques de la douleur ? Quel
retentissement sur la qualité de vie ? Il est important d’expliquer aux proches qu’il n’y a
pas de relation anatomo- clinique entre la plainte et la douleur, qu’une petite plaie peut
être pourvoyeuse de douleurs intenses et inversement, faute de quoi certaines plaintes du
patient ne seront pas prises en compte, et il n’aura pas accès au traitement lorsqu’il n’est
pas autonome vis à vis de celui-ci.
1
2
Arrêté du 13 avril 2007 fixant la liste des dispositifs médicaux que les infirmiers sont autorisés à prescrire.
SSIAD : services de soins infirmiers à domicile
10
A domicile par exemple, les traitements de pallier 3 de l’O.M.S. ne sont pas toujours
administrés (par la famille ou les aidants) en cohérence avec la prescription. (régularité
pour les produits LP et posologie pas toujours respectées…)
Le patient, la famille ou les proches peuvent aussi être éduqués à la mise en place de
patch d’EMLA®, afin que ce recours soit possible, dans le cas contraire il reste à la bonne
volonté ou à la possibilité (kilométrage et secteur géographique étendu) de l’infirmière qui
effectue alors deux passages.
L’éducation des aidants porte également sur la prévention des douleurs induites par les
mobilisations car ce sont eux qui passent le plus de temps auprès de la personne malade à
domicile. Infirmières et kinésithérapeutes libéraux peuvent sur ces questions travailler
en complémentarité par des sensibilisations, afin de permettre aux aidants des gestes
relevant de la bientraitance (mobilisation en binôme, draps utilisés selon la technique du
hamac pour remonter le patient dans son lit…) pour leur permettre une amélioration du
confort de la personne malade. La formation des aides à domicile à la prévention de la
douleur induite fait partie des missions des réseaux de soins palliatifs qui disposent pour
cela d’un fonds spécifique (Fnass/Cnamts).
Un travail d’équipe en interdisciplinarité pas toujours facile à domicile
Mme C. âgée de 80 ans a eu il y a un an un AVC dont elle est « revenue par miracle » ditelle. Cette patiente également diabétique insulinodépendante a conservé une certaine
autonomie, elle effectue elle-même ses surveillances glycémiques et injections d’insuline
et bénéficie une fois/semaine d’une surveillance clinique infirmière. A cette occasion
l’infirmière libérale repère que les injections d’insuline effectuées dans la cuisse droite
exacerbent une douleur neuropathique (avec d’importantes allodynies) insuffisamment
soulagée par la Lamaline prescrite par
le médecin traitant qui craint les effets
secondaires d’un traitement spécifique. Peu de temps après, le diabétologue prend
connaissance du problème par le biais du carnet de suivi dans lequel l’infirmière a laissé
traçabilité de l’évaluation de cette douleur (EN = 8/10 et DN4 = 7/10). Le diabétologue
pense que ces douleurs sont davantage liées à l’AVC qu’au diabète et, en lien avec le
médecin traitant, prend contact avec le service de neurologie qui a suivi la patiente,
lequel propose une prescription de prégabaline (Lyrica) 25 mg matin et soir pour débuter
le traitement. Le médecin traitant adhère à cette démarche. Le pharmacien, avec lequel la
patiente avait déjà évoqué ses douleurs va sécuriser la patiente en, lui disant que c’est un
11
traitement relativement nouveau mais qui « marche bien » sur ce type de douleurs. La
patiente va progressivement pouvoir être soulagée.
Ce travail d’équipe interdisciplinaire ayant pour objectif le soulagement du patient
dans la continuité des soins , n’est pas toujours facile à mettre en œuvre à domicile. Ainsi,
promouvoir ce mode de fonctionnement à domicile renvoie à la nécessité de se
rencontrer, de créer des liens (téléphone, dossier de soins…) afin de partager des
questionnements dans les situations difficiles, et permettre au patient un soulagement le
plus rapide et le plus adapté à sa situation. Il doit aussi se décliner en lien avec les
professionnels d’institutions lors de la sortie d’hospitalisation si les soins se poursuivent
(fiches de liaisons).
Des ressources à mobiliser pour une culture de l’interdisciplinarité à conforter
La douleur reste un phénomène complexe nécessitant des regards croisés dans son
approche, et des compétences complémentaires qui doivent pouvoir se décliner en
interactions tant dans la prévention, l’évaluation que les traitements. A domicile, cette
démarche interdisciplinaire n’est pas ancrée dans la culture, même si celle-ci progresse, et
des formations communes à l’ensemble des professions de santé concernées, restent à
développer. C’est ce que font depuis quelques temps les réseaux de santé (qu’ils soient
impliqués dans la prise en charge de la douleur, les soins palliatifs, …) en proposant des
formations continues sous formes d’ateliers mono ou interdisciplinaires (médecins,
infirmières, pharmaciens) ou encore des formations-actions au domicile du patient. La
mission de formation des réseaux a pour objectif d’optimiser les pratiques de soins par le
transfert de connaissances et de nouveaux apprentissages (utilisation d’outils validés
d’évaluation par exemple). Ceux-ci passent par la pratique de l’interdisciplinarité et le
compagnonnage entre pairs dans le cadre des réunions d’évaluation et de coordination ou
d’analyse de situations par exemple. Par l’intermédiaire d’équipes d’appui (souvent
binôme médecin-infirmière) une visite conjointe avec le médecin traitant et l’infirmière
libérale est organisée au domicile afin d’évaluer la situation du patient et proposer un
projet personnalisé de soins et d’aide, en accord avec ses choix et le souci de sa qualité de
vie, en étant attentif à la prise en charge de la douleur. En dehors de ces visites, les
infirmières libérales, confrontées aux douleurs provoquées par les soins peuvent aussi
solliciter par téléphone ou pour une visite conjointe à domicile, leurs collègues infirmières
du réseau.
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L’intérêt de soutenir les soignants dans la démarche préventive
S’il paraît naturel pour le soignant que la maladie soit la cause de la douleur du patient,
lorsque, le soignant est à l’origine de cette douleur, l’idéal professionnel de bienfaisance
et la relation soignant- soigné s’en trouvent perturbés. Une situation qui peut être celle
de la fragilité tant du côté soigné que soignant. L’infirmière tout autant que le patient
redoute alors une nouvelle rencontre dans le cadre du soin. La douleur induite renvoie les
professionnels aux questions de compétence et d’habiletés professionnelles que la
plupart cherchent à améliorer. La problématique du soignant consiste alors à trouver des
solutions pour sortir de ce paradoxe : celui de faire mal alors que sa formation et le cœur
du métier qu’il a choisi l’engagent à ne pas nuire et à «agir en toute circonstance dans
l’intérêt du patient ».3 (10)
Pour d’autres cette « remise en question » sera plus difficile et pourra se manifester par le
déni de la douleur. La prévention et le traitement de la douleur provoquée par les
soins, les actes quotidiens et la chirurgie faisaient partie des objectifs du second plan
douleur. Chaque soignant devrait donc avoir à sa disposition les moyens (formation,
outils, thérapeutiques, temps, travail en équipe…) de concrétiser cet engagement. Dans le
cas contraire, le paradoxe évoqué plus haut est renforcé par une mise en tension entre
l’objectif affiché et les moyens mis en œuvre.
Les infirmières libérales, qui, selon l’enquête citée en introduction, sont 8/10 à réclamer un
traitement de la douleur induite, sont parfois exposées à ces situations de tension,
notamment lorsque le médecin traitant de la personne malade considère qu’il n’y a pas lieu
de donner un traitement « pour une si petite douleur », ou encore qu’il est réticent à la
prescription d’antalgiques de palier 3 de l’OMS, pourtant nécessaires et
argumentés par
une évaluation de la douleur. A domicile ce peut être aussi la famille qui est dans
l’opposition des traitements morphiniques.
Si les soignants ne sont pas soutenus dans leur démarche, cela peut les conduire à une
situation d’épuisement et à un désinvestissement de la prise en charge antalgique
considérée alors comme inaccessible .
En guise de conclusion, quelques éléments de réflexions et des propositions qui
permettraient d’améliorer la prise en charge de la douleur provoquée à domicile :
3
Art.R4312-26 du Code de la santé Publique. Règles professionnelles des infirmières.
13
- Le rôle de l’infirmière libérale s’inscrit à la fois dans la dimension préventive,
éducative et curative, dans le respect d’une approche personnalisée et adaptée à
l’environnement de chaque patient, visant à prendre soin de lui. Le médecin traitant peut
ainsi s’appuyer sur les observations cliniques infirmières.
- L’utilisation des outils d’évaluation reste insuffisamment développée à domicile et
l’inscription de l’évaluation de la douleur dans les actes de la Ngap4 pourrait être de nature
à faire évoluer positivement cette situation.
- Si l’importance du travail en interdisciplinarité à domicile est à souligner, cette culture
du travail en collaboration et en interactions (médecin, ide…), reste une difficulté, et
pourrait être favorisée par des modules de formations communs à ces différentes
professions.
- Une réflexion est également à engager sur l’utilisation à domicile des protocoles et
prescriptions anticipées et sur leurs modes d’élaboration et de validation qui diffèrent du
modèle hospitalier.
- Enfin, même si le thème de la douleur est inscrit dans les programmes de formations
continues conventionnelles, les problèmes de remplacement restent une difficulté et
s’absenter pendant deux jours de son cabinet n’est pas toujours possible. Aussi, il
convient
d’insister
sur
l’intérêt
pour
les
infirmières
libérales,
du
soutien,
du
compagnonnage et des actions de formation sur la douleur, apporté par les réseaux de
santé.
Eléments de bibliographie :
(1) J.N. Godefroy, C.Delorme- Les professionnels de santé et la douleur- Enquête auprès des
professionnels de santé libéraux- In Douleurs 2006,7,3.
(2) P.Cimerman, MC Daydé, A. Serrié, P. Thibault- L’infirmière Libérale Magazine -Soulager la
douleur -Hors Série n°227 coordonné par B.Foucher - 2007.
(3) I. Gaillard, Douleur et pansement d’ulcère à domicile - mémoire DU plaies et cicatrisation 2007Université J. Fourier- Grenoble : http://www.cnrd.fr/article.php3?id_article=737
(4) Le médecin généraliste et les douleurs d’origine cancéreuse (Collectif de 53 médecins
généralistes- Douleurs,2007,8,5.)
(5) La prise en charge de la douleur chez les personnes âgées vivant à domicile. Drees-N° 566avril 2007- Série études et résultats.
4
Nomenclature générale des actes professionnels.
14
(6) ANAES- Recommandations- Evaluation de la prise en charge thérapeutique de la douleur chez
les personnes âgées ayant des troubles de la communication verbale - 2000
(7) Donnadieu S.- Douleurs induites par les soins chez les personnes âgées -Douleurs (2008)9,
hors série1,22-27
(8) Alamie M., Aubry M., Chaumier D., Gautier M.N., Gautier J.M., Douleurs liées aux soins chez
l’adulte : le rôle du personnel infirmier- Douleurs 2007,8,5.
(9) C.Arnoult, F. Buisson,G. Conventz, - Démarche d’amélioration de la prise en charge de la
douleur chez les personnes âgées à domicile - Rôle des aides soignantes dans l’évaluation de la
douleur : http://www.cnrd.fr/article.php3?id_article=642
(10) C.Chauffour-Ader, MC Daydé, Comprendre et soulager la douleur- Ed Lamarre- fév 2008
p.123-137.
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